| La Restauration, d'abord bien accueillie, parce qu'elle promettait la paix et que la France était lasse des guerres continuelles de l'Empire, n'avait pas tardé, par inexpérience politique et par son obstination à reprendre les conquêtes définitives de la Révolution, à causer dans tout le pays les plus graves mécontentements. Elle avait tour à tour indisposé les Chambres, dont la majorité lui était pourtant dévouée, irrité l'armée en mettant un grand nombre d'officiers en demi-solde, en tenant en disgrâce les généraux les plus illustres, en exilant de Paris les corps d'élite; inquiété la bourgeoisie et les paysans en favorisant les réclamations des émigrés sur les biens nationaux. Tous les mécontents tournaient les yeux vers l'île d'Elbe où Napoléon tenu, jour par jour, au courant des événements de France et des discussions du Congrès de Vienne, songeait à tirer parti aussi bien de l'impopularité croissante des Bourbons que des divisions des puissances alliées. Lorsqu'enfin il fut assuré du concours effectif de l'armée, et qu'il eut reçu de Fleury de Chaboulon les instructions décisives des chefs du parti bonapartiste, trompant la surveillance, peu sévère d'ailleurs, dont il était l'objet de la part du gouvernement de Louis XVIII, il s'embarqua le 27 février 1815 à Porto-Ferrajo et, avec une petite armée de 1100 hommes environ, s'en fut audacieusement reconquérir son trône. Débarqué le 1er mars au golfe Juan, près de Cannes, après avoir tenté sans succès de s'emparer d'Antibes, il se dirigea sur Grenoble à travers les Alpes. Arrivé le 2 mars à Grasse, il passait à Digne d'où il lançait des proclamations à l'armée et au peuple français, à Sisteron, à Gap, recrutant des soldats sur son chemin, à Vizilles, où il enrôlait toute une compagnie du 5e de ligne envoyée pour le combattre (7 mars) et parvenait le 8 devant Grenoble. Le colonel Labedoyère lui amena son régiment et il fit dans la ville une entrée triomphale, aux applaudissements du peuple. Aussitôt, il décrète que tous les actes du gouvernement seront désormais intitulés de son nom et de ses formules et il organise les gardes nationales des cinq départements des Hautes-Alpes, des Basses-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence), du Mont-Blanc (Haute-Savoie), de la Drôme et de l'Isère. Premier Empire (2e partie) : le retour de la revanche... Cependant, la nouvelle du débarquement de Bonaparte était arrivée le 6 mars à Paris où elle ne troubla pas beaucoup la sécurité du gouvernement qui, le 7, publiait une note assez bizarre pour annoncer au peuple « que le tyran s'était évadé de l'île d'Elbe à la tête d'un ramassis d'Italiens et de Polonais et qu'il périrait bientôt comme un rebelle afin de mettre le dernier sceau à la Restauration.-» On prit néanmoins quelques mesures. Le comte d'Artois partit pour Lyon, le duc de Bourbon pour l'Ouest, ordre fut donné au duc d'Angoulême alors à Bordeaux, de se rendre à Toulouse, Nîmes et Marseille. On organisait ainsi la résistance dans la Vendée, dans le Midi et dans le Centre. Le duc de Berry s'attacha à gagner la confiance de la garnison de Paris et fréquenta assidûment les casernes, sans succès d'ailleurs. Les Chambres furent convoquées et, hésitant entre la monarchie et l'Empire, ne prirent aucune initiative. Le conseil municipal, les corps constitués, quelques généraux signèrent d'ardentes adresses au roi. Ney parla de ramener Napoléon dans une cage de fer. On s'agita, on multiplia les revues de la garde nationale, les processions de drapeaux; on mit hors la loi Bonaparte. En somme, on perdit beaucoup de temps en paroles et en discussions futiles. Napoléon se présenta le 10 mars 1815 devant Lyon; la garnison fit défection et il fit son entrée aux cris de « Mort aux Bourbons, mort aux royalistes, mort aux prêtres! » Le comte d'Artois, le duc d'Orléans et le maréchal Macdonald durent s'enfuir précipitamment. Napoléon lance tout de suite une série de décrets pour dissoudre les Chambres, pour convoquer les collèges électoraux en assemblée extraordinaires du Champ de Mai afin de modifier la constitution et assister au couronnement de l'impératrice, pour expulser les émigrés rentrés en France pendant la Restauration, pour abolir la noblesse et les titres féodaux, pour détruire les nominations et promotions faites par Louis XVIII. On commença alors à se rendre compte à Paris de la gravité des événements. Le portefeuille de la guerre fut retiré au maréchal Soult et donné au duc de Feltre, on procéda à une hécatombe de fonctionnaires. On comptait beaucoup sur Ney, envoyé à la tête du corps d'armée de Besançon. Mais pressé par les émissaires de Napoléon, il passa tout à coup de son côté et lui conduisit toutes ses troupes à Auxerre. Napoléon s'avança alors rapidement sur Paris; il quitta Auxerre le 18 mars au soir, le 19 il était à Fontainebleau. A la cour, on entassait toujours projets sur projets, tous plus impraticables les uns que les autres. La désorganisation s'accentuait, la noblesse commençait à déserter Paris. Louis XVIII songea un moment à attendre Napoléon, il disait : « Je resterai aux Tuileries; je veux voir en face l'homme qui prétend s'asseoir sur mon trône. Je compte toujours sur mon peuple après l'accueil que j'en ai reçu. » Louis XVIII dut se résigner à fuir dans la soirée. Arrivé à Lille le 22 mars 1815, il passa ensuite à Dunkerque, puis à Ostende, et enfin s'établit à Gand. Napoléon s'installa aux Tuileriesdans la soirée du 20 mars. Il s'occupa aussitôt d'organiser un gouvernement et il y éprouva de nombreuses difficultés. Il dut compter avec le parti républicain, qu'on appelait alors le parti patriote. Carnot fut créé comte et nommé ministre de l'intérieur; Fouché eut la police, Caulaincourt les affaires étrangères, Cambacérès la justice, Gaudin les finances, Mollien le trésor, Davoust la guerre, Décrès la marine, Maret la secrétairerie d'État, La Valette les postes, encore fallut-il supplier la plupart des titulaires de ces portefeuilles qui les acceptèrent à regret, comme s'ils eussent pressenti la destinée lamentable du nouveau règne. Napoléon, étrangement changé, se montrait bienveillant pour tous, amis et ennemis, mandait Benjamin Constant qui avait publié contre lui un article des plus violents dans le Journal des Débats, quelques jours avant le départ du roi, le chargeait d'élaborer une nouvelle constitution et prononçait des paroles libérales. « Des discussions publiques, des élections libres, des ministres responsables, la liberté de la presse, je veux tout cela; la liberté de la presse surtout; l'étouffer est absurde. » Ainsi contraint de subir la réaction libérale qui avait suivi le despotisme de l'Empire, il ne put ressaisir une forte dictature qui peut-être l'eût sauvé. Il eut à lutter d'abord contre la résistance des provinces royalistes. La duchesse d'Angoulême avait organisé la lutte dans la Gironde. Le 28 mars, le général Clauzel se dirigeant sur Bordeaux mit en déroute cinq cents volontaires royaux qui lui disputaient le passage à Saint-André-de-Cubzac. Madame essaya d'entraîner la garnison de Bordeaux qui fit défection et elle fut obligée de signer une capitulation le 1er avril. De son côté, le duc d'Angoulême après avoir formé une armée à Marseille et à Nîmes, s'était dirigé le 25 mars sur Valence. Après avoir remporté quelques succès sur les troupes du général Debelle, il dut s'arrêter le 7 avril, puis revenir sur ses pas. Le 9 avril, il capitulait à La Palud. Il fut retenu quelques jours prisonnier par le général Grouchy, puis mis en liberté par ordre de l'empereur. Le 10 avril le Midi était pacifié; des salves d'artillerie annoncèrent que dans toute la France l'Empire était rétabli. Nouveaux bruits de bottes. Cependant, les puissances étrangères refusaient toute relation avec le gouvernement de Napoléon. Elles avaient signé le 13 mars 1815, à Vienne, une déclaration par laquelle elles le mettaient hors la loi et « s'engageaient à mettre sur pied toutes leurs forces contre Bonaparte et sa faction afin de le réduire désormais à l'impuissance de troubler le repos de l'Europe. » Elles réunirent contre lui trois armées, d'ensemble 800000 hommes, sous les ordres de l'empereur Alexandre, du prince de Schwarzemberg, du duc de Wellington et du feld-maréchal Blücher; les opérations devaient commencer en juin. Napoléon fit rapidement ses préparatifs pour résister à cette formidable coalition et il réussit à lever sur la France épuisée une armée de 276000 hommes. Il chercha d'abord à négocier et surtout à détacher de la Sainte alliance l'Autriche, puis la Russie, mais tous ses diplomates furent arrêtés aux frontières. L'impératrice Marie-Louise qu'il avait mandée ne lui répondit même pas et refusa de lui rendre son fils, Tous ces événements jetèrent dans le public de tristes appréhensions. Il se produisit des protestations contre l'Empire. On manquait surtout de confiance. Beaucoup de fonctionnaires se ménageaient des intelligences avec le précédent gouvernement. Fouché trahissait impudemment, répétait partout en parlant de l'empereur : « Cet homme est revenu plus fou qu'il n'était parti. Il s'agite beaucoup, mais il n'en a pas pour trois mois. » Le 25 avril 1815 paraissait l'acte additionnel aux constitutions de l'Empire, instituant une Chambre des pairs, et une Chambre des représentants dont les membres étaient élus par des collèges peu différents de ceux du premier empire. Cet acte qui rappelait beaucoup trop la Charte de Louis XVIII fut fort mal accueilli. Les élections à la Chambre furent mauvaises pour l'empereur. Les députés furent en majorité républicains, ou royalistes constitutionnels. Le 1er juin eut lieu la cérémonie théâtrale du Champ de Mai. Napoléon prêta serment à la constitution et reçut, au milieu d'acclamations enthousiastes, les serments de l'armée et des Chambres. Le 7, il ouvrit la session du Parlement qui lui manifesta aussitôt sa défiance. Il ne reste plus guère à Napoléon que l'armée. II part avec elle, le 12, pour combattre la coalition sur les frontières du Nord, et il est vaincu à Waterloo, le 18 juin 1815. Il revient précipitamment à Paris avec l'intention de demander la dictature et une levée en masse. La Chambre des représentants réclame nettement son abdication. Lucien veut tenter un coup d'État. « Hélas! répondit l'empereur, je n'ai que trop osé! » Le 22 avril 1815, il abdiquait en faveur de son fils, Napoléon II. La Chambre nomma alors un gouvernement provisoire composé de cinq membres trois représentants et deux pairs; Fouché fut élu président de cette commission qu'il trahit en traitant secrètement avec Louis XVIII. Napoléon, après s'être retiré quelques jours à la Malmaison où on le fit surveiller étroitement de peur d'un coup de tête, dut en partir le 29, pressé par la commission provisoire qui trouvait son voisinage trop dangereux. Il se rendit à Rochefortd'où il espérait pouvoir s'embarquer pour l'Amérique. Une flotte anglaise gardait les passes, et comme il reçut de Paris l'ordre de quitter immédiatement la France, il se livra le 15 juillet aux Anglais et le 7 août fut emmené à Sainte-Hélène. - L'abdication de Napoléon à Fontainebleau, par F. Bouchot. Cependant Louis XVIII, qui avait reconstitué à Gand sa cour et son gouvernement, était resté en relations diplomatiques avec les puissances qui n'avaient pas cessé de le reconnaître comme le souverain légitime de la France. Averti par Fouché de la marche des événements et des intrigues nouées pour que rien ne s'opposât à sa restauration, il s'approcha de Paris. La commission gouvernementale n'avait pu traiter avec les alliés; le 3 juillet 1815 elle signait à Neuilly, avec Blücher et Wellington, une suspension d'armes. L'armée française dut se retirer au delà de la Loire. Blücher entra alors à Paris (7 juillet, il cerna, aux Tuileries, le gouvernement provisoire qui se démit de ses fonctions. La Chambre des pairs se dispersa sans résistance. On ferma les portes du Palais-Bourbon où les représentants se bornèrent à protester contre la force brutale. Le 8 juillet Louis XVIII faisait son entrée dans Paris occupé par les troupes étrangères. (R. S.). - La solitude de Napoléon à Fontainebleau (Avril 1814) « Chaque jour il voyait la solitude s'accroître autour de lui. Il trouvait tout simple qu'on le quittât, car ces militaires qui l'avaient suivi partout, le dernier jour excepté, devaient être pressés de se rallier aux Bourbons, pour conserver des positions qui étaient le juste prix des travaux de leur vie. Il aurait voulu seulement qu'ils y missent un peu plus de franchise,- et, pour les y encourager, il leur adressait le plus noble langage. - Servez les Bourbons, leur disait-il, servez-les bien, il ne vous reste pas d'autre conduite à tenir. S'ils se comportent avec sagesse, la France sous leur autorité peut être heureuse et respectée. J'ai résisté à M. de Caulaincourt dans ses vives instances pour me faire accepter la paix de Châtillon. J'avais raison. Pour moi ces conditions étaient humiliantes; elles ne le sont pas pour les Bourbons. Ils retrouvent la France qu'ils avaient laissée, et peuvent l'accepter avec dignité. Telle quelle la France sera encore bien puissante, et quoique géographiquement un peu moindre, elle demeurera moralement aussi grande par son courage, son génie, ses arts, l'influence de son esprit sur le monde. Si son territoire est amoindri., sa gloire ne l'est pas. Le souvenir de nos victoires lui restera comme une grandeur impérissable, et qui pèsera d'un poids immense dans les conseils de l'Europe. Servez-la donc sous les princes que ramène en ce moment la fortune variable des révolutions. Servez-la sous eux comme vous avez fait sous moi. Ne leur rendez pas la tâche trop difficile, et quittez-moi, en me gardant seulement un souvenir. Tel est le résumé du langage qu'il tenait toujours dans la solitude croissante de Fontainebleau. Ney, Macdonald, Oudinot, Lefebvre, Moncey l'avaient quitté, chacun à sa manière. Berthier s'était retiré aussi, mais en quelque sorte par un ordre de son maître. Napoléon lui avait confié le commandement de l'armée pour qu'il le transmit au gouvernement provisoire, et que pendant cette transmission il pût confirmer les grades qui étaient le prix du sang versé dans la dernière campagne. Berthier avait promis de revenir; Napoléon l'attendait, et en voyant les heures, les jours s'écouler sans qu'il reparût, désespérait de le voir, et en souffrait sans se plaindre. Au lieu de l'arrivée de Berthier, c'était chaque jour un nouveau départ de quelque officier de haut grade. L'un quittait Fontainebleau pour raison de santé, l'autre pour raison de famille ou d'affaires; tous promettaient de reparaître bientôt, aucun n'y songeait. Napoléon feignait d'entrer dans les motifs de chacun, serrait affectueusement la main des partants, car il savait que c'étaient des adieux définitifs qu'il recevait, et leur laissait dire, sans le croire, qu'ils allaient revenir. Peu à peu le palais de Fontainebleau était devenu désert. Dans ses cours silencieuses on avait quelquefois encore l'oreille frappée par des bruits de voitures, on écoutait, et c'étaient des voitures qui s'en allaient. Napoléon assistait ainsi tout vivant à sa propre fin. Qui n'a vu souvent, à l'entrée de l'hiver, au milieu des campagnes déjà ravagées, un chêne puissant, étalant au loin ses rameaux sans verdure, et ayant à ses pieds les débris désséchés de sa riche végétation? Tout autour règnent le froid et le silence, et par intervalles on entend à peine le bruit léger d'une feuille qui tombe. L'arbre immobile et fier n'a plus que quelques feuilles jaunies prêtes à se détacher comme les autres, mais il n'en domine pas moins la plaine de sa tête sublime et dépouillée. Ainsi Napoléon voyait disparaître une à une les fidélités qui l'avaient suivi à travers les innombrables vicissitudes de sa vie. Il y en avait qui tenaient un jour, deux jours de plus, et qui expiraient au troisième. Toutes finissaient par arriver au terme. Il en était quelques-unes pourtant que rien n'avait pu ébranler. Drouot, l'improbation dans le coeur, la tristesse sur le front, le respect à la bouche, était demeuré auprès de son maître malheureux. Le maréchal Bertrand avait suivi ce généreux exemple. Les ducs de Vicence et de Bassano étaient restés aussi. Le duc de Vicence n'était pas plus flatteur qu'autrefois, le duc de Bassano l'était presque davantage, et donnait ainsi de sa longue soumission une honorable excuse, en prouvant qu'elle tenait à une admiration de Napoléon, sincère, absolue, indépendante du temps et des événements. Napoléon, touché de son dévouement, lui adressa plus d'une fois ces paroles consolatrices : Bassano, ils prétendent que c'est vous qui m'avez empêché de faire la paix!.... qu'en dites-vous?... Cette accusation doit vous faire sourire, comme toutes celles qu'on me prodigue aujourd'hui... Et Napoléon lui avait autant de fois serré la main, avouant ainsi de la manière la plus noble qu'il était le seul coupable. Cette longue agonie devait finir. Le 20 au matin, Napoléon se décida à quitter Fontainebleau. » (A. Thiers, Histoire de l'Empire, livre XXXVe)). | | |