 |
Louis de Rouvroy,
duc de Saint-Simon, né en 1675 d'une famille noble et ancienne,
mort en 1755, était un des seigneurs de la cour les plus accomplis. Il
se distingua d'abord dans les armes aux batailles de Fleurus et de Nerwinde,
quitta le service avec le grade de maître de camp, succéda à son père
dans le gouvernement de Blaye et dans ses titres
de duc et pair et se voua à la diplomatie. Il entra à la cour à la fin
du règne de Louis XIV, s'attacha au duc
d'Orléans, qui l'appela au conseil de
régence, devint l'âme du parti de la cour contre les parlements, et fut
envoyé en Espagne (1721) pour y négocier le mariage de Louis
XV avec l'infante, et d'une fille du régent avec un prince espagnol.
Il perdit son crédit après la mort du régent, et se retira dans ses
terres, où il s'occupa de mettre la dernière main à des Mémoires ,
dont il avait depuis longtemps commencé la rédaction.
Ces Mémoires renferment les renseignements
les plus intéressants et les plus détaillés sur la cour de Louis XIV,
la régence et le règne de Louis XV; ils sont rédigés avec une aisance
et une originalité qui placent l'auteur au premier rang des écrivains
de ce genre; mais les jugements qui y sont portés ne doivent être acceptés
qu'avec défiance : outre que le duc a des préférences et des antipathies
marquées, il est infatué de préjugés nobiliaires qui souvent faussent
son jugement.
 |
En
bibliothèque - On
n'a eu longtemps que des éditions tronquées de ces Mémoires :
le marquis de St-Simon, petit-fils de l'auteur, en a donné la 1re édition
authentique, Paris, 1829-31, 21 v. in-8; elle a été reproduite et complétée
d'après le texte original, par M. Chéruel, 1856-58, 20 v. in-8. Poitou
et Lefebre de Pontalis ont écrit l'Éloge de St-Simon, 1854.
En
librairie - Les Mémoires, en
8 tomes (1987), ou en édition abrégée (collection Folio), en 2 tomes.
Denis
Lorieux, Saint-Simon, Perrin, 2001; Madeleine Bertaut et André
Labertit, De l'Estoile à Saint-Simon, Recheche sur la culture des mémorialistes
au temps des trois premiers rois bourbons, Klincksieck, 1993; José
Cabanis, Saint-Simon l'admirable, Gallimard, 1994; Guillaume Monsaingeon
et Philippe Mahaud, Fin de règne, Saint-Simon, Autrement, 1995.
Cioran, Anthologie du portrait (de Saint Simon à Tocqueville),
Gallimard, 1996; Pierre Lafargue, Tombeau de Saint-Simon, Verticales,
2000.
Georges Poisson, Monsieur de Saint-Simon, Nouveau Monde (5e
éd.)., 2007. - Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon
(1675-1755), est célèbre pour ses Mémoires décrivant la vie
à la Cour de Louis XIV. Écrivain talentueux,
il fut à la fois un courtisan assidu et un opposant invétéré qui sut
dévoiler les secrets de la vie versaillaise et dénoncer les bassesses
du pouvoir. Conservateur et réformateur, acteur et témoin d'une époque
controversée, cet observateur authentique regarda toujours ses contemporains
d'un oeil critique, avec justesse et non sans humour. L'homme qui s'inclinait
devant le Roi et les princes savait aussi faire parler la voix de la raison.
Georges Poisson nous révèle le vrai visage de cet homme aux multiples
facettes. Seigneur éclairé, soldat, diplomate, mais aussi mari aimant
et ami fidèle, il fut avant tout un historien passionné. Un mémorialiste
des petits faits, plus que des grandes actions, qui léguera à la postérité
des écrits justes et distrayants sur la haute société de son temps.
(couv.).
|
|
|
 |
Claude-Henry de
Rouvroy,
comte de Saint-Simon, né à Paris le
17 octobre 1760, mort le 22 mai 1825, était le petit-cousin de l'auteur
des Mémoires. Il fut d'abord soldat, et, en 1779, alla se battre
pour l'indépendance des États-Unis d'Amérique .
De retour en France, en 1783, il quitta l'armée et se mit à voyager.
Pendant la période révolutionnaire, il ne fit pas de politique, mais
il fit des affaires, spéculant sur les biens nationaux et gagnant une
fortune. En 1797, il se remet à l'étude, ou plutôt à toutes les études
à la fois, avec une sorte d'exaltation, sans méthode; il s'occupe surtout
de physique et de politique. Puis il recommence à voyager, à travers
l'Angleterre, qu'il trouve impuissante et incapable d'idées nouvelles,
et à travers l'Allemagne, qui lui apparaît embarrassée dans son mysticisme
nuageux. Il revient en France, s'établit, se marie, mène une vie mondaine
et fastueuse, et se ruine. Mais cette ruine est pour lui l'affranchissement,
et l'heure lui semble venue de tenter l'édification de ses idées.
Il croit avoir un système, mais il n'en
a encore que des fragments mal liés, en partie caducs, qu'il restaurera,
complétera, agencera dans une sérié de travaux successifs et souvent
insuffisamment conséquents, pour achever seulement le plan d'ensemble
à la veille de mourir. En 1802, St-Simon écrit ses Lettres d'un habitant
de Genève à ses contemporains, où apparaissent, sans assez de relief,
les propositions capitales : que la société doit être et peut être
étudiée scientifiquement; que la société actuelle se compose de trois
classes, les sages (artistes, libéraux), les conservateurs et possesseurs,
les égalitaires (le peuple); qu'il faut créer un monde nouveau et une
nouvelle religion; que, dans cette organisation nouvelle, le pouvoir doit
appartenir à l'esprit, c.-à -d. à la classe des sages. En 1807, à l'occasion
d'une question posée par Napoléon à l'Institut,
Saint-Simon écrit son Introduction aux travaux scientifiques du XIXe
siècle, où il expose les mêmes idées; il y insiste, en outre, sur
la nécessité de remplacer le déisme, définitivement discrédité, par
le physicisme, sorte de religion de la science, unifiée par la physique;
sur la possibilité de créer, en face du pouvoir temporel, réservé aux
représentants des intérêts nationaux, c.-à -d. aux propriétaires et
aux savants, un pouvoir spirituel, composé des membres les plus éminents
de la science; enfin sur le projet de substituer au principe moral négatif
du christianisme : Ne, faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas
qu'il vous fit; le principe positif et actif Tout homme doit travailler.
Reprises en 1808, dans les Lettres au
Bureau des Longitudes, ces idées passèrent complètement inaperçues.
La même indifférence accueillit une série de travaux publiés de 1808
à 1811 : Esquisse d'une nouvelle encyclopédie, ou Introduction
à la philosophie du XIXe siècle;
Nouvelle
encyclopédie, première livraison; Histoire de l'homme, premier
brouillon; Mémoire sur la gravitation universelle; Mémoire
sur la science de l'homme; travaux riches et incomplets, enthousiastes
et confus, Cependant, cet insuccès avait augmenté la détresse de Saint-Simon.
Il avait dû, en 1814, prendre une place de scribe au Mont-de-Piété,
à 4000 F par an, pour neuf heures de dur travail journalier; il n'y tint
pas, tomba malade, fut recueilli par un de ses anciens serviteurs, Diard,
et à la mort de Diard, en 1813, il se vit forcé d'accepter des secours
charitables, pour échapper à la mort. Ces épreuves n'avaient point abattu
son énergie intellectuelle. Saint-Simon publia, en 1814, un mémoire sur
la Réorganisation de la société européenne, où il proposait
à l'Europe, reconstituée sous forme de confédération, l'établissement
d'un «parlement général» chargé de décider «des intérêts communs
de la société européenne». Des brochures de politique intérieure et
extérieure suivirent, pendant toute l'année 1845, et, en 1816, parut
le premier cahier d'un périodique intitulé l'Industrie. Ce titre
seul était un programme. Saint-Simon avait pour but d'opposer au libéralisme,
qui est la force politique fondée sur le capital propriétaire et sur
la classe des légistes, employés à en défendre les droits, l'industrialisme,
puissance nouvelle en laquelle se combinent les énergies de la société
active et productive, et qui doit triompher.
Enfin des disciples étaient venus : Augustin
Thierry et Auguste Comte. Avec eux Saint-Simon
décida la création d'un nouveau journal, l'Organisateur, dont
la première livraison (1849) contenait la parabole fameuse :
Mieux vaudrait
la disparition de la famille royale, de la haute noblesse, du haut clergé,
de la haute bureaucratie, soit 3000 individus, que celle des 3000 plus
grands savants et plus habiles ouvriers.
Ce fut un éclat. Saint-Simon fut, de ce chef,
poursuivi devant la cour d'assises et acquitté.
Le silence se fit de nouveau autour de
lui. St-Simon ne put le rompre par une série de brochures, lettres, adresses,
etc. En 1821 parut le premier volume du Système industriel. C'est
une oeuvre brève mais importante. ll y est dit, en substance, que la royauté
française, au bénéfice de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre,
doit faire alliance avec l'industrie contre les puissances du passé, les
légistes et les militaires; le pouvoir temporel doit être confié aux
industriels, le pouvoir spirituel aux savants, dont la tâche principale
sera une tâche d'éducation morale et d'enseignement
scientifique; c'est par la prédication seule et par la propagande qu'il
faut tenter cette organisation nouvelle, dont le but et la conséquence
doit être l'établissement d'une vraie fraternité entre les hommes.
Le Catéchisme des industriels (1823-24)
est le premier résumé de la doctrine : par définition, l'industriel
est le travailleur qui produit, et l'industrie est l'ensemble des travailleurs;
cette classe, l'industrie, a eu jusqu'à présent le dernier rang dans
une société restée féodale; elle doit obtenir le premier, refoulant
en arrière les militaires, les légistes et les rentiers. L'histoire de
France, pendant quatorze siècles, explique l'état présent, et l'histoire
des autres peuples, depuis le début du XIXe
siècle, explique et prépare l'état futur, dont une oeuvre savante d'éducation
amènera l'avènement. Dans cet état futur, l'opposition entre les bourgeois
oisifs et les industriels travailleurs sera abolie; il y régnera une liberté
et une égalité absolues. Au résumé fourni par le Catéchisme s'adjoint
comme un complément nécessaire le Nouveau Christianisme, oeuvre
elle-même inachevée de construction religieuse. Le Nouveau Christianisme
doit être, en principe, un retour au vrai christianisme, dont l'essence
est la règle de fraternité entre les hommes. Cette règle a été corrompue
par le clergé, qui a fait de la primitive religion divine une religion
humaine, soucieuse avant tout des intérêts humains et matériels. Il
faut revenir à la loi première, dont la formule moderne sera la suivante
:
« Améliorer
le plus promptement et le plus complètement possible l'existence morale
et physique de la classe la plus nombreuse ».
Le nouveau christianisme ne sera pas catholique,
parce que le catholicisme a démontré pour toujours qu'il était incapable
de se détacher des préoccupations temporelles et de se défaire de son
organisation très solidement matérielle; il ne sera pas protestant, parce
que le protestantisme
a laissé voir son culte prosaïque, l'insuffisance de son dogme; il sera
une religion d'amour et de charité, une religion sociale. Ainsi s'achève,
en des promesses de généreux mysticisme, le système morcelé de Saint-Simon.
Depuis 1823, l'auteur de ces larges programmes
d'avenir était retombé dans la misère; le succès, toujours espéré,
ne lui était point venu; il s'était découragé, avait tenté de se tuer
d'un coup de pistolet (1823), et, une fois guéri de sa blessure, avait
eu besoin de l'affection et de la piété de quelques disciples, enfin
groupés autour de lui, pour se remettre au travail et former de nouveaux
projets. Le plus important de ces projets concernait la création d'un
journal, le Producteur, destiné à répandre et interpréter sa
doctrine; mais il mourut avant d'avoir pu tenter cette entreprise, réservée
à d'autres, plus jeunes et plus heureux.
Il a fallu présenter historiquement l'oeuvre
de Saint-Simon. Cette oeuvre se développe par succession, et s'enrichit
en s'étendant; elle ne saurait être concentrée. Néanmoins, il
est utile et possible de grouper ici, pour l'intelligence de l'action qu'elle
a eue sur les contemporains et pour l'estimation de sa valeur exacte dans
l'ensemble des idées politiques et sociales du XIXe
siècle, les principales propositions énoncées et affirmées par elle.
1° Désormais les règles de
la science doivent être rigoureusement imposées à l'étude des faits
sociaux comme à celle des faits de la nature physique, et les principes
et les méthodes de la physique doivent être appliqués aux faits sociaux.
2° L'industrie, c.-à -d. l'ensemble des
producteurs, devant constituer la plus grande force sociale du temps présent,
doit hériter le pouvoir politique des militaires et des propriétaires
qui l'ont jusqu'à présent retenu.
3° Aucun homme n'a le droit de se dérober
à la loi du travail, loi positive qui remplacera les lois négatives de
la morale chrétienne.
4° Tous les pouvoirs seront transmis aux
travailleurs; ceux qui relèvent du pouvoir temporel passeront entre les
mains des travailleurs industriels, et ceux qui relèvent du pouvoir spirituel
entre les mains des travailleurs spirituels, chargés d'assurer l'éducation
des hommes, et de créer entre eux l'ordre et l'unité de pensée.
5° L'ancienne religion doit faire place
à la religion nouvelle de fraternité et d'amour, qui seule permettra
de réaliser la liberté et l'égalité vraies.
Parmi ces idées, les unes ont été incorporées
au positivisme, les autres ont été exploitées
par le socialisme humanitaire et sentimental,
les autres, enfin, complétées ou transformées, ont produit la doctrine
du saint-simonisme. (R.
Bourgin).
 |
En
librairie - Christian laval, L'ambition
sociologique (Saint-Simon, Comte, Tocqueville,
Marx,
Weber, Durkheim), La Découverte, 2002; Jean-Luc
Yacine, La question sociale chez Saint-Simon, L'Harmattan, 2002;
Charles-Olivier Carbonnell et Anne Fontvielle, L'Europe de Saint-Simon,
le précurseur de Jacques Delors,
Privat, 2001; Olivier Pétré-Grenouilleau, Saint-Simon : l'utopie
ou La raison en actes, Payot, 2001. |
|
|