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Maistre

Le comte Joseph de Maistre est un magistrat, diplomate et littérateur, né à Chambéry le 1er avril 1753, et est mort le 9 février 1821. Il fit ses premières études dans sa ville natale, son droit à Turin, et fut nommé successivement substitut; avocat fiscal général surnuméraire au sénat de Savoie en 1774; substitut effectif en 1780; et enfin sénateur en 1788 (le « souverain sénat » de Savoie était une cour de justice et non pas une assemblée politique). En 1792, obligé de s'expatrier à la suite de l'invasion de la Savoie par les armées françaises, Joseph de Maistre se retira d'abord à Aoste, puis à Lausanne, où il écrivit son premier ouvrage : ces Considérations sur la France (1793), où se mêlent ensemble une horreur si éloquente de la Révolution française et un amour si ardent de la France. Personne, mieux que ce Savoyard, n'a discerné la caractère « satanique » de la Révolution, quoique personne d'ailleurs n'en ait mieux reconnu les causes tout humaines; mais personne aussi n'a mieux parlé de cette « magistrature que la France a de tout temps exercée sur le reste de l'Europe » et dans le temps même de la Révolution

En 1799, son roi, Charles-Emmanuel IV, le nomma agent de la grande chancellerie en Sardaigne, et trois ans plus tard, le frère de Charles-Emmanuel, Victor-Emmanuel Ier, faisait de Joseph de Maistre un ministre plénipotentiaire à Saint-Pétersbourg. Il en exerça les fonctions jusqu'en 1817, et c'est là qu'il composa sa traduction des Délais de la Justice divine; son Essai sur le principe générateur des constitutions; son livre Du Pape; son livre de l'Église gallicane; ses Soirées de Saint-Pétersbourg et son Examen de la philosophie de Bacon. Il y faut joindre, pour avoir la liste de ses Oeuvres complètes, quelques opuscules de moindre importance; et deux recueils de Lettres : l'un publié par son fils, le comte Rodolphe de Maistre, sous le titre de Lettres et opuscules inédits; et l'autre, publié par Albert Blanc, sous le titre de Mémoires politiques et Correspondance diplomatique de Joseph de Maistre. De retour à Turin, il y fut nommé chef de la grande chancellerie du royaume de Piémont, avec le titre de ministre d'État. Il eut le temps de faire paraître le livre Du Pape en 1819, et de préparer la publication de l'Église gallicane, qui ne parut qu'en 1821. Mais la mort l'empêcha de mettre la dernière main aux Soirées de Saint-Pétersbourg, et son Examen de la philosophie de Bacon n'a vu le jour qu'en 1836.
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La Guerre

« Dans le vaste domaine de la nature vivante, il règne une violence manifeste, une espèce de rage prescrite qui arme tous les êtres pour leur mutuelle destruction : dès que vous sortez du règne insensible, vous trouvez le décret de la mort violente écrit sur les frontières mêmes de la vie. Déjà, dans le règne végétal, on commence à sentir la loi : depuis l'immense catalpa jusqu'aux plus humbles graminées, combien de plantes meurent et combien sont tuées! Mais, dès que vous entrez dans le règne animal, la loi prend tout à coup une épouvantable évidence. Une force, à la fois cachée et palpable, se montre continuellement occupée à mettre à découvert le principe de la vie par des moyens violents. Dans chaque grande division de l'espèce animale, elle a choisi un certain nombre d'animaux qu'elle a chargés de dévorer les autres : ainsi il y a des insectes de proie, des reptiles de proie, des oiseaux de proie, des poissons de proie et des quadrupèdes de proie. Il n'y a pas un instant de la durée où l'être vivant ne soit dévoré par un autre. Au-dessus de ces nombreuses races d'animaux est placé l'homme, dont la main destructive n'épargne rien de ce qui vit : il tue pour se nourrir, il tue pour se vêtir, il tue pour se parer, il tue pour attaquer, il tue pour se défendre, il tue pour s'instruire, il tue pour s'amuser, il tue pour tuer. Roi superbe et terrible, il a besoin de tout, et rien ne lui résiste. Il sait combien la tête du requin ou du cachalot lui fournira de barriques d'huile; son épingle déliée pique sur le carton des musées l'élégant papillon qu'il a saisi au vol sur le sommet du mont Blanc ou du Chimboraço; il empaille le crocodile, il embaume le colibri; à son ordre le serpent à sonnettes vient mourir dans la liqueur conservatrice qui doit le montrer intact aux yeux d'une longue suite d'observateurs. Le cheval qui porte son maître à la chasse du tigre se pavane sous la peau de ce même animal; l'homme demande tout à la fois à l'agneau ses entrailles pour faire résonner une harpe; à la baleine ses fanons pour soutenir le corset de la jeune vierge; au loup sa dent la plus meurtrière pour polir les ouvrages légers de l'art; à l'éléphant ses défenses pour façonner le jouet d'un enfant; ses tables sont couvertes de cadavres. Le philosophe peut même découvrir comment le carnage permanent est prévu et ordonné dans le grand tout. Mais cette loi s'arrêtera-t-elle à l'homme? Non, sans doute. Cependant quel être exterminera celui qui les exterminera tous? Lui. C'est l'homme qui est chargé d'égorger l'homme. Mais comment pourra-t-il accomplir la loi, lui qui est un être moral et miséricordieux; lui qui est né pour aimer; lui qui pleure sur les autres comme sur lui-même, qui trouve du plaisir à pleurer et qui finit par inventer des fictions pour se faire pleurer; lui enfin à qui il a été déclaré « qu'on redemandera jusqu'à la dernière goutte du sang qu'il aura versé injustement (Genèse, IX, 5) »? C'est la guerre qui accomplira le décret.

N'entendez-vous pas la terre qui crie et demande du sang? Le sang des animaux ne lui suffit pas, ni même celui des coupables versé par le glaive des lois. Si la justice humaine les frappait tous, il n'y aurait point de guerre; mais elle ne saurait en atteindre qu'un petit nombre, et souvent même elle les épargne, sans se douter que sa féroce humanité contribue à nécessiter la guerre, si, dans le même temps surtout, un autre aveuglement, non moins stupide et non moins funeste, travaillait à éteindre l'expiation dans le monde. La terre n'a pas crié en vain : la guerre s'allume. L'homme saisi tout à coup d'une fureur divine, étrangère à la haine et à la colère, s'avance sur le champ de bataille sans savoir ce qu'il veut ni même ce qu'il fait. Qu'est-ce donc que cette horrible énigme? Rien n'est plus contraire à sa nature et rien ne lui répugne moins : il fait avec enthousiasme ce qu'il a en horreur. N'avez-vous jamais remarqué que, sur le champ de mort, l'homme ne désobéit jamais? Il pourra bien massacrer Nerva ou Henri IV, mais le plus abominable tyran, le plus insolent boucher de chair humaine n'entendra jamais là : « Nous ne voulons plus vous servir! ». Une révolte sur le champ de bataille, un accord pour s'embrasser, en reniant un tyran, est un phénomène qui ne se présente pas à ma mémoire. Rien ne résiste, rien ne peut résister à la force qui traîne l'homme au combat; innocent meurtrier, instrument passif d'une main redoutable, « il se plonge tête baissée dans l'abîme qu'il a creusé lui-même; il donne, il reçoit la mort sans se douter que c'est lui qui a fait la mort (Psaumes, IX, 16). »

Ainsi s'accomplit sans cesse, depuis le ciron jusqu'à l'homme, la grande loi de la destruction violente des êtres vivants. La terre entière, continuellement imbibée de sang, n'est qu'un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à l'extinction du mal, jusqu'à la mort de la mort.

Mais l'anathème doit frapper plus directement et plus visiblement l'homme : l'ange exterminateur tourne comme le soleil autour de ce malheureux globe et ne laisse respirer une nation que pour en frapper d'autres. Mais lorsque les crimes, et surtout les crimes d'un certain genre, se sont accumulés jusqu'à un point marqué, l'ange presse sans mesure son vol infatigable. Pareil à la torche ardente tournée rapidement, l'immense vitesse de son mouvement le rend présent à la fois sur tous les points de sa redoutable orbite. Il frappe au même instant tous les peuples de la terre; d'autres fois, ministre d'une vengeance précise et infaillible, il s'acharne sur certaines nations et les baigne dans le sang. N'attendez pas qu'elles fassent aucun effort pour échapper à leur jugement ou pour l'abréger. On croit voir ces grands coupables, éclairés par leur conscience, qui demandent le supplice et l'acceptent pour y trouver l'expiation. Tant qu'il leur restera du sang, elles viendront l'offrir; et bientôt une rare jeunesse se fera raconter ces guerres désolatrices produites par les crimes de ses pères.

La guerre est donc divine en elle-même, puisque c'est une loi du monde. »
 

(J. de Maistre, extrait des Soirées de saint-Pétersbourg
Septième entretien).

Comme de presque tous ceux qui ont attendu un peu tard pour commencer d'écrire, - il avait quarante-trois ans quand il publia ses Considérations sur la France, - on peut dire de Joseph de Maistre qu'il n'a composé qu'un seul ouvrage et développé qu'une seule idée. Il a été, pour ainsi parler, le théologien laïque de la Providence, et parmi beaucoup de différences, qu'à peine a-t-on besoin de signaler, ce n'est pas le seul trait de ressemblance qu'il y ait entre lui et l'auteur du Discours sur l'Histoire universelle (Bossuet). Évidemment Joseph de Maistre n'a pas le solide bon sens de Bossuet; et son imagination fougueuse l'entraîne trop souvent au delà de la vérité, de la justice et du goût, comme, par exemple, quand il proclame que « la guerre est divine » ou quand il fait encore du bourreau « la pierre angulaire de l'édifice social ». Il y a d'ailleurs en lui du grand seigneur et du « patricien » qui se plaît à penser autrement que tout le monde, qui ne recule pas devant le paradoxe, et, pour user de l'une de ses expressions, qui se ferait volontiers un système de «-l'extravagance méthodique ». Son impertinence est inimitable, et du haut de son ultramontanisme, il faut l'entendre parler de Pascal ou de Bossuet eux-mêmes. 

N'a-t-il pas écrit quelque part que l'on « n'avait rien fait contre les opinions tant qu'on n'avait pas attaqué les personnes »? et aussi bien telle est trop souvent sa manière. En d'autres endroits, elle consiste à exaspérer d'abord l'adversaire on plutôt à le démonter par l'audace de ses affirmations : « Tout Français ami des jansénistes est un sot ou un janséniste », et comme le « jansénisme » c'est pour lui l'hérésie par excellence, la révolte de l'orgueil, on se tâte, et par peur d'être « un sot » on est tenté de lui faire quelque concession. Enfin, il y a aussi du bel esprit en Joseph de Maistre, ou même du pédantisme, et pour s'en convaincre, il ne faut que l'entendre disserter de philologie dans ses Soirées de Saint-Pétersbourg; on le voir faire l'aimable dans ses Paradoxes à la marquise de Nav...; ou l'écouter parler lui-même « d'une certaine ironie parisienne » pour laquelle il se reconnaît un « talent dont il abuse quelquefois ». Mais après tout cela, quand on a comme écarté toutes les apparences qui ne sont peut-être pour lui qu'un moyen d'attirer l'attention en la provoquant, on retrouve le théologien de la Providence et le défenseur acharné de tout ce que le XVIIIe siècle avait fait pour en abolir l'idée.

Dans ses Considérations sur la France, ce qu'il essaye de découvrir ce sont « les voies de la Providence dans la Révolution française »; et ce qu'il y montre, c'est qu'aussitôt que la Révolution a été déchaînée, puisqu'elle a aussitôt perdu le gouvernement d'elle-même, il faut donc qu'il y ait eu quelque chose encore de plus fort qu'elle, et ce quelque chose c'est Dieu. Dans son Essai sur le principe générateur des Constitutions politiques, Joseph de Maistre établit ou il essaye d'établir « qu'une constitution politique est une oeuvre divine », et qu'ainsi les nations ne sont pas ce qu'elles veulent être, mais ce que quelqu'un de plus fort qu'elles a voulu qu'elles fussent, et ce quelqu'un c'est Dieu.

« Le principe religieux préside à toutes les créations politiques, et tout disparaît dès qu'il se retire [...]. C'est pour avoir fermé les yeux à cette grande vérité que l'Europe est coupable, et c'est parce qu'elle est coupable qu'elle souffre. »
Joseph de Maistre ne traduit le traité de Plutarque sur les Délais de la Justice divine dans la punition des coupables que pour montrer dans la philosophie des Anciens, et en dehors du christianisme, l'universalité de la croyance à l'action de Dieu sur le monde. Dans son Examen de la philosophie de Bacon, ce qu'il attaque en Bacon, c'est moins Bacon lui-même, le vrai Bacon, l'auteur de son propre Novum Organum que l'inspirateur des encyclopédistes; et ce qu'il se propose de démontrer contre eux, c'est que le monde, inintelligible pour la raison humaine, ne le devient qu'à la lumière de la finalité. Comme d'ailleurs cet enseignement est le pur enseignement de l'Église catholique romaine, il écrit son livre Du Pape pour montrer l'intérêt que l'Église établie d'Angleterre, l'Église schismatique de Russie, l'Église « nationale » de France auraient à se réunir étroitement au saint-siège. Il écrit son livre de l'Église gallicane pour prouver qu'y ayant « dans le gouvernement naturel et dans les idées nationales du peuple français je ne sais quel élément théocratique et religieux qui se retrouve toujours », la France manque à sa mission providentielle et se inutile de ses propres mains quand elle relâche seulement le lien qui l'unit au chef de l'Église. Et, d'ailleurs, le sous-titre enfin de ses Soirées de Saint-Pétersbourg n'est-il pas assez parlant : les Soirées de Saint-Pétersbourg ou Entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence?

On peut lui trouver un autre rapport encore avec Bossuet, s'il y a peu d'écrivains dont le « style », en dépit d'un aphorisme célèbre, - et d'ailleurs aussi faux que célèbre, «-ressemble » moins à son vrai caractère. Ce fut un étonnement, en 1851, quand son fils publia ses Lettres, que d'y trouver autant de liberté d'esprit, d'enjouement, d'aisance et de tendresse, qu'il semblait qu'il y eut d'âpre éloquence et d'ironie provocante dans l'Examen de la philosophie de Bacon ou dans les Soirées de Saint-Pétersbourg. Sans doute, c'est que dans ses Lettres, il a conformé son style à ses sentiments, tandis que dans ses grands ouvrages, il l'a conformé au caractère des idées qu'il y voulait exprimer. On ne parle pas de la papauté comme on peut faire d'une anecdote ou d'un événement de cour; et ce qu'il y a de plus difficile quand on écrit sur « le gouvernement temporel de la Providence », c'est d'égaler son langage à la grandeur du sujet. 

Joseph de Maistre a eu ce mérite. Son style a de la force, de l'éclat et de l'autorité. Il abonde en alliances neuves, originales et imprévues de mots; en comparaisons brillantes et ingénieuses; en formules expressives dont on ne sait ce qu'il faut le plus admirer : l'ampleur, la plénitude ou la brièveté. Des pages entières de lui se gravent ainsi dans les mémoires, s'y enfoncent pour ainsi dire, et ne s'en effacent plus. Il excelle encore à donner à la vérité quelque chose de l'air du paradoxe, et rien n'est plus capable de piquer l'indifférence. Mais rien ne le serait davantage aussi de nous mettre en défiance et en garde si, dans ses paradoxes eux-mêmes, nous ne reconnaissions l'accent de la sincérité. Nous y reconnaissons aussi l'accent de la passion, mais c'est une passion maîtresse d'elle-même, une passion qui se gouverne, une passion qui se contient; et tout cela forme ensemble un rare et admirable tempérament d'écrivain. Et c'est ainsi, comme dit Sainte-Beuve, que «-tout en choquant, il a été lu » et bientôt pour le « châtier ou le récompenser, continue-t-il, qu'a-t-on fait? On s'est mis tout simplement à l'admirer comme écrivain [...]. Piquante reconnaissance, et qui, appliquée à un prêcheur de doctrine, est bien aussi une vengeance. »

Mais Sainte-Beuve se trompe; et ce n'est pas seulement « l'écrivain » qu'on admire dans Joseph de Maistre, et quelques-unes des idées du « prêcheur de doctrine » se sont comme incorporées à la substance de l'esprit du XIXesiècle. Il a certainement entrevu ce qui sera appelé par la suite lors appelé du nom de «-concurrence vitale »; et cela n'a rien d'étonnant s'il y a été conduit, comme Darwin, par la lecture de Malthus. Ce qu'il a encore mieux vu, c'est l'étroite solidarité qui lie entre elles toutes les générations des humains et ne forme ainsi des morts, des vivants, et de ceux qui ne sont pas encore nés une seule humanité. Et que voulait dire le fondateur du positivisme, Auguste Comte lui-même, quand il écrivait à l'un de ses amis : 

« Condorcet dut être, pour moi, complété par de Maistre, dont je n'appropriai tous les principes-essentiels, qui ne sont plus appréciés maintenant que dans l'école positive-»-
C'est ce qu'il serait un peu long d'expliquer, et peut-être n'en est-ce pas ici le lieu. Mais on trouvera du moins l'aveu d'Auguste Comte assez caractéristique : il a «-laïcisé » les « principes essentiels » de Joseph de Maistre, et ainsi, il les a fait comme entrer dans la circulation de la pensée moderne. Et si l'on voulait qu'en les laïcisant, il les eût dépouillés de leur véritable signification, il resterait encore que la transformation n'en serait pas moins un triomphe de Joseph de Maistre, puisqu'elle serait la preuve à ses yeux de l'identité du christianisme avec ce qu'il appelait lui-même « les lois du monde ». (F. Brunetière).
Xavier de Maistre, frère du précéden, est un écrivain né à Chambéry en octobre 1763, mort à Saint-Pétersbourg le 12 juin 1852. Officier dans l'armée sarde, au moment de la réunion de la Savoie à la France (1792), il entra au service de la Russie et fut attaché à l'état-major de Souvorov. Privé de cet emploi lors de la disgrâce du général, il chercha des ressources à Saint-Pétersbourg dans son talent de miniaturiste jusqu'au jour où le crédit de son frère aîné lui valut le titre de directeur de la bibliothèque et du musée de l'Amirauté (1805). Inscrit de nouveau sur les cadres de l'état-major, il fit la campagne du Caucase et y gagna le grade de général. En 1825, il revint en Savoie, fit un séjour de plusieurs années à Naples, passa quelque temps à Paris et retourna en 1839 à Saint-Pétersbourg. Ce fut pendant une période d'arrêts de rigueur, conséquence d'un duel, que Xavier de Maistre écrivit à Alexandrie en 1790, son fameux Voyage autour de ma chambre, imprimé trois ans plus tard, à son insu, par les soins de son frère (Paris, 1794, in-18) et tout d'abord attribué à des écrivains en renom. 
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Miracle

« Depuis quelques années, un petit chien s'était donné à
nous : ma soeur l'avait aimé, et je vous avoue que, depuis qu'elle n'existait plus, ce pauvre animal était une véritable consolation pour moi.

Nous devions sans doute à sa laideur le choix qu'il avait fait de notre demeure pour son refuge. Il avait été rebuté par tout le monde; mais il était encore un trésor pour la maison du Lépreux. En reconnaissance de la faveur que Dieu nous avait accordée en nous donnant cet ami, ma soeur l'avait appelé Miracle; et son nom, qui contrastait avec sa laideur, ainsi que sa gaieté continuelle, nous avait souvent distraits de nos chagrins. Malgré le soin que j'en avais, il s'échappait quelquefois, et je n'avais jamais pensé que cela pût être nuisible à personne. Cependant, quelques habitants de la ville s'en alarmèrent et crurent qu'il pouvait porter parmi eux le germe de ma maladie; ils se déterminèrent à porter des plaintes au commandant, qui ordonna que mon chien fût tué sur-le-champ. Des soldats, accompagnés de quelques habitants, vinrent aussitôt chez moi pour exécuter cet ordre cruel. Ils lui passèrent une corde au cou en ma présence et l'entraînèrent. Lorsqu'il fut à la porte du jardin, je ne pus m'empêcher de le regarder encore une fois : je le vis tourner ses yeux vers moi pour me demander un secours que je ne pouvais lui donner. On voulait le noyer dans la Doire; mais la populace, qui l'attendait en dehors, l'assomma à coups de pierres. J'entendis ses cris et je rentrai dans ma tour plus mort que vif; mes genoux tremblants ne pouvaient me soutenir : je me jetai sur mon lit dans un état impossible à décrire. Ma douleur ne me permit de voir, dans cet ordre juste, mais sévère, qu'une barbarie aussi atroce qu'inutile; et, quoique j'aie honte aujourd'hui du sentiment qui m'animait alors, je ne puis encore y penser de sang-froid. Je passai toute la journée dans la plus grande agitation. C'était le dernier être vivant qu'on venait d'arracher d'auprès de moi, et ce nouveau coup avait rouvert toutes les plaies de mon coeur. »
 

(X. de Maistre, extrait du Lépreux de la cité d'Aoste).

Les autres opuscules de Xavier de Maistre, publiés beaucoup plus tard et non moins remarquables, sont les suivants : le Lépreux de la cité d'Aoste (1811, in-8), qui fut, en 1824, l'objet de retouches maladroites dues à la collaboration de Mme O. Cottes et, dit-on, de Lamennais; les Prisonniers du Caucase, la Jeune Sibérienne et l'Expédition nocturne autour de ma chambre, complément du premier Voyage (1825, in-8), où l'on retrouve les mêmes qualités de simplicité, d'émotion et un art d'autant plus exquis qu'il est plus caché.

Ces divers opuscules ont été maintes fois réimprimés ensemble ou séparément, en tous formats, avec ou sans illustrations. Eugène  Réaume a publié, sous le titre d'Oeuvres inédites de X. de Maistre, ses premiers essais, des fragments et sa correspondance (1877, 2 vol. in-16). (Maurice Tourneux).

Casimir Léon Maistre est un voyageur né à Villeneuvette (Hérault) le 24 septembre 1867. Il a pris part, en 1889-90 à une importante exploration de Madagascar, dirigée par  le docteur Catat. A la suite du massacre de la mission Crampel, le Comité de l'Afrique française confiait en 1891 à Maistre le commandement d'une expédition de secours destinée à renforcer la mission Dybowski alors sur l'Oubangui. 

Parti de Bordeaux le 10 janvier 1892, il arriva à Brazzaville où il rencontra Dybowski. Ce dernier, étant très souffrant, rentra en France, et  Maistre devint le chef de la mission; il remonta le Congo, puis l'Oubangui et arriva aux, premiers jours de juin au poste de Bangui. Le 29 juin, à partir du poste de la Kémo, l'expédition s'engageait dans une région entièrement inexplorée, avec cinq Européens, Brunache, Clozel, de Béhagle, Briquez et Bonnel de Maizières; elle parcourut plus de 5000 kilomètres, du bassin du Congo ,jusqu'au Soudan. Maistre put constater ainsi que les deux fleuves du Chari et du Logone, navigables en toute saison, sont les principales voies d'accès vers le Soudan et le lac Tchad. 

De plus, grâce aux traités passés avec les chefs indigènes, il avait réussi à établir l'influence française dans tout le pays compris entre le Baghirmi, l'Oubangui et l'Adamaoua. Maistre a publié le récit de ce voyage sous le titre de : A travers l'Afrique centrale (Paris, 1895).  (G. Regelsperger).

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Dictionnaire biographique
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