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Comte

Isidore Auguste Marie François Xavier Comte a été un des penseurs les plus profonds et le philosophe le plus original du XIXe siècle, né à Montpellier le 19 janvier 1798, mort le 5 septembre 1857. Il entra, à l'âge de neuf ans, au collège de sa ville natale, y fit de brillantes études et fut reçu premier, sur la liste de Francoeur, examinateur à l'Ecole polytechnique, un an avant l'âge fixé pour l'entrée à cette école. II y entra à la fin de 1814 et n'y acheva pas ses études, l'école ayant été licenciée en 1816 par le gouvernement de la Restauration. Sa carrière officielle étant ainsi brisée, il chercha, malgré l'opposition de sa famille, catholique et légitimiste, à subvenir à son existence par des leçons de mathématiques, et l'enseignement privé constitua, pendant bien des années, sa seule ressource. Il est très probable que, livré à lui-même et obligé de lutter contre les difficultés matérielles de la vie, Auguste Comte serait resté professeur de mathématiques et eût acquis dans cette spécialité, pour laquelle il avait une véritable vocation et des capacités hors ligne, une brillante situation. Mais il eut la chance de rencontrer dès le début, vers 1819, un esprit brillant qui exerça sur lui, quoi qu'on en ait dit, la plus salutaire influence. 
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Statue de Comte, place de la Sorbonne, à Paris.
Statue de Comte, place de la Sorbonne, à Paris.
Le buste d'Auguste Compte, place de la Sorbonne, à Paris.
© Photo : Serge Jodra, 2012.

Au sortir de la sanglante épopée impériale, qui avait montré l'insuffisance des idées négatives du XVIIIe siècle et fait sentir le besoin d'une reconstitution sociale, un penseur était venu qui apportait une manière nouvelle d'envisager les destinées de l'humanité et les conditions de son évolution. Esprit primesautier et pénétrant, auquel il manquait malheureusement le savoir nécessaire, Saint-Simon ne se contentait pas de critiquer ce qu'il voyait autour de lui, il voulait encore fonder un ordre nouveau. 

Dans son système qui eut une si étonnante vogue, qui suscita tant d'enthousiasmes, tant de dévouements et tant de colères, tout n'était pas étrangeté et bizarrerie, puisqu'il entraîna des hommes comme A. Thierry, A. Comte, Michel Chevalier. C'était là, en effet, un premier essai, très informe encore sans doute, mais très remarquable, de remplacer les considérations théoriques, si chères aux métaphysiciens, par une étude attentive des phénomènes sociaux. A. Comte fut séduit des l'abord par ces aperçus larges, par ces vastes généralisations qui avaient la prétention, peu justifiée à coup sûr, de faire rentrer la science sociale dans le cadre de toutes les autres sciences d'observation. Il devint bientôt le disciple chéri, l'ami dévoué de Saint-Simon. Mais, entre ces deux hommes, l'intimité ne pouvait durer longtemps : Saint Simon était trop habitué à commander et à se faire obéir, A. Comte était trop indisciplinable par tempérament, trop convaincu de sa supériorité, pour pouvoir travailler à une oeuvre commune. Ils se brouillèrent violemment en 1824 sous le prétexte que Saint-Simon n'avait pas tenu sa promesse de publier, avec le nom de l'auteur, le troisième fascicule du Catéchisme des industriels, écrit tout entier par A. Comte. La vérité est que ces deux-là ne pouvaient plus s'entendre, et que A. Comte avait trouvé une philosophie autrement puissante et féconde que les doctrines de Saint-Simon.
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Influence prépondérante de l'intelligence sur le progrès.  Importance historique de la philosophie

« On ne saurait hésiter à placer en première ligne l'évolution inteIlectuelle, comme principe nécessairement prépondérant de l'ensemble de l'évolution de l'humanité. Quoique notre faible intelligence y ait, sans doute, un indispensable besoin de l'éveil primitif et de la stimulation continue qu'impriment les appétits, les passions et les sentiments, c'est cependant sous sa direction nécessaire qu'a toujours dû s'accomplir l'ensemble de la progression humaine. C'est seulement ainsi, et par l'influence de plus en plus prononcée de l'intelligence sur la conduite générale de l'homme et de la société, que la marche graduelle de notre espèce a pu réellement acquérir ces caractères de constante régularité et de persévérante continuité qui la distinguent profondément de l'essor vague, incohérent et stérile, des espèces animales les plus élevées, quoique nos appétits, nos passions, et même nos sentiments primitifs se retrouvent essentiellement chez beaucoup d'entre elles, et avec une énergie supérieure, au moins à plusieurs égards importants.

[...] Aussi, dans tous les temps, depuis le premier essor du génie philosophique, on a toujours reconnu, d'une manière plus ou moins distincte, mais constamment irrécusable, l'histoire de la société comme étant surtout dominée par l'histoire de l'esprit humain. La raison publique a même, depuis longtemps, profondément sanctionné cette appréciation générale, en établissant spontanément, dans toutes les langues civilisées, une synonymie caractéristique entre les termes destinés à désigner, en un genre quelconque, la principale influence directrice et les mots consacrés à l'indication spéciale de notre organe pensant.

Par une suite, moins comprise, mais également rigoureuse et indispensable, du même principe, il faudra surtout nous attacher, dans cette histoire intellectuelle, à la considération prédominante des conceptions les plus générales et les plus abstraites, qui exigent le plus spécialement l'exercice de nos facultés mentales les plus éminentes, dont les organes correspondent à la partie antérieure de la région frontale. C'est donc l'appréciation successive du système fondamental des opinions humaines relatives à l'ensemble des phénomènes quelconques, en un mot, l'histoire générale de la philosophie, quel que soit d'ailleurs son caractère affectif, - théologique, métaphysique ou positif, - qui devra nécessairement présider à la coordination rationnelle de notre analyse historique.

Toute autre branche essentielle de l'histoire intellectuelle, même l'histoire des beaux-arts (y compris la poésie), malgré son extrême importance, ne pourrait, sans graves dangers, être artificiellement appelée à cet indispensable office : parce que les facultés d'expression, plus intimement liées aux facultés affectives, et dont les organes se rapprochent en effet davantage de la partie moyenne du cerveau proprement dit, ont dû être, en tout temps, subordonnées, dans l'économie réelle du mouvement social, aux facultés de conception directe, sans excepter les époques de leur plus grande influence réelle. »
 

(A. Comte, Cours de philosophie positive).

La première esquisse de cette philosophie se trouve dans les Considérations philosophiques sur la science et les savants, les Considérations sur le nouveau pouvoir spirituel, publiées sous forme d'articles dans le Producteur de novembre 1825 et mars 1826, et surtout dans le programme d'un cours que A. Comte voulait faire dans son modeste domicile, 13, rue du Faubourg-Montmartre. Ce cours, qui devait avoir soixante-douze leçons et qui commença le ler avril 1826 devant un assez nombreux auditoire, dans lequel on remarquait A. de Humboldt, Poinsot, Blainville, fut interrompu après trois séances. A. Comte, subitement atteint d'un violent accès d'excitation maniaque, dut être interné chez Esquirol, où il resta pendant sept mois sans éprouver d'amélioration. Grâce aux soins dévoués de sa femme, une femme d'un rare mérite et d'une intelligence tout à fait exceptionnelle, qui le ramena chez lui, l'excitation s'apaisa bientôt, et, dans le courant de 1827, il put se remettre au travail. En 1828, il reprit le cours que la maladie avait interrompu, et cette fois le mena à terme devant un auditoire de haute qualité.

A cette époque commence la période qu'on pourrait appeler la vie intellectuelle de A. Comte et qui dura quinze ans (1828-1842). Ce qui la précédait avait été une préparation à son oeuvre capitale, ce qui la suivit était une triste aberration mentale qui n'a pas peu contribué à jeter le discrédit sur son nom. A. Comte avait énormément lu dans sa jeunesse et avait joint à sa solide instruction mathématique, grâce à sa prodigieuse mémoire, des connaissances fort étendues sur la plupart des sciences. Ce sont ces connaissances si vastes et si variées qui lui ont permis de terminer ses six volumes du Cours de philosophie positive (1830-1842), dans lesquels toutes les branches du savoir sont résumées avec une étonnante exactitude, sans consulter aucun livre, car il s'était interdit toute lecture à partir du moment où il commença son élaboration philosophique. A. Comte avait une façon de travailler tout à fait remarquable et qui dénote chez lui une puissance intellectuelle absolument extraordinaire, peut-être unique. Il méditait de tête chacun des six volumes qui se suivaient sans interruption de deux ans en deux ans, sans jamais rien écrire, même de simples notes; il en faisait non seulement le plan et les divisions principales, mais encore les moindres détails. Quand cette élaboration mentale était terminée, il disait que son volume était fait; il l'écrivait alors, en effet, d'un trait, envoyant au fur et à mesure les feuillets à l'imprimerie, ne revoyant jamais qu'une seule épreuve et n'y faisant jamais aucun changement.

Ce n'est pas le lieu ici de résumer, même brièvement, cette oeuvre remarquable de Comte et qui exerça sur la pensée moderne une influence considérable. Il suffira de dire que la philosophie y est fondée exclusivement sur les six sciences abstraites : mathématiques, astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie, qui constituent le domaine du savoir positif. La philosophie générale devient ainsi le résultat final des philosophies particulières des six sciences dont A. Comte a donné un enchaînement  longtemps accepté, même, même par les adversaires de sa doctrine. Il fallait donc rechercher avant tout ce qui, dans chaque science, était fondamental, certain, et ce qui y était accessoire, hypothétique; il fallait déterminer les limites exactes de chacune d'elles, classer leurs lois définitivement acquises et en tirer les conclusions qu'elles comportent; il fallait enfin poser les bases de la sociologie qui, en tant que science, n'existait point. Cette besogne immense, qui eût suffi au labeur de plusieurs auteurs, A. Comte l'a accomplie en douze ans, et de telle manière qu'il reste bien peu de chose à faire après lui.
 

État final de l'évolution intellectuelle

« Le terme effectif de l'évolution intellectuelle n'est pas plus susceptible de contestation que son point de départ nécessaire. Quelque irrésistible ascendant primordial que nous venions de reconnaître, en principe, à la philosophie théologique, chacun des motifs fondamentaux qui expliquent et justifient un tel empire intellectuel le montrent en même temps comme nécessairement provisoire, puisqu'il consiste toujours à constater, à divers titres, la parfaite harmonie naturelle de cette philosophie avec les besoins propres à l'état primitif de l'humanité, et qui ne sauraient être les mêmes, ni par suite comporter la même philosophie, quand l'évolution sociale est suffisamment développée. Le lecteur peut aisément reprendre, sous ce point de vue, toutes ces différentes considérations principales, et partout il reconnaîtra que, lorsqu'on en prolonge l'application générale jusqu'à un état social très avancé, elles constatent, non moins spontanément, l'urgent avènement de la philosophie positive : c'est même en cela que consiste l'extrême délicatesse logique d'une telle argumentation, dont un esprit sophistique pourrait si facilement abuser pour nier dogmatiquement, d'une matière absolue, toute véritable utilité quelconque de la philosophie théologique, à l'éternel détriment de la science historique, dès lors radicalement impossible [...].

Malgré l'inévitable ascendant primitif de la philosophie théologique, on peut maintenant affirmer qu'une telle manière de philosopher n'a jamais été, pour notre intelligence, qu'une sorte de pis aller, vers lequel une prédilection spontanée ne nous a d'abord si exclusivement entraînés que par l'impossibilité radicale d'une meilleure philosophie. En un sujet quelconque, quand, après une préparation convenable, la concurrence des méthodes est devenue vraiment possible, l'homme n'a jamais hésité à substituer de plus en plus la recherche des lois réelles des phénomènes à celles de leurs causes primordiales, comme à la fois mieux adaptée à sa portée effective et à ses besoins véritables, quoique l'entraînement des habitudes antérieures, qu'aucune éducation rationnelle n'a jusqu'ici suffisamment combattues, ait dû, sans doute, le faire souvent retomber dans le renouvellement passager de ses premières illusions. A proprement parler, la philosophie théologique, même dans notre première enfance, individuelle ou sociale, n'a jamais pu être rigoureusement universelle c'est-à-dire que, pour tous les ordres quelconques de phénomènes les faits les plus simples et les plus communs ont toujours été regardés comme essentiellement assujettis à des lois naturelles, au lieu d'être attribués à l'arbitraire volonté des adents surnaturels. L'illustre Adam Smith a, par exemple, très heureusement remarqué, dans ses Essais philosophiques, qu'on ne trouvait, en aucun temps, ni en aucun pays, un dieu pour la pesanteur. Il en est ainsi, en général, même à l'égard des sujets les plus compliqués, envers tous les phénomènes assez élémentaires et assez familiers pour que la parfaite invariabilité-de leurs relations effectives ait toujours dû frapper spontanément l'observateur le moins préparé.

Le germe élémentaire de la philosophie positive est certainement tout aussi primitif, au fond, que celui de la philosophie théologique elle-même, quoiqu'elle n'ait pu se développer que beaucoup plus tard. Une telle notion importe extrêmement à la parfaite rationalité de notre théorie sociologique, puisque, la vie humaine ne pouvant jamais offrir aucune véritable création quelconque, mais toujours une simple évolution graduelle, l'essor final de l'esprit positif deviendrait scientifiquement incompréhensible, si, dès l'origine, ou n'en concevait, à tous égards, les premiers rudiments nécessaires. Depuis cette situation primitive, à mesure que nos observations se sont spontanément étendues et généralisées, cet essor, d'abord à peine appréciable, a constamment suivi, sans cesser longtemps d'être subalterne, une progression lente, mais continue. »
 

(A. Comte, Cours de philosophie positive).
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Les travaux philosophiques n'occupaient pourtant pas seuls la vie de A. Comte. N'ayant aucune fortune personnelle, il devait chercher des ressources dans le travail. Il trouva une place de professeur de mathématiques dans une institution privée, puis fut successivement nommé, grâce à la protection de Navier et de Dulong, répétiteur (1832) et examinateur d'admission (1835) à l'Ecole polytechnique. Il acquit ainsi une situation, modeste sans doute, mais qui satisfaisait ses goûts simples, et qu'il ne tenait qu'à lui d'améliorer. A plusieurs reprises, la chaire d'analyse était devenue vacante à l'Ecole polytechnique; A. Comte, qui avait à coup sûr des titres et eût pu avoir des chances, se mit chaque fois sur les rangs, non comme un candidat qui sollicite des suffrages et dont on peut discuter le mérite, mais comme un esprit supérieur qui revendique un droit. Il ne fit point de démarches, écrivit à tous ceux qui le protégeaient et à l'Académie des sciences des lettres hautaines, dans lesquelles il malmenait fort ses compétiteurs et attaquait violemment quelques-unes des célébrités mathématiques d'alors. Il échoua toujours, gardant toujours rancune à tout le monde, et finit par lasser ceux même qui étaient le mieux disposés pour lui.

A mesure qu'il avançait dans son élaboration philosophique et se pénétrait davantage de la grandeur des résultats auxquels il arrivait, le caractère de Comte, entier et orgueilleux, devenait de plus en plus intraitable. Dans la préface du dernier volume du Cours, paru en 1842, il s'en prit non plus à quelques géomètres, mais à tous les géomètres, et ajouta une note injurieuse pour Arago, alors au faite de la gloire. Son éditeur, Mallet-Bachelier, eut le tort de répondre à cette note en insérant sa réponse dans le volume même, sans le consentement de l'auteur. Comte le poursuivit devant la tribunal de commerce, plaida lui-même et gagna son procès. Mais les suites désastreuses de ce succès ne se firent pas attendre : il perdit sa place d'examinateur à l'Ecole polytechnique, et plus tard sa place dans l'institution privée de M. Laville. Arago tout-puissant se vengeait; cela n'était peut-être pas très généreux, mais l'orgueil d Arago était grand aussi. C'est à la même époque (1842) que Comte se sépara de sa femme, après dix-sept ans de mariage. Ne supportant plus aucune discussion, ne tolérant aucun conseil, la vie commune était devenue impossible; sa femme le comprit et se retira, tout en entretenant avec lui une correspondance suivie qui dura pendant plusieurs années.

La période de 1842-1845, sorte de période intermédiaire entre sa construction philosophique et les oeuvres regrettables qui signalèrent la fin de sa vie, est consacrée à la rédaction de deux ouvrages spéciaux, très remarquables à certains égards, un Traité élémentaire de géométrie analytique (1843) et un Traité philosophique d'astronomie populaire (1845), résume d'un cours qu'il a fait gratuitement pendant dix-sept ans (1830-1848) à la mairie du IIIe arrondissement de Paris. Ces deux volumes, pleins de vues originales, de remarques profondes et d'aperçus suggestifs, n'avaient qu'un défaut : ils n'étaient ni élémentaires, ni populaires.

C'est en 1845 que commence pour A. Comte une nouvelle phase, ou plus exactement une irrémédiable décadence intellectuelle. Au fonds acquis pendant la jeunesse et épuisé dans les six volumes du Cours de philosophie positive, A. Comte, qui continuait à s'abstenir systématiquement de toute lecture, n'ajouta rien; il voulut pourtant puiser encore dans ce fonds et appliquer sa philosophie à la politique sociale. Le terrain lui manqua sous les pieds, et il se lança à corps perdu dans ces hypothèses si faciles à faire et si difficiles à vérifier qui sont, par leur nature même, en contradiction flagrante avec la première partie de son oeuvre. Un incident d'ordre tout privé contribua beaucoup à aggraver ce fâcheux état d'esprit. Comte rencontra en 1845, dans le cercle fort restreint qu'il fréquentait, une jeune femme maladive et malheureuse, au sort de laquelle il s'intéressa beaucoup et qu'il aima d'un amour romanesque, qu'on est quelque peu étonné de rencontrer chez un homme de quarante-sept ans, fort peu sentimental de sa nature. Il s'imagina qu'il avait trouvé dans Mme Clotilde Devaux une nouvelle Béatrix ou une nouvelle Laure, oubliant que, pour créer de semblables types, il fallait commencer par être Dante ou Pétrarque. Les affections tardives, dans lesquelles l'effort intellectuel remplace l'élan du coeur, ne réussissent jamais; le cas de Comte en est un saisissant exemple. Il oublia tout ce qu'il avait fait, imagina une religion nouvelle, mélange bizarre de conceptions scientifiques et de grossier fétichisme, institua un culte, se proclama grand prêtre et décréta que « sainte Clotilde » serait désormais la patronne de l'humanité. 

Dans cette longue période de décadence intellectuelle, il n'y eut qu'un moment d'arrêt, et ce fut la révolution de 1848 qui le provoqua. Il salua la jeune République avec enthousiasme, conçut de suite l'idée de fonder une association qui jouerait le rôle que les Jacobins ont joué pendant la première Révolution, et organisa la Société positiviste dont le rôle fut du reste très effacé, car elle se maintint sur le terrain des idées générales, et ne se mêla nullement à la politique. Il publia un très intéressant résumé de sa doctrine sous la forme d'un Discours sur l'ensemble du positivisme (1848) et fit, en 1849 et 1850, un cours gratuit très remarquable sur l'Histoire de l'humanité dans une salle du Palais-Royal, que l'administration avait mise à sa disposition. Mais ce ne fut là qu'une éclaircie, et les idées mystiques reprirent bien vite le dessus. Comte se rallia au coup d'État de 1851, adressa une lettre à l'empereur de Russie, Nicolas Ier (1852), dans laquelle il lui proposait de prendre la direction temporelle de l'Europe entière et d'en abandonner la direction spirituelle à la religion positiviste. La plupart des oeuvres qui viennent d'être citées ont été réunies par Comte sous forme d'appendices aux quatre volumes de son Système de politique positive, ou Traité de sociologie instituant la religion de l'humanité (1851-1854). lI rédigea aussi un Calendrier positiviste (1849) dans lequel les saints sont remplacés par les grands hommes ayant contribué au progrès de la civilisation, et un Catéchisme positiviste (1852) où se trouvent très clairement résumées sa philosophie et sa politique. Ses deux derniers ouvrages sont un Appel aux conservateurs (1855) et une Synthèse subjective (1856), rêve d'illuminé, dans laquelle on ne trouve plus trace du puissant génie qui avait conçu la philosophie scientifique.

Depuis la perte de sa situation officielle, Comte vivait d'un subside que lui accordaient ses admirateurs et ses disciples. Le premier secours lui vint d'Angleterre par l'entremise de J.-S. Mill, avec lequel il entretenait une correspondance suivie. Trois riches Anglais, parmi lesquels Grote, le célèbre historien de la Grèce, lui envoyèrent, pendant une année, la somme qu'il avait demandée; mais Comte entendait que ce secours fût continué. Les trois Anglais refusèrent; S. Mill trouva cela tout naturel et Comte se brouilla avec S. Mill. C'est alors que Littré, le plus illustre de ses disciples, prit l'initiative d'une souscription destinée à lui procurer des ressources permanentes. Cela dura ainsi pendant quatre ans; mais, en 1852, Comte trouva que Littré n'était pas un disciple assez docile, se brouilla avec lui et se mit lui-même à la tête de la souscription.

Avant ainsi écarté petit à petit tous ceux qui pouvaient essayer de l'arrêter sur la pente fatale qu'il descendait rapidement, n'ayant plus autour de lui que quelques disciples muets, la plupart prolétaires peu lettrés, il s'enfonça de plus en plus dans un mysticisme exalté, partageant son temps entre l'adoration de Clotilde Devaux, la lecture de l'Imitation et les pratiques cultuelles qu'il dirigeait en sa qualité de grand prêtre de l'humanité. Il mourut d'un cancer de l'estomac, laissant un Testament, pièce volumineuse et étrange qui a été publiée en même temps que sa correspondance avec Mme Devaux, longtemps après sa mort, par les soins de ses exécuteurs testamentaires (1884). (G. Wyrouboff).



En librairie - Auguste Comte, Science et politique, Pocket, 2003. - Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société, L'Harmattan, 2001. - Philosophie des sciences, PUF, 2000. - Synthèse sbjective, ou système universel des conceptions propres à l'état normal de l'humanité, Fayard, 2000. - Discours sur l'ensemble du positivisme, Flammarion (GF), 1999. - Cours de philosophie positive,  (leçons 1 à 45), Hermann, 1998. - Système de politique positive (4 volumes), Vrin, 1996. - Calendrier positiviste, Fata Morgana, 1993. - Traité philosophique d'astronomie populaire, Fayard, 1985. - La science sociale, Gallimard, 1972.

- Xavier Zubiri, Cinq leçons de philosophie (Aristote, Kant, Comte, Bergson, Husserl), Rééd. L'Harmattan, 2003. - John Stuart Mill, Auguste Comte et le positivisme (trad. Georges Clémenceau, prés. Michel Bourdeau), L'Harmattan, 1999.

Bernard Jolibert, Auguste Comte, l'éducation positive, L'Harmattan, 2004. - Collectif, Actualité d'Auguste Comte, Kimé, 2003. - Collectif, Auguste Comte, trajectoires positives, L'Harmattan, 2003. - Christian Laval, L'ambition sociologique (Saint-Simon, Comte, Tocqueville, Marx, Weber, Durkheim), La Découverte, 2002. - Michel Bourdeau et François Chazel, Auguste Comte et l'idée de science de l'homme, L'Harmattan, 2002. - Jean-Claude Wartelle, L'héritage d'Auguste Comte, histoire de l'église positiviste, L'Harmattan, 2001. - Raquel Capurro, Auguste Comte, le positivisme est un culte des morts, Epel, 2001. - Collectif, Auguste Comte, Politique et sciences, Albin Michel, 2000. - Angèle Kremer-Marietti, Le projet anthropologique d'Auguste Comte, L'Harmattan, 1999. - Jacques Muglioni, Auguste Comte, un philosophe pour votre temps, Kimé, 1998. - Juliette Grange, La philosophie d'Auguste Comte, PUF, 1998. - De la même, Politique d'Auguste Comte, Payot, 1996. 

Comte (Joseph-Achille), naturaliste né à Grenoble le 29 septembre 1801, mort à Nantes le 17 janvier 1866. Il étudia la médecine à Paris et fut reçu interne des hôpitaux en 1823, mais préféra se consacrer à l'enseignement. Il obtint une place de professeur d'histoire naturelle au collège Charlemagne, occupa la présidence à la Société des gens de lettres et remplit les fonctions de chef de bureau au ministère de l'instruction publique. La Révolution de 1848 brisa pour quelque temps sa carrière, mais sous l'Empire il fut nommé directeur de l'École préparatoire à l'enseignement supérieur de Nantes et remplit ces fonctions jusqu'à sa mort. Achille Comte avait épousé Aglaé de Boucauville, veuve Laya, qui s'est fait connaître par plusieurs ouvrages de science et de littérature et par des comédies.  (Dr L.Hn.).


En nibliothèque - On doit à Ach. Comte : Circulation du sang dans le foetus (Paris, 1817, in-fol., av. 1 pl.). -  Règne animal de Cuvier disp. en tabl. méthodiq. (Paris, 1881-44, 91 tabl.). - Atlas méthodique des cartes d'histoire naturelle, etc. (en collaboration avec Milne-Edwards; Paris, 1838, in-4). - Organisation et physiologie de l'homme, expliquées à l'aide de fig. coloriées, découpées et superposées (Paris, 1844, in-8. av. atlas in-4). - Traité complet d'histoire naturelle (Paris, 1844-45, in-12). - Musée d'hist. nat. compr. la géol., la zool., la botanique (Paris, 1854, in-8, av. fig. col.). - Notions sanitaires sur les végétaux dangereux (Nantes, 1862, in-4, 3 pl. col.). - Divers autres ouvrages d'histoire naturelle populaire et une édition complète des Oeuvres de Buffon (Paris, 1846, 6 vol. in-8, av. 161 pl.).. 
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Dictionnaire biographique
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