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Louis XV

Louis XV est un roi de France. Il est né à Versailles le 15 février 1710, et est mort à Versailles le 10 mai 1774, fils du duc de Bourgogne et de Marie-Adélaïde de Savoie. Il devint roi par la mort de son arrière-grand-père Louis XIV, le 1er septembre 1715, à l'âge de cinq ans et demi. Le conseil de régence, institué par le feu roi sous la présidence du duc d'Orléans son neveu, comprenait le duc du Maine et le comte de Toulouse, ses fils légitimés, le duc de Bourbon-Condé, arrière-petit-fils du vainqueur de Rocroi, le chancelier Voisin, les maréchaux de Villeroi, de Villars, d'Uxelles, de Tallard et d'Harcourt, les quatre secrétaires d'État et le contrôleur général. 
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Louis XV.
Louis XV, par Quentin de Latour (1748).

Le duc d'Orléans, qui voulait la régence sans condition, comme c'était, semble-t-il, son droit fondé sur la parenté, s'adressa non aux ducs et pairs dont il ne voulait pas subir le joug, mais au parlement de Paris qui avait déjà cassé le testament de Louis XIII. Il attesta que le roi lui avait dit en mourant : 

« Je vous recommande le dauphin. Servez-le aussi fidèlement que vous m'avez servi et travaillez à lui conserver son royaume. S'il vient à manquer, vous serez le maître et la couronne vous appartient. J'ai fait les dispositions que j'ai cru les plus sages, mais, comme on ne saurait tout prévoir, s'il y a quelque chose qui ne soit pas bien, on le changera. » 
L'Angleterre favorisait ce coup d'Etat : le parlement s'y prêta de bonne grâce (2 septembre), car le « régent » lui rendait le droit de remontrance. Le duc du Maine dut aussi, non sans une violente altercation, céder le commandement de la maison du roi. Le 12 septembre, conformément aux usages monarchiques, le jeune roi vint tenir un lit de justice où il confirma solennellement la régence du duc d'Orléans. Le 6 août 1718, ce fut encore Louis XV qui, dans un lit de justice tenu aux Tuileries sur la sollicitation des princes du sang, dépouilla de leurs prérogatives scandaleuses les princes légitimés et les fit descendre au rang de ducs et pairs. 

La Régence du duc d'Orléans

Louis XIV, avant de mourir, avait vu tous les siens descendre au tombeau : un enfant de cinq ans et demi était son héritier. 

Il avait réglé par son testament l'administration de l'État durant la minorité de son arrière-petit-fils; mais le parlement cassa cet acte et déféra tous les droits de la régence au premier prince du sang, le duc d'Orléans. Ce prince confia le gouvernement du pays à Dubois, bientôt cardinal, qui se fit pensionner par l'Angleterre. La politique de Louis XIV fut abandonnée. Le roi d'Espagne ambitionnait pour lui-même la régence de France et essaya de la saisir par la conspiration de Cellamare en 1718. Le duc d'Orléans se défendit contre cette attaque en recherchant l'alliance des Anglais, et, pour prix de leur amitié, sacrifia la marine française.

Désordres des finances.
Louis XIV avait laissé une dette de près de deux milliard et demi et un déficit
annuel de soixante-dix-huit millions. On ordonna une refonte des monnaies qui produisit soixante-dix millions, la révision des mauvaises créances qui obligea les financiers dont l'État, dans les mauvais jours, avait subi les lois usuraires à restituer deux cent vingt millions, sur lesquels les courtisans ou les roués, comme on appelait les amis du régent, ne laissèrent arriver que quinze millions, au trésor. Toutes ces mesures n'étaient que des expédients temporaires et, comme on le voit peu productifs pour l'État.

Révolution financière de Law. 
L'Écossais Law prétendit ouvrir une source nouvelle de richesses. Il fonda, en 1716, une banque par actions, qui escompta à bas prix les billets des négociants, facilita par là le commerce et fit elle-même d'excellentes affaires. Aussi ses actions furent-elles vivement recherchées.

Mais à sa banque, devenue en 1718 Banque royale, Law ajouta une Compagnie à laquelle il fit attribuer le privilège exclusif du commerce de la Louisiane et du Mississippi. Son premier succès fit croire au second; on se promit des merveilles de l'exploitation de la Louisiane, et telles furent les folles espérances placées sur cette entreprise que des actions de cinq cents livres furent achetées dix, vingt, trente et quarante fois leur prix. Ce jeu extravagant devait conduire à une catastrophe. Law, voyant l'engouement public, crut pouvoir faire impunément des émissions si considérables de ces actions (pour un milliard six cent soixante-quinze millions), que la confiance se perdit. Bientôt, les profits espérés n'arrivant pas, tout croula. Pour sauver la Compagnie, Law la réunit à la Banque. Ce fut la perte de l'une et de l'autre. Les détenteurs de billets voulurent tous à la fois être remboursés, la banque tomba, et il n'y eut pas dans le royaume une fortune qui ne fût ébranlée ou détruite. Des mendiants devinrent millionnaires, des princes furent ruinés. Ce qui était plus grave, ce fut la démoralisation produite par ces changements soudains et le goût d'un luxe insensé, résultat de ces gains illégitimes. Law mourut à Venise dans la misère. Les banques modernes ont réalisé la partie la plus raisonnable de son plan.

Les ministère du cardinal de Fleury

Dubois et le régent, qui avait pris le titre de premier ministre à la majorité de Louis XV, moururent la même année (1723), à quelques mois d'intervalle. Le roi s'était attaché, ou habitué, à son précepteur Fleury, évêque de Fréjus, qu'on s'attendit à voir premier ministre. Mais Fleury préféra user d'abord le duc de Bourbon qui gouverna trois ans, sans autre événement que le mariage de Louis XV avec la fille de l'ancien roi de Pologne, Stanislas Leszczynski.

L'évêque avait soixante-treize ans quand, après le renvoi de « Monsieur le duc », il s'installa au pouvoir où il eut aussitôt la pourpre et devait rester dix-sept ans, jusqu'à sa mort. Ce long ministère allait être la moins mauvaise époque du règne.

Le roi.
Louis XV avait été un enfant charmant. Le premier malheur des princes est souvent leur éducation. Très bien instruit par l'évêque de Fréjus et l'autre Fleury, l'honnête auteur de l'Histoire ecclésiastique, il fut moins élevé que gaté par son gouverneur, le maréchal de Villeroy. Lui montrant la foule qui se pressait au jardin des Tuileries : 

« Voyez, mon maître, lui disait le vieux maréchal, tout ce peuple est à vous. »
L'enfant en fut persuadé. Devenu homme, il se contenta assez longtemps d'être beau. Sa beauté, tant qu'elle dura, lui tint lieu de toutes les vertus. « Pas une femme qui n'en fût amoureuse. » (Michelet).

A chacune de ses maladies le peuple tout entier s'émut. Quand il prit publiquement des maîtresses et, comme par défi, dans la même famille (les quatre soeurs de Nesles), sa popularité résista au scandale. Quand il tomba malade, en 1744, à Metz, entre deux de ces dames, la duchesse de Châteauroux et Mme de Lauraguais, la France fut bouleversée. Guéri, on le surnomma le « Bien-aimé ». Ce bon peuple ne se détachera qu'aux misères de la guerre de la succession d'Autriche et aux hontes de la guerre de Sept ans.

Il ne manquait ni d'intelligence ni de courage; mais il était aussi paresseux que corrompu. Il laissa gouverner Fleury comme, plus tard, Mme de Pompadour, Bernis et Choiseul. Le mérite du gouvernement de Fleury revient tout entier au vieux cardinal.

Fleury. 
Le cardinal de Fleury s'appliqua à faire vivre la France en paix, pour réparer le désordre des finances. Mais tous les ressorts du gouvernement se détendirent sous la main de ce ministre octogénaire, qui, par une fausse économie, acheva de laisser dépérir les ressources navales de la France.

Guerre pour la succession de Pologne (1733-1735).
Ce règne eut une guerre peu importante et deux autres plus sérieuses. La première, pour le rétablissement de Leczinski sur le trône de Pologne, fut marquée par les victoires de Parme et de Guastalla (1734); la paix de Vienne céda la Lorraine au beau-père de Louis XV, à condition que cette province ferait retour à la France après sa mort.
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Louis XV.
Louis XV, par Rigaud (1730, détail).

Guerre pour la succession d'Autriche (1740-1749).
La seconde guerre fut entreprise pour dépouiller Marie-Thérèse d'Autriche; elle ne profita qu'au roi de Prusse, Frédéric II, malgré la prise de Prague par les soldats français en 1741, et les victoires de Fontenoy (1745), de Raucoux (1746) et de Lawfeld (1747), que remporta le maréchal de Saxe. Louis XV, maître des Pays-Bas, grâce à ces succès, ne sut pas les garder. Il ne voulait pas faire, disait-il, la paix en marchand, mais en roi. Il rendit ses conquêtes, et la France ne gagna pas un pouce de terre à sept années de combats. Fleury n'avait pas vu la fin de cette guerre : il était mort en 1743, âgé de quatre-vingt-neuf ans, désespéré, discrédité et pauvre.

Le gouvernement de Louis XV

Louis XV, après la mort de Fleury, déclara qu'il allait gouverner par lui-même. Quelques-uns des ministres, les deux frères d'Argenson, l'un à la Guerre, l'autre aux Affaires étrangères, le chancelier d'Aguesseau, étaient des hommes de valeur; mais le roi écoutait plus volontiers le cardinal de Tencin, qui n'avait de son protecteur Dubois que les vices, et le duc de Richelieu, le plus brillant et le plus frivole des courtisans. 

A cette époque, les Parlements sont exilés à la moindre velléité d'indépendance; les titres de la monarchie s'oublient parmi la corruption et la misère grandissantes; le roi, en continuel déplacement de la cour, ne vit que pour les plaisirs, chasse, jeu - « un jeu qui n'a plus de bornes », - spectacles, soupers, si bien qu'il se fait dire par un ambassadeur que son genre d'existence ne lui laisse pas une heure pour les affaires publiques.

Si l'on rencontre encore quelques bons « commis » dans les ministères, ils ne font plus que passer  » comme des décors d'opéra », ou ils sont renvoyés dès qu'ils
font preuve d'un peu de courage, - tels Machault pour avoir voulu soumettre à l'impôt du vingtième les 250 millions de revenus du clergé; Orry pour avoir refusé sa signature à des marchés des frères Pâris. Enfin la politique du royaume est conduite à découvert par la maîtresse en titre, depuis 1745 par Jeanne-Antoinette Poisson, fille et femme de « vivriers »  (munitionnaires, fournisseurs des armées), promue marquise de Pompadour.

 Mme de Pompadour.
« Espèce de seconde reine», dit le prince de Ligne. Elle nomme et révoque les ministres, décide des alliances, dépense sans compter (12 millions rien que pour ses bâtisses), trafique des emplois. Si elle trouve grâce auprès des artistes, qu'elle emploie, et des philosophes, qu'elle a l'habileté de protéger, elle est également détestée des nobles pour la bassesse de son extraction, - elle est la première maîtresse roturière, - et du peuple pour l'insolence de son luxe qui provoque des manifestations violentes au passage des carrosses de la cour. Cependant elle se maintient vingt ans, jusqu'à sa mort, où elle sera si honteusement remplacée qu'on la regrettera.

Guerre dite de Sept ans (1756-1763).
Cependant l'activité de la France se déployait au loin. Le commerce renaissait, les colonies étaient florissantes, et un officier de la Compagnie des Indes, Dupleix, semblait sur le point de s'emparer de l'Inde. L'Angleterre s'en émut. Sans déclaration de guerre, elle enleva, trois cents navires français. La France devait concentrer toutes ses forces sur la guerre maritime; elle se laissa entraîner à une guerre continentale. Alliée de la Prusse dans la guerre précédente, elle devint son ennemie, parce que l'impératrice Marie-Thérèse humilia sa fierté jusqu'à flatter une favorite, la marquise de Pompadour. Cette faute eut des conséquences désastreuses. On ne fit bien la guerre ni sur terre ni sur mer. Frédéric II battit les Français à Rossbach. Trente-sept vaisseaux, cinquante frégates furent pris ou détruits, les colonies de la France furent perdues, son commerce fut ruiné. Quelques succès du maréchal de Broglie et la conquête de Minorque par le duc de Richelieu ne furent pas une compensation.

Les résultats de cette guerre furent la grandeur de la Prusse, que Frédéric II éleva au rang des premières puissances de l'Europe, et celle de l'Angleterre, à qui Louis XV, par le traité de Paris (1763), céda le Canada avec toutes ses dépendances, une partie des Antilles, le Sénégal, presque toutes les possessions françaises de l'Inde. La cession de la Louisiane à l'Espagne, en 1769, fut une suite de ce traité.

Impéritie des généraux; courage des soldats. 
Ces revers étaient dus à l'impéritie des généraux que leur naissance, comme le comte de Clermont, ou la faveur, comme le prince de Soubise, et non leur mérite, appelait à la tête des armées. Les régiments s'achetaient, et les nobles seuls étaient officiers. C'est à peine si, à force de courage, quelques roturiers passaient. 

Dans les mauvais jours de Louis XIV, les soldats avaient montré des qualités plus difficiles que le courage. « Ils n'ont que quart de ration, dit Villars, et sans se plaindre. » A Malplaquet, ils n'avaient pas mangé depuis vingt-quatre heures; on leur fait une distribution de pain, mais la charge sonne : ils jettent le pain pour courir plus légèrement au combat. Devant Port-Mahon, en 1756, beaucoup s'enivraient : le maréchal de Richelieu déclare que ceux qui se mettraient dans cet état ne seraient pas commandés le jour de l'assaut. Personne ne s'enivra plus. A l'attaque du fort d'Exilles, en 1744, les grenadiers sautèrent dans la place par les embrasures pendant le recul des pièces.

Acquisition de la Lorraine et de la Corse. 
Deux provinces furent cependant sous ce règne ajoutées au royaume : la Lorraine, qui revint à la France en 1766, après la mort de l'ancien roi de Pologne, Leczinski, à qui l'Autriche l'avait cédée en 1737, et la Corse, qui fut, en 1768, abandonnée aux Français par Gênes. Napoléon y naquit l'année suivante. Mais ces acquisitions faites sans gloire n'effaçaient pas l'humiliation du traité de Paris.
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Éclat des lettres et progrès des sciences

Pendant que la France rougissait de ce règne, les lettres et les sciences prenaient un formidable essor : Buffon, Clairaut, Réaumur, Jussieu, Lavoisier, Lagrange, Laplace, renouvelaient les sciences; Condillac, la philosophie; Quesnay, Gournay, Turgot, fondaient l'économie politique; Fontenelle, Diderot, d'Alembert, Raynal, Helvétius, Condorcet, Bernardin de Saint-Pierre, Lesage, Beaumarchais, portaient sur toutes choses un esprit nouveau. 

Une immense activité intellectuelle agitait le pays; et si la France n'avait plus en Europe la prépondérance politique, elle y avait la suprématie littéraire : l'Europe entière lisait ses livres. Les rois mêmes subissaient l'influence de ses idées et courtisaient le vrai roi du siècle, le défenseur de Sirven, de la Barre et de Calas, l'écrivain universel qui. composait la Henriade, Zaïre et le Siècle de Louis XIV, l'homme, en un mot, duquel il a été dit le plus de bien et le plus de mal, Voltaire

Montesquieu, tout à la fois moins audacieux et plus précis, comparait les législations, et montrait l'Angleterre avec ses libertés politiques comme le modèle à suivre. Un esprit plus aventureux, Rousseau, aussi éloquent qu'il était paradoxal, prenait la société tout entière à partie dans l'Émile, dans la Profession de foi du Vicaire savoyard, dans le Contrat social.

Le ministère du duc de Choiseul

L'aveu de Bernis.
L'un des auteurs de la guerre, Bernis, avant de céder la place à Choiseul et de recevoir en échange le chapeau de cardinal, avait tracé ce tableau du royaume :
« Tout exige que nous sortions du précipice où nous descendons à pas de géants. Nous n'avons plus d'armées, l'autorité languit, le nerf intérieur est entièrement relâché. Les fondements de l'Etat sont ébranlés de toutes parts. Notre marine est détruite, les Anglais se promènent sur nos côtes et les brûlent. Le commerce maritime, qui faisait entrer 200 millions par an, n'existe plus. Nous sommes réduits au rang des secondes puissances en Europe. »
Attentat de Damiens. 
Le roi sentait maintenant la haine de ce peuple qui l'avait si naïvement aimé. Il évitait Paris, le contournait par le Chemin de la Révolte. Au commencement de 1757 (l'année qui finira par Rossbach), un ancien domestique, Damiens, le frappa dans le dos d'un coup de canif. Interrogé sur le mobile de son crime-
«C'est pour la religion. Le peuple périt. Mon principe [= mon motif], ce fut la misère qui est aux trois quarts du royaume.» 
Son supplice fut atroce on lui brûla d'abord la main droite qui avait tenu le couteau, puis il fut tenaillé, enfin écartelé à six chevaux.

Misère du royaume
La misère, qui avait poussé ce malheureux, s'était terriblement accrue pendant la guerre. Dans plusieurs provinces, et des plus riches, Touraine, Ile-de-France, « les hommes mangeaient de l'herbe comme des moutons et crevaient comme des mouches » (entretien de l'évêque de Chartres avec le roi, dans les Mémoires d'Argenson). Dans les Flandreset dans les provinces de l'Ouest, « la quantité des pauvres surpassa celle des gens qui pouvaient vivre sans mendier ».

Il y eut des émeutes, en Normandie, en Guyenne, en Dauphiné, en Auvergne.
Ce n'était plus, écrit encore d'Argenson, le sentiment triste de la misère; c'était le désespoir qui possédait les pauvres habitants. Ils ne souhaitaient que la mort et évitaient de peupler. 

Paris « fourmillait de mendiants » ; de même Lyon, Rouen. Au faubourg Saint-Antoine, en dix jours d'hiver, plus de 800 malheureux moururent de faim et de froid (récit du vicaire de Sainte-Marguerite).

Ouvriers et paysans émigraient en tas. « Le quart du sol resta en friche » ; en Touraine, en Poitou, en Berry, des solitudes de 30 000 arpents (Théron de Montaugé, cité par Taine). en Sologne, plus rien qu'un immense marécage. Les femmes n'ayant plus de lait, tous les enfants mouraient.

Le duc de Choiseul. 
Mnistre énergique et volontariste, le duc de Choiseul signa contre l'Angleterre, en 1761, le pacte de famille entre les Bourbons de France, d'Espagne et de Naples. Choiseul réorganisa l'armée, fit fleurir ce qui restait à la France des colonies, et créa une nouvelle marine. Il aurait voulu contenir à la fois les deux puissances les plus ambitieuses et les plus menaçantes pour l'Europe : la Russie, en s'opposant au partage de la Pologne; l'Angleterre, en excitant le mécontentement des colonies anglaises d'Amérique. Enfin, pour l'intérieur, il avait des projets de réformes. Il laissa le parlement condamner, en 1762, les jésuites et dissoudre leur société. Les couvents lui semblaient trop nombreux et il regardait l'immunité d'impôt accordée à l'Église pour ses biens comme un privilège dont la suppression aiderait à rétablir les finances délabrées de l'Etat. 

Renvoi de Choiseul
Choiseul fut accusé près du roi d'exciter les magistrats. Il avait perdu avec Mme de Pompadour une protectrice fidèle. Deux de ses collègues, le chancelier Maupeou et le contrôleur général Terray, lièrent partie contre lui avec la nouvelle maîtresse en titre du roi. C'était une fille de mode, Jeanne Bécu, devenue, après une existence de galanteries, comtesse du Barry (1770)..

Louis XV s'était déjà inquiété de la diplomatie de Choiseul, la trouvant trop aventureuse ou trop fière. Un billet très sec lui enjoignit de se rendre, dans les vingt-quatre heures, à son château de Chanteloup (décembre 1770).

La cour, les philosophes et le peuple de Paris transformèrent l'exil de Choiseul en triomphe.

Le « Pacte de famine ». 
Louis XV, amusé par la Du Barry, la laissa jouer à la Maintenon, faire et défaire les ministres. Malgré l'épuisement du Trésor, elle reçut 300 000 livres par mois.

Le Pacte de famine est une légende des haines populaires qui grossissent les choses; mais Louis XV fut notoirement intéressé dans une société suspecte pour l'achat et la revente des grains.

La Du Barry fit donner à d'Aiguillon le ministère des Affaires étrangères auquel il
joignit bientôt la Guerre; Maupeou garda les Sceaux et Terray les Finances. On les appela les Triumvirs.

Le triumvirat de Maupeou, d'Aiguillon et Terray 

Banqueroute, pacte de famine, lettres de cachet. 
L'abbé Terray, qui regardait « le peuple comme une éponge qu'il faut pressurer », ne trouva d'autre remède pour réduire la dette de l'État qu'une banqueroute. Cette banqueroute survenant au milieu de disettes artificiellement produites par le pacte de famine, porta au comble le mépris et la haine pour un gouvernement si coupable. Aux clameurs qui s'élevaient de toutes parts, Terray répondait froidement : 
« Le roi est le maître; la nécessité justifie tout. »
Il n'en laissa pas moins subsister un déficit de vingt-cinq millions. Si les impôts, doublés depuis 1715, excitaient des murmures, les lettres de cachet, qui chaque jour se multipliaient d'une effrayante manière, faisaient naître bien des colères, car elles livraient la liberté des citoyens aux riches et aux puissants qui avaient une passion à assouvir ou une vengeance à satisfaire.

Destruction des parlements. 
Vers ce temps, le roi brisa les parlements, instruments utiles, même avec leurs résistances (1771). Dès lors, il n'y eut plus dans l'État place pour la seule opposition, respectueuse et timide, qui pût légalement se montrer. Richelieu et Louis XIV avaient détruit l'importance politique de la noblesse; Louis XV détruisait le grand corps de la magistrature. Qu'allait-il donc rester pour étayer le vieil édifice et couvrir le monarque?

Partage de la Pologne. 
Pour d'Aiguillon, il ne sut qu'assister au plus grand crime du siècle à son déclin : le premier partage de la Pologne (1772) entre Frédéric qui en avait eu l'idée, Marie-Thérèse et Catherine. Désormais « l'Europe est en état de péché
mortel » (abbé Gratry).

Sa politique ne fut guère moins misérable en Orient où il laissa le champ libre
aux Russes contre les Turcs. Toutefois un ambassadeur intelligent, Vergennes, aida à sauver la Suède d'un projet de partage déjà ébauché entre la Russie et la Prusse.

Mort de Louis XV.
A ce point, le plus bas où soit tombée la royauté depuis Charles VI. Louis XV mourut de la petite vérole, à soixante-quatre ans, après en avoir régné cinquante-neuf. (H. Monin / J. Reinach).



Michel Antoine, Louis XV, Hachette Pluriel, 2006. - Louis XV? Un méconnu énigmatique, difficile à cerner en raison de son caractère anxieux, timide et secret. Malgré la prospérité du pays, son long règne (1715-1774) fut une tragédie feutrée. Dans son dessein de créer un État moderne, Louis XV a été entravé par des contraintes séculaires et surtout s'est heurté à l'obstruction de la magistrature visant à imposer le gouvernement des juges. Sa mort inopinée empêcha son oeuvre de régénération de la monarchie de s'enraciner et de porter les fruits qui eussent sans doute épargné le sang et les larmes de la Révolution. (couv.).
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