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Jules Ferry

Jules François Camille Ferry est un homme d'État français né à Saint-Dié le 5 avril 1832, mort en 1893. Avant de devenir à la fois l'apôtre de la laïcité et le promoteur des guerres coloniales, Jules Ferry fut reçu licencié en droit dès 1851, puis il se fit inscrire comme avocat au barreau de Paris, et fut remarqué en 1855 à la conférence des stagiaires, pour ensuite devoir surtout au journalisme la notoriété qu'il acquit sous l'Empire. Après avoir collaboré assez longtemps à la Gazette des Tribunaux, il se jeta dans la presse politique et s'y rendit redoutable au gouvernement par sa parfaite connaissance des affaires, son habileté à élucider les questions les plus obscures, les plus embrouillées, et son vigoureux talent de polémiste. Ses articles dans le Courrier de Paris, dans la Presse, la part qu'il prit au mouvement démocratique lors du renouvellement du Corps législatif en 1863 et la brochure qu'il écrivit peu après sur la dernière Lutte électorale attirèrent sur lui l'attention publique, si bien que sa candidature à la députation, qu'il posa dans la cinquième circonscription de Paris au commencement de 1864, ne parut pas trop prématurée. Il la retira, du reste, bientôt devant celle de Garnier-Pagès.

Impliqué quelques mois plus tard dans le procès des treize, il entra l'année suivante à la rédaction du Temps et y mena campagne très énergiquement contre la politique extérieure et intérieure de l'Empire. Sa retentissante brochure sur les Comptes fantastiques d'Haussmann (critique très vive et très pénétrante des procédés irréguliers d'administration qu'employait depuis longtemps le préfet de la Seine) et son article sur les Grandes Manoeuvres électorales, qui valut au journal l'Electeur une condamnation à 10 000 F d'amende, le rendirent très populaire (1868). Aussi, lors des élections générales de 1869, sa candidature législative, posée de nouveau à Paris, obtint-elle un plein succès.

Élu député, dans la sixième circonscription de cette ville, au second tour de scrutin, par 15 729 voix contre 43 944 données à Cochin, il alla siéger sur les bancs de l'opposition républicaine au Corps législatif, dont il demanda vainement la dissolution, combattit de toutes ses forces le ministère Ollivier, s'efforça d'empêcher la déclaration de guerre à la Prusse en juillet 1870 et, après l'effondrement de l'Empire (4 septembre), entra, avec ses collègues de la Seine, dans le gouvernement de la Défense nationale, qui le prit pour son secrétaire et lui confia (6 septembre) l'administration du département de la Seine, c.-à-d. de la banlieue de Paris, cette ville étant placée sous l'autorité d'un maire, qui était alors Étienne Arago

Jules Ferry fit preuve dans cet emploi de beaucoup d'activité, contribua puissamment par son sang-froid et son énergie, lors de l'échauffourée du 31 octobre, à délivrer le gouvernement, que l'émeute tenait prisonnier à l'Hôtel de Ville, et, après la démission d'Étienne Arago (14 novembre), fut chargé d'administrer non plus seulement les communes suburbaines, mais la capitale elle-même. Il pourvut de son mieux, au milieu de grandes difficultés, pendant la fin du siège, à l'ordre public et aux subsistances, qui durent être rigoureusement rationnées à partir du 18 janvier, et triompha, le 22 du même mois, d'une nouvelle insurrection populaire. Après l'armistice, il fut élu représentant des Vosges (8 février), le cinquième, par 33 439 suffrages. Mais tandis que l'Assemblée nationale délibérait à Bordeaux, il dut rester à Paris, où la révolution fermentait plus que jamais. Le soulèvement du 18 mars mit de fait à néant son autorité préfectorale. Après avoir tenu bon jusqu'à la dernière heure, d'abord à l'Hôtel de Ville, puis à la mairie du Ier, arrondissement, il dut se retirer et alla rejoindre à Versailles' Thiers qui lui témoigna autant d'amitié que de confiance et qui, après avoir triomphé de la Commune, le confirma dans ses fonctions de préfet de la Seine (fin de mai 1871). Mais Jules Ferry, très vivement attaqué par une partie considérable de l'Assemblée, ne crut pas devoir les conserver et fut remplacé le 5 juin suivant par Léon Say.

A Versailles, il s'associa pendant les derniers mois de 1874 à tous les votes importants du parti républicain et fit au mois de mars 1872 devant la commission d'enquête, sur l'insurrection du 18 mars, une déposition qui lui valut de la part de la presse réactionnaire les plus violentes accusations. Envoyé le 15 mai suivant comme ministre plénipotentiaire en Grèce, il s'y occupa surtout d'aplanir le différend survenu entre le gouvernement hellénique d'une part, la France et l'Italie de l'autre, au sujet des mines du Laurium. Il y était encore lorsque Thiers tut renversé par la coalition monarchique et bonapartiste du 24 mail 1873. Il donna aussitôt sa démission et revint prendre sa place dans l'Assemblée, où il lutta constamment et de toutes ses forces contre le gouvernement dit de combat, contribua pour sa part à la chute de de Broglie (16 mai 1874), au vote des lois constitutionnelles (février 1875) et prononça de nombreux discours, dont quelques-uns, notamment ceux qu'il fit contre la loi sur l'enseignement supérieur, pour le scrutin de liste, sur la collation des grades universitaires et les jésuites, furent très remarqués.

L'influence de Jules Ferry, qui était en 1875 président de la gauche républicaine, grandissait chaque jour. Aussi, après la dissolution de l'Assemblée, tint-il une place considérable dans la Chambre des députés, où il fut envoyé par les électeurs de Saint-Dié (20 février 1876) et où une nouvelle gauche républicaine le désigna encore pour son chef. A partir de cette époque, il s'écarta de plus en plus du parti radical. Mais il n'en mena pas moins une campagne très vigoureuse contre la faction cléricale, dont il avait déjà maintes fois signalé les empiétements dans l'État sous l'ordre moral. C'est ainsi qu'après avoir prononcé un énergique discours contre les facultés catholiques et les jurys mixtes d'examen, il combattit de toutes ses forces la politique inaugurée le 16 mai 1877 par le maréchal de Mac-Mahon, fit partie du groupe des 363 et contribua pour une bonne part au triomphe de la cause républicaine lors des élections générales du 14 octobre suivant.

Réélu député à cette époque par le collège de Saint-Dié, il vota dans la nouvelle Chambre l'enquête demandée sur les agissements du ministère de Broglie, combattit le cabinet extra-parlementaire présidé par le général de Rochebouet (novembre 1877) et soutint en 1878 le ministère Dufaure, mais en s'efforçant de le pousser en avant. Après les élections sénatoriales du 5 janvier 1879, il somma le gouvernement, par l'ordre du jour du 20 janvier, d'orienter sa politique vers la gauche et notamment d'épurer le personnel administratif et judiciaire dans un sens nettement républicain. On sait que le maréchal de Mac-Mahon aima mieux se retirer que de céder au voeu des Chambres.

La République eut enfin (30 janvier 1879) un président républicain dans la personne de Grévy, qui, tout aussitôt, forma le cabinet Waddington (4 février), où Jules Ferry obtint le portefeuille de l'instruction publique et des beaux-arts. Le nouveau ministre présenta dès le mois de mars suivant deux projets de loi d'une grande importance : l'un était relatif à la réorganisation du conseil supérieur de l'instruction publique et des conseils académiques, d'où il éliminait tout élément ecclésiastique. Le second, qui eut beaucoup plus de retentissement, restituait à l'État le monopole de la collation des grades universitaires, supprimait les jurys mixtes, obligeait les élèves des établissements libres d'enseignement supérieur à prendre leurs inscriptions dans les facultés de l'État et enlevait le droit d'enseigner ou de diriger un établissement d'instruction à tout membre d'une congrégation religieuse non autorisée. Cette dernière clause, contenue dans l'article 7 du projet, valut à Jules Ferry un déchaînement de fureurs monarchiques et cléricales qui ne l'empêcha pas d'obtenir gain de cause à la Chambre des députés (16 juin-9 juillet), mais qui intimida une partie de la majorité républicaine du Sénat.

Jules Simon se posa ouvertement en adversaire de l'article 7. Le ministre ne céda pas. Maintenu en fonctions dans le cabinet Freycinet (28 décembre 1879), il vit l'article en question repoussé par la Chambre haute; mais il y suppléa par les décrets du 29 mars 1880 qui, au nom des lois existantes, prescrivaient la dissolution des congrégations non autorisées. En même temps, il présentait de nouveaux projets de loi établissant l'obligation et la gratuité de l'instruction primaire, au sujet de laquelle il accepta bientôt le principe de la laïcité absolue. Une agitation factice fomentée par le parti de l'Église à cette occasion amena le président du conseil à reculer et à se dérober aux conséquences des décrets. Freycinet s'étant retiré (23 septembre 1880), Jules Ferry lui succéda, sans quitter le ministère de l'instruction publique, fit exécuter les décrets (octobre-novembre) et pendant quelques mois au moins obtint qu'ils fussent respectés.

Jules Ferry était alors à l'apogée de sa popularité. Mais haï par le parti clérical, suspecté par le parti radical qu'il contrecarrait chaque jour davantage et parfois avec une certaine raideur, il n'allait pas tarder à la perdre par suite de l'opposition que lui valut sa politique étrangère. Préoccupé d'augmenter à bref délai, dans de larges proportions, la puissance coloniale de la France, il se jeta coup sur coup dans diverses entreprises qui surprirent le pays et finirent même, à tort ou à raison, par l'alarmer. Ce fut d'abord l'expédition de Tunisie, commencée en avril 1881 pour protéger la frontière orientale de l'Algérie contre les incursions des Khroumir et qui, malgré le traité de Kassar-Saïd (mai), obligea la France à un déploiement de forces considérables (dans le temps même où éclatait l'insurrection grave du Sud-Oranais) et rendit fort aigres ses relations avec l'Italie. 

Les élections générales du 21 août 1881 n'en furent pas moins très favorables au gouvernement républicain. Mais à la rentrée des Chambres le ministère n'obtint en faveur de sa politique qu'un ordre du jour assez équivoque et Jules Ferry crut devoir donner sa démission (10 novembre). Gambetta, qui lui succéda comme président du conseil, ne resta au pouvoir que deux mois et demi. Dès le 30 janvier 1882, un nouveau cabinet était constitué. Freycinet en prenait la direction et Jules Ferry rentrait au ministère de l'instruction publique.

Grâce à lui, la loi prescrivant la gratuité, l'obligation et la laïcité de l'instruction primaire (la plus précieuse conquête de la troisième République) fut enfin votée. Il travaillait encore à affranchir l'Université des derniers liens qui la rattachaient à l'Église et à restreindre l'influence du clergé dans l'enseignement, quand les complications causées par les événements d'Égypte amenèrent la chute de Freycinet, qu'il dut suivre dans sa retraite (29 juillet 1882). Mais il ne devait pas tarder à reparaître aux affaires. Les troubles qui suivirent la mort prématurée de Gambetta (31 décembre 1882) et la réputation de fermeté qu'il avait acquise lui valurent d'être rappelé au gouvernement le 21 février 1883 comme président du conseil. Il reprit le portefeuille de l'instruction publique, qu'il échangea au mois de novembre suivant contre celui des affaires étrangères. 

Son énergique attitude vis-à-vis des princes, qui recommençaient à s'agiter, le succès d'une grande opération financière (conversion du 5 % en 4,5%) qu'il fit voter en 1883, l'épuration de la magistrature, qu'il accomplit là même année par la suspension de l'inamovibilité, parurent un moment consolider son crédit. Une majorité compacte se groupait autour de lui dans le Parlement. Mais la politique coloniale allait cette fois lui être fatale. L'expédition du Tonkin (août 1883), qui, après quelques mécomptes, amena en somme assez rapidement l'occupation de ce pays, n'eût fait qu'accroître son autorité, si l'hostilité de la Chine, qu'il s'efforça longtemps de dissimuler ou de représenter comme un facteur négligeable, n'eût bientôt donné à cette guerre un caractère alarmant pour une nation qui, comme la France, voulait réserver toutes ses forces pour l'éventualité d'une lutte décisive contre l'Allemagne (L'Europe au XIXe siècle). 

Le guet-apens de Bac-lé (juin 1884) l'obligea d'entreprendre contre le Céleste-Empire des opérations navales et militaires qui eurent pour principal objectif l'île de Formose (Taïwan) et qui ne réussirent pas parfaitement. On disait que Jules Ferry ne faisait, en sommé, que le jeu de Bismarck. On lui reprochait, dans le temps où une partie des troupes françaises était employée dans l'extrême Orient, de tenter une nouvelle aventure à Madagascar, ou, par suite des menées de l'Angleterre, les droits que s'y arrogeait la France étaient méconnus. Les interpellations sur la politique extérieure se multipliaient dans les deux Chambres et devenaient de plus en plus vives. Des imputations injurieuses étaient lancées contre l'honorabilité du ministre. Les querelles motivées par la politique intérieure aigrissaient encore ces débats. Un parti nombreux demandait la révision de la constitution. Les réformes de détail auxquelles aboutit le tumultueux congrès de Versailles, en août 1884, furent loin de le satisfaire. Mais, en somme, tout s'effaça bientôt devant les préoccupations motivées par la politique étrangère. 

On accusait ouvertement le ministère de complaisances coupables pour l'Allemagne; on lui imputait le résultat négatif des interminables négociations amenées par les affaires d'Égypte; on voulait voir la fin des incidents de Madagascar et, plus encore, on souhaitait celle des démêlés provoqués par l'expédition du Tonkin. Jules Ferry obtenait encore fréquemment de nouveaux crédits pour la guerre d'Orient. Mais on lui reprochait d'avoir entraîné le Parlement à son insu ou malgré lui dans ces complications et de ne le mettre jamais qu'en présence de faits accomplis, pour lui forcer la main. Sa majorité s'émiettait et diminuait à vue d'oeil. Elle lui fit enfin défaut au moment même où il allait obtenir de la Chine un traité de paix reconnaissant à la France le protectorat du Tonkin et de l'Annam (L'Histoire du Vietnam). 

La nouvelle de l'échec de Lang-son et de la retraite précipitée des troupes françaises qui avaient un moment occupé cette ville, causa dans toute la France et surtout à Paris (29 mars 1885) un émoi extraordinaire. Jules Ferry s'abandonna pour ainsi dire lui-même. A la suite d'une séance orageuse ou les nouveaux crédits qu'il sollicitait lui furent refusés presque sans discussion et où une demande de mise en accusation fut déposée contre lui par Laisant et Delafosse, il donna sa démission (30 mars) et fut remplacé à la présidence du conseil par Henri Brisson.

Les esprits ne tardèrent pas à se calmer. Jules Ferry ne fut pas mis en accusation. Il alla voyager quelque temps en Italie, parvint à se faire réélire, au scrutin de liste, par le département des Vosges (4 octobre 1885), mais ne put jouer dans la nouvelle Chambre qu'un rôle fort effacé, tant sa personne et sa politique étaient discréditées. Il n'en conservait pas moins une grande influence sur le parti dit opportuniste. Il en usa pour démasquer et combattre de toutes ses forces le général Boulanger qui le provoqua bruyamment, en août 1887, pour l'avoir appelé en public « un Saint-Arnaud de café-concert ». Quelques mois plus tard, Grévy ayant dû démissionner, à la suite des affaires Wilson, on put croire un moment que Jules Ferry allait être appelé par le Congrès à la présidence de la République (3 décembre). Mais l'opposition du parti radical et l'attitude hostile de Paris l'écartèrent de cette magistrature. 

Son impopularité s'accrut encore à mesure que grandissait l'incroyable crédit du général Boulanger. Lors des élections générales du 14 octobre 1889, il ne parvint même pas à obtenir des électeurs de Saint-Dié, sa ville natale, le renouvellement de son mandat. Mais il a reparu depuis sur la scène politique, le département des Vosges l'ayant, en janvier 1891, envoyé au Sénat. Il a pris, en 1891 et 1892, une part importante aux travaux de cette assemblée comme président de la commission d'enquête sur l'Algérie et de la commission des douanes. (A. Debidour).

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