| J-B Henri-Dominique Lacordaire, le deuxième des quatre fils d'un médecin d'un village de Bourgogne, naquit en 1802 à Recey-sur-Qurce (Côte-d'Or). Il perdit son père en 1806, et reçut de sa pieuse mère une éducation chrétienne. Il fit ses études classiques de 1812 à 1819 au lycée de Dijon, où il perdit sa foi, et d'où il passa à l'école de droit de cette ville. Il se rendit en 1822 à Paris, où il se plaça chez Guillemin, avocat à la Cour de cassation. Redevenu chrétien, il se sentit entraîner vers le sacerdoce, et fut admis en 1824 au séminaire de Saint-Sulpice. Ordonné prêtre en 1827, il fut nommé aumônier d'un couvent de la Visitation par Mgr de Quélen, archevêque de Paris, qui l'affectionnait. Il devint en 1828 aumônier-adjoint du collège Henri IV; mais, tourmenté du besoin de satisfaire sa passion de l'apostolat, il eut le dessein de s'embarquer, comme missionnaire, pour l'Amérique. L'évêque de New-York, alors en France, lui offrait une place de vicaire général. Conduit par l'abbé Gerbet, plus tard évêque de Perpignan, il venait de faire une visite à l'abbé de La Mennais, à la Chenaie en Bretagne, lorsque la révolution de Juillet 1830 éclata. Son départ pour l'Amérique fut retardé, et le journal l'Avenir fut fondé, au mois d'octobre de cette même année 1830. S'associant alors à la nouvelle pensée politique de l'abbé de Lamennais, il entreprit avec ardeur de concilier le catholicisme avec la liberté entendue dans le sens des idées nées de la Révolution. Il avait signé en 1830 un Mémoire des aumôniers des collèges de Paris que l'université regarda comme diffamatoire. L'affaire passa de la police correctionnelle à la cour d'assises, et Lacordaire fut couvert d'applaudissements en participant à sa défense avec son avocat, lorsque repoussant le reproche adressé aux aumôniers d'être les ministres d'un pouvoir étranger, il répondit : "Nous sommes les ministres de quelqu'un qui n'est étranger nulle part, de Dieu." Ramené devant la cour d'assises, avec l'abbé de La Mennais, à l'occasion de deux articles publiés dans l'Avenir, il obtint, par l'éclat de sa parole, une victoire judiciaire en 1831. Athlète intrépide de la lutte pour la conquête de la liberté de l'enseignement, promise par la charte de 1830, il ouvrit, avec Montalembert et Coux, ses collaborateurs à l'Avenir, une école libre que le gouvernement fit fermer. Sur ces entrefaites, le comte de Montalembert fut appelé héréditairement à la pairie par la mort de son père, et il en résulta que les trois accusés furent traduits devant la chambre des pairs. Une condamnation à une peine légère prononcée par la noble assemblée, émerveillée de l'éloquente revendication d'un droit sacré surtout dans la bouche d'un jeune ministre de l'Église, n'empêcha pas la cause de la liberté fondamentale de l'ordre social chrétien d'être gagnée une première fois devant l'opinion publique. La défiance de l'épiscopat ayant obligé les rédacteurs de l'Avenir d'en suspendre la publication. Lacordaire partit pour Rome avec l'abbé de Lamennais et le comte de Montatembert, à la fin de 1831. L'effet du pèlerinage à Rome sur Lacordaire est constaté par lui-même en ces termes (Considérations sur le système philosophique de M. de la Menais, 1834) : "Arrivé à Rome, au tombeau des saints apôtres Pierre et Paul, je me suis agenouillé, j'ai dit à Dieu : Seigneur, je commence à sentir ma faiblesse; ma vue se couvre; l'erreur et la vérité m'échappent également; ayez pitié de votre serviteur qui vient à vous avec un coeur sincère; écoutez la prière du pauvre. Je ne sais ni le jour ni l'heure; mais j'ai vu ce que je ne voyais pas, je suis sorti de Rome libre et victorieux." Revenu à Paris en 1833, Lacordaire trouva en madame Swetchine une bienveillante amitié qui, en l'aidant à boire le calice amer de ses espérances déçues, le fortifia dans sa voie. Il donna en 1834 des conférences aux élèves du collège Stanislas, et reçut, en 1835, de Mgr de Quélen, la grande mission de monter dans la chaire de Notre-Dame, où il a été l'apôtre apprécié des jeunes intelligences. Ainsi a été inaugurée cette prédication métropolitaine, si fructueuse par les triomphes de sa brillante parole, et si fructueuse aussi par le haut enseignement des successeurs de Lacordaire. Le P. de Ravignan et le P. Félix. Les conférences de Notre-Dame furent interrompues de 1836 à 1843, Lacordaire se rendit à Rome et prit l'habit de frère prêcheur à Viterbe en 1839. En rentrant en France, il fut à Nancy en 1843, le restaurateur de l'ordre de Saint-Dominique, et publia la Vie de saint Dominique. Il reprit, dans cette même année 1843, le cours suspendu des conférences de Notre-Darne, que termina le carême de 1851. "Né démocrate et presque révolutionnaire, Lacordaire a comprimé, sans l'étouffer jamais, a dit son ami le conte de Montatembert, cette lave qui, de temps à autre, faisait explosion dans sa parole," et qui, peut-on ajouter, déborda lorsque, la révolution de 1848 étant survenue, il s'associa à la rédaction du journal l'Ere nouvelle, instigateur d'une alliance du catholicisme et de la démocratie, et se fit élire représentant à l'Assemblée nationale. Mais il ne tarda pas à reconnaître qu'il faisait fausse roule sur le terrain de la poli tique, et il retourna à ses magnifiques conférences. Quelques mois après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, il prêcha dans l'église de Saint-Roch à Paris un sermon de charité, à la suite duquel il garda le silence. Après avoir rétabli l'ordre de Saint-Dominique en France, il avait fondé une branche du même ordre destinée à l'éducation et à l'enseignement de la jeunesse, sous le titre de Tiers Ordre enseignant de Saint-Dominique. L'Ecole de Sorèze, dont il prit la direction, passa aux mains de ce Tiers Ordre, et obtint un grand succès dans le midi de la France. Lacordaire fut, admis en 1854 à l'Académie de législation de Toulouse, et donna, dans cette ville, en cette même année, des conférences qui furent la suite de celles de Notre-Dame de Paris. Il écrivit aussi une Histoire de sainte Marie Madeleine. L'Oraison funèbre du général Drouot, qu'il prononça à Nancy en 1847, a été appelée, à tort, son chef-d'oeuvre. - Le tribun du soldat « Sans doute, Messieurs, la nature du général Drouot était une nature admirablement douée. Mais si droite, si bonne, si grande qu'elle fût de son fonds, elle n'aurait point atteint le degré de perfection où elle est parvenue sans un principe supérieur aux pensées et aux affections de la terre. Lui-même a confessé hautement qu'il devait tout à Dieu, non pas au Dieu abstrait de la raison, mais au Dieu des chrétiens manifesté dans toute l'histoire par un commerce positif avec le genre humain. La vie entière de l'homme est une révélation de ce Dieu bon et puissant qui n'a pas voulu nous donner d'autre fin que lui-même et qui nous attire incessamment au propre centre de sa lumière et de sa félicité. Nous n'entendons pas tous du premier coup cette voix supérieure qui parle à notre conscience et l'appelle par tous les événements dont nous sommes les témoins et les acteurs. Longtemps nous lui résistons; longtemps nous prenons l'ombre des choses pour leur corps, et l'éternelle réalité pour une chimère. Quelquefois la mort seule déchire le bandeau qui couvre nos yeux et nous fait apparaître, au dernier moment de notre liberté, les rivages que nous avons fuis. Le général Drouot avait été plus heureux. Quoique enfant d'un siècle léger, et avant d'avoir vu la grande révolution qui en illumina la fin, il avait sucé avec le lait de sa mère une foi qui avait été confirmée par la forte éducation du travail et de la pauvreté. Cette foi ne chancela pas un seul jour et ne se cacha pas une seule fois. Sous la tente du soldat comme dans l'orgueil des palais, Drouot fut publiquement chrétien. Il lisait la Bible appuyé sur un canon; il la relisait aux Tuileries dans l'embrasure d'une fenêtre. Cette lecture fortifiait son âme contre les dangers de la guerre et contre les faiblesses des cours. Quand Napoléon, sans détourner la tête, prononçait cette brève parole « Drouot! » l'aide de camp recommandait son âme à Dieu, partait à toute bride et, quelques minutes après, on le voyait précipiter au galop cinquante ou cent bouches à feu, qui, sans paraître s'arrêter, vomissaient la mort dans les rangs ennemis. Ou bien, descendant de cheval à côté des artilleurs inexpérimentés de 1813 et de 1814, il leur enseignait froidement la manoeuvre à travers une grêle de boulets qui pleuvait tout autour de l'héroïque leçon. Mais aussi, quand l'heure des hasards était passée, Drouot se trouvait dans la parole ce qu'il avait été dans l'action, plein de mépris pour le mensonge comme il l'avait été pour la mort; après s'être montré l'enfant du Dieu des batailles, il se montrait l'enfant du Dieu de la vérité. Il prenait hardiment l'intérêt du soldat, trop souvent sacrifié; il méritait que l'Empereur l'appelât le tribun du soldat aussi justement qu'il l'avait appelé le Sage de la Grande armée. » (Lacordaire). | Dans son Eloge funèbre de Mgr de Forbin-Janson, il a exprimé sa pensée dominante lorsqu'il a dit : "La vieille société a péri parce que Dieu en avait été chassé; la nouvelle est souffrante, parce que Dieu n'y est pas suffisamment entré. " Elu membre de l'Académie française, il prononça, en janvier 1861 son discours de réception, qu'un souffle de Tacite anime, et qui respire l'amour de la liberté et l'horreur du despotisme. (GE). | |