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Adrien-Albert-Marie,
comte de Mun est un homme politique et écrivain
français, né à Lumigny (Seine-et-Marne)
le 28 février 1841, arrière-petit-fils d'Helvétius,
petit-fils du marquis de Mun, pair de France
de 1815 à 1843. Elève de Saint-Cyr, il fit la campagne
franco-allemande comme capitaine au 2e
cuirassiers, participa à la répression de la Commune
et quitta l'armée en 1875, à la suite de démêlés
qu'il eut avec le ministère de la guerre au sujet de la propagande
très active qu'il menait contre les institutions républicaines.
Un des fondateurs et un des apôtres
les plus zélés de l'oeuvre des « cercles catholiques
d'ouvriers », au service de laquelle il mettait une éloquence
enflammée, Albert de Mun fut élu député le
5 mars 1876 par l'arrondissement de Pontivy. Invalidé le 13 juillet
1876, il était réélu le 27 août. Membre de l'extrême
droite, il combattit vivement la politique religieuse et sociale du gouvernement
républicain. Fort appuyé par le gouvernement du Seize-Mai,
il fut réélu le 14 octobre 1877. Invalidé de nouveau,
il échoua le 2 février 1879.
Il profita de ses loisirs parlementaires
pour faire dans toute la France des conférences contre les lois
sur l'enseignement. Le 21 août 14881, il était élu
député par Pontivy. Il continua à la Chambre ses attaques
passionnées contre l'enseignement et exposa à maintes reprises
à la tribune, sous une forme toujours très belle et très
élevée, ses théories du « socialisme chrétien
». Réélu en 1885, il se distingua surtout par son intervention
dans la discussion des lois relatives à l'armée et à
la réglementation du travail. Il appuya fortement le boulangisme.
Encore réélu par Pontivy
en 1889, il fonda en 1892 la ligue de propagande politique et sociale du
« Sacré-Coeur », et, suivant les instructions données
aux catholiques français par Léon
XIII, il déclara le 17 novembre qu'il entendait désormais
se consacrer à la solution des questions sociales et à la
défense des intérêts de l'Eglise même sur le
terrain républicain, et il offrit son alliance au gouvernement à
la condition qu'il cesserait d'être « athée ».
Il échoua aux élections générales de 1893,
contre Albert Le Clec'h, républicain, et le 21 janvier 1894, abandonnant
le Morbihan, se présenta avec succès
dans le Finistère (2e circonscription
de Morlaix), qui le réélut en 1898.
Pendant près de deux ans le brillant
orateur n'avait guère paru en public. Le 14 mai 1896, il prononça
à l'ouverture du Congrès de la jeunesse catholique à
Reims un grand discours sur la question religieuse
et sociale; le 15 juin, à propos de la discussion de la loi sur
le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans l'industrie,
il exposait à la Chambre, dans une de ses plus belles harangues,
que la révolution sociale ne peut ni guérir, ni même
soulager les souffrances et les misères, qu'elle ne sait que les
agiter et que seule la législation industrielle peut être
féconde, humaine et préservatrice.
Le 4 décembre 1897, son intervention
dans l'interpellation Castelin relative à l'affaire
Dreyfus amenait le général Billot, ministre de la guerre,
à déclarer qu'il considérait « le jugement comme
bien rendu, et le capitaine Dreyfus comme coupable », déclaration
qui fit une profonde impression sur la Chambre.
Le comte de Mun a été élu
membre de l'Académie française,
en remplacement de Jules Simon, le 1er
avril 1897. Au début de la Première
Guerre mondiale, il assuma une collaboration quotidienne à l'Écho
de Paris, mais ses forces ne tardèrent pas à le trahir
et il fut emporté par la maladie de coeur qui déjà
l'avait obligé à s'éloigner de la tribune.
On a de lui : Catholiques et Libres
Penseurs (Paris, 1876); la Question ouvrière (Louvain,
1885); Discours (tome I, Questions sociales; tomes II et
III, Questions politiques, 1888); tome IV (1888-1891); tome V (1891-1894);
tomes VI et VII, Discours et écrits divers, de 1894 à
1900 (Paris); la Loi des suspects, lettres adressées à
Waldeck-Rousseau (Paris, 1900); l'Organisation professionnelle (Paris,
1901); Que faire? lettres de Roscoff (Paris, 1902); les Congrégations
religieuses devant la Chambre (Paris, 1903); Contre la séparation
(Paris, 1905); Pour la Patrie (Paris, 1912); l'Heure décisive
(Paris, 1913); Derniers articles (publiés par l'Écho
de Paris, 1915). (R. S. / G.-F.).
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L'Exaltation
de la Patrie
«
Bordeaux, 4 septembre.
Quarante-quatre
ans! Les mots expirent dans le drame de l'histoire. Quelles journées
nous vivons! L'Écho de Paris a expliqué, par une note
parue le 2, pourquoi, dans l'impossibilité matérielle où
il allait se trouver de faire parvenir le journal à la province,
il prenait la courageuse résolution de créer, malgré
tous les obstacles, une édition spéciale pour les départements.
J'ai répondu sans hésiter à l'appel qu'il a bien voulu
m'adresser pour l'aider dans l'oeuvre patriotique qu'il allait entreprendre.
D'ici, je continuerai donc par mes articles quotidiens, que les lecteurs
parisiens liront, je l'espère, comme ceux de la province, à
servir la France de toutes mes forces, puisque je ne puis le faire par
les armes, en soutenant les courages autant qu'il est en moi.
Je remercie cordialement
l'Écho de Paris de m'en donner le moyen.
Nous avons quitté
Paris le 2, au point du jour, en automobile, le coeur dans un étau.
Ils sont à Compiègne. Mystère des desseins de Dieu
: là Jeanne fut livrée, il y a cinq siècles. O sainte
gardienne de la patrie! Voyez cette merveille-:
les Anglais et les Français fraternellement unis pour défendre
la terre que vous avez sauvée! Vous avez fait ce miracle, achevez-le,
en boutant dehors les barbares!
Paris menacé
par eux! Cette pensée nous étreint; nous ne parlons pas.
Que dire? Voici un régiment de zouaves qui défile sur la
route, léger, gai, souriant. Ah! les beaux soldats! Un capitaine
s'approche de nous, demandant des nouvelles. Je lui dis ce que je sais,
si peu, hélas! et je lui donne mon nom. Alors, « minute inexprimable
», un sanglot contracte ce visage de soldat, et il me serre la main
à la briser. En une minute, sans nous rien dire, tout le passé,
l'histoire d'hier, celle d'aujourd'hui. Et nos âmes se sont fondues.
J'ai cru serrer les mains de tous mes camarades.
La route a été
longue, pénible, soutenue par l'air résolu de tous ceux que
nous rencontrons, des soldats qui gardent les postes, les ponts et les
carrefours.
En entrant ici, hier
soir, nous avons appris l'arrivée du président de la République
et du gouvernement, et nous avons lu le manifeste qui explique une résolution
douloureuse et inévitable. Je ne le commenterai pas. Les événements
suffisent. Ce matin, nous lisons l'ordre du général Gallieni
à l'armée et à la population de Paris, langage de
soldat, bref et résolu, qui commande la confiance. Dans l'indicible
émotion de cette année évocatrice de souvenirs tragiques,
quel ferme et puissant réconfort! Paris, sous un tel chef, avec
l'armée enfermée dans son camp retranché, avec son
peuple prêt à l'héroïsme, décidé
à repousser tous les conseils de défaillance, Paris défendra
sans fléchir le coeur de la France. Et, dans le péril qui
presse la patrie, fortifié par cette certitude, plus que jamais
je garde dans la victoire une inébranlable confiance.
Je ne sais rien du
secret des opérations. Je n'en dois rien savoir. Mais je vois nos
armées, libres de leurs mouvements, échelonnées sur
les flancs de la colonne allemande audacieuse et puissante qui, pareille
au torrent, roule vers Paris, menaçant ses communications, rompant
sa marche à tout instant en des combats magnifiques qu'on nous a
trop laissé ignorer et dont les récits épiques nous
arrivent par morceaux; tandis qu'à l'Est celle de la Moselle, en
d'autres rencontres non moins illustres, combat et oblige à reculer
une partie des forces ennemies. Je vois l'armée anglaise en liaison
étroite avec la nôtre victorieuse hier à Compiègne,
et j'entends lord Kitchener annoncer qu'elle la fortifie sans cesse à
l'orient. Je compte les pas tumultueux et rapides de l'armée russe.
Je vois l'Autriche écrasée à Lemberg, la capitale
de la Galicie conquise, l'émoi jeté dans Vienne, l'exode
épouvanté des populations prussiennes fuyant devant les Cosaques.
J'écoute, l'oreille aux aguets, le bruit des trains qui, sur les
lignes de Belgique, ramènent déjà au secours de la
Prusse une partie des armées allemandes et, retournant à
ma patrie, voyant des armées qui n'ont subi ni désastre,
ni déroute, où les combattants de ces semaines d'août,
éprouvés mais non épuisés, gardent l'entrain
des premiers jours, où les arrivants retrouvent au contact du rang
l'ardeur et la foi qui s'étiolaient dans une imprudente oisiveté,
entendant sortir de Paris la voix mâle du chef qui commande à
la résistance, je sens, comme il y a un mois, mon âme exaltée
dans la confiance.
Paris tiendra, j'en
suis convaincu, glorieux et sauveur! Les armées de campagne enfermeront
dans leurs serres rapprochées la manoeuvre audacieuse de l'envahisseur
et, par l'héroïsme de son peuple et de ses soldats, la France
délivrée du poids qui la souille, la France qui fut durant
ces jours terribles le rempart de la civilisation, qui supporta pour permettre
à ses alliés d'accomplir leur tâche le choc épouvantable
de toute la Germanie, la France reprendra sa marche victorieuse vers ceux
qui de l'Orient lui tendent la main!
J'ai dit confiance
exaltée! Oui, il faut l'avoir, il faut faire taire les critiques
trop faciles, les plaintes stériles, étouffer les douleurs
et les inquiétudes, imposer silence aux propagateurs de panique
et laisser la sainte exaltation de la patrie, mère de tous les dévouements,
inspiratrice de tous les sacrifices, s'accaparer de nos âmes et les
grandir à la taille de l'épreuve sans égale que Dieu
nous impose pour nous apprendre à mettre en lui tous nos espoirs!
»
(A.
de Mun, L'Écho de Paris, 4 septembre 1914.
Article
reproduit dans le volume intitulé :
la
Guerre de 1914. Derniers articles d'Albert de Mun,
édité
par le même journal).
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