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Isidore Auguste
Marie François Xavier Comte a été un des
penseurs les plus profonds et le philosophe le plus original du XIXe
siècle, né à Montpellier
le 19 janvier 1798, mort le 5 septembre 1857. Il entra, à l'âge
de neuf ans, au collège de sa ville natale, y fit de brillantes
études et fut reçu premier, sur la liste de Francoeur, examinateur
à l'Ecole polytechnique, un an avant l'âge fixé pour
l'entrée à cette école. II y entra à la fin
de 1814 et n'y acheva pas ses études, l'école ayant été
licenciée en 1816 par le gouvernement de la Restauration. Sa carrière
officielle étant ainsi brisée, il chercha, malgré
l'opposition de sa famille, catholique et légitimiste, à
subvenir à son existence par des leçons de mathématiques,
et l'enseignement privé constitua, pendant bien des années,
sa seule ressource. Il est très probable que, livré à
lui-même et obligé de lutter contre les difficultés
matérielles de la vie, Auguste Comte serait resté professeur
de mathématiques et eût acquis dans cette spécialité,
pour laquelle il avait une véritable vocation et des capacités
hors ligne, une brillante situation. Mais il eut la chance de rencontrer
dès le début, vers 1819, un esprit brillant qui exerça
sur lui, quoi qu'on en ait dit, la plus salutaire influence.
- © Photo : Serge Jodra, 2012. Au sortir de la sanglante épopée impériale, qui avait montré l'insuffisance des idées négatives du XVIIIe siècle et fait sentir le besoin d'une reconstitution sociale, un penseur était venu qui apportait une manière nouvelle d'envisager les destinées de l'humanité et les conditions de son évolution. Esprit primesautier et pénétrant, auquel il manquait malheureusement le savoir nécessaire, Saint-Simon ne se contentait pas de critiquer ce qu'il voyait autour de lui, il voulait encore fonder un ordre nouveau. Dans son système qui eut une si
étonnante vogue, qui suscita tant d'enthousiasmes, tant de dévouements
et tant de colères, tout n'était pas étrangeté
et bizarrerie, puisqu'il entraîna des hommes comme A. Thierry, A.
Comte, Michel Chevalier. C'était là, en effet, un premier
essai, très informe encore sans doute, mais très remarquable,
de remplacer les considérations théoriques, si chères
aux métaphysiciens, par une étude attentive des phénomènes
sociaux. A. Comte fut séduit des l'abord par ces aperçus
larges, par ces vastes généralisations qui avaient la prétention,
peu justifiée à coup sûr, de faire rentrer la science
sociale dans le cadre de toutes les autres sciences d'observation. Il devint
bientôt le disciple chéri, l'ami dévoué de Saint-Simon.
Mais, entre ces deux hommes, l'intimité ne pouvait durer longtemps
: Saint Simon était trop habitué à commander et à
se faire obéir, A. Comte était trop indisciplinable par tempérament,
trop convaincu de sa supériorité, pour pouvoir travailler
à une oeuvre commune. Ils se brouillèrent violemment en 1824
sous le prétexte que Saint-Simon n'avait pas tenu sa promesse de
publier, avec le nom de l'auteur, le troisième fascicule du Catéchisme
des industriels, écrit tout entier par A. Comte. La vérité
est que ces deux-là ne pouvaient plus s'entendre, et que A. Comte
avait trouvé une philosophie autrement
puissante et féconde que les doctrines de Saint-Simon.
La première esquisse de cette philosophie se trouve dans les Considérations philosophiques sur la science et les savants, les Considérations sur le nouveau pouvoir spirituel, publiées sous forme d'articles dans le Producteur de novembre 1825 et mars 1826, et surtout dans le programme d'un cours que A. Comte voulait faire dans son modeste domicile, 13, rue du Faubourg-Montmartre. Ce cours, qui devait avoir soixante-douze leçons et qui commença le ler avril 1826 devant un assez nombreux auditoire, dans lequel on remarquait A. de Humboldt, Poinsot, Blainville, fut interrompu après trois séances. A. Comte, subitement atteint d'un violent accès d'excitation maniaque, dut être interné chez Esquirol, où il resta pendant sept mois sans éprouver d'amélioration. Grâce aux soins dévoués de sa femme, une femme d'un rare mérite et d'une intelligence tout à fait exceptionnelle, qui le ramena chez lui, l'excitation s'apaisa bientôt, et, dans le courant de 1827, il put se remettre au travail. En 1828, il reprit le cours que la maladie avait interrompu, et cette fois le mena à terme devant un auditoire de haute qualité. A cette époque commence la période qu'on pourrait appeler la vie intellectuelle de A. Comte et qui dura quinze ans (1828-1842). Ce qui la précédait avait été une préparation à son oeuvre capitale, ce qui la suivit était une triste aberration mentale qui n'a pas peu contribué à jeter le discrédit sur son nom. A. Comte avait énormément lu dans sa jeunesse et avait joint à sa solide instruction mathématique, grâce à sa prodigieuse mémoire, des connaissances fort étendues sur la plupart des sciences. Ce sont ces connaissances si vastes et si variées qui lui ont permis de terminer ses six volumes du Cours de philosophie positive (1830-1842), dans lesquels toutes les branches du savoir sont résumées avec une étonnante exactitude, sans consulter aucun livre, car il s'était interdit toute lecture à partir du moment où il commença son élaboration philosophique. A. Comte avait une façon de travailler tout à fait remarquable et qui dénote chez lui une puissance intellectuelle absolument extraordinaire, peut-être unique. Il méditait de tête chacun des six volumes qui se suivaient sans interruption de deux ans en deux ans, sans jamais rien écrire, même de simples notes; il en faisait non seulement le plan et les divisions principales, mais encore les moindres détails. Quand cette élaboration mentale était terminée, il disait que son volume était fait; il l'écrivait alors, en effet, d'un trait, envoyant au fur et à mesure les feuillets à l'imprimerie, ne revoyant jamais qu'une seule épreuve et n'y faisant jamais aucun changement. Ce n'est pas le lieu ici de résumer,
même brièvement, cette oeuvre remarquable de Comte et qui
exerça sur la pensée moderne une influence considérable.
Il suffira de dire que la philosophie y est fondée exclusivement
sur les six sciences abstraites : mathématiques,
astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie,
qui constituent le domaine du savoir positif. La philosophie générale
devient ainsi le résultat final des philosophies particulières
des six sciences dont A. Comte a donné un enchaînement
longtemps accepté, même, même par les adversaires de
sa doctrine. Il fallait donc rechercher avant tout ce qui, dans chaque
science, était fondamental, certain, et ce qui y était accessoire,
hypothétique; il fallait déterminer les limites exactes de
chacune d'elles, classer leurs lois définitivement acquises et en
tirer les conclusions qu'elles comportent; il fallait enfin poser les bases
de la sociologie qui, en tant que science, n'existait point. Cette besogne
immense, qui eût suffi au labeur de plusieurs auteurs, A. Comte l'a
accomplie en douze ans, et de telle manière qu'il reste bien peu
de chose à faire après lui.
Les travaux philosophiques n'occupaient pourtant pas seuls la vie de A. Comte. N'ayant aucune fortune personnelle, il devait chercher des ressources dans le travail. Il trouva une place de professeur de mathématiques dans une institution privée, puis fut successivement nommé, grâce à la protection de Navier et de Dulong, répétiteur (1832) et examinateur d'admission (1835) à l'Ecole polytechnique. Il acquit ainsi une situation, modeste sans doute, mais qui satisfaisait ses goûts simples, et qu'il ne tenait qu'à lui d'améliorer. A plusieurs reprises, la chaire d'analyse était devenue vacante à l'Ecole polytechnique; A. Comte, qui avait à coup sûr des titres et eût pu avoir des chances, se mit chaque fois sur les rangs, non comme un candidat qui sollicite des suffrages et dont on peut discuter le mérite, mais comme un esprit supérieur qui revendique un droit. Il ne fit point de démarches, écrivit à tous ceux qui le protégeaient et à l'Académie des sciences des lettres hautaines, dans lesquelles il malmenait fort ses compétiteurs et attaquait violemment quelques-unes des célébrités mathématiques d'alors. Il échoua toujours, gardant toujours rancune à tout le monde, et finit par lasser ceux même qui étaient le mieux disposés pour lui. A mesure qu'il avançait dans son élaboration philosophique et se pénétrait davantage de la grandeur des résultats auxquels il arrivait, le caractère de Comte, entier et orgueilleux, devenait de plus en plus intraitable. Dans la préface du dernier volume du Cours, paru en 1842, il s'en prit non plus à quelques géomètres, mais à tous les géomètres, et ajouta une note injurieuse pour Arago, alors au faite de la gloire. Son éditeur, Mallet-Bachelier, eut le tort de répondre à cette note en insérant sa réponse dans le volume même, sans le consentement de l'auteur. Comte le poursuivit devant la tribunal de commerce, plaida lui-même et gagna son procès. Mais les suites désastreuses de ce succès ne se firent pas attendre : il perdit sa place d'examinateur à l'Ecole polytechnique, et plus tard sa place dans l'institution privée de M. Laville. Arago tout-puissant se vengeait; cela n'était peut-être pas très généreux, mais l'orgueil d Arago était grand aussi. C'est à la même époque (1842) que Comte se sépara de sa femme, après dix-sept ans de mariage. Ne supportant plus aucune discussion, ne tolérant aucun conseil, la vie commune était devenue impossible; sa femme le comprit et se retira, tout en entretenant avec lui une correspondance suivie qui dura pendant plusieurs années. La période de 1842-1845, sorte de période intermédiaire entre sa construction philosophique et les oeuvres regrettables qui signalèrent la fin de sa vie, est consacrée à la rédaction de deux ouvrages spéciaux, très remarquables à certains égards, un Traité élémentaire de géométrie analytique (1843) et un Traité philosophique d'astronomie populaire (1845), résume d'un cours qu'il a fait gratuitement pendant dix-sept ans (1830-1848) à la mairie du IIIe arrondissement de Paris. Ces deux volumes, pleins de vues originales, de remarques profondes et d'aperçus suggestifs, n'avaient qu'un défaut : ils n'étaient ni élémentaires, ni populaires. C'est en 1845 que commence pour A. Comte une nouvelle phase, ou plus exactement une irrémédiable décadence intellectuelle. Au fonds acquis pendant la jeunesse et épuisé dans les six volumes du Cours de philosophie positive, A. Comte, qui continuait à s'abstenir systématiquement de toute lecture, n'ajouta rien; il voulut pourtant puiser encore dans ce fonds et appliquer sa philosophie à la politique sociale. Le terrain lui manqua sous les pieds, et il se lança à corps perdu dans ces hypothèses si faciles à faire et si difficiles à vérifier qui sont, par leur nature même, en contradiction flagrante avec la première partie de son oeuvre. Un incident d'ordre tout privé contribua beaucoup à aggraver ce fâcheux état d'esprit. Comte rencontra en 1845, dans le cercle fort restreint qu'il fréquentait, une jeune femme maladive et malheureuse, au sort de laquelle il s'intéressa beaucoup et qu'il aima d'un amour romanesque, qu'on est quelque peu étonné de rencontrer chez un homme de quarante-sept ans, fort peu sentimental de sa nature. Il s'imagina qu'il avait trouvé dans Mme Clotilde Devaux une nouvelle Béatrix ou une nouvelle Laure, oubliant que, pour créer de semblables types, il fallait commencer par être Dante ou Pétrarque. Les affections tardives, dans lesquelles l'effort intellectuel remplace l'élan du coeur, ne réussissent jamais; le cas de Comte en est un saisissant exemple. Il oublia tout ce qu'il avait fait, imagina une religion nouvelle, mélange bizarre de conceptions scientifiques et de grossier fétichisme, institua un culte, se proclama grand prêtre et décréta que « sainte Clotilde » serait désormais la patronne de l'humanité. Dans cette longue période de décadence intellectuelle, il n'y eut qu'un moment d'arrêt, et ce fut la révolution de 1848 qui le provoqua. Il salua la jeune République avec enthousiasme, conçut de suite l'idée de fonder une association qui jouerait le rôle que les Jacobins ont joué pendant la première Révolution, et organisa la Société positiviste dont le rôle fut du reste très effacé, car elle se maintint sur le terrain des idées générales, et ne se mêla nullement à la politique. Il publia un très intéressant résumé de sa doctrine sous la forme d'un Discours sur l'ensemble du positivisme (1848) et fit, en 1849 et 1850, un cours gratuit très remarquable sur l'Histoire de l'humanité dans une salle du Palais-Royal, que l'administration avait mise à sa disposition. Mais ce ne fut là qu'une éclaircie, et les idées mystiques reprirent bien vite le dessus. Comte se rallia au coup d'État de 1851, adressa une lettre à l'empereur de Russie, Nicolas Ier (1852), dans laquelle il lui proposait de prendre la direction temporelle de l'Europe entière et d'en abandonner la direction spirituelle à la religion positiviste. La plupart des oeuvres qui viennent d'être citées ont été réunies par Comte sous forme d'appendices aux quatre volumes de son Système de politique positive, ou Traité de sociologie instituant la religion de l'humanité (1851-1854). lI rédigea aussi un Calendrier positiviste (1849) dans lequel les saints sont remplacés par les grands hommes ayant contribué au progrès de la civilisation, et un Catéchisme positiviste (1852) où se trouvent très clairement résumées sa philosophie et sa politique. Ses deux derniers ouvrages sont un Appel aux conservateurs (1855) et une Synthèse subjective (1856), rêve d'illuminé, dans laquelle on ne trouve plus trace du puissant génie qui avait conçu la philosophie scientifique. Depuis la perte de sa situation officielle, Comte vivait d'un subside que lui accordaient ses admirateurs et ses disciples. Le premier secours lui vint d'Angleterre par l'entremise de J.-S. Mill, avec lequel il entretenait une correspondance suivie. Trois riches Anglais, parmi lesquels Grote, le célèbre historien de la Grèce, lui envoyèrent, pendant une année, la somme qu'il avait demandée; mais Comte entendait que ce secours fût continué. Les trois Anglais refusèrent; S. Mill trouva cela tout naturel et Comte se brouilla avec S. Mill. C'est alors que Littré, le plus illustre de ses disciples, prit l'initiative d'une souscription destinée à lui procurer des ressources permanentes. Cela dura ainsi pendant quatre ans; mais, en 1852, Comte trouva que Littré n'était pas un disciple assez docile, se brouilla avec lui et se mit lui-même à la tête de la souscription. Avant ainsi écarté petit à petit tous ceux qui pouvaient essayer de l'arrêter sur la pente fatale qu'il descendait rapidement, n'ayant plus autour de lui que quelques disciples muets, la plupart prolétaires peu lettrés, il s'enfonça de plus en plus dans un mysticisme exalté, partageant son temps entre l'adoration de Clotilde Devaux, la lecture de l'Imitation et les pratiques cultuelles qu'il dirigeait en sa qualité de grand prêtre de l'humanité. Il mourut d'un cancer de l'estomac, laissant un Testament, pièce volumineuse et étrange qui a été publiée en même temps que sa correspondance avec Mme Devaux, longtemps après sa mort, par les soins de ses exécuteurs testamentaires (1884). (G. Wyrouboff).
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Comte (Joseph-Achille),
naturaliste né à Grenoble
le 29 septembre 1801, mort à Nantes le 17 janvier 1866. Il étudia
la médecine à Paris et fut reçu interne des hôpitaux
en 1823, mais préféra se consacrer à l'enseignement.
Il obtint une place de professeur d'histoire naturelle au collège
Charlemagne, occupa la présidence à la Société
des gens de lettres et remplit les fonctions de chef de bureau au ministère
de l'instruction publique. La Révolution de 1848 brisa pour quelque
temps sa carrière, mais sous l'Empire il fut nommé directeur
de l'École préparatoire à l'enseignement supérieur
de Nantes et remplit ces fonctions jusqu'à sa mort. Achille Comte
avait épousé Aglaé de Boucauville, veuve Laya, qui
s'est fait connaître par plusieurs ouvrages de science et de littérature
et par des comédies. (Dr L.Hn.).
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