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Littérature > en France > au XIXe siècle |
Le théâtre au XIXe siècle |
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De la tragédie au drame romantiqueLes chefs-d'oeuvre des poètes romantiques avaient rallié sans trop de peine le public à la poésie nouvelle. Au théâtre les conquêtes furent plus difficiles et plus précaires.La bataille d'Hernani. « Il suffisait de jeter les yeux sur ce public pour se convaincre qu'il ne s'agissait pas là d'une représentation ordinaire; que deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations même - ce n'est pas trop dire - étaient en présence. On s'entassa du mieux qu'on put aux places hautes, aux recoins obscurs du cintre [...] à tous les endroits suspects et dangereux où pouvait s'embusquer clans l'ombre une clef forée, s'abriter un claqueur furieux, un prudhomme épris de Campistron [...]. Les autres non moins solides, mais plus sages, occupaient le parterre, rangés en bon ordre sous l'oeil de leurs chefs et prêts à donner avec ensemble sur les philistins au moindre signe d'hostilité [...]. L'orchestre et le balcon étaient pavés de crânes académiques et classiques. » (Th. Gautier, Histoire du Romantisme, Première représentation d'Hernani).Et on se battit réellement, surtout pendant les entractes. - Déclin de la tragédie. Pourtant la tragédie était comme morte. On sait comment Voltaire, du Belloy avaient essayé de la renouveler en prenant leurs sujets ailleurs qu'en Grèce on à Rome, en lui faisant porter des théories philosophiques; comment elle était agonisante sous la Révolution et l'Empire; comment enfin le drame et son héritier, le mélodrame, lui avaient fait une concurrence victorieuse. L'accord était presque unanime sur la nécessité d'un renouvellement dramatique par l'histoire : « Les sujets grecs sont épuisés; un seul homme, Lemercier, a su mériter encore une nouvelle gloire dans un sujet antique : Agamemnon; mais la tendance naturelle du siècle, c'est la tragédie historique. » (Mme de Staël, De l'Allemagne, ch. IV).Goût du public pour l'histoire au théâtre. Justement on publiait une foule de mémoires et quelques auteurs, à l'imitation du président Hénault (François II, 1747), s'appliquaient à reconstituer l'histoire sous forme de scènes historiques, entre autres de Fongeray, pseudonyme de Dittmer et Cavé (Les Soirées de Neuilly, 1827), Vitet (Les Barricades, 1827-1829), Mérimée (la Jacquerie, 1828). Walter Scott et le roman historique faisaient fureur. Il était tout naturel qu'on désirât voir sur le théâtre les scènes qui plaisaient dans le roman. C'était répondre au désir du public que de tirer comme le fit V. Hugo Marion Delorme du Cinq-Mars de Vigny, et Le Roi s'amuse des Deux Fous de Paul Lacroix. La question de forme. Théories et caractères généraux du drame romantique. La vérité. Les idées.« C'est à Grégoire de Tours, à Froissart, à Tite-Live, à la Bible, aux modernes Hellènes que nous devons demander des sujets de tragédie [...]. Mme du Hausset, Saint-Simon, Gourville, Dangeau [...] nous donneront des sujets de comédie. (Racine et Shakespeare).a) La peinture du passé. - On demande à ces sources des détails pittoresques de mise en scène, de costumes, de langage, de moeurs, dont l'ensemble doit constituer « la couleur locale » ou vérité historique :« Le drame doit être radicalement imprégné de cette couleur des temps; elle doit en quelque sorte y être dans l'air. » (Victor Hugo, Préface de Cromwell).On va de préférence aux époques peu connues ou méconnues, sur lesquelles paraissent les documents, le Moyen âge, le XVIe siècle et le début du XVIIe, en Angleterre (Victor Hugo, Marie Tudor), en Allemagne (Victor Hugo, Les Burgraves), en Italie (Victor Hugo, Lucrèce Borgia; Musset, Lorenzaccio), en Espagne (Victor Hugo, Hernani), en France surtout (Dumas, Henri III et sa cour, Charles VII chez ses grands vassaux, La Reine Margot, La Tour de Nesle, La Jeunesse des Mousquetaires; Vigny, La Maréchale d'Ancre; Hugo, Le Roi s'amuse, Marion Delorme). Tous ces procédés étaient déjà ceux du mélodrame. Le drame romantique voulut se distinguer de lui par une ambition plus haute, et ne pas seulement émouvoir, mais instruire : « Aujourd'hui plus que jamais, le théâtre est un lieu d'enseignement. Le drame, comme l'auteur de cet ouvrage le voudrait faire, et comme le pourrait faire un homme de génie, doit donner à la foule une philosophie, aux idées une formule, à la poésie des muscles, du sang et de la vie. » (Victor Hugo, Préface d'Angelo).Aussi les personnages sont-ils le plus souvent symboliques : Ruy Blas, c'est le peuple; Triboulet, le père; Chatterton, le poète; Yaquoub (dans Charles VII chez ses grands vassaux) la servitude, etc. Les Burgraves sont « le symbole palpitant et complet de l'expiation » (Préface). De là, à côté des tirades lyriques, de longues dissertations comme le monologue politique de don Carlos dans Hernani (IV, 2), etc. La liberté. a) Abolition des règles. - Successivement, Vigny (Lettre à Lord *** sur laAvertis par leur instinct de poètes, Vigny et Hugo sentirent qu'il fallait garder de la tragédie le principe du vers, mais en dépouillant l'alexandrin de sa noblesse obligatoire et de sa coupe monotone : « Nous voudrions un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie, tout exprimer sans recherche [...) sachant briser à propos et déplacer la césure [...] plus ami de l'enjambement qui l'allonge que de l'inversion qui l'embrouille; fidèle à la rime, cette esclave reine [...] lyrique, épique, dramatique, selon le besoin [...] Il nous semble que ce vers-là serait bien aussi beau que de la prose. » (Victor Hugo, Préface de Cromwell).Soi-disant historique dans le fond, mélodramatique dans les moyens, poétique dans la forme, voilà ce que fut dans ses grandes lignes le drame romantique. Le drame d'Alexandre Dumas. L'auteur et les oeuvres. Henri III et sa Cour (1829), Antony (1831), Napoléon Bonaparte, Charles VII Le mouvement dramatique. • Henri III et sa Cour. - Le duc de Guise soupçonne des relations coupables entre la duchesse et Saint-Mégrin. Il oblige sa femme, en lui brisant, le poignet dans son gantelet de fer, à écrire à Saint-Mégrin pour lui fixer un rendez-vous. Il y aposte des gens et lui, qui le tuent. • Antony. - Antony est plus encore le héros romantique par excellence. Enfant sans nom, en marge d'une société qu'il hait, il ne peut épouser Adèle qu'il aime. Il la retrouve par hasard, en arrêtant ses chevaux emportes, trais mariée au colonel d'Hervey. Il la domine par la puissance de sort autour, triomphe de ses remords, et, quand ils vont être surpris par le mari, il n'hésite pas à la tuer pour lui sauver l'honneur : « Elle me résistait, je l'ai assassinée! » Ainsi la pièce est entraînée dans un mouvement haletant vers les situations les plus poignantes. Cette intensité dramatique assure encore à telle autre pièce de Le drame de Victor Hugo. L'invraisemblance des sujets. C'est le cas d'Hernani : • Hernani. - Doña Sol est aimée de son auteur don Ruy Gomez, du roi don Carlos et du bandit Hernani. C'est le bandit qu'elle aime. Hernani a deux raisons de tuer le roi : venger sort père mis à mort par celui de don Carlos, et se défaire d'un rival; il commence par lui sauver la vie. Puis il monte une conjuration contre lui, où Ruy Gomez entre par jalousie. On doit frapper Carlos à Aix-la-chapelle le jour de l'élection à l'empire. Mais les conjurés sont découverts, arrêtés et pardonnés : Charles- Quint n'exécute pas les vengeances de don Carlos. Hernani, qui est en réalité Jean d'Aragon, grand d'Espagne, recouvre son titre et ses biens : il épousera doña Sol. Par malheur, sa vie appartient à Ruy Gomez depuis le jour où le vieillard a refusé de le livrer aux soldats parce qu'il était réfugié sous son toit. Le son du cor vient, le soir des noces, lui rappeler son serment. Il s'empoisonne avec doña Sol, et Ruy Gomez se tue sur leurs corps, dénouement sanglant d'une pièce où les générosités égalent les haines et où l'on passe son temps à sauver la vie de gens dont on voudrait la mort. Ruy Blas est plus étrange encore : • Ruy Blas. - Don Salluste veut se venger de la reine d'Espagne. Il substitue son valet Ruy Blas à don César, et Ruy Blas devient premier ministre, favori de la reine, se révèle grand homme d'État. Il oublie seulement de se défier de don Salluste qui, à l'heure choisie par lui, veut lui faire reprendre sa casaque, heureux d'avoir appris à la reine qu'elle aimait son domestique! Invraisemblance des caractères. Donc le ciel m'a fait duce, et l'exil montagnard. (Hernani, IV, 4).Ainsi la paternité sanctifiant la difformité physique : voilà Le Roi s'amuse. La maternité purifiant la difformité morale : voilà Lucrèce Borgia. (Préface de Lucrèce Borgia). Les protagonistes sont donc partagés entre le bien et le mal; Hernani entre ses habitudes de bandit et sa générosité de grand seigneur; Triboulet entre son Les beautés lyriques. « Vils, muets, accroupis, un poignard à la main,C'est pourquoi on a continué de jouer avec succès Hernani, Ruy Blas, et même Les Burgraves, malgré leur célèbre échec en 1843. Le public lettré se laisse aller au charme de la poésie; le public populaire s'intéresse au mouvement scénique et aux machinations des « traîtres ». Le drame de Vigny. Les essais. Chatterton. a) Analyse. - Chatterton est dans la plus extrême misère et habite une chambre que lui loue un commerçant, John Bell. Il s'est épris de la femme de Bell, Ia douce Kitty, qui, dans sa pitié pour l'infortuné, s'est mise à l'aimer sans s'en douter. Un seul espoir reste à Chatterton : il a écrit pour demander du secours au lord maire, M. Beckford, ancien ami de son père. Celui-ci offre au poète, avec de bons conseils, une place de valet de chambre chez lui. Chatterton, fou de honte et de désespoir, s'empoisonne, et ose avouer à Kitty son amour. Elle, espérant lui donner le courage de vivre, ne lui cache plus le sien. Il est trop tard. Elle tombe morte en voyant le cadavre de Chatterton.Mais la pièce, d'une simplicité classique, s'enfermait aisément dans les unités : « C'est l'histoire d'un homme qui a écrit une lettre le matin, et qui attend la réponse jusqu'au soir; elle arrive et le tue. » (Dernière nuit de travail).Ni mise en scène, ni déguisement, ni traître; mais des analyses de caractère : l'égoïsme dur de John Bell, l'austère charité du Quaker, surtout le désespoir de Chatterton auquel la société ne fait pas la place qu'il mérite; l'amour si chaste de Kitty qui ne s'exprime que par des réticences : c'était en somme une excellente tragédie bourgeoise. Le théâtre d'Alfred de Musset. Lorenzaccio. Cette fois le traître est le héros du drame : c'est le pâle Lorenzo, qui, pour délivrer Florence de Ia tyrannie d'Alexandre de Médicis, s'est fait le ministre de ses plaisirs infâmes. Il l'attire ainsi dans un guet-apens et le frappe. Mais il ne peut plus ôter le masque de débauché qui le déguise : le vice ne lâche pas su proie. « Il est trop tard. Je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau. Je suis vraiment un ruffian. » (Lorenzaccio, III, 3).Les comédies d'amour. Musset ne connaissait que trop la triste hantise de la vie de plaisirs. Quand il eut fait la douloureuse expérience de la passion, il étudia l'amour au théâtre en même temps qu'il le chantait dans les Nuits. Une jeune femme, Marianne, qui s'éprend d'Octave, trop adroit interprète de son ami Caelio, et dont la fantaisie coûte Ia vie à Coelio (Les Caprices de Marianne); un étudiant, Fantasio, qui s'amuse, déguisé en fou, à faire rompre le mariage d'Elsbeth, fille du roi de Bavière, avec le prince de Mantoue, qu'elle n'épouse que par raison d'Etat, au risque de déchaîner la guerre entre les deux pays (Fantasio). Deux jeunes gens, Perdican et Camille, qui s'aiment, mais par orgueil ne veulent pas se livrer, si bien que Perdican, pour réduire Camille par Ia jalousie, se fait aimer par Rosette, soeur de lait de la jeune fille; Don Juan coupable puisque, s'il reconquiert Camille, Rosette en meurt de désespoir (On ne badine pas avec l'amour); Barberine, qui, fidèle à son mari, évince et ridiculise un séducteur prétentieux (La Quenouille de Barberine); Fortunio, clerc de notaire, épris de sa patronne, qui couvre ses fautes et se Qu'est-ce que tout cela? Ce n'est ni la passion tragique de Racine, ni la galanterie précieuse de Marivaux; c'est l'amour, tantôt vertueux, tantôt coupable, toujours grave au moins dans ses conséquences, mystère qui est toute la vie : « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. » (On ne badine pas avec l'amour, II, 5).La fantaisie. On reconnaît la philosophie de Musset, puisqu'aussi bien Coelio ou Octave, Perdican ou Valentin, c'est toujours Musset qui parle. De là tant de vérité dans l'analyse psychologique, et aussi une profondeur de sentiment, une exaltation lyrique, qui le distinguent bien de Marivaux. Mais le Musset fantaisiste et spirituel a aussi collaboré au théâtre. C'est lui qui a laissé à dessein dans le vague, ou reculé dans le lointain, le lieu de l'action [une petite ville (Le Chandelier), la Hongrie (Barberine), etc.; dans On ne badine pas avec l'amour il n'est pas indiqué], pour lui enlever un caractère de réalité trop marqué; c'est lui qui l'a égayée de fantoches comme maître Blazius, le gouverneur de Perdican (On ne badine pas avec l'amour); la baronne de Mantes, mère étourdie mais bonne; Van Buck, oncle à héritage dont la colère ne tient pas contre l'espièglerie de son neveu (Il ne faut jurer de rien), etc. C'est lui qui s'est diverti à mettre des choeurs dans On ne badine pas avec l'amour. C'est lui enfin qui a prêté aux personnages la gaminerie de son esprit, telle cette plaisante défense de Valentin gourmandé par son oncle : « Vous me reprochez d'aller en fiacre : c'est que je n'ai pas de voiture. Je prends, dites-vous, en rentrant, ma chandelle chez mon portier : c'est pour ne pas monter sans lumière; à quoi bon se casser le cou? Vous voudriez me voir un état : faites-moi nommer premier ministre, et vous verrez comme je ferai mon chemin. » (Il ne faut jurer de rien).Ce mélange de vérité et de fiction, d'émotion et de gaieté, fait de ce théâtre qui ne s'assujettit à aucune des servitudes de la scène, un chef-d'oeuvre d'originalité, une gageure gagnée. La fin du théâtre romantique. Renaissance momentanée de la tragédie. Casimir Delavigne (1793-1843) et Ponsard (1814-1867). Conclusion. Scribe et la comédie de moeursLa comédie, au XIXe siècle, n'est plus, comme pendant la période classique, un genre déterminé, tout à fait distinct de la tragédie et du drame; elle admet tous les sujets, tous les caractères, toutes les conditions, tous les tons. On peut dire qu'elle ne se distingue du drame romantique que par le dénouement, non pas que celui-ci soit toujours chez elle heureux ou gai, mais parce qu'il ne comporte pas (en général) de mort violente. Le nom même de comédie a paru trop étroit à quelques auteurs de, la fin du XIXe siècle; ils ont fait des pièces, tout simplement. Cependant les genres et les espèces ne peuvent s'altérer ni se confondre entièrement, On voit subsister : le vaudeville, la comédie de moeurs (en vers ou en prose), la comédie à thèse, la comédie historique, la comédie burlesque, la comédie rosse. Toutes les pièces dont nous allons parler, de Scribe à Victorien Sardou et à Edmond Rostand, peuvent se classer plus ou moins exactement sous l'une de ces étiquettes.Scribe. Scribe avait commencé par des insuccès. Mais il possédait un don inné du théâtre; et, en 1845, il se fait applaudir au Vaudeville avec Une nuit de la garde nationale, suivie de charmantes et vives petites pièces, telles que le Solliciteur, l'Ours et le Pacha, etc. A l'ouverture du Gymnase (Théâtre de Madame) en 1820, il devint le fournisseur attitré d'une scène où l'on ne pouvait faire jouer que des pièces en un acte. De là, cette abondance de vaudevilles où le sujet est « ramassé » avec tant de précision et de sûreté : Le plus beau jour de la vie, la Demoiselle à marier, le Charlatanisme, la Manie des places, etc. Scribe n'eut qu'à reprendre un peu plus tard le thème de quelques-uns de ses vaudevilles, pour faire de grandes comédies; mais la nécessité de resserrer son action et de croquer vivement ses personnages, lui avait formé la main. Entre-temps, il avait pénétré au Théâtre-Français en 1822, avec Valérie; il y donnait, en 1827, le Mariage d'argent, puis Bertrand et Raton (1833), la Camaraderie (1837), la Calomnie (1840), le Verre d'eau (1840), Une Chaîne (1841), etc. Depuis 1823, Scribe écrivait avec un égal succès des livrets d'opéras et d'opéras-comiques : la Dame Blanche (1825), la Muette de Portici (1828), Robert le Diable (1831), la Juive (1835), les Huguenots (1836), etc. Il ne faut pas demander à Scribe une profonde psychologie ni un style : il est préoccupé avant tout de nous attacher par une intrigue bien faite; il excelle à poser, à compliquer, à dénouer son sujet. On éprouve une véritable satisfaction à le suivre, et une certaine déception quand on l'a quitté. Car il choisit souvent des sujets hardis ou dangereux; mais alors, il joue la difficulté, il semble soutenir une gageure qui consiste à tourner autour du vrai sujet, à l'esquiver chaque fois qu'il est sur le point de s'y heurter, comme un équilibriste qui danse à travers des poignards; sous ce rapport, son chef-d'oeuvre est Une Chaîne (1841). On aurait tort cependant de refuser à Scribe toute faculté d'observation et toute visée morale. Il nous a laissé dans ses vaudevilles une galerie de croquis exacts et piquants; le garde national, le vieux soldat de l'Empire, le fringant officier mondain de la Restauration, le journaliste faiseur, prototype d'Émile de Girardin et de Jules Janin, le négociant parvenu, le notaire, le petit employé... Tous ces bonshommes-là sont vivants; costumes, gestes, manies, langage, tout a été copié d'après nature. Et c'était un grand mérite de renouveler ainsi les personnages de la comédie de moeurs, et de les substituer aux imitations de Molière, de Regnard, de Dancourt et de Beaumarchais, dont Picard et Duval avaient usé encore. Scribe fait quelquefois mieux. Le Poligny du Mariage d'Argent (1827) est le type du jeune ambitieux tel que les moeurs nouvelles ont pu le former. Dans la Camaraderie (1836), qui pourrait s'intituler les Arrivistes, on trouverait tous les types des Cabotins de Pailleron indiqués en traits beaucoup plus nets. Et, dans la Calomnie, les caractères de personnages politiques sont tracés avec esprit et avec justesse. - Bertrand et Raton (1833) et le Verre d'eau (1840) sont des modèles de comédie historique, du genre à la fois superficiel et fin où s'est illustré Victorien Sardou. Dumas père lui-même, ce grand inventeur, ne fit en ce genre qu'imiter Scribe. Scribe eut de très nombreux collaborateurs, qui n'eurent jamais qu'à se louer de sa délicatesse et de sa loyauté. « J'ai fait douze ou quinze vaudevilles avec Scribe, disait Carmouche, et je puis vous affirmer que, dans toutes ces pièces, il n'y a pas un mot de moi ». On lui apportait en général de « grandes machines » plus ou moins mélodramatiques; il en extrayait quelques scènes, transposait le sujet, serrait vivement le tout, et récrivait la pièce d'un bout à l'autre. Mais le « collaborateur » n'en touchait pas moins la moitié des droits. Autour de Scribe. • La « question d'argent » commence à tenir une grande place au théâtre; elle envahit presque toutes les comédies de moeurs; et quelques-unes lui sont particulièrement consacrées comme l'Argent de C. Bonjour (1825), l'Agiotage de Picard et Empis (1826). Après le Mariage d'argent (1827) et le Puff (1848) de Scribe, nous trouvons l'Honneur et l'Argent (1853) et la Bourse (1856) de Ponsard, qui nous mènent à Alexandre Dumas fils et à Emile Augier. Balzac, non content d'écrire des romans, fit jouer quelques pièces assez mal accueillies. La seule qui mérite de survivre est Mercadet (1851), où Balzac nous présente le Turcaret moderne. • Parmi les comédies politiques, Picard et Mazères donnent, en 1827, les Trois Quartiers, une des pièces les plus applaudies de ce temps, satire spirituelle et juste de la bourgeoisie, de la finance et de la noblesse. L'abolition de la censure après 1830, amène sur le théâtre une foule de pamphlets politiques, dont nous n'avons pas à nous occuper. • Dans le genre de la comédie historique, il faut retenir Don Juan d'Autriche, de C. Delavigne (1835); Mlle de Belle-Isle (1839), Un Mariage sous Louis XV (1841), les Demoiselles de Saint-Cyr (1843), d'A. Dumas père; et les Premières Armes de Richelieu (1839), de Bayard, un des triomphes de Déjazet. • Comédies sur le mariage et la famille : c'est ici que nous trouvons des situations ou des thèses qui annoncent les pièces d'Augier et de Dumas fils. L'École des vieillards, de Casimir Delavigne (1823), jouée par Talma et Mlle Mars, eut un retentissant succès, mais paraît aujourd'hui d'une singulière banalité. Antony, d'Alexandre Dumas père (1831), joué par Mme Dorval et Bocage, contient le type essentiel de l'amoureux romantique et byronien. Il a eu toute une descendance au théâtre, comme René dans le roman. Le Mari à la campagne, de Bayard (1844), est une amusante et fine satire des inconvénients que peut avoir pour la femme une dévotion exagérée et mal comprise. Un an, ou le Mariage d'amour, d'Ancelot (1830), est une très simple et forte comédie sur la mésalliance (à comparer à la Catherine, de Henri Lavedan). La Mère et la Fille, de Mazères et Empis (1830); est un ouvrage remarquable par sa vigueur et son réalisme (à comparer avec le Supplice d'une femme, de Dumas fils, et l'Autre Danger, de Maurice Donnay). - Une Liaison, de Mazères et Empis (1834), autre pièce hardie, et dont le dénouement choqua le public, est à comparer avec le Mariage d'Olympe, d'Émile Augier. La comédie de moeurs tendait de plus en plus vers le réalisme, parallèlement aux extravagances romantiques. Cependant, un certain respect mal entendu pour la tradition, des préjugés académiques, la routine des grands acteurs, entretenaient encore une préférence pour la comédie en vers, comme le prouvent les deux gros succès de Ponsard ef les pièces de début d'Émile Augier. La comédie de moeurs. L'héritage du drame romantique. L'influence de Balzac. L'influence de Scribe. Le théâtre qu'inaugurèrent Dumas fils et Emile Augier, eut une plus noble ambition que d'escompter l'attendrissement facile du public bourgeois. La peinture des moeurs. La thèse. « Par la comédie, par la tragédie, par le drame, par la bouffonnerie, dans la forme qui nous conviendra le mieux, inaugurons dune le théâtre utile, au risque d'entendre crier les apôtres de l'art pour l'art, trois mots absolument vides de sens. Toute littérature qui n'a pas en vue la perfectibilité, la moralisation, l'idéal, l'utile en un mot, est une littérature rachitique et malsaine, née morte. » (A. Dumas fils, Préface du Fils naturel).Ils nous donnent des « pièces à thèse » où se discutent des cas de conscience, et souvent des problèmes sociaux comme la question du divorce, celle des rapports entre le capital et le travail, etc. La chose était moins nouvelle que le mot. Il y a déjà des «-thèses » dans Beaumarchais, dans Voltaire, dans MoIière, mais elles paraissent plutôt amenées par le sujet, que le sujet par elles. Molière nous conduit à penser comme lui sur l'éducation des femmes en nous amusant de la niaiserie dangereuse des ignorantes, de la pédanterie malsaine des savantes. Le sermon se passe en éclats de rire. Dans les pièces modernes un personnage spécial, le raisonneur, est particulièrement chargé de commenter la pièce, chemin faisant, comme le choeur antique. Il a le principal rôle au lieu d'être, comme dans Molière, un comparse. Les procédés dramatiques. Alexandre Dumas FilsVie et caractère.L'écrivain qui a eu le plus d'action sur le théâtre de cette époque est Alexandre Dumas fils (1824-1895). Fils naturel du romancier, il semble avoir souffert de cette situation fausse. Il passa une jeunesse assez brillante et libre dans le monde du plaisir. (L'Affaire Clémenceau et Un Père prodigue). Il débuta par des romans, mais le succès de la Dame aux Camélias (1852), à laquelle l'interdiction de la censure avait fait par avance la publicité, l'attacha définitivement au théâtre. Il tenait de son père une imagination vive et un esprit mordant, de ses origines irrégulières une préoccupation constante des questions morales et sociales, de son caractère entier Une confiance très assurée dans ses idées. Ses pièces donnèrent lieu à de nombreuses discussions (voir ses Préfaces). Après avoir voulu faire de son art un enseignement pour les hommes, il semble avoir fini par douter lui-même que ce fût possible : « Il comprend que ce n'est pas à la forme dont il s'est servi jusqu'à présent que l'humanité demandera jamais la solution des grands problèmes qui l'agitent. » (Préface de l'Etrangère).Par un sentiment d'exigence envers lui-même, et par crainte de ne pas pouvoir réaliser son iléal, hésitant d'ailleurs sur la forme à lui donner (drame ou roman), il ne se décida jamais à terminer sa dernière pièce, La Route de Thèbes, et ne consentit pas il la laisser jouer. Oeuvres. La société d'après Dumas. Les irréguliers. Dans La Dame aux Camélias, il nous montre une Marion Delorme moderne, Marguerite Gautier, qu'un amour véritable régénère; dans le Demi-Monde, un des chefs-d'oeuvre de l'auteur, une aventurière, Ici baronne d'Ange, qui pour se refaire une façade, épouserait un officier, Raymond de Nanjac, si son ami, Olivier de Jalin, le raisonneur de la pièce, ne dessillait à temps les yeux de Raymond. Puis, passant de l'étude à l'action, il plaide la cause de certaines victimes des Les ravages de la passion. Dumas croit qu'il est des femmes fatales comme cette mistress Clarkson, l'Etrangère, capable de ruiner sans amour le ménage du duc de Septmonts, ou comme La Femme de Claude, qui trahit son mari de toutes les façons et qu'il tue comme un monstre. D'autres pourtant telle La Princesse Georges, savent pardonner à leur mari sa faute et lui sauver la vie. Sa morale. « Je blesse souvent ainsi les idées reçues, des conventions établies, les préjugés et le qu'en dira-t-on, dans lesquels la société vit tant bien que mal.-» (Préface du Fils naturel).Le rachat des fautes. Il demande en faveur des jeunes filles coupables non seulement de la pitié, mais de la justice, ne voulant pas qu'il leur soit à jamais interdit de se racheter. Il proteste contre l'égoïste veulerie de ceux qui laissent peser sur un enfant innocent tout le poids de leur faute. La foi conjugale. Son art. L'abus des théories. « Aveugle que vous êtes, vous ne voyez donc pas qu'elle ne suffit plus cette morale courante de la société, et qu'il va falloir en venir ouvertement et franchement à celle de la miséricorde et de la réconciliation? Que jamais celle-ci n'a été plus nécessaire qu'à présent? Que la conscience humaine traverse à cette heure suie de ses plus grandes crises, et que tous ceux qui croient en Dieu doivent ramener à lui, par les grands moyens qu'il nous a donnés lui-même, tous les malheureux qui s'égarent? La colère, la vengeance ont fait leur temps. Le pardon et la pitié doivent se mettre à l'oeuvre. » (Les Idées de Mme Aubray, II, 4).L'ingéniosité et l'esprit. Mais à la représentation Dumas domine le public. Il trouve toujours les scènes poignantes; le fils naturel ne voulant pas accepter de son père l'aumône d'un nom dont il n'a pas besoin (Le Fils naturel), une femme empêchant son mari d'aller se faire tuer par le mari de sa maîtresse (La Princesse Georges), un mari qui tue sa femme en justicier (La Femme de Claude), etc. Et si les personnages n'ont pas toujours le langage de leur caractère ou de leur condition, ils ont au moins tout l'esprit de Dumas, qui jaillit en couplets brillants ou en mots précis qui résument une situation : « René. - Qu'est-ce donc que les affaires, monsieur Giraud? - Jean. - Les affaires, c'est bien simple, c'est l'argent des autres. (La Question d'argent, II, 7.)C'est le sort des théoriciens de diviser l'opinion. Il restera toujours à Dumas l'honneur d'avoir créé en maître le théâtre d'idées, qui touche, s'il ne convainc pas toujours. Émile AugierVie et caractère.Emile Augier (1820-1880), fils d'une famille bourgeoise de la Drôme qui vint se fixer à Paris, fit de bonnes études au lycée Henri IV. Il y fut le condisciple du duc d'Aumale, dont il devint le bibliothécaire. Il débuta au théâtre par des pièces envers, après un court passage dans une étude d'avoué. Il conquit et garda facilement le succès. Aussi disait-il volontiers qu'il ne lui était jamais rien arrivé. Sa vie et son caractère, en effet, sont d'un bourgeois paisible et heureux, dont le bon sens est ami de l'ordre et de la règle, mais dont I'esprit est large et libéral, les tendances voltairiennes et indépendantes, et le coeur généreux. Oeuvres. La société s'après Émile Augier. Les dangers du romantisme. La famille. Augier montre la famille menacée quand un marchand enrichi et ambitieux, M. Poirier, s'offre avec la dot de sa fille un gendre noble et ruiné, Gaston de Presles, qui tromperait bientôt sa femme si, à force de séduction et de courage, elle ne parvenait à sauver son bonheur (Le Gendre de M. Poirier); menacée encore, quand un ingénieur, qui n'a que son talent, entre par le mariage dans une famille riche qui le méprise (Un beau mariage); quand une femme coquette cherche ailleurs les moyens de paraître, que son mari, même en se tuant au travail, n'arrive pas à lui fournir (Les Lionnes pauvres); quand une aventurière est parvenue à se glisser dans une famille honnête sans étouffer dans son cour la « nostalgie de la botte » (Le Mariage d'Olympe); menacée enfin quand son chef est un notaire madré, maître Guérin, qui ne respecte lma loi que parce qu'il la tourne, qui, pour doter son fils du château de Valtaneuse, en dépouillerait le propriétaire, l'inventeur Desroncerets, par une combinaison véreuse, si son fils, colonel jeune et loyal, ne la déjouait en épousant Mlle Desroncerets. Mme Guérin alors se révolte à son tour et suit son fils, tandis que Guérin, démasqué et déshonoré, reste en la société de complices dignes de lui (Maître Guérin). Les moeurs. Il voit un scepticisme ironique, Ia blague, s'emparer de la jeunesse et risquer de corrompre André Lagarde, si le respect de sa mère ne le tirait de l'engourdissement qui allait lui, faire oublier ses principes d'honnêteté (La Contagion). Il signale la dangereuse puissance de la presse quand elle est mise au service de financiers tarés comme Vernouillet (Les Effrontés). Il sait ce que valent des pamphlétaires connue Giboyer, dont la plume est prête à tout (Le Fils de Giboyer). Sa morale. Nécessité des unions assorties. Danger de l'argent. « Il faut se faire un front qui ne rougisse plus. L'effronterie, voyez-vous, il n'y a que cela dans une société qui repose tout entière sur deux conventions tacites; primo, accepter les gens pour ce qu'ils paraissent; secundo, ne pas voir à travers les vitres tant qu'elles ne sont pas cassées. » (Les Effrontés, I, 6).Les croyances morales. C'est ainsi, par l'affaiblissement progressif du sens moral, qu'une société marche droit à la décomposition. Emile Augier garde, sinon la religion de l'église, au moins celle du devoir : il n'admet pas la « blague » qui s'attaque à ce devoir. Il faut oser être honnête homme (La Contagion), il faut garder intacte la force vivifiante du sentiment de la patrie (Jean de Thommeray). Son art. Vérité des caractères. Equilibre de la composition. Naturel du style. « Mme Guérin. - Oui, Monsieur, nous avons un compte à régler. Voilà trente-cinq ans que je courbe la tête devant vous, je la relève enfin... Je suis lasse d'être votre souffre-douleur. J'ai tout supporté sans me plaindre... Aujourd'hui je vous ai jugé... Vous avez chassé mes enfants, je me retire avec eux. » (Maître Guérin, V, 9).Par son robuste bon sens sans étroitesse, comme par ses procédés dramatiques, Emile Augier est un héritier direct de Molière. Il lui a manqué pour l'égaler, outre la verve comique, la puissance de vision qui sait distinguer sous les costumes d'une époque l'humanité de tous les temps. Le naturalisme : Henry Becque et le Théâtre LibreHenry Becque.Le théâtre d'Emile Augier inquiète pour avertir, jamais assez pour désespérer. A cette franchise amicale, Henry Becque (1837-1899) fit succéder la vérité brutale. Vie et oeuvres. La formule nouvelle. L'impression que dégagent ces deux pièces est assez bien résumée par ce mot des Corbeaux : « Vous êtes entourées de fripons, mon enfant, depuis la mort de votre père. Allons retrouver votre famille » (Les Corbeaux, IV, 10).Femmes sans volonté, créanciers sans scrupules ni pitié, maris aveugles et niais, tels sont les personnages auxquels nous intéresse l'observation amère de l'auteur. Becque met une sorte de coquetterie à refuser toute concession; il n'y a plus de personnage. sympathique; l'intrigue est réduite au minimum indispensable pour relier entre elles les scènes. C'est la réalité vulgaire, noire et désolante, en dehors de toute préoccupation morale. Le Théâtre Libre. 1° la liberté pour les auteurs dramatiques de représenter la vérité tout entière, sans sacrifices inutiles au public et à l'habileté théâtrale;C'est au Théâtre Libre qu'ont été jouées, pour la première fois en France, les traductions d'Ibsen : Les Revenants, Le Canard sauvage, la Dame de la mer, etc., , ainsi que les Tisserands de Hauptmann. Le Théâtre libre a aussi révélé quelques vigoureux et hardis auteurs dramatiques, avec des pièces telles que L'École des veufs de Georges Ancez, L'Argent, d'Émile Fabre, Les Résignés de Henri Céard, Les Fossiles de François de Curel, La Fille Elisa des Goncourt, Blanchette de J. Brieux, Boubouroche de G. Courteline, etc. La comédie gaieTandis que la comédie de moeurs assombrissait de plus en plus ses peintures, la gaieté ne perdait pas ses droits en France. La comédie vraiment amusante était devenue maintenant une spécialité.Labiche. Édouard Pailleron. Meilhac et Halévy. Sardou. Le drame en versAu surplus, le drame romantique n'était pas mort tout à fait. Par une réaction naturelle contre l'esprit positif qui régnait au théâtre depuis vingt-cinq ans, l'idéalisme reparut et valut au drame en vers, dépouillé des exagérations romantiques, mais gardien pieux des noblesses du coeur, quelques-uns des plus beaux succès dramatiques de la fin du siècle. On citera d'abord Bornier, Coppée et Richepin, - auxquels on aurait pu ajouter A. Silvestre et Morand (la Grisélidis, 1891) et Catulle Mendès (la Reine Fiammette, 1894) -, pour en arriver à Edmond Rostand, qui bénéficie de tout ce mouvement antérieur.H. de Bornier. F. Coppée. Dans Pour la couronne (1895) il met aussi en présence un traître, Brancomir, général bulgare, et son fils Constantin. Pour avoir la couronne, Brancomir livrerait sa patrie à l'ennemi, si Constantin, averti, ne le tuait de sa main. Mais Constantin, rongé de ses remords de parricide, essuie défaite sur défaite; il se laisse condamner pour trahison à un horrible supplice plutôt que de flétrir à jamais la mémoire de son père. J. Richepin. E. Rostand. Cyrano, c'est le cadet de Gascogne qui a l'esprit et le courage à défaut de la beauté. L'Aiglon, c'est le fils de Napoléon qui s'exalte en apprenant en cachette les gloires paternelles. Chantecler, c'est le poète grisé d'idéal, auquel les envieux se chargent d'apprendre qu'il ne fait pas lever le soleil. Le public français a goûté dans ces pièces, outre la verve du ton et l'ingéniosité des détails, l'exaltation des qualités d'esprit, de bravoure et de générosité dans lesquelles il croyait se reconnaître. Il était heureux de s'entendre dire enfin qu'il était meilleur que ne l'auraient laissé croire les auteurs du Théâtre Libre, et il excusait par suite dans Rostand de singuliers défauts de mesure et de goût. Le théâtre au début du XXe siècleRien de plus varié que le théâtre, dans la période qui va des dernières années du XIXe siècle jusqu'à la Première guerre mondiale. Après tant de manifestes, de préfaces, de tentatives hardies, le public, toujours plus nombreux, est aussi devenu plus éclectique. Il est d'avis, désormais, que tous les genres sont bons, même le genre ennuyeux; et pourvu que l'auteur ait du talent et les acteurs de la réputation, il accueille avec une sympathique curiosité, plus ou moins durable, tout ce qu'on veut bien lui soumettre. De là une production intense. Il faut se contenter de signaler les oeuvres les plus remarquables :Le Théâtre psychologique. • Porto-Riche (Amoureuse, 1891; le Passé, 1897; Théâtre d'Amour, 1898; le Passé (1899); Le Vieil Homme, 1911) étudie l'amour moderne; c'est un psychologue d'une finesse parfois exquise, parfois irritante, et comme un Marivaux réaliste. • Paul Hervieu (les Tenailles, 1895; la Loi de l'Homme, 1897; la Course du Flambeau, 1901; le Dédale, 1904; Connais-toi, 1909) est un disciple d'Émile Augier et de Dumas fils; dans ses drames poignants, il choisit des sujets où le sentiment, parfois la passion, est en lutte avec la loi; ses actions ont une sobriété énergique; son style est hautain, vigoureux, sans jamais devenir brutal. • Maurice Donnay (Amants, 1895; l'Affranchie, 1898; la Clairière, 1900; l'Autre Danger, 1902; Oiseaux de Passage, 1904; Paraître, 1906, etc.), souvent spirituel apportent dans son observation plus d'ironie • Jules Lemaître traite avec pénétration et ironie lui aussi des sujets de morale sociale et politique, et ses pièces révèlent aussi une parfaite connaissance du métier. Après Révoltée (1889), son oeuvre de début, il obtint un succès retentissant avec le Député Leveau (1891) qui n'était, pas seulement une piquante satire du boulangisme, mais aussi une étude durable des moeurs politiques modernes. Il donna ensuite Mariage blanc, 1891, le Pardon (1895), l'Aîné, (1898), la Massière (1905), etc., et chacune de, ses pièces prouve la finesse de sa psychologie et le charme de son style. • Henri Bataille (Maman Colibri, 1904; la Marche nuptiale, 1905; la Femme nue, 1908; la Vierge folle, 1910), psychologue hardi, mais trop préoccupé d'étonner le public, s'attaque aux problèmes les plus délicats de l'éternel mystère humain. • Henri Bernstein, après s'être fait applaudir pour des drames haletants (la Rafale, 1905; le Voleur, 1906; Samson, 1907; Israël, 1908), a montré a montré qu'il n'était pas seulement un très ingénieux constructeur d'intrigues à la fois simples et terribles, mais qu'il savait aussi camper des caractères (l'Assaut, 1912). Le Théâtre social. • François de Curel est moins un auteur dramatique qu'un puissant moraliste et sociologue, donnant à ses études philosophiques le cadre du théâtre. Le Repas du lion (1897) pose le problème de la solidarité entre classes dirigeantes et ouvriers. La Nouvelle Idole (1899) est une magnifique étude de la conscience scientifique. Autres pièces : les Fossiles, 1892; la Fille sauvage, 1902). • J. Brieux (Blanchette, 1892; l'Évasion, 1896; Résultat des Courses, 1898; la Robe rouge, 1900; les Remplaçantes, 1901; le Berceau (1903) etc.) fait preuve d'une grande honnêteté dans des sujets parfois scabreux. Il ne craint pas d'aborder de front les problèmes les plus graves et les plus délicats, et de les traiter avec une loyauté un peu rude et souvent éloquente. Il cherche à dissiper les sophismes du moment sur les bienfaits de l'instruction; il rappelle les magistrats à leur devoir professionnel, et flétrit les politiciens qui veulent influencer la justice; il fait honte aux mères qui, pour élever leurs enfants, se donnent des remplaçantes; il signale les terribles équivoques du divorce par rapport à l'enfant. • Émile Fabre (l'Argent, 1895; la Vie publique, 1902; les Ventres dorés, 1905; la Maison d'argile, 1907; les Vainqueurs, 1908; les Sauterelles, 1911, etc.) s'applique surtout à la question d'argent; peint les hommes politiques et les financiers. La plus remarquable de ses pièces est intitulée les Ventres dorés; elle est sombre et vigoureuse. Le Théâtre comique. • Georges Courteline (les Gaietés de l'Escadron, 1886; la Vie de Caserne, 1888; Boubouroche, 1893) cherche, comme Molière, le comique dans la vérité. • Alfred Capus (Brignol et sa Fille, 1895; La Veine, 1902; Monsieur Piégois, • Henri Lavedan (le Nouveau Jeu, 1898), après s'être amusé des fantoches • Flers et Caillavet (le Roi, 1908; l'Ane de Buridan, 1909; le Bois sacré, 1910), ont le secret d'une satire légère et infiniment spirituelle. Mais bien que les bons auteurs comiques ne manquent pas, les pièces de Molière, tout comme les chefs-d'oeuvre de Corneille et de Racine, restent au répertoire et sont fréquemment applaudies à la Comédie-Française. Conclusion. |
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