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Histoire de l'Europe > La France > Le XIXe siècle
La Restauration
Dans l'histoire de la France, on désigne sous le nom de Restauration :
1° sous le nom de première Restauration, la première partie du règne de Louis XVIII, rétabli sur le trône de France, comprise entre l'abdication de Napoléon Ier à Fontainebleau, le 5 avril 1814, et sa rentrée à Paris le 20 mars 1815, et 

2° sous le nom de seconde Restauration la deuxième partie du règne de Louis XVIII et le règne de Charles X, de la seconde abdication de Napoléon Ier, le 22 juin 1815, à l'abdication de Charles X à Rambouillet, le 2 août 1830. 

Première Restauration

Retour des Bourbons. 
Les Bourbons revinrent pendant que Napoléon entrait dans l'éclipse. Le comte d'Artois arriva le premier comme « lieutenant général du royaume ». Sa bonne grâce plut aux Parisiens. Il annonça la fin de la conscription, des droits réunis. Beugnot, ministre de l'Intérieur, ancien préfet de l'Empire, lui fabriqua une belle parole qui fit fortune et fut démentie par l'événement : 
« Il n'y a rien de changé en France; il n'y a qu'un Français de plus.  »
Louis XVIII attendit la conclusion de l'armistice (23 avril) pour passer le détroit.

Louis XVIII. 
Il touchait alors à la soixantaine, très corpulent et goutteux, grand mangeur comme tous les Bourbons, ses grosses jambes infirmes toujours enveloppées de larges guêtres de velours, l'oeil fin et dominateur dans un lourd visage. Ni bon ni méchant, ni dur ni généreux, égoïste et épicurien à la façon d'Horace dont il faisait ses délices, il se piquait d'être un « politique » ; il avait un certain goût de la liberté et un vif sentiment de l'autorité royale qui lui tenait lieu de patriotisme.

Ayant vécu pendant l'exil des subsides de l'Angleterre et recouvrant son trône par la victoire des alliés, il s'imposa «en faisant le roi », comme s'il avait été Louis XIV. Quand Alexandre courut porter ses conseils à Compiègne où il s'attendait à être traité en restaurateur de la monarchie, Louis XVIII l'accueillit paternellement, ne voulut attribuer qu'à la Providence tant d'extraordinaires événements et prit aussitôt le pas, comme il convenait à un Bourbon sur un Romanov.

Reçu au débotter par les maréchaux, il s'y prit si bien qu'on ne les entendit plus parler que de la souveraine majesté du roi.

Talleyrand fut accueilli comme si l'ancien évêque d'Autun avait quitté de la veille le comte de Provence; il resta chargé des négociations de paix.

Le traité de Paris. 
Trois actes diplomatiques ont réglé le compte de l'Europe avec Napoléon, la Révolution et la France.

Le traité de Fontainebleau octroya l'île d'Elbe à Napoléon, Parme à Marie-Louise et des dotations à toute la famille.

La convention du 23 avril livra toutes les conquêtes de la Révolution dans les Flandres, sur le Rhin et sur les Alpes, c'est-à-dire Nice, les deux tiers de la Savoie, la rive gauche, Bruxelles et Anvers.

Les garnisons, que Napoléon avait laissées dans les forteresses depuis Luxembourg jusqu'à Dantzig, eurent la liberté d'en sortir avec les honneurs de la guerre, mais en abandonnant un immense matériel, qui valait plus d'un milliard.

Les alliés s'engagèrent à évacuer le territoire à mesure que la France rendrait les places.

Enfin le traité de Paris (30 mai) confirma ces renonciations et rétablit la frontière du 1er janvier 1792, qui comprenait la vallée de la Sarre et Landau. Il accorda pourtant quelques rectifications et reconnut les réunions de Philippeville, Mulhouse, Montbéliard, Annecy, Chambéry et Avignon. L'Angleterre garda l'lle de France (île Maurice), Sainte-Lucie, Saint-Domingue; la Guadeloupe et la Guyane furent restituées.

L'article premier du traité décida que « le partage des territoires cédés par la France serait réglé au congrès », qui se réunirait à Vienne, et « qu'il aurait lieu sur les bases arrêtées par les puissances entre elles  », au traité de Chaumont. Le congrès se tiendra « entre toutes les puissances engagées dans la guerre ».

Les responsabilités.
La perte des frontières de la République incombe à Napoléon qui avait juré de les maintenir. Il ne tint son serment que selon la lettre. S'il eût traité à Châtillon (comme le voulaient ses frères, les maréchaux, les grands dignitaires), il n'eût pas cédé moins de territoires et de richesses et peut-être n'aurait-il pas obtenu ce quelque chose de plus qu'Alexandre avait promis, en récompense de la déchéance, et que Talleyrand obtint.

Les diplomates signent les traités; ce sont les généraux qui les font. Les Bourbons et Talleyrand ne firent que signer le douloureux traité.

Alexandre et les Prussiens. 
Le roi de Prusse fut seul à réclamer de l'argent (170 millions). Les autres alliés se récrièrent, surtout Alexandre. Il joua au magnanime, pourtant fit preuve de noblesse et parut quelquefois s'excuser d'avoir tant vaincu.

Toujours malgré les Prussiens, bien qualifiés pour se refuser « à consacrer le brigandage », il voulut que les trophées de la France lui fussent laissés; les objets d'art, ramassés par toute l'Europe, qui ornaient le Louvre, y restèrent.

La nouvelle constitution fut préparée en même temps que le traité. Alexandre ne voulait quitter Paris que la constitution promulguée.

Déclaration de Saint-Ouen. 
Louis XVIII s'arrêta à Saint-Ouen avant de faire son entrée à Paris. Le Sénat avait décidé que la future Constitution serait un contrat du roi avec la nation. Mais en quoi «le Sénat conservateur de l'Empire » représentait-il la nation? Le roi, qui représentait un long et glorieux passé, se trouva très fort pour donner la Constitution comme un édit. Il accordera ce qu'on désire qu'il accepte. Mais il l'octroiera.

Grave erreur dans un pays pénétré aux profondeurs par la Révolution, mais erreur qui était dans la logique de « la politique selon l'Ecriture  » (l'expression est de Thiers), livre de chevet des Bourbons. Il faut choisir entre les souverainetés : la «légitime », issue de Dieu même, et celle du peuple.

La Déclaration de Saint-Ouen marqua d'abord la position de Louis XVIII :

« Rappelé par l'amour de son peuple au trône de ses pères, éclairé par les malheurs de la nation qu'il était destiné à gouverner, résolu d'adopter une Constitution libérale.... »
Elle énonça ensuite les garanties fondamentales du futur gouvernement représentatif : les deux Chambres, le vote annuel de l'impôt, la responsabilité ministérielle, la liberté individuelle, la liberté des cultes, celle de la presse, tous les Français admissibles aux emplois civils et militaires, les juges inamovibles, les dettes publiques garanties, le maintien des ventes nationales et celui des grandes institutions : Conseil d'Etat, Cour de cassation, Cour des comptes, Université, Légion d'honneur (2 mai).

En résumé : les principes de 89, sauf la souveraineté nationale, avec, en plus, les fondations de l'Empire.

La Charte. 
Le texte de la Constitution (oeuvre de deux commissions, la première «  royale », la seconde de sénateurs et de députés) traduisit assez exactement la déclaration, mais déjà avec une tendance à réagir : le Sénat, sous le nom de Chambre des Pairs qui répondait mieux à l'esprit de l'ancienne monarchie, composé par le roi; les pairs, les uns héréditaires, les autres à vie; la Chambre élue avec la précaution d'un cens électoral (300 francs d'impôt direct) et d'un cens d'éligibilité (1000 francs); l'initiative des lois au pouvoir exécutif; le droit d'amendement subordonné au consentement des ministres; le droit du roi à faire des règlements pour l'exécution des lois et pour la sûreté de l'Etat (article 14) la religion catholique déclarée religion d'Etat.

Le chancelier Dambray aurait voulu qualifier simplement ces mesures d'Ordonnance de réformation; le roi adopta le titre, suggéré par Beugnot, de « Charte », qui évoquait les actes par où les anciens rois accordaient une existence légale aux communes.

Il exigea, sans admettre de discussion, qu'elle fût datée « de la dix-neuvième année de son règne », comme s'il l'avait commencé le jour même de la mort du dauphin, et comme si la République et Napoléon n'avaient jamais existé.

La Charte fut promulguée en séance royale le même jour où les alliés quittèrent Paris (4 juin).

Politique des Émigrés.
Le roi avait le sens du gouvernement constitutionnel; les royalistes d'extrême droite, les
« enragés », émigrés « qui n'avaient rien appris ni rien oublié», gentilshommes de province qui ignoraient tout de leur temps, ralliés qui prétendaient à être purs entre les purs, entreprirent de recommencer la lutte de l'Ancien régime contre la France nouvelle.

Ils s'y engagèrent avec tant d'étourderie et de morgue et, encore, de sottise, qu'ils ne mirent pas beaucoup plus de trois mois à rendre la monarchie à sa renaissance aussi impopulaire que l'avait été l'Empire à son déclin.

Le Drapeau blanc. 
Le rétablissement du drapeau blanc, substitué au tricolore, devenu le symbole de la liberté et de la gloire, fut une faute irréparable. Il faut lire, dans les écrits des contemporains, comment le peuple, qui « juge de tout par les signes », dès que le drapeau de l'Ancien régime fut arboré, « vit en imagination le retour de la dîme, de la corvée, des droits féodaux », des classes privilégiées, « c'est-à-dire de tout ce que l'on avait appris à haïr et à craindre. depuis un quart de siècle » (Quinet).

Les princes, - à l'exception du duc d'Orléans, suspect à cause de son père, et pour avoir combattu à Valmy et à Jemmapes sous le drapeau tricolore, - firent leurs coteries des plus échauffés et des plus fossiles. Les ministres, pour complaire à la cour, poussèrent dans les emplois des centaines de remplaçants qui avaient gardé, avec les habits et les airs d'autrefois, les préjugés qu'on avait crus morts. Ces revenants se trouvèrent aussi étrangers dans la société née des « troubles », comme ils appelaient la Révolution et l'Empire, que l'avaient pu être les Cosaques et les Bashkirs dans les rues de Paris.

Tout ce monde, n'ayant pas encore appris à cacher les choses sous les mots, déclamait publiquement contre les oeuvres de la Révolution, déblatérait contre la liberté, blâmait la Charte, inquiétait les possesseurs de biens nationaux par de perpétuelles menaces.

La cour et le haut clergé, qui avait repris une attitude de domination, se complurent aux cérémonies « expiatoires ». La piété justifiait les honneurs rendus à la mémoire de Louis XVI et de Marie-Antoinette; les messes solennelles pour Pichegru, Cadoudal et Moreau, l'érection d'un monument à Quiberon parurent des défis.

Les « ultras » et l'Armée. 
Le ministre de la Guerre, le général Dupont, le vaincu de Baylen, fit beaucoup de mal.
« La misérable résurrection de la Maison-Rouge », pour parler comme Chateaubriand; les grades et les honneurs prodigués aux soldats de l'armée de Condé et aux marins qui avaient servi sur la flotte britannique, pendant que 14 000 officiers des grandes guerres étaient renvoyés en demi-solde; les campagnes faites contre la France comptant pour la retraite; l'armée livrée à des chefs inconnus d'elle, souvent ridicules et quelquefois haïssables : c'était toucher non plus à la forme, mais au fond.

Louis XVIII s'inquiéta, approuva Chateaubriand d'avoir écrit : 

« La Charte est un traité de paix signé entre les deux partis qui ont divisé la France. La vieille monarchie ne vit plus pour nous que dans l'histoire ». 
Les ultras traitèrent d'impertinences les conseils du poète qui se mêlait de politique.

Le Congrès de Vienne. 
Du Congrès de Vienne, qui dura huit mois (novembre 1814 - juin 1815), on ne connut que ses fêtes et l'âpreté des vainqueurs à se partager les dépouilles des vaincus; on a reconnu seulement par la suite que la pensée d'une vie des peuples fondée sur la paix a dominé ses débats.

Pareillement, les mérites de la diplomatie de Talleyrand n'apparurent que plus tard.

Le droit public. 
Le traité de Paris est un fait. Le réaliste qu'est Talleyrand ne peut partir que du fait. S'il eût cherché à revenir sur le traité, il n'aurait abouti qu'à réunir plus étroitement contre lui les signataires du pacte de Chaumont. il n'aurait pas pu invoquer le droit despeuples dans cette assemblée de rois et de ministres avides.

Il se fit donc le défenseur de la seule cause qu'il pût utilement plaider : la légitimité, non pas dans le sens qu'en a donné une fausse traduction, mais selon sa propre définition : « Le premier besoin de l'Europe est de bannir à jamais l'opinion qu'on peut acquérir des droits par la seule conquête. »

Alors que les Quatre (Angleterre, Autriche, Prusse, Russie) ne voulaient d'abord permettre à la France et à l'Espagne que « de faire connaître leurs opinions et leurs voeux », il sut jouer si bien des intérêts contradictoires qu'il obtint l'admission de la France, de l'Espagne, de la Suède et du Portugal « au partage de l'Europe » et fit stipuler que « les arrangements seraient conformes au droit public ». Le prussien Humboldt, qui comprit, ayant protesté :

« Que fait ici le droit public? - Il fait que vous y êtes. »
Du système co-partageant, qui avait été la pratique du XVIIIe siècle finissant, et de la conquête napoléonienne, on revenait ainsi à la politique de l'équilibre, qui restreignait le remaniement. La France marcha à nouveau de pair avec les grandes puissances et de concert, bientôt, avec deux d'entre elles (Autriche et Angleterre); elle redevint, comme le voulait sa tradition, le défenseur des petits Etats.

Le projet russe. 
Le dessein du tsar, avec l'arrière-pensée de rouvrir à son profit la question d'Orient, était de reconstituer un simulacre de Pologne avec ce qu'il possédait du duché de Varsovie et les provinces polonaises de la Prusse. Le roi de Saxe eût été transféré sur le Rhin. La France aurait eu un voisin faible, au lieu de la Prusse.

On a reproché à Talleyrand d'avoir fait cause commune avec l'Autriche et l'Angleterre contre le projet d'Alexandre. L'eût-il appuyé qu'il n'en aurait pas assuré le succès; Londres et Vienne fussent restées hostiles; en outre, le projet avait réuni contre lui les Russes, qui criaient à la trahison, et les Polonais, qui se refusaient à être dupes.

L'Europe de 1815. 
A la fin de l'hiver de 1815, le Congrès avait arrêté, dans ses grandes lignes, la nouvelle carte de l'Europe.

La France demeurait ce que l'avait faite le traité de Paris, bien que tout eût changé en Europe depuis vingt ans. Assuré que l'argument, si juste qu'il fût, ne porterait pas davantage à Vienne qu'à Châtillon, Talleyrand avait tout de suite déclaré qu'il était le seul à ne rien demander; il ne voulait être que « bon Européen ».

L'Angleterre, pourvue aux colonies (Tobago et la Trinité, surtout Ceylan (Sri-Lanka) et le Cap), ne retint en Europe que des points stratégiques : Helgoland, Malte et Corfou.
La Russie fut confirmée dans l'occupation de la Finlande, cédée par la Suède, et de la Bessarabie, cédée par les Turcs à qui elle rendait les provinces danubiennes; elle eut en Pologne ce que Catherine en avait abandonné aux Allemands lors des deuxième et troisième partages, notamment Varsovie et Sandomir. Cracovie fut constituée en république neutre.

La Prusse échangea 2 600 lieues carrées de territoires polonais (cédés à la Russie) et de territoires allemands (cédés au Hanovre et à la Bavière) pour 2300 lieues carrées de territoires dispersés, mais riches et bien peuplés : la Poméranie suédoise et les provinces rhénanes, avec Cologne, Coblence, Aix-la-Chapelle et Trèves.

L'Autriche, se concentrant tandis que la Prusse se dispersait, reçut, en échange des Pays-Bas, la Vénétie avec tout le littoral de l'Adriatique jusqu'à Cattaro, la Valteline et la Lombardie, et, en Allemagne, par échange avec Bade et avec la Bavière, le Tyrol, le Vorarlberg et Salzbourg.

L'Allemagne attendait le rétablissement de l'Empire sous une forme à la fois fédérale et nationale. Elle resta une association de grands, de moyens et de petits Etats indépendants, au nombre de 38, avec l'Autriche comme présidente de la Diète. La polyarchie continuait. L'Italie fut divisée en sept Etats indépendants (Piémont, Naples, Rome, Toscane, Modène, Parme et Lucques), sans aucun lien fédératif.

Enfin le reste de l'Europe fut organisé contre l'ambition des grands Etats, accrus sans doute, mais de beaucoup moins qu'ils ne l'avaient espéré. Le Congrès confirma ou décida la formation du nouveau royaume des Pays-Bas, - d'invention anglaise, double barrière contre la France et contre l'Allemagne, - la neutralisation de la Suisse, le rétablissement de l'Espagne et du Portugal dans leurs anciennes limites, le doublement de la Suède par la Norvège, la réunion du Holstein au Danemark et le maintien de l'Empire ottoman dans son intégrité.

L'équilibre résultait surtout de l'organisation de l'Allemagne sur le modèle de la Confédération du Rhin. Ses princes avaient été des premiers à s'opposer à tout ce qui aurait pu l'avancer sur la voie de l'unité, et, d'abord, au rétablissement de l'Empire. Si l'Italie redevenait « une expression géographique », elle ne devenait pas un Etat.

Il n'y avait plus que des questions secondaires à régler quand on apprit que Napoléon avait quitté l'île d'Elbe.

Seconde Restauration

Davout avait conseillé de bonne heure au gouvernement de proclamer lui-même les Bourbons et d'écarter à ce prix les armées alliées. Fouché préféra conduire son intrigue personnelle avec Louis XVIII et avoir l'avantage de la seconde Restauration, comme Talleyrand avait eu celui de la première. De fait, Waterloo avait rendu également inévitables la seconde abdication de l'empereur, la seconde restauration des Bourbons et la seconde capitulation de Paris. Tous ces événements s'enchaînaient.

La convention du 3 juillet rouvrit Paris aux armées étrangères et obligea l'armée française à se retirer dans les trois jours derrière la Loire. Le 7, Blücher et Wellington firent leur entrée. Le 8, Louis XVIII, qui les avait suivis depuis Gand, rentra aux Tuileries, presque exactement cent jours après s'en être enfui.

La veille, à l'abbaye de Saint-Denis où Louis XVIII s'était arrêté, Fouché lui fut présenté par Talleyrand et par le comte d'Artois, dont il était devenu le favori. L'ancien oratorien régicide fit aussitôt partie du nouveau ministère avec l'ancien évêque d'Autun. Le soir, comme Talleyrand, soutenu par Fouché, entrait dans le cabinet du roi, Chateaubriand crut voir « le vice appuyé sur le bras du crime », et il osa dire à Louis XVIII que « la monarchie était finie ».

Le traité du 20 novembre.
L'Europe se vengea durement sur la France de la peur qu'elle avait eue de Napoléon.
Les souverains alliés s'étaient donné, l'année d'avant, des airs de libérateurs; sauf
Alexandre, qui par générosité naturelle et par politique, resta équitable, ils se prirent, en 1815 ,pour des justiciers.

Non seulement les Prussiens, les Autrichiens et les princes allemands, rois de la façon de Napoléon, réclamèrent l'Alsace et une partie de la Lorraine, mais le nouveau royaume des Pays-Bas demandait, pour sa sécurité, une longue bande de terre, depuis Gravelines jusqu'à Mézières, avec toutes les forteresses françaises du Nord-Est; le Piémont voulut la Savoie avec Chambéry; même les Suisses élevèrent des prétentions sur le versant oriental du Jura.

La duchesse d'Angoulême, fille de Louis XVI, ayant refusé de recevoir Fouché, il avait dû quitter le ministère; Talleyrand, entraîné dans sa disgrâce, fut remplacé par le duc de Richelieu, ancien émigré, longtemps gouverneur d'Odessa et le véritable créateur de la Russie méridionale, très en faveur auprès d'Alexandre.

Il fallut toute l'autorité d'Alexandre et toute la noble fermeté du duc de Richelieu pour amener la coalition à renoncer à ses projets de démembrement, « chef-d'oeuvre de destruction » dont la carte avait été dressée par les Prussiens. Il n'en fallut pas moins abandonner aux Prussiens la vallée de la Sarre avec ses mines de charbon; aux Bavarois Landau, Philippeville aux Belges, et Chambéry aux Piémontais.

En outre, la France s'obligea à payer 300 millions à titre d'indemnité de guerre et à entretenir pendant cinq ans une armée alliée d'occupation sur ses frontières du Nord et de l'Est.

Les alliés, en 1814, avaient respecté les musées; ils les pillèrent en 1815 pour « donner aux Français une leçon de haute morale politiques », et n'emportèrent pas seulement les objets d'art que les Italiens, les Allemands ou les Hollandais avaient cédés ou laissé prendre.

Blücher voulut faire sauter le pont d'Iéna. Il fallut que Louis XVIII signifiât au vieux soudard qu'il s'y ferait porter sur son fauteuil.

Un million de soldats, de toutes les nations, foulèrent la France jusqu'à la Loire, volant, réquisitionnant, ravageant.

Les « Quatre » avaient renouvelé le pacte de Chaumont et conclu, par surcroît, pour la défense du « principe d'autorité » contre la Révolution, une sorte de contrat mystique qui a reçu le nom de Sainte alliance.

Les représailles. 
La Restauration, elle aussi, se vengea; elle frappa les complices, surtout militaires, de l'empereur et, par la même occasion, les régicides.

Louis XVIII avait daté de Cambrai, au moment de son retour de Gand, une proclamation où, tout en promettant « de pardonner aux Français égarés » qui avaient appuyé le gouvernement de l'empereur, il exceptait « les auteurs d'une trahison dont les annales du monde n'offrent pas d'exemples ».

Seize jours après sa rentrée à Paris, il rendit une ordonnance, contresignée par Fouché, qui renvoyait devant le conseil de guerre dix-neuf généraux dont Ney, Labédoyère, Drouet d'Erlon, Grouchy, Clausel, Bertrand, Drouot, Cambronne. D'autres « individus», dont Soult, Exelmans, Vandamme, Lamarque, Lobau, Carnot étaient chassés de Paris et placés sous la surveillance de la police générale.

Ney, ayant commis la faute de décliner la compétence du conseil de guerre, fut traduit devant la Chambre des pairs, dont il faisait partie, et condamné à mort. Le duc de Broglie et le duc de Montmorency votèrent la déportation ; tous les autres ducs, Chateaubriand, Molé, et cinq maréchaux : Marmont, Pérignon, Sérurier, Victor, Kellermann, la mort.

Quelques pairs n'avaient voté la mort qu'avec l'espoir que le roi ferait grâce au héros de tant de batailles, qu'il commuerait la peine en un exil en Amérique. Louis XVIII fut inflexible, sous l'influence surtout de la duchesse d'Angoulême à qui le malheur n'avait pas même appris la pitié. Ney fut fusillé à l'avenue de l'Observatoire et la Restauration à jamais éclaboussée.

Deux mois avant, Murat avait été fusillé à Naples par ordre de son successeur, le roi Ferdinand.

Labédoyère et les deux frères Faucher furent également passés par les armes; Cambronne et Drouot ne furent acquittés qu'à la minorité de faveur; les autres généraux et Lavalette, directeur général des postes, échappèrent par la fuite.

En même temps, une nouvelle Terreur blanche sévit dans tout le Midi. Le maréchal Brune, le général Ramel, plusieurs centaines de soldats, des protestants en grand nombre furent assassinés. Des bandes, conduites par un chef du nom de Trestaillons, tinrent la campagne pendant plusieurs mois.

Ceux des régicides qui avaient voté « l'Acte additionnel » ou « accepté des fonctions de l'usurpateur », furent proscrits à perpétuité (par la loi d'amnistie), ainsi que les membres de la famille Bonaparte.

La loi atteignit Fouché comme Carnot et Cambacérès. Au sortir du ministère, il avait été nommé à la légation de Dresde, d'où il fut révoqué.

Le règne de Louis XVIII.
La monarchie selon la Charte. 
Le seul des émigrés qui eût appris quelque chose en Angleterre, Louis XVIII, aurait
volontiers gouverné selon la Charte; et il avait beaucoup réfléchi pendant les cent jours de Gand. Si le trône, à peine rétabli, s'était écroulé en quelques heures, il en attribuait la cause aux intempérances et aux provocations des ultras. Leur prétention d'être « plus royalistes que le roi » l'offensait dans sa fierté, et la violence de leurs haines dans son goût de la modération.

Au contraire, son frère, le comte d'Artois, s'était fait le chef des partisans impénitents de l'ancien régime, qui avaient leur quartier général dans l'aile du château des Tuileries (le pavillon Marsan), où il résidait avec ses fils, les ducs d'Angoulême et de Berry.
Louis XVIII disait du futur Charles X

« Il a conspiré contre Louis XVI. Il conspire contre moi. Il finira par conspirer contre lui-même ».
Trois questions principales dominèrent la politique pendant la Restauration La loi électorale, que les ultras voulaient tourner au seul profit des grands propriétaires fonciers; La liberté de la presse, qu'ils entendaient restreindre jusqu'à la suppression; L'instruction publique, qu'ils entreprirent de mettre aux mains de l'Eglise.

Sur ces trois questions, Louis XVIII inclinait aux solutions libérales. Malheureusement l'âge, qui avait affiné son jugement, avait affaibli sa volonté. Veuf et sans enfants, d'ailleurs sceptique, il finit, rien que pour avoir la paix, par céder à son frère, si bien que son règne peut se diviser en deux parties : celle où il gouverna et consolida la monarchie (1816-1820); celle où il se contenta de régner (1820-1824) pendant que le comte d'Artois préparait la chute de la dynastie.

La Chambre introuvable. 
Le nom de Decazes est resté attaché à la première de ces époques. C'était un girondin, ancien fonctionnaire de l'Empire, d'esprit fin et d'intelligence ouverte, que le roi avait pris en affection. Il l'appelait familièrement : « Mon fils » et se plaisait à répéter :

« La politique de Decazes, c'est la mienne. »
La Chambre de 1815, élue dans le trouble de la défaite et de l'invasion, fut à ce point animée de passions contre-révolutionnaires qu'elle est restée comme marquée de l'épithète dont Louis XVIII l'avait saluée avant de la voir à l'oeuvre « La Chambre introuvable ». Le duc de Richelieu, si conservateur qu'il fût ou parce qu'il l'était avec intelligence renvoya au bout d'un an de législature cette Convention à rebours, sans génie et sans excuses, qui cherchait à faire de « la Terreur blanche » une sorte de terreur légale.
« Tout ce qui depuis longtemps avait l'habitude de crier : Vive le roi! garda le silence. Tout ce qui gardait le silence se mit à crier : Vive le roi!  » (Montlosier).
Le ministère Decazes. 
Les élections de 1816 donnèrent la majorité aux modérés et aux indépendants.
Decazes, à trente-cinq ans, parut trop jeune pour être président du Conseil, mais
fut l'âme du gouvernement. Il parvint à faire vivre ensemble pendant quatre ans les formes du passé et l'esprit nouveau.

Les débats à la Chambre furent brillants et féconds. Les chefs des partis, Royer-Collard, La Fayette, le général Foy, Benjamin Constant, Manuel, Casimir Perier à gauche; Villèle, Corbière, Martignac, de Serre, à droite, créèrent l'éloquence parlementaire.

Ministre de la Police générale, Decazes supprima peu à peu les lois d'exception, abolit la censure et l'autorisation préalable pour les journaux, attribua au jury la compétence pour les délits d'opinion, modifia heureusement la loi électorale (renouvellement partiel et scrutin de liste).

Le baron Louis, ancien constituant, sans doute le plus grand ministre des Finances depuis Colbert, établit le vote du budget par ministère et par chapitre, afin que ne fussent dissimulées aucune des charges ni aucune des ressources de l'Etat. Il se targuait de pousser le souci des deniers publics jusqu'à la « férocité ».

La loi de recrutement de 1818, qui resta en vigueur pendant un demi-siècle, fut l'oeuvre du maréchal Gouvion Saint-Cyr. L'armée, composée « en principe » de volontaires, fut complétée à l'effectif de 240 000 hommes par des conscrits tirés au sort, avec faculté de remplacement comme sous l'Empire. Tous les officiers, au contraire de ce qui avait été l'un des pires abus de l'Ancien régime, sortiront désormais des écoles militaires ou du rang l'avancement sera à l'ancienneté et, pour un tiers, au choix.

Libération du territoire.
La même année où Gouvion Saint-Cyr reconstitua l'armée, Richelieu obtint des alliés l'évacuation anticipée du territoire (octobre 1828).

Lally-Tollendal ayant proposé de  lui décerner « une récompense nationale aux frais de l'Etat », il refusa. « Il ne pouvait, dit-il, se résoudre à voir ajouter, à cause de lui, quelque chose aux charges qui pesaient sur la nation. »

Le comte d'Artois, par méfiance de l'armée nouvelle, n'avait pas hésité à engager une négociation secrète pour le maintien de l'occupation étrangère. Le roi, sur la proposition de Saint-Cyr, le releva du commandement en chef des gardes nationales.

Assassinat du duc de Berry. 
Cette ferme politique, les élections partielles, constamment favorables aux libéraux, exaspéraient les ultras. Ils pressèrent tant sur Richelieu qu'il se retira. Decazes tint bon.

L'assassinat du duc de Berry par un domestique aux selleries royales, fanatique de Napoléon, qui expliqua « qu'il avait voulu éteindre la race des Bourbons », fournit enfin l'occasion de forcer la main au roi. Les ultras accusèrent Decazes de complicité (au moins morale, selon les moins violents) avec l'assassin; « le manche du poignard de Louvel était une idée libérale ». Chateaubriand, dans son avidité du pouvoir, écrivit de Decazes que « les pieds lui avaient glissé dans le sang ».

Artois et la duchesse de Berry se jetèrent aux pieds de Louis XVIII pour lui demander le renvoi du favori. Decazes donna sa démission et la droite fut appelée au pouvoir.

L'enfant du miracle. 
La duchesse de Berry était enceinte. L'enfant posthume, « l'enfant du miracle», reçut, à sa naissance, le nom de duc de Bordeaux. Il prit plus tard celui de comte de Chambord, et, s'il avait régné, aurait été Henri V.

Ministère Villèle.
On voudrait que Richelieu n'eût pas consenti à recueillir la succession de Decazes pour détruire en quatre mois ce que la monarchie restaurée avait fait de mieux. La loi dite « du double vote » livra l'élection de la Chambre à une minorité de censitaires, 12 000 propriétaires terriens, parmi les plus riches, qui votaient deux fois, au chef-lieu de l'arrondissement et à la préfecture.

Les élections de 1820 donnèrent, en conséquence, une majorité écrasante à la droite. Richelieu, bientôt débordé, céda la place au comte de Villèle, très bel orateur, financier averti, administrateur à poigne, et de cette sorte de chefs qui suivent leurs troupes.

Son gouvernement dura sept ans (1820-1827), survivant de trois ans au règne de Louis XVIII. L'effort méthodique de la contre-révolution se poursuivit à la fois au dehors et au dedans.

Le droit d'interventlion.
Il s'était produit en Europe, depuis 1817, un premier réveil des idées nationales et libérales. Les Allemands manifestèrent contre la Diète qui les éloignait de l'unité rêvée en 1813; les Italiens se soulevèrent contre les Tedeschi (Austro-Allemands), protecteurs des gouvernements absolus de Naples et de Turin; les Espagnols imposèrent une Constitution à Ferdinand VII.

La Sainte-Alliance, invention mystique du tsar Alexandre, ne pouvait suffire au dur conservateur réaliste qu'était Metternich. Il fit admettre au Congrès d'Aix-la-Chapelle le droit d'intervention des quatre grandes puissances alliées dans les affaires intérieures de tout Etat, où des troubles seraient de nature à exercer chez les autres peuples « des influences délétères ». Richelieu adhéra à cette orthodoxie.

L'Autriche aida les rois de Piémont et de Naples à réprimer leurs insurrections Ferdinand VII ayant demandé aux puissances étrangères de le rétablir dans ses pouvoirs de roi absolu, rey neto, Montmorency et Chateaubriand réclamèrent pour la France le rôle de gendarme de l'ordre en Espagne. Ils l'obtinrent du congrès de Vérone (1822).

Chateaubriand apportait dans la politique son imagination de poète et un âpre esprit d'intrigue. Il supplanta Montmorency aux Affaires étrangères, voulant pour lui seul la gloire de cette guerre d'Espagne, « qui rendrait à la France, affranchie de la tutelle du malheur, son rang militaire en Europe ».

Il rêva d'une alliance russe qui paierait Constantinople de la rive gauche du Rhin.

Expédition d'Espagne. 
Tout ce qui restait de libéraux à la Chambre, La Fayette, le général Foy, Royer-Collard, protestèrent contre l'intervention en Espagne; « en droit, la guerre était inique » (Guizot), c'était recommencer la politique des Autrichiens et des Prussiens en 1792. Manuel osa dire que Louis XVI avait été perdu par la colère de la France révolutionnaire, « sentant le besoin de se défendre par des forces nouvelles et une énergie nouvelle ».

La majorité vit là une apologie du régicide. Manuel fut déclaré déchu. Il revint à son banc. Sur le refus des gardes nationaux et des soldats de ligne, il fallut le faire «  empoigner » par des gendarmes, aux ordres d'un vicomte de Foucault.

Quand l'armée, conduite par le duc d'Angoulême, franchit la Bidassoa, elle rencontra, sur la rive opposée, un groupe de volontaires français, engagés dans l'armée constitutionnelle, qui agitaient le drapeau tricolore. L'un d'eux était Armand Carrel, ancien officier, par la suite le plus fameux des journalistes républicains.

L'expédition fut une pour ainsi dire promenade; Madrid s'ouvrit sans résistance; la prise du Trocadéro, l'un des forts de Cadix, coûta à peine quelques hommes.
Ferdinand VII, restauré dans son autocratie, poursuivit d'affreuses vengeances. Le duc d'Angoulême protesta en vain contre l'horreur des représailles. Riego, le chef de l'insurrection, fut mis à mort, l'Inquisition rétablie, des bûchers flambèrent à nouveau.

Chateaubriand eût voulu intervenir également en Amérique. Les colonies espagnoles, qui sont devenues les Républiques latines de l'Atlantique et du Pacifique, s'étaient révoltées sous des chefs, indigènes (Bolivar, San-Martin, Iturbide) contre une domination intolérable. C'eût été le conflit avec l'Angleterre et avec les Etats- Unis. Louis XVIII, qui avait d'autres griefs contre « le vicomte », lui donna son congé.

Expédition d'Espagne à l'intérieur. 
Au dedans, la politique du ministère Villèle fut qualifiée par les libéraux « d'expédition d'Espagne à l'intérieur », tant était apparente l'ambition des royalistes « purs » de rétablir le plus possible de l'Ancien régime.

Le roi trouvait leur conduite absurde, s'y résignait par nonchalance et s'en vengeait par des boutades :

« Nous voici dans la situation de ce pauvre cavalier qui n'avait pas assez d'élasticité pour sauter sur son cheval. Il pria Saint Georges avec tant de ferveur que Saint Georges lui en donna plus qu'il ne fallait et qu'il sauta de l'autre côté. »
Les ultras recevaient leur direction d'une association peu nombreuse, mais active et hardie, la « Congrégation », qui s'était formée autour de quelques jésuites; elle menait par les « missions » une ardente propagande en faveur des « bonnes idées ».

Villèle abandonna l'administration aux « congréganistes », mit les collèges
et lycées sous la surveillance des évêques, rendit aux tribunaux la connaissance des délits de presse, en inventa un nouveau « le délit de tendance».

Du côté libéral, la « Charbonnerie », sur le modèle italien des Carbonari, s'organisa en sections ou « ventes »; elle recruta de nombreux affiliés parmi les officiers à la demi-solde, qui traînaient une glorieuse misère et avaient gardé dans l'armée des amitiés.

Tous les complots échouèrent. Le général Berton, le colonel Caron, les « quatre sergents de la Rochelle » furent condamnés à mort et exécutés.

Un pamphlétaire, au style attique, et un chansonnier, à la verve gauloise, servirent mieux la cause de l'opposition que les conspirations militaires. Les petits écrits de Paul-Louis Courier rappellent ceux de Voltaire par l'acuité de la raillerie et la solidité du bon sens. Béranger chanta les soldats de la Révolution et de l'Empire, « leurs uniformes usés par la victoire », célébra la liberté, cribla de flèches les émigrés et les jésuites.

La majorité de la nation, bien que résolument attachée aux principes de 1789 et fâchée d'être rejetée par la loi hors de la vie publique, ne commença à s'inquiéter qu'après la mort de Louis XVIII. Les finances étaient bien administrées, la fiscalité modérée, l'agriculture et l'industrie prospères.

Le grand mouvement intellectuel du siècle prit son élan vers 1820. Le romantisme, qui découvrit l'art du Moyen âge, fut à l'origine de sentiment religieux et royaliste (Lamartine, Victor Hugo). Le Jacobin aimait à se dire « un animal classique ».

Le règne de Charles X.
Le comte d'Artois, rien qu'un homme de plaisir dans sa jeunesse, était devenu dévot avec les années, jusqu'à suivre les processions dans les rues de Paris, mais sans avoir rien perdu de son ancienne frivolité ni, d'ailleurs, de sa bonne grâce. Il fut le dernier roi sacré à Reims. Quelques gestes libéraux qu'il fit à son avènement furent vite démentis par les actes.

Chute de Villèle. 
La résistance partit de la Chambre des pairs. La loi sur le milliard des émigrés, en indemnité pour les propriétés confisquées pendant la Révolution, fut l'objet de longs débats, - combattue par Chateaubriand, dans la coulisse, et, à la tribune, par le duc de Broglie, - bien qu'elle fût équitable dans son principe. Les pairs ne votèrent qu'à une petite majorité la loi sur le sacrilège, mais repoussèrent les projets sur le rétablissement du droit d'aînesse et sur une nouvelle restriction de la liberté de la presse, loi dite « de justice et d'amour ».

Ces avertissements furent perdus pour Villèle. La création d'un ministère des affaires ecclésiastiques pour l'abbé de Frayssinous, déjà grand-maître de l'Université; la révocation des maîtres les plus aimés de la jeunesse des écoles, Cousin, Guizot, Villemain; la censure rétablie, à peine avait-elle été supprimée comme don de joyeux avènement; la dissolution de la garde nationale pour des cris de « à bas les ministres  » poussés  à une revue passée par le roi, accrurent le mécontentement.

Depuis les élections de 1823, il n'y avait plus que quinze libéraux à la Chambre, mais Casimir Perier pouvait dire qu'il avaient la nation derrière eux.

Si nombreuse que fût la majorité, elle était trop factice pour donner au nouveau règne la sensation de la solidité. De plus, une fraction de l'extrême-droite s'était détachée, à l'exemple de Chateaubriand.

Charles X crut habile de dissoudre la Chambre. C'était transporter la coalition devant les électeurs. On vota contre Villèle. L'opposition l'emporta avec 250 sièges (180 de libéraux et 70 d'ultras) sur 420 (juin 1827).

Les affaires de Grèce. 
Pendant que la monarchie se lézardait, la Sainte-Alliance, qui l'avait restaurée, se disloquait.

Lorsque les Grecs se soulevèrent, en 1821, pour la première fois contre les Turcs, Mettenich avait détourné le tsar lui-même, bien que grand chef des orthodoxes, de leur venir en aide (Congrès de Laybach).

Metternich était dans la logique de son système conservateur : mais les idées de liberté politique et d'indépendance nationale, après avoir longtemps cheminé sous terre, faisaient maintenant explosion de toutes parts. Rien n'était plus propre à les fortifier que la révolte d'un petit peuple chrétien contre l'Islam et sur le coin de terre le plus glorieux de l'histoire.

Les épisodes dramatiques de cette guerre qui se voulait sainte, les exploits de Canaris et de Botzaris, émurent tout ce qu'il y avait d'un peu noble en Europe. Le plus grand poète anglais, Byron, alla mourir à Missolonghi pour la liberté grecque; les poètes français (Casimir Delavigne, Victor Hugo) la chantèrent; un ancien officier des guerres de l'Empire, le colonel Favier, organisa les insurgés en troupes régulières; les volontaires affluèrent; des comités de «  Philhellènes » se constituèrent à Paris, à Londres, à Genève pour réunir de l'argent et des armes.

Navarin
Le mouvement d'opinion fut bientôt si puissant qu'il entraîna les gouvernements, à l'exception de l'Autriche et de la Prusse. Pourtant le traité de Londres, entre l'Angleterre, la France et la Russie, n'offrit encore qu'une médiation; les escadres, réunies dans la baie de Navarin, n'eurent pas d'autre mission que d'imposer un armistice à la flotte turco-égyptienne.

Il semble bien que les premiers coups de feu soient partis du côté des Turcs; l'amiral de Rigny, suivi par les amiraux anglais et russes, s'empressa d'engager la bataille; toute la flotte turque fut coulée (octobre 1827).

Canning, à Londres, qualifia la rencontre de Navarin d' « événement malencontreux »; Villèle en rejeta la responsabilité sur Rigny. Encore une fois, le cri public fut le plus fort. L'année d'après, Martignac, qui avait remplacé Villèle, envoya lé général Maison en Morée pour en chasser les Turcs; le tsar Nicolas déclara la guerre au sultan.

Les traités d'Andrinople (septembre 1829) imposèrent à la Turquie de reconnaître l'indépendance de la Grèce et l'autonomie de la Serbie.

Ministère Martignac. 
L'Europe, au lendemain de Navarin, n'est plus la même que la veille. Partout les partis de liberté reprennent l'offensive.

La Chambre, issue de la coalition de 1827, nomma à la présidence Royer-Collard, le plus noble orateur, et, comme avait été Sieyès, « le penseur » du parti de la Révolution. Le nouveau premier ministre, Martignac, avait constamment voté avec Villèle; mais il avait, par élégance d'esprit, le goût de la modération; surtout il lui répugnait de faire de la religion un instrument politique.

Que les jésuites aient été ou non les principaux fauteurs de la réaction, les excès leur en étaient imputés, et non seulement par les libéraux, mais par tout ce qui subsistait encore de l'église gallicane. Montlosier, ancien constituant, royaliste déclaré et catholique pratiquant, les dénonça dans un mémoire retentissant : « Leur système tendait à renverser la religion, la société et le trône »; aussi bien « leur société était illégale », ayant été abolie par Louis XV, en 1761, et dissoute par le pape Clément XIV.

Martignac, le ministre de l'Instruction publique Feutrier, évêque de Beauvais, et le ministre de la justice Portalis, n'hésitèrent pas à rompre avec la Société. Charles X dut signer, sous la menace de leur démission, des ordonnances qui interdirent l'enseignement aux membres des congrégations non autorisées, donc aux Jésuites, et qui soumirent (ce qui fut approuvé par le pape) les petits séminaires au régime de l'Université (26 juin 1828).

Le renvoi de Martignac fut décidé de ce jour. Toutefois le roi attendit un an avant de le congédier et d'appeler Polignac (août 1829).

Polignac.
C'était le fils de cette princesse de Polignac qui avait tant contribué au discrédit de Marie-Antoinette et avait donné le signal de l'émigration. Il avait hérité d'elle la haine de la Révolution jusqu'à refuser pendant longtemps de prêter serment à la Charte. Il avait été du complot de Cadoudal et tenu en prison jusqu'à la fin de l'Empire.

D'intelligence médiocre et, par surcroît, mystique, Polignac se crut destiné à sauver la monarchie et l'Eglise. Il s'entoura des réacteurs les plus notoires et nomma au ministère de la Guerre un ancien chef de chouans, ce Bourmont, qui, rallié à l'Empire et devenu général, avait passé aux Prussiens à la veille de Ligny.

Un tel gouvernement, qui inquiéta la duchesse d'Angoulême elle-même, parut un défi. Dans la prévision, qui touchait à la certitude, d'un coup d'Etat, les libéraux organisèrent des ligues de résistance. Les Chambres étant en vacances, la presse prit la direction du mouvement.

Le Journal des Débats poussa le cri d'alarme : « Malheureuse France! malheureux roi!» Chateaubriand, « éternelle Cassandre», adressa d'inutiles avertissements à la dynastie qu'il eût voulu sauver d'elle-même. Au National, deux jeunes écrivains provençaux, déjà fameux pour avoir entrepris de raconter (et de célébrer) l'histoire de la Révolution, Thiers et Mignet, préparèrent la voie aux Orléans qui guettaient. D'autres jeunes hommes, Godefroy Cavaignac, Marrast, Trélat, ne craignaient pas de se dire républicains.

Expédition d'Alger. 
Polignac, raisonnant son coup, se dit que le rétablissement du pouvoir absolu ne serait accepté qu'avec un accompagnement de gloire, comme l'avait été l'Empire.
Reprenant un projet de Chateaubriand, il chercha d'abord à négocier avec la Russie une révision des traités de Vienne qui nous rendrait la rive gauche du Rhin.

Le roi de Prusse ayant formellement décliné les premières ouvertures du tsar (janvier 1830), Bourmont proposa de brusquer par une grande opération militaire le règlement d'une querelle, déjà vieille, avec la régence d'Alger. Polignac et le roi s'y décidèrent, faute de mieux, après un premier refus.

On trouva un prétexte pour justifier l'entreprise. Il y avait déjà deux ans que le dey d'Alger avait frappé le consul de France d'un coup d'éventail, au cours d'une discussion sur une créance qui remontait au temps du Directoire. Le blocus, mis devant le port d'Alger, sous le ministère de Martignac, le laissait indifférent.

L'Angleterre était hostile à l'entreprise; ni le roi ni Polignac ne s'embarrassèrent de sa mauvaise humeur.

L'expédition fut vigoureusement con duite par Bourmont, pour l'armée de terre, et, pour la flotte, par l'amiral Duperré, vieux marin de la Révolution. En moins de vingt jours, 30 000 hommes, débarqués par une flotte de 100 vaisseaux, mirent en déroute la cavalerie arabe et s'emparèrent d'Alger (4 juillet 1830).

Talleyrand, qui, depuis sa disgrâce, avait passé à l'opposition et était tout aux Orléans, aperçut et répandit que « l'objet de l'expédition était de faciliter le coup d'Etat »; il prédit qu'elle ne détournerait pas l'attention de la lutte politique.

Le début de la conquête passa, en effet, à peu près inaperçu dans le tumulte de l'autre bataille.

Les 221. 
Les Chambres étant rentrées, Charles X ouvrit la session par un discours d'allure menaçante. Royer-Collard rédigea aussitôt une adresse qui fut signée par 221 députés libéraux; c'était un refus motivé de collaborer avec Polignac (mai 1830).

La réponse du roi fut d'abord l'ajournement, puis la dissolution de la Chambre.

« Ne poussez pas trop vivement le roi, avait dit Royer-Collard; nul ne sait à quelles folies il pourrait se porter. »
Les élections eurent lieu au milieu d'une agitation extrême. Les députés de l'opposition étaient partis 221; ils revinrent 270.

Les ordonnances. 
Un roi constitutionnel eût changé de ministère. Ce fut le conseil de Villèle. Mais Charles X n'avait retenu de la Révolution que l'inutilité des concessions de Louis XVI.
Polignac lui rédigea quatre ordonnances. Elles supprimaient la liberté de la presse (par le rétablissement de l'autorisation préalable), déclaraient la Chambre dissoute, modifiaient la loi électorale (par la réduction des électeurs à 25 000 grands propriétaires) et convoquaient une nouvelle Chambre pour l'automne (25 juillet).

C'était comme une insurrection royale. Les ordonnances, que Polignac avait la prétention d'appuyer sur l'article 14 de la Charte, la violaient, de l'aveu même de plusieurs ministres (Montbel, Guernon-Ranville, Peyrounet). Ils suivirent, par solidarité, mais avertirent le roi qu'il allait au-devant du destin des Stuarts.

Révolution de Juillet.
En quelques jours, le trône fut par terre, tant il était déjà ébranlé et, aussi, parce que jamais opération plus aventureuse ne fut préparée avec plus de légèreté. Ce fut la révolution de Juillet (27-28-29 juillet 1830, les « Trois Glorieuses »). Elle allait la branche aînée des Bourbons par la branche cadette ou d'Orléans, issue du frère de Louis XIV, et la charte octroyée par une charte révisée et votée par les Chambres

Entre temps, Charles X s'était retiré à Rambouillet, où il avait abdiqué et fait abdiquer son fils Angoulême en faveur du duc de Bordeaux il écrivit au duc d'Orléans que, « faisant appel à son honneur », il le désignait comme régent (2 août).

Le duc eût été homme à renoncer à la couronne qu'il ne s'appartenait plus. Il avisa le vieux roi qu'une foule de Parisiens en armes se mettait en marche, ce qui était exact, sur Rambouillet; qu'il n'y avait plus de sûreté pour lui qu'hors la France, et qu'il lui envoyait une escorte pour le mener à Cherbourg, d'où un navire le mènerait en Angleterre.

Une grande mélancolie entoura la fin de l'anttique dynastie, se dirigeant à petites journées vers l'exil et  « s'effaçant à l'horizon ». Le 9 août, le duc d'Orléans, ayant
juré fidélité à la nouvelle Charte devant les deux Chambres, fut proclamé sous le nom de Louis-Philippe Ier. (J. Reinach).

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