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Alexandre-Auguste
Ledru, dit Ledru-Rollin est un homme politique français,
né à Paris le 2 février
1807, mort à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine) le 31 décembre
1874. Reçu docteur en droit en 1828, il se fit inscrire au barreau
de Paris en 1830, s'associa de bonne heure au parti démocratique
dans sa lutte contre le gouvernement
de Juillet et acquit, jeune encore, une retentissante notoriété
par ses protestations contre l'état de siège (1832), contre
les massacres de la rue Transnonain (1834) et par son plaidoyer en faveur
de Caussidière dans le procès des accusés d'Avril
(1835). Dès lors il fut l'avocat le plus recherché des journaux
avancés qui avaient à comparaître en justice. S'il
acheta une charge d'avocat à la cour de cassation en 1838, s'il
prit à la même époque la direction du Journal du
Palais et, trois ans plus tard, celle du Droit, ses travaux
de jurisprudence ne lui firent pas négliger la politique militante.
Ayant échoué dans une première candidature législative
à Saint-Valéry-en-Caux (1839), il se présenta dans
le collège du Mans pour remplacer Garnier-Pagès
l'aîné, récemment décédé, et fut
élu député (24 juillet 1841) après avoir déclaré
hautement qu'il revendiquerait la souveraineté nationale s'exerçant
par le suffrage universel. Cette profession de foi, publiée dans
les journaux, lui valut des poursuites judiciaires qui mirent encore plus
en lumière sa puissante personnalité et qui, après
avoir passionné la France pendant
plusieurs mois, aboutirent à son acquittement.
Au Palais-Bourbon,
Ledru-Rollin, dont l'opposition toute républicaine dépassait
de beaucoup les audaces bourgeoises de ce qu'on appelait alors le parti
radical, fut un isolé, mais se fit par le retentissement de ses
discours une immense popularité dans le pays. Réélu
en 1842 et en 1846, il ne laissa passer aucune discussion d'affaires ou
de politique proprement dite sans y prendre part. Les ministres de Louis-Philippe,
qui se croyaient assurés de l'avenir parce qu'ils avaient pour eux
deux cent mille électeurs censitaires, ne s'apercevaient pas que
l'éloquence virile et entraînante du tribun, qui rappelait
celle de Danton, allait au coeur des masses et
ébranlait chaque jour plus profondément le trône de
Juillet. Ledru-Rollin s'appuyait de plus en plus sur les classes ouvrières,
dont il demandait l'émancipation, et encourageait les chefs socialistes
du temps, sans partager, du reste, leurs utopies.
Devenu fort riche, grâce à un mariage romanesque (1843), il
fonda et soutint de son argent le journal la Réforme, qui
fut, pendant les dernières années du règne de Louis-Philippe,
l'organe de l'opposition la plus avancée. Promoteur de la campagne
des banquets en 1847, il prononça à Lille,
à Dijon, à Chalon-sur-Saône,
des harangues dont la hardiesse croissante était un symptôme
significatif de la révolution qui se préparait alors dans
les esprits.
Le 24 février 1848, quand, le roi
étant déjà en fuite, la duchesse
d'Orléans vint à la Chambre essayer de se faire reconnaître
comme régente, Ledru-Rollin monta à la tribune et demanda
la création d'un gouvernement provisoire qui, le peuple aidant,
fut aussitôt proclamé en même temps que la République.
Il en fut naturellement un des principaux membres et se rendit à
l'Hôtel de Ville, où
il se fit attribuer par ses collègues le ministère de l'Intérieur.
Au milieu d'une effervescence extraordinaire, Ledru-Rollin eut la tâche
multiple et difficile de prévenir les excès de la misère
publique, de contenir ou de diriger la bourgeoisie réactionnaire
et la plèbe révolutionnaire (manifestations du 16 mars et
du 16 avril), d'organiser le suffrage universel, qui allait, grâce
à lui, fonctionner pour la première fois, et de présider
aux élections d'où allait sortir l'Assemblée nationale.
Il y pourvut par l'envoi dans les départements de commissaires extraordinaires
qui, quoi qu'on en ait dit, furent presque tous bien choisis, par ses Circulaires
et par ces Bulletins de la République qu'incriminèrent
si passionnément les adversaires de la démocratie.
Mais placé dans le gouvernement provisoire entre une majorité
relativement conservatrice et une minorité socialiste qu'il s'efforçait
de ménager également, il se rendit en peu de temps suspect
aux républicains modérés et aux républicains
avancés. Les premiers triomphèrent, on le sait, aux élections
d'avril. L'Assemblée constituante, où Ledru-Rollin fut envoyé
par trois départements, accueillit assez froidement le compte rendu
qu'il lui fit de ses travaux et ne l'admit que le dernier dans la Commission
exécutive par laquelle elle remplaça le Gouvernement provisoire
(6 mai). L'ancien ministre de l'Intérieur eut en présence
de l'émeute, le 15 mai, une attitude correcte et courageuse. Mais
il se fit du tort aux yeux de la majorité en prenant la défense
de Louis Blanc et de Caussidière menacés
de poursuites. Obligé, comme ses collègues de la commission,
pendant les journées de Juin, de résigner ses pouvoirs entre
les mains du général Cavaignac, il recouvra du moins toute
sa liberté d'action et s'en servit pour protester, avec une éloquence
qui semblait grandir chaque jour, tant à la tribune que dans les
réunions populaires, contre les lois de réaction et de vengeance
qui attristèrent la fin de l'année 1848 et la commencement
de l'année suivante.
Candidat à la présidence
de la République, il n'obtint que 370,000
suffrages (10 décembre). Louis-Napoléon
et son premier ministère (Odilon Barrot) trouvèrent en lui,
dès leur entrée au pouvoir, un adversaire énergique
et infatigable. Ledru-Rollin alla répandre l'agitation républicaine
dans les départements, remporta de nouveaux triomphes oratoires
au Mans, à Châteauroux,
etc., et dut aux calomnies odieuses dont il était l'objet, ainsi
qu'aux violences matérielles auxquelles se portèrent contre
lui les réacteurs de Moulins, une recrudescence de popularité
qui lui valut une quintuple élection à l'Assemblée
législative (mai 1849). Enivré peut-être par ces succès,
il ne garda plus de mesure dans son opposition à la politique de
l'Elysée. L'expédition de Rome,
qu'il avait déjà maintes fois combattue et flétrie,
fut dénoncée solennellement par lui à la tribune,
le 11 juin, comme une violation de la constitution, qu'il se déclara
prêt à défendre par tous les moyens, même par
les armes. Le même jour il demanda, sans succès, la mise en
accusation du président de la République et de ses ministres.
Le surlendemain, il descendit dans la rue, avec ses amis de la Montagne
et se rendit au Conservatoire des arts et métiers, où il
tenta de constituer une Convention nationale, mais d'où il fut expulsé,
au bout de quelques heures, par la force armée (13 juin 1849).
Réduit après cet éclat
à se cacher, il parvint à quitter Paris (6 juillet), passa
en Belgique et, tandis que la cour de Versailles
le condamnait par contumace à la déportation, alla s'établir
en Angleterre, où il devait
séjourner plus de vingt ans. Il y écrivit plusieurs brochures
contre Louis-Napoléon, ainsi que des études plus étendues
sur le gouvernement britannique, forma avec Mazzini,
Kossuth, Ruge, etc., un
comité révolutionnaire international, prit pendant quelques
années une part active à la rédaction de la Voix
du proscrit et, poursuivi en France (1857), lors du procès Tibaldi,
pour une complicité qu'il nia, du reste, hautement, fut pour la
seconde fois frappé en son absence de la peine de la déportation.
Son extradition fut demandée au gouvernement anglais, qui s'honora
en la refusant. Napoléon III, qui le considérait comme un
de ses ennemis les plus redoutables, l'excepta de l'amnistie de 1859 et
même de celle de 1869. A cette dernière époque pourtant,
Ledru-Rollin n'était plus, depuis longtemps, guère à
craindre. L'exil, l'âge, la maladie, peut-être aussi l'excès
du bien-être, avaient peu à peu affaibli sa fougueuse énergie,
au point qu'en novembre 1869 il déclina la candidature législative
qui lui fut offerte dans la troisième circonscription de la Seine
par le parti révolutionnaire, et que peu après (janvier 1870)
le ministère Ollivier crut pouvoir sans
péril lui permettre de rentrer en France. Installé dans sa
maison de Fontenay-aux-Roses, l'ancien membre du Gouvernement provisoire
applaudit à la révolution du 4 septembre, mais ne fit pas
partie du gouvernement de la Défense nationale et ne tarda pas à
se prononcer contre lui. Compromis par ses amis du parti avancé
dans l'insurrection du 31 octobre, il fut jugé si peu dangereux
qu'il ne fut même pas poursuivi. Les élections du 8 février
1871 lui valurent une triple élection à l'Assemblée
nationale. Mais il refusa de siéger (19 février), ne prit
non plus nulle part active au mouvement de la Commune,
et ne consentit à rentrer dans la vie politique que fort peu de
temps avant sa fin (mars 1874), comme député du Vaucluse.
Il eut occasion de défendre à la tribune le suffrage universel
alors menacé. Mais il n'était plus, comme orateur, que l'ombre
de lui-même. De grands honneurs lui furent rendus après sa
mort et un monument lui fut élevé à Paris, en 1878.
Parmi les publications de Ledru-Rollin,
nous citerons Consultation contre l'état de siège
(1832, in-8); Mémoire sur les événements de la
rue Transnonain (1834, in-8); Lettre à M. de Lamartine sur
l'Etat, l'Eglise et l'Enseignement (1844, in-8); Aux Travailleurs
(1844, in-8); Journal du Palais (1837, 27 vol. in-8 ; 1837-1847
17 volumes gr. in-8); Jurisprudence administrative (1844-1845, 9
vol. gr. in-8); Répertoire général de la jurisprudence
française (1843-1848, 8 vol. in-8), Du Paupérisme
dans les campagnes (1847, in-8); le Peuple souverain au journal
« le Constitutionnel » (1848, in-8); Réponse
à mes calomniateurs (1848, in-fol.); le 13 juin 1849
(1849, in-18); De la Décadence de l'Angleterre (1850, 2 vol.
in-8); Du Gouvernement direct du peuple (1851, in-8), etc. Il a
été publié en 1879, par les soins de Mme Ledru-Rollin,
un recueil complet de ses écrits et de ses discours politiques.
(A. Debidour). |
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