Le général Foy vu par Villemain « Ayant à peine dépassé le milieu de la vie, quoique d'apparence moins jeune que son âge, non pas fatigué ou refroidi, mais cicatrisé par la guerre, le général Foy, avec son front large et chauve, où retombaient de loin quelques mèches de cheveux blanchis, son profil ouvert et martial, et surtout le feu incessamment mobile de ses regards, portait en lui une sorte de fascination, de séduction impérieuse, donnée bien rarement à l'homme de tribune, et sous laquelle j'avais vu souvent ailleurs s'incliner l'esprit de parti, et se courber en frémissant l'intolérance politique. Par moments, sur ce visage sévère et fier, et aux deux coins de cette bouche expressive, passait un sourire à glacer l'improvisateur le plus confiant ou le plus modestement résigné aux vicissitudes de la parole. Promptitude d'esprit et hauteur d'âme, merveilleuse facilité à. tout saisir, impatience naturelle de toute lenteur et de toute faiblesse dans autrui, c'était, au premier abord, la disposition imminente et comme l'irrésistible instinct du général Foy. Déjà cependant la fatigue de cinq ans de tribune, succédant à plats de vingt ans de guerre continue, était fort sensible en lui, et mêlait par moments une impression de souf france à cette parole vibrante et forte, à cette intonation toujours émue et rapide, où semblaient retentir les battements trop précipités de son noble coeur. Depuis son entrée dans la vie sédentaire, ou, comme il disait, dans la rude milice de la Tribune, nul n'avait appliqué à l'examen approfondi des questions et à l'art de les exposer un travail plus ardent et plus opiniâtre. Malgré les heureux accidents de sa parole soudaine, ses discours le plus librement, le plus hardiment jetés, étaient le fruit d'une laborieuse préparation. Il disait parfois avec, modestie qu'il était obligé de suppléer ainsi à ce qui lui manquait d'art et de science acquise; mais en réalité il ne faisait là que ce que veut la perfection même de l'art en si haute matière. Seulement, par la vivacité de sa nature, le travail solitaire, la préparation le consumait, comme la lutte même. Fortement étudié dans tous les documents matériels, médité longtemps, dicté avec ardeur, déclamé à quelques oreilles amies, et souvent à sa noble et spirituelle femme, chacun de ses discours était aussi un rude et passionné labeur qui se reprenait et s'achevait enfin à la Tribune, où le général ne récitait pas de mémoire, mais retrouvait, d'instinct et d'enthousiasme tout l'ordre de ses pensées, ses mouvements, ses images, suppléant de verve à ce qui pouvait manquer encore, ou paraître trop faible dans le feu de l'action même. » (Villemain, Souvenirs contemporains, tome 1er : La Sorbonne en 1825 ; Démosthène et le général Foy). |