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Edgar Quinet
est un philosophe, poète, historien et homme politique français,
né à Bourg-en-Bresse (Ain)
le 17 février 1803, mort à Versailles
le 27 mars 1875. Sauf quelques mois passés au camp de l'armée
du Rhin où son père Jérôme Quinet continuait
les fonctions de commissaire des guerres qu'il avait remplies sous la République,
tout le reste de son enfance s'écoula en Bresse
: d'abord au village de Certines, sous la forte et originale direction
de sa mère, protestante éclairée, « la raison
la plus solide, l'esprit du XVIIIe siècle
dans toute sa fleur de malice, de gaieté »; à partir
de 1811, au collège de Charolles,
à celui de Bourg en 1815, enfin au lycée de Lyon
(sur toute cette période, voir l'Histoire de mes idées).
Admissible aux examens de l'Ecole polytechnique à dix-sept ans,
il obtint de son père, non sans peine, de retourner en pleine campagne
se replonger dans ses rêves, et reprendre en pleine fantaisie ses
libres études d'histoire et de philosophie,
puis de renoncer définivement à I'Ecole polytechnique.
Il étudiait le droit à Paris quand le livre de Herder, Idée sur la philosophie de l'histoire de l'humanité, acheva de le pousser vers cet ordre d'études. Sa traduction de Herder (en 3 volumes) parut en 1825, précédée d'une Introduction qui valut à ce penseur de vingt-deux ans les éloges de Goethe, l'attention de Chateaubriand, et ce mot de Victor Cousin à qui il avait timidement offert son livre : « Mais, c'est le début d'un grand écrivain ». Ce fut chez Cousin qu'il rencontra Michelet, et de là datent ces cinquante ans d'amitié qui devaient unir ces deux grandes intelligences. Un séjour de plusieurs mois en Allemagne acheva de le familiariser avec la science historique allemande, particulièrement avec l'histoire des religions et la philosophie de l'histoire. Désigné par l'Institut pour
faire partie de l'expédition scientifique de Morée (1828),
il en rapporta les éléments de son ouvrage, De la Grèce
moderne et de ses rapports avec l'antiquité (1830). Les années
qui suivent sont remplies par deux séries parallèles de travaux,
les uns d'histoire littéraire portant principalement sur les premiers
mouvements de la littérature
française au Moyen âge, les autres de politique
et de philosophie de l'histoire (brochures
: l'Allemagne et la Révolution où il prévoit,
1831, le danger d'une hégémonie prussienne; Système
politique de l'Allemagne, Avertissement, à la monarchie de 1830,
et nombreux articles de la Revue des Deux Mondes, dont un, très
remarquable, de l'Avenir des religions, juin 1831).
Edgar Quinet (1803-1875). Après un voyage en Italie, il écrivit le poème allégorique ou « mystère » en prose, Ahasvérus (1833), sorte d'épopée mystique de l'humanité en travail « comme si elle allait enfanter un Dieu » , poème « confus, dit Faguet, où se trouvent en de magnifiques pages, des souvenirs de Ballanche combinés avec des réminiscences de Faust ». Dès cette époque il est entré en relations suivies avec tout le cénacle des écrivains et des libéraux, fréquente la brillante société de l'Abbaye-aux-Bois, Mme Récamier, Chateaubriand, Lamennais, Armand Carrel, Sainte-Beuve, Corcelles, Ary Scheffer. Son mariage projeté depuis très longtemps, mais entravé par la teutomanie et la gallomanie avec une jeune Allemande, Mlle Mina Moré (1834), lui fait faire un nouveau et long séjour en Allemagne. Il revint à Paris pour faire paraître son poème Napoléon (1836), ses Voyages d'un solitaire (1836) et toute une série d'études d'où sortent son Histoire de la poésie épique, et enfin un autre poème, Prométhée (1838), dont il fait, dit-il lui-même à Michelet, « un Christ avant le Christ ». Quinet était donc déjà
un écrivain connu, il venait de publier son Examen de la vie
de Jésus de D. F. Strauss (1838),
accueilli avec faveur des deux côtés du Rhin,
quand il se décida à entrer dans l'enseignement public en
France. Il fut nommé par Salvandy
professeur de littérature étrangère à la Faculté
des lettres de Lyon, avant même d'avoir pris ses grades universitaires.
Ses deux volumes de mélanges, Allemagne et Italie (1839),
ses thèses de doctorat, Sur l'art et Sur la poésie
indienne, sa belle leçon d'ouverture sur l'Unité morale
peuples modernes, enfin le succès éclatant de ses cours
d'où il tira plus tard son grand ouvrage le Génie des
religions (1842), le mirent tout à fait en lumière. Il
fut décoré en 1839. Avec l'activité laborieuse du
professeur, il avait la franchise hardie du citoyen et, dès cette
époque, du républicain. Deux
brochures parues en 1840, l'une sous le titre 1815 et 1840, l'autre,
Avertissement au pays, attaquaient les traités de 1815 et
pressaient le peuple français « de consentir à être
ce que la nature l'a fait, le peuple de la démocratie par excellence
».
Quinet n'en fut pas moins appelé à Paris (1841) par Villemain qui créait pour lui au Collège de France une chaire des littératures du midi de l'Europe, « ne pouvant pas, disait-il, le charger de la littérature germanique, parce qu'il a pris couleur sur la question des frontières du Rhin ». Son premier cours porta sur les grands poètes italiens et forma la substance des ouvrages les plus populaires de Quinet, les Révolutions d'Italie (1848). Après trois semestres consacrés à cette étude, emporté à la fois par la logique et par l'ardeur de ses convictions républicaines, il entreprit de remonter des constatations aux causes et de faire voir l'influence fatale exercée par les jésuites sur les peuples du Midi. Ses six leçons sur les jésuites du 10 mai au 14 juin 1843, comme celles de Michelet, son frère d'armes, engagé à fond avec lui dans la même campagne, sont restées comme un souvenir légendaire parmi les grandes journées du Collège de France. Le volume contenant la série de leçons des deux professeurs (les Jésuites, 1843) eut des éditions et des traductions nombreuses. La violence des attaques du parti ultramontain réveilla l'opinion libérale, une interpellation à la Chambre ne décida pas le gouvernement, suivant le mot de Cousin, à « risquer un coup d'Etat contre le Collège de France ». Nombre de brochures se croisèrent, Quinet adressa une Réponse à Mgr l'archevêque de Paris, qui l'accusait «-d'attaquer le clergé tout entier sous le nom d'une société reconnue par les lois »; il publia un autre opuscule, la Liberté de discussionn en matière religieuse, puis, à la suite d'un voyage en Espagne et au Portugal, une étude sur l'Inquisition et les sociétés secrètes en Espagne (1841). Son cours de 1844 sur l'Ultramontanisme, reproduit sous ce titre en un volume (1844), concluait : « Le jésuitisme a compromis le catholicisme, prenez garde que le catholicisme ainsi engagé ne compromette le christianisme ». Dans le cours de 1845, faisant un pas de plus, il examinait les rapports ou plutôt la nécessité d'une séparation de l'Église et de l'État, opposait à l'infaillibité du pape la souveraineté du peuple. Le Christianisme et la Révolution française (1845) résumait cet ensemble de doctrines. Le ministre et le Collège de France tinrent bon pour l'indépendance du professeur. Ce ne fut qu'en 1846 que Guizot, effrayé par ces «-tendances révolutionnaires », fit supprimer de l'affiche du Collège de France le mot institutions que Quinet y avait fait figurer dans le titre de son cours : Littérature et institutions comparées de l'Europe méridionale, etc. Quinet protesta, et son cours fut interdit; celui de Michelet seul continua. A partir de ce moment, Quinet était tout naturellement désigné pour la vie politique. Le collège électoral de Bourg-en-Bresse le présenta une première fois sans succès en 1847 : il venait de se rendre à Charolles, à défaut de pasteur protestant, assister aux derniers moments de sa mère, et il avait prononcé sur sa tombe un discours funèbre d'un accent profondément religieux. Quelques mois après, une brochure mordante, la France et la Sainte Alliance en Portugal, criait au gouvernement de Juillet que ses jours étaient comptés. Quinet fut au nombre des combattants en février 1848. La Révolution le fit remonter dans sa chaire, aux acclamations d'une jeunesse aussi enthousiaste que son ardent professeur, et il lui traça, le 8 mars, dans son discours de rentrée, le programme enflammé d'une régénération républicaine de la France. Nommé colonel de la 11e légion de la garde nationale de Paris, élu représentant du peuple par le département de l'Ain (avec 55.000 suffrages), il se révéla homme politique d'une sagacité et d'une sûreté de vues que les événements se chargèrent de démontrer. Dès le début, il affirme que la République ne peut vivre que si une éducation républicaine la fait pénétrer dans les coeurs et dans les esprits; il signale l'équivoque historique et le danger politique cachés dans ces mots du président de l'Assemblée nationale : « la France républicaine et catholique » demande la séparation de l'Église et de l'État, et tout d'abord la séparation de l'école et de l'Eglise. Les journées de juin où il
s'employa comme colonel à défendre les insurgés prisonniers
contre la fureur de la foule n'ébranlèrent en rien sa foi,
tandis que la funeste expédition de Rome
lui parut sonner le glas non pas d'une, mais de deux républiques.
Ses deux discours à la Chambre et sa brochure, Croisade autrichienne,
française; napolitaine, espagnole contre la république romaine
(1849), eurent un grand retentissement. Réélu à l'Assemblée
législative, il publia l'Etat de siège (1850), protestation
contre des mesures de rigueur qui suivirent les journées de juin,
l'Enseignement du peuple (1850), opuscule où il posait trente
ans d'avance, avec une étonnante netteté, tous les principes
essentiels de la réorganisation scolaire de la France par un enseignement
national obligatoire, gratuit et laïque.
Dans sa brochure Revision (1851), dans ses discours et ses votes contre le nouveau président Louis-Napoléon, en particulier dans son attitude énergique en faveur de la fameuse proposition des questeurs, et jusque dans ses allusions un peu trop oratoires aux républiques de l'Italie ou de l'Amérique du Sud dont il menace la France de partager le sort, on doit reconnaître une belle justesse de vue. Au 2 Décembre, Quinet est avec Alphonse Baudin au premier rang des protestataires militants (V. la remarquable Introduction au volume de Mme Quinet, Edgar Quinet depuis l'exil). Après le plébiscite, il est compris dans le décret d'expulsion du 9 janvier 1852. Victor Hugo a raconté (Histoire d'un crime) comment il passa en Belgique. Un décret du 12 avril 1852, contresigné Fortoul, prononçait purement et simplement la révocation officielle des trois professeurs « dont l'enseignement était de nature à troubler la paix publique-», Michelet, Quinet et Mickiewicz. Quelques mois après son arrivée à Bruxelles, Quinet épousait en secondes noces Hermione, la fille du poète patriote roumain Georges Asachi, fondateur de l'instruction publique dans la principauté de Moldavie. Cette jeune fortune, qui dès l'enfance avait servi de secrétaire à son père et s'était trouvée initiée par une éducation au culte des grandes idées républicaines, vivait à Paris toute occupée de l'éducation d'un enfant qu'elle avait eu d'un premier et malheureux mariage de courte durée; elle fréquentait la société des professeurs du Muséum et du Collège de France. Quinet était veuf depuis le commencement de 1851. Quand elle vit proscrit, ruiné et sans foyer le grand penseur dont elle était l'admiratrice enthousiaste, elle le rejoignit à Bruxelles, leur mariage eut lieu le 24 juillet 1852. Elle reprit auprès de lui ses fonctions de secrétaire et de collaboratrice, qui devaient remplir sa vie tout entière. Les longues années d'exil de Quinet
sont marquées par une suite de travaux historiques et philosophiques
qui ont forcé l'admiration même de ses adversaires politiques.
Dès la fin de 1852, il publiait le second volume des Révolutions
d'Italie, que les patriotes italiens appelèrent leur bible politique;
en 1853, son poème les Esclaves; en 1854, une de ses études
historiques les plus vigoureuses, Marnix de Sainte-Aldegonde; en
1855, un beau morceau de critique historique, la Philosophie de l'histoire
de France; en 1856, les Roumains, plaidoyer en faveur deus Moldo-Valaques,
qui contribua à préparer les événements d'où
est sortie la Roumanie; en 1857, sa lettre
à Eugène Sue'
Sur la situation religieuse et morale de l'Europe et sa Révolution
religieuse au XIXe siècle; en
1858, l'Histoire de mes idées, pages intimes d'autobiographie
et de souvenirs d'enfance d'un charme pénétrant. En 1858,
sur les instances de ses compagnons de proscription établis en Suisse,
Charras, Dufraisse, Flocon, Versigny, il quitta Bruxelles pour venir habiter
le petit village de Veytaux sur les bords du lac de Genève, où
il resta jusqu'au 4 septembre.
De Veytaux, Quinet exerça une véritable magistrature des moeurs au nom de la conscience violée et de la République trahie. On peut juger de l'activité de sa correspondance et de l'action profonde qu'elle exerça en empêchant malgré le silence universel la prescription du droit par les quatre volumes que longtemps après publia Mme Quinet Lettres d'exil (1884). On est étonné qu'il ait pu mener de front cette propagande infatigable avec les grandes publications qui se succèdent : Merlin l'Enchanteur (1860, 2 vol.), la dernière, la plus célèbre et non la moins discutée de ces grandes compositions mythiques où s'est longtemps complu son activité; l'Histoire de la campagne de 1815 (1862), fragment d'histoire militaire précise qui est encore estimé, et toute une série de brochures politiques, originales à force de persistance à faire entendre sans merci, à propos de tout et malgré tous, la monotone sentence de la conscience humaine : l'Expédition du Mexique (1862); Pologne et Rome (1863); le Panthéon (1866); France et Italie (1867); la Question romaine devant l'histoire (1867); la Mort de la Conscience humaine (1867); Lettres politiques (1868). De toutes ces lettres, publiques ou privées, on a pu dire avec raison qu'elles se résument en ce seul mot qu'il écrivait à Jules Favre : « ll y a eu un 2 décembre. Nous ne devons pas l'oublier ». Ce fut également sa réponse à une adresse . signée de tous les chefs du parti républicain et inspirée par l'amitié de Michelet lui demandant de rentrer en France (1864), et plus tard à une proposition de se présenter à la députation à l'occasion de laquelle il écrivit : Réveil d'un grand peuple (1869), où l'on sent les premiers frémissements de l'espérance renaissante. C'est aussi le ton de ses discours au Congrès de la paix et de la liberté (Genève, 1868). Il avait publié, dès 1865, son oeuvre capitale : la Révolution. C'est dans ces deux volumes qu'il semble avoir donné pour la forme et pour le fond le meilleur de lui-même. La forme y est plus sobre, plus ferme que dans aucun de ses écrits, plus dégagée du ton lyrique où il s'est toujours laissé aller si volontiers; quelques-uns de ses portraits refont pour l'histoire psychologique ce même miracle de la résurrection dont Michelet nous donne sans cesse l'impression pour la grande histoire. Quant au fond, Quinet s'y livre tout entier, avec son idéal de libéralisme absolu, avec son impératif catégorique appliqué à tous, amis et ennemis, sans plus de ménagements pour la Terreur que pour le 18 Brumaire, sans concessions à la prétendre raison d'Etat et surtout sans un instant d'illusion à l'égard des solutions superficielles, des résultats obtenus du dehors par la force ou par la routine, la République ne commençant, suivant lui, à exister que dans la mesure où existent, au plus profond de la nation, les moeurs républicaines. Ce chef-d'oeuvre de franchise et d'idéalisme intransigeant est un des livres qui donnèrent lieu non seulement à de vives, mais à de fécondes controverses dans le sein même du parti républicain : on en peut juger par sa brochure Critique de la Révolution (1867). -
En 1870 partit un dernier ouvrage qui, sans être le plus important de l'oeuvre de Quinet, marque « un renouvellement prodigieux chez un homme qui avait passé la soixantaine-» : dans la Création (2 volumes) se trouve esquissée une vaste synthèse tendant à appliquer à l'humanité, au lieu des seules vues de la philosophie de l'histoire telle qu'il l'avait cultivée depuis sa jeunesse, les méthodes des sciences naturelles, celles des Darwin et des Spencer. Dans les derniers mois du Second
Empire, l'activité de Quinet redouble, il envoie coup sur coup
au Rappel, aux journaux républicains de province, des articles
d'une saisissante vivacité, comme son adresse aux paysans, Répondez
: Non, lors du plébiscite. Au 4 septembre, il accourt à
Paris, non sans avoir adressé aux envahisseurs un appel aussi généreux
que vain. Il passe à Paris tout le temps du siège (La
Guerre de 1870), écrivant des articles où s'expriment
à la fois le patriotisme le plus ardent et une foi républicaine
inébranlable. Elu député à l'Assemblée
nationale le cinquième de la liste par près de 200.000
voix, il fait entendre à Bordeaux,
au nom des principes, une protestation contre l'abus de la force entre
nations. A Versailles, jusqu'à sa mort, tous ses votes sont ceux
de l'extrême gauche. Désespérant de l'Assemblée
nationale et craignant toujours les surprises de ce qu'il appelait «
la pire des barbaries, la barbarie hypocrite », il trouvait sa dernière
distraction dans la lecture des historiens
grecs. Il avait publié depuis son retour, outre des articles
épars, un petit volume sur le Siège de Paris et la Défense
nationale (1871), un autre qui contient des études politiques,
la République, condition de la régénération
de la France (1872), enfin un ouvrage qui est un dernier essai de synthèse
de ses doctrines philosophiques et sociales, l'Esprit nouveau (1874).
L'oeuvre d'Edgar Quinet est multiple. Comme penseur, il représente fidèlement l'évolution de l'esprit libéral en Europe pendant plus d'un demi-siècle : sa philosophie, qui n'est pas la philosophie française du XVIIIe siècle, n'est pas non plus celle de Kant ni même celle de Hegel. Il a débuté, sans doute, par une sorte de mysticisme rationnel, mais il y ajoute, chemin faisant, toutes les lumières que l'histoire, l'art, la philologie comparée, les sciences naturelles peuvent bien fournir pour résoudre le problème humain. Son originalité et la raison de son isolement relatif en France fut qu'il s'attacha à étudier dans l'humanité le phénomène le plus complexe, le plus profond et le plus constant sous ses apparences de mobilité, le phénomène religieux. Il a essayé d'en trouver la loi en en suivant attentivement les transformations et la progressive spiritualisation. Il s'est également refusé à considérer l'esprit religieux comme une erreur de l'esprit humain et à le confondre avec les institutions ecclésiastiques et les échafaudages successifs des dogmatiques que personne n'a jamais attaqués plus vivement que lui au nom de la raison. Comme homme public, professeur ou député, fonctionnaire ou proscrit, il a fait de ses cinquante années d'enseignement une seule et imperturbable leçon de morale, en particulier de morale sociale et politique. Ses discours, ses lettres, ses livres, on le leur a reproché, n'ont qu'une note, qu'un sens, qu'un but, c'est une longue prédication de la même doctrine, de celle qui se fonde sur la Déclaration des droits de l'homme, de celle qui conçoit et ordonne de réaliser dans la société humaine un idéal de justice qui va s'élevant à mesure que s'élève l'esprit humain : c'est l'idéalisme moral appliqué sans détour ni restriction à la constitution des sociétés. A cet égard, Quinet n'a pas été seulement un précurseur, il a tracé tout un programme d'éducation civique dont les lois scolaires de la Troisième République ont commencé la réalisation, mais qui, selon la pensée de Quinet, devait grandir à mesure que grandirait la conscience républicaine. De l'écrivain, de l'orateur, du poète on ne saurait ni méconnaître l'influence ni prétendre que tout soit chez lui d'égale valeur. Sa production est presque toujours fiévreuse, ardente; il a une puissance poétique incontestable, mais il a aussi des obscurités et des longueurs; sa fougue étonne parfois, son enthousiasme a dû être, on le sent, communicatif et entraînant, mais à des générations refroidies il faudrait souvent plus de précision et de rigueur. Il y a chez lui plus de Rousseau que de Voltaire, plus de Condorcet que de Montesquieu. A tout prendre, l'exemple d'attachement inébranlable aux principes, la leçon qu'il a donnée au monde par dix-huit années de protestation isolée contre le crime triomphant suffirait à justifier le mot de Gambetta : « Quinet est un des pères de la démocratie française ». Une statue, oeuvre d'Aimé Millet, a été élevée à Edgar Quinet, à Bourg-en-Bresse, en 1883. Sa bibliothèque et divers objets donnés par sa veuve se trouvent au musée de Bourg. En 1857, son épouse, Hermione Asachi Quinet, prit avec quelques amis dévoués l'initiative d'une édition générale des oeuvres de Quinet qui parut en 1857-1858, en 10 vol. in-8 et in-18 ; les frais furent couverts par une souscription nationale. Après la mort de Quinet, sa veuve entreprit une nouvelle édition complète en 30 vol. in-18 qui fut publiée en (1877-1882). Hermione Asachi Quinet a publié elle-même plusieurs ouvrages d'un vif intérêt qui sont le plus pieux, le plus touchant et souvent le plus éloquent commentaire de l'oeuvre d'Edgar Quinet. On a pu dire que c'est l'âme même de Quinet qui les remplit : Mémoires d'exil (1868 et 1870, 2 vol.); Paris, journal du siège (1872); Sentiers de France (1875), avec une préface posthume d'Edgar Quinet; Vie et mort du génie grec (1875), fragment posthume avec notes. Plus tard ont paru les Lettres d'exil (1884, 4 vol.), recueil précieux pour l'histoire des idées de tout le groupe auquel Quinet appartenait; les Lettres à sa mère, puis une biographie détaillée en 2 vol. : Edgar Quinet avant l'exil (1888); Edgar Quinet depuis l'exil (1889); les Mémoires du conventionnel Baudot légués à Edgar Quinet (1890); le Vrai dans l'éducation (1891); Ce que dit la musique (1893); la France idéale (1895), de Paris à Edimbourg (1897); enfin, en 1893, un volume précieux pour l'histoire intime d'Edgar Quinet et de Michelet, Cinquante ans d'amitié. (F. Buisson). |
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