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Prévost-Paradol

Lucien Anatole Prévost-paradol est un écrivain français, fils d'un officier de marine et de la cantatrice et actrice, sociétaire de la Comédie-Française, né à Paris le 8 juillet 1829, mort à Washington le 11 août 1870. Après des études très brillantes (il remporta le prix d'honneur de discours français et de philosophie en 1848 et 1849), il entra à l'École normale où il eut Taine pour camarade et ami; il s'était adonné surtout à la philosophie et obtint à la sortie de ne pas entrer de suite dans l'enseignement. En 1851, il eut un prix d'éloquence à l'Académie française (Eloge de Bernardin de Saint-Pierre); en 1854, il fit paraître une Revue de l'histoire universelle; docteur en 1855 avec deux thèses sur Elisabeth et Henri IV et Jonathan Swift, il professa la littérature française à la Faculté d'Aix avec un succès extraordinaire. 

En 1856 il démissionna pour remplacer John Lemoinne au Journal des Débats; ses articles (du bulletin politique) attirèrent de suite l'attention par l'élégance mordante et classique du style et le libéralisme des idées. En 1860, Prévost-Paradol passa à la Presse, mais revint bientôt aux Débats; une brochure politique sur les Anciens partis le fit condamner à un mois de prison et 1000 F d'amende, et acheva de le rendre célèbre. Il entra alors au Courrier du dimanche où ses articles d'opposition mordante eurent un prodigieux retentissement : il représentait alors le journalisme de bonne compagnie. Une tentative pour entrer au Corps législatif en 1863 échoua complètement; mais le 7 avril 1865 l'Académie française le nomma, en remplacement d'Ampère, contre Jules Janin : il était le plus jeune académicien et n'avait que trente-cinq ans. Il continua sa lutte contre le pouvoir, et c'est un de ses articles qui, le 2 août 1866, fit supprimer le Courrier du dimanche. En 1868, il publia la France nouvelle qui contient son programme politique (gouvernement parlementaire avec le plus de libertés possible, réformes dans la justice, suppression du budget des cultes).
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Sur la mort

« La Rochefoucauld a dit excellemment que la mort était une chose épouvantable, qu'elle ressemblait au soleil et ne pouvait se regarder fixement; et il a ajouté cette réflexion profonde, que tout ce que la raison pouvait faire pour nous contre la mort, c'était de détourner notre vue sur d'autres objets et de nous engager à n'y point penser.

Cela est vrai de tout temps; depuis que le monde existe, la principale ressource pour bien mourir est de penser à autre chose, et ceux qui nous entourent nous y aident de leur mieux. Le plus souvent, si le mourant se laisse faire, pour le détourner plus sûrement de la mort, on l'engage à penser à ce qui en est l'opposé, à la vie et à sa guérison, qui est la rentrée dans la vie. Mais, grâce à Dieu, cette ressource vulgaire n'est pas la seule, et il est de plus nobles moyens de détourner les yeux de la mort, alors même qu'on la sait certaine, qu'on l'attend et qu'on l'accepte. La patrie, l'amour de l'honneur ou de la liberté, peuvent avoir assez de puissance pour tenir les yeux du mourant fixés ailleurs que sur le but où la destinée l'entraîne. Il y a plus, on peut aller vers ce but volontairement et sans le voir; on peut y marcher comme à reculons, et les plus illustres morts de l'antiquité n'ont guère fait autre chose. Mourir pour ne rien devoir à César, mourir pour ne pas respirer l'air souillé par Octave, ce n'est point mourir, c'est échapper à ce qu'on déteste, c'est s'élever au-dessus de ce qu'on méprise, et, tout entier aux objets qu'on évite, on n'a plus d'attention pour ceux qu'on va chercher. Que de façons de détourner la vue de la mort! Il n'est pas jusqu'à Pétrone qui ne trouve moyen de ne la point voir en s'occupant de la rendre élégante, conforme à sa vie, digne de son esprit et de son goût. Et cet autre qui, torturé par la goutte, ne veut pas se tuer encore et retarde son suicide de quelques jours pour avoir le suprême plaisir de survivre à Domitien : Donec huic latroni supersim. Autant de manières de ne point songer à la mort : autant de divertissements, comme disait Pascal.

Toutes ces ressources font défaut au vrai chrétien. Il
n'a point le droit de fuir le monde avec emportement, il n'a point le droit de se troubler la vue devant la mort en s'enivrant de haine ou de mépris pour ses semblables. Il ne la cherche pas, il ne la fuit pas: il la prévoit et il l'attend; il en est occupé pendant toute sa vie et plus encore à ses derniers moments, et il ne tient qu'à vous de croire que, faisant exception au reste de l'humanité, il la regarde vraiment en face. Il n'en est rien cependant; il a bien les yeux dirigés vers la mort, mais son regard va plus loin et la franchit sans la voir. Il a sa façon particulière d'en détourner la vue, qui n'est point de regarder, comme les autres hommes, à sa droite ou à sa gauche, ou derrière lui, mais du côté de la mort, et au delà. Il s'est étudié de longue main à la regarder sans la voir, et à force de lui répéter hardiment : Où est ton aiguillon? où est ta victoire? il est devenu aveugle devant sa victoire, et s'est rendu insensible à son aiguillon. En un mot, il a cette méthode et cette ressource admirable de dérober à la mort ses attributs naturels et de ne pas la prendre au sérieux. Il la supprime donc plutôt qu'il ne l'affronte, et c'est pour lui un parti pris que de l'oublier.

Voilà l'art de mourir à l'usage du chrétien; et ce que cet art a de plus admirable, c'est qu'il se soutient dans la pratique, c'est qu'il ne dépasse pas le niveau ordinaire de l'âme humaine, et qu'il est d'un secours sans prix à un grand nombre de nos semblables. Cette préoccupation quotidienne de l'autre vie, cette constante contemplation des régions célestes, cette étude assidue des moyens d'y parvenir et du vrai chemin qui y mène, rien de tout cela n'est stérile; on se forme ainsi une seconde nature qui fait la guerre aux instincts de l'autre et qui finit par la
supplanter. L'habitude de croire et d'espérer équivaut à la certitude et aboutit à la produire. Et cette certitude bienfaisante est à la portée des plus humbles esprits comme des plus grands, s'ils ont pris le même chemin. Pour mourir comme Ozanam est mort naguère parmi nous, il n'est pas besoin de son intelligence délicate et cultivée, ni de son âme généreuse; les plus humbles de ses frères l'imitent sans peine ce jour-là parce qu'ils l'ont imité tous les jours, et la vue exercée du chrétien n'a pas besoin d'être perçante pour contempler à la place de la mort les cieux tout grands ouverts.

Si les philosophes ne peuvent imiter que de loin cette sécurité parfaite, ils n'en recueilleront pas moins pour cette épreuve suprême le fruit du commerce qu'ils ont entretenu avec les choses éternelles; soit qu'ils aient pris l'habitude de vivre sous l'oeil d'un Dieu de justice et de bonté, et qu'ils aient toujours agi dans l'attente de son jugement; soit qu'ils aient cherché dans la conception de l'ordre universel et dans une intelligente adhésion aux lois de la nature la force nécessaire pour endurer avec calme les maux de cette vie et pour la quitter sans regret. Quelque chemin qu'ait suivi la pensée de l'homme, pour peu qu'elle se soit élevée au-dessus des intérêts et des préoccupations vulgaires, elle s'est rendue plus capable de considérer la mort sans faiblesse, et tout effort d'esprit vers le grand et vers le beau revoit ce jour-là sa récompense. Nous avons en effet cet avantage sur les bêtes que, menacés par la mort, nous savons de quoi il s'agit; mais si nous en restons là, c'est un triste privilège, et nous aurions le droit de regretter notre intelligence si elle ne nous faisait pas faire un pas de plus-: savoir de quoi il s'agit et en prendre notre parti, voilà notre supériorité véritable et notre gloire. »
 

(L.-A. Prévost-Paradol, extrait des Moralistes français).

En 1869, il se représenta au Corps législatif à Nantes, mais obtint encore très peu de voix; profondément atteint par cet échec et découragé de voir l'opposition républicaine nouvelle plus ardente que la sienne attirer toutes les faveurs du public, Prévost-Paradol se décida à accueillir les offres très pressantes de l'Empire libéral : il accepta le poste de ministre plénipotentiaire aux Etats-Unis (12 juin 1870). L'opinion n'admit pas cette attitude, et on la lui reprocha durement comme une apostasie; il ressentit une grande amertume des attaques dirigées contre lui et des dispositions peu bienveillantes de la société américaine à son égard. La nouvelle de la déclaration de guerre fut pour lui comme un coup de foudre : il croyait à la défaite de la France; un véritable désespoir le saisit de s'être rallié à l'Empire à l'heure des désastres et il résolut de mourir; dans la nuit du 11 juillet 1870, il se plaça devant une glace et se tira un coup de pistolet dans la poitrine : il expira peu après.

Sans laisser aucune oeuvre supérieure, Prévost-Paradol est un écrivain de la bonne lignée classique française; passé maître dans l'art de l'ironie; il a été un des plus brillants journalistes du XIXe siècle: il unissait la grâce, le goût et l'éloquence. On lui doit-: Du rôle de la famille dans l'éducation (1857); De la Liberté des cultes en France (1838); Essais de politique et de littérature (1859); Nouveaux essais de politique et de littérature (1862); Essais de politique et de littérature (3e série, 1863); Etudes sur les moralistes français (1864). (GE).
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L'antidote de l'ambition

« Le meilleur antidote de l'ambition pour l'esprit élevé qui aurait besoin de s'en guérir, c'est l'intelligence de la nature qui met toute chose à sa place et qui est si efficace contre toutes les agitations du coeur humain, parce qu'elle réduit immédiatement toutes les causes qui l'agitent à leur valeur véritable, c'est-à-dire à rien ou à presque rien. Qui parlera donc plus éloquemment que personne contre l'ambition? Ce sera cet os brisé ou cette plante pétrifiée, débris et témoin d'une création disparue; ce sera ce morceau de lave échappé au lac de feu dont nous sépare à peine cette croûte légère sur laquelle nous nous dressons un instant comme une herbe aussitôt abattue; ce sera surtout la lumière éloignée de ces soleils innombrables, entourés de leurs mondes, poussière infinie dans laquelle est perdu à son rang notre grain de poussière : « Where is my earth ? Où est ma terre? » demande Caïn à Lucifer, qui l'enlève à travers les mondes : « Elle est maintenant derrière toi, comptant moins dans l'univers que tu ne comptes sur elle... » Il faudrait que l'ambition fût accompagnée de peu d'esprit pour ne point s'amortir pendant un tel voyage, ou du moins pour n'être pas tempérée à jamais par de tels souvenirs. Il suffit, en effet, d'un effort de raison pour embrasser de nouveau ce prodigieux ensemble et pour donner à nos troubles leur vraie mesure, ce qui équivaut à s'en consoler.-»
 

(L. Prévost-Paradol, Etudes sur les moralistes français).
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