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Littérature > en France > au XIXe siècle |
La poésie française au XIXe siècle et jusqu'à la Première guerre mondiale |
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Les poètes entre 1800 à 1820La poésie sous l'Empire et la RestaurationLa poésie du Premier Empire continue la poésie du XVIIIe siècle; elle n'entend rien changer à la tradition classique : elle en accepte et en respecte toutes les formules; le génie seul lui en échappe. Des poètes de cette époque, les meilleurs ne valent que relativement. C'est chez tous la même horreur du mot propre, le même abus des périphrases, les mêmes fadeurs mythologiques. Ni sentiments, ni idées; une versification qui se croit habile et qui met son habileté à instituer de prétendus effets d'harmonie imitative; aucune inspiration personnelle. Faute de mieux, on se rabat sur les traductions et les descriptions. Le vrai chef de cette poésie reste Delille, versificateur élégant et froid, qui avait déjà donné une traduction des Géorgiques en 1761, et qu'on voit reparaître au début du siècle avec l'Homme des champs (1800), la Pitié (1803), l'Imagination (1806), les Trois Règnes de la nature (1809), et ses traductions de l'Enéide (1804) et de l'Essai sur l'homme (1811). Désormais le branle est donné. En même temps que Saint-Ange traduit Ovide, Tissot les Bucoliques et Théocrite, Buis de Saint-Victor Anacréon, Castet publie la Forêt de Fontainebleau (1805), Esménard, la Navigation (1805), Chênedollé, le Génie de l'homme (1807), Campenon, la Maison des Champs (1809), Colnet de Ravel, l'Art de dîner en ville (1810), etc., tous poèmes oubliés aujourd'hui et qui ne laissent pas que d'avoir eu leur quart d'heure de célébrité. Il n'y a à tirer de pair que la Gastronomie de Berchoux (1803), badinage sans prétention et ou l'esprit du moins ne fait pas entièrement défaut. Si l'on ajoute à ces oeuvres quelques poèmes épiques dans le genre de l'Achille à Scyros (1805), de Luce de Lancival, du Charlemagne à Pavie et de l'Alfred de Millevoye, de l'Austerlide de Viennet ou de l'Amadis de Gaule de Creuzé de Lesser, qu'on nomme pour sa bizarrerie l'Atlantiade de Lemercier, sorte de De Natura rerum moderne où l'oxygène, le calorique, la gravitation et le phosphore font figure de «-machines épiques-», qu'on donne enfin une mention aux compositions lyriques de Lebrun-Pindare, aux chansons de Désaugiers, aux contes d'Andrieux et aux fables de Ginguené et d'Arnault, on aura dressé, ou à peu près, le bilan de cette poésie correcte, çà et là spirituelle, le plus souvent ennuyeuse et vide, et qui tranche si cruellement avec la grande renaissance poétique dont les Méditations de Lamartine allaient donner le signal. Il serait injuste cependant de ne pas signaler chez quelques poètes de ce temps (Fontanes, Baour-Lormian, Chênedollé, Millevoye, Soumet), ou du moins dans quelques-unes de leurs productions, une sentimentalité assez pénétrante déjà , des accents sincères, une mélancolie dont l'expression n'est pas toujours sans rapport avec celle des premiers romantiques. Dans le groupe des classiques finissants, ils annoncent et préparent la poésie nouvelle et la rattachent en même temps à la tradition.Les RomantiquesLa poésie romantiqueLe romantisme.Les théories romantiques ont été souvent exposées dans les articles de journaux tels que le Globe, et surtout dans la préface de Cromwell, où Victor Hugo rédigea le manifeste de l'école (1827). La critique en a été présentée non moins souvent, mais jamais avec plus d'esprit et de justesse que par un romantique converti, Alfred de Musset, dans la première de ses Lettres de Dupuis et Cotonet. Ces théories sont toujours singulièrement vagues, et témoignent de l'ignorance qu'apportent en littérature les nouveaux venus. Mais ce caractère d'indécision tient surtout à ce qu'il n'y a pas à proprement parler une doctrine romantique. On peut en effet, réduire en quelques formules positives la théorie classique : il n'en est pas de même pour les théories des romantiques : ceux-ci se sont contentés de prendre constamment le contre-pied des idées de Boileau, qu'ils traitent de «-perruque-», et de Racine, qu'ils traitent de « polisson ». Les classiques étaient des idéalistes et pensaient que l'art doit être surtout la représentation du beau; les romantiques réclameront un droit de cité littéraire pour la représentation de la laideur et ou grotesque : l'union du grotesque et du sublime sera justement la marque propre d'un genre distinct de la tragédie et de Ia comédie, né du mélange de ces deux genres et qui s'appellera « le drame ». Les classiques considèrent que la raison est, en poésie, la faculté maîtresse, les romantiques réclameront au nom de l'imagination et de la fantaise. Les classiques vont chercher dans l'Antiquité les modèles de leur art et la source de leur inspiration; les romantiques s'inspireront des littératures étrangères modernes, de Goethe, de Schiller et de Byron : ils jureront sur les exemples de Shakespeare, comme on jurait au XVIIe siècle sur la parole d'Aristote. A la mythologie païenne ils substitueront l'art chrétien du Moyen âge, célébreront la cathédrale gothique, et remplaceront les aèdes par les troubadours. C'est vers la réforme du théâtre que se portera le principal effort : plus d'unités, plus le songes, plus de confidents; en revanche, un milieu historique, des décors compliqués et des costumes authentiques. Pour la forme, le système est le même. Les classiques appréciaient surtout la clarté et la précicision : on recherchera davantage l'éclat et la couleur; on poussera jusqu'à la manie le goût des procédés à effet, le contraste et l'antithèse. A la versification régulière et monotone règlementée par Boileau on préférera une versification assouplie par les césures mobiles, les coupes variées, les enjambements. On le voit le programme des romantiques est un programme le combat, leur doctrine est purement négative. C'en est le principal mérite. En littérature, toute formule une fois précisée est une entrave : les romantiques ont rendu le service de briser les formules classiques. Ils ont fait oeuvre d'affranchissement et déblayé le terrain. Les deux Cénacles.
Le
salon de Ch. Nodier.
Le
second Cénacle.
LamartineAlphonse de Lamartine (1790-1869) n'est pas un poète de profession. Diplomate, député, ministre, il écrit des vers d'inspiration. En 1820, les Premières Méditations répondent au goût et aux besoins du public; Lamartine y exprime l'angoisse et les espérances d'une âme qui s'apaise dans la Nature et en Dieu. Dans les recueils suivants, et dans son épopée de Jocelyn, il abuse de sa facilité; mais on y rencontre encore des morceaux de génie. Sur la fin de sa vie, il écrit à la hâte et pour vivre. Il meurt presque oublié; mais la postérité l'a remis au premier rang.Lamartine est un des plus grands poètes : on peut mettre son nom à côté de celui de Victor Hugo au XIXe, siècle. Il est, comme l'a dit avec un charme extrême Anatole France, l'incarnation même de la poésie; l'admirable effusion de ses vers, si abondante, si mélodieuse, semble presque involontaire: ils sont beaux parce qu'ils reflètent les plus hauts sentiments, les pensées les plus délicates; le poète ne chante que lorsque l'inspiration le presse; sa rêverie le domine. On ne trouve dans ses vers aucun effort de rhétorique ou de langue. Si bien qu'on y a vu le plus habile artisan de mots et de vers de son siècle et peut-être de tous les siècles. L'impression produite par les Premières Méditations fut immense; cette poésie, si chaste, plaintive, élégante et passionnée fut une révélation, une véritable extase : il répondait à ce besoin d'infini et d'amour qui tourmentait les âmes après tant de malheurs et de révolutions. Cette murmurante poésie qui ne parlait que du ciel ou des plus innocentes amours de la terre prit au coeur toute une génération. « Le coeur de la France, dit Jules Janin, battit doublement au nom de Dieu et au nom d'Elvire. »Ce fut la grande fête de la poésie. Les secondes Médidations ne sont plus comme les premières remplis de passions mortelles; elles s'éloignent de la terre : c'est la poésie de toutes les âmes tendres, c'est la plus haute philosophie du sentiment. Enfin dans les Harmonies le poète atteint le plus haut degré d'élévation et d'idéal. C'est la poésie qui a le mieux formulé l'infini. « Ses vers, a dit Théophile Gautier, se déroulent avec un harmonieux murmure comme les lames d'une mer d'Italie ou de Grève, roulant dans leurs volutes transparentes des branches de laurier, des fruits d'or tombés du rivage, des reflets de ciel, d'oiseaux ou de voiles et se brisent sur la plage en étincelantes franges argentées. »Son génie, fait de méditations et de rêveries, est tout personnel : il a dit lui-même qu'en fait de bibliothèque un Tacite, un Ossian, un Tasse, un tome dépareillé de Bernardin de Saint-Pierre et l'Imitation de Jésus-Christ lui suffiraient. Au plus fort de sa vie politique, il écrivit le suave poème de Jocelyn, épopée domestique pleine de bonne humeur, de vérité simple et de charme, touchante histoire de la passion sacrifiée au devoir; son héros est un curé de campagne. Après ce poème mélancolique, il a chanté dans la Chute d'un Ange les mystérieuses époques de l'humanité primitive. Ces deux longues élégies sont par place admirables et dignes de son génie.
L'éloquence politique de Lamartine est digne de sa poésie, mais la haute raison de ses magnifiques discours politiques était trop enveloppée de poésie pour convaincre la Chambre qu'elle ne parvenait qu'à séduire. Les tristesses de la fin de sa vie, les humiliations que sa prodigalité passée lui valut ont nui à la réputation du poète. Obligé de réparer les brèches faites à sa fortune par un colossal labeur, Lamartine entassait volumes sur volumes; il travaillait sur commande, restant sans défense aux mains des entrepreneurs de journaux auxquels il vendait des mémoires, des Confidences où il révèle les secrets de sa jeunesse et de ses premières amours, où il intercale des commentaires d'un incommensurable orgueil sur ses oeuvres poétiques. Ses incessants besoins d'argent l'obligèrent à solliciter le public de toutes façons, sous forme de loteries, de souscriptions, de dotations; il accepta de grands domaines du sultan; il accepta un demi-million de l'Empire. (Ph. B.). Lamartine, selon ses propres termes, a
été le poète que le public attendait depuis J.-J.
Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre et
Chateaubriand.
(Préface des Méditations.) Il a bercé la mélancolique génération
de 1820, puis on l'a un peu oublié du jour où le public, dressé par
Victor Hugo, Théophile Gautier et Leconte
de Lisle, a exigé un art plus fécond en ressources, une poésie plus
objective, aux contours arrêtés. Mais on revient à lui aux heures de
rêverie et de tristesse. La poésie de Lamartine, expression si pénétrante
des sentiments profonds, nous semble la voix d'un ami, écho fidèle et
tendre de la nôtre, qui nous console et nous élève au-dessus de nous-mêmes.
Ce
« Une douleur que vos vers ont pu endormir un moment, un enthousiasme que vous avez allumé le premier dans un coeur jeune et pur, une prière confuse de l'âme à laquelle vous avez donné une parole et un accent [...] la moindre de ces choses saintes consolerait de toutes les critiques et vaut cent fois, pour l'âme du poète, ce que ses faibles vers lui ont coûté de veilles ou d'amertume. » (Des destinées de la poésie). Victor HugoVictor Hugo (1802-1885) est avant tout poète, et ne cesse d'écrire des vers. Les circonstances le jettent dans la politique; il est exilé de 1851 à 1870; il est le plus populaire des écrivains français. Il s'élève par degrés, des Odes et Ballades aux Orientales, aux Feuilles d'Automne, etc., et son originalité se dégage de plus en plus; elle atteint sa plénitude dans les Châtiments, et dans la Légende des siècles, où V. Hugo renouvelle l'épopée. Poète, il est visionnaire, peintre, virtuose.L'oeuvre poétique.
Les Ballades nous révèlent en lui déjà la recherche du pittoresque et de l'antithèse. Si le poète des Feuilles d'automne et des Contemplations s'annonce dans les Odes, dans les Ballades ce serait plutôt celui, mais combien timide encore, de la Légende des siècles. A signaler parmi les Ballades : le Sylphe, le Géant, la Fiancée du timbalier, et des « plaisanteries » de virtuose : la Chasse du Burgrave, le Pas d'armes du roi Jean. Les
Orientales (1829).
Les
Feuilles d'automne (1831), les Chants du crépuscule (1835),
Les
Châtiments
(1853).
Les
Contemplations (1856).
La
Légende des siècles.
Les perles de ce trop large écrin sont : la Conscience, Booz endormi, le Romancero du Cid, le Mariage de Roland, Aymerillot, le Petit Roi de Galice, Eviradnus, le Travail des captifs, l'Aigle du casque, la Rose de l'Infante, le Retour de l'Empereur, Après la bataille, le Cimetière d'Eylau, les Pauvres Gens. Voilà , peut-être, à quoi pourraient se réduire ces « petites épopées »; et, dégagées de tout le fatras qui les alourdit, elles apparaissent comme une des merveilles de la poésie épique au XIXe siècle. Les
autres recueils.
Le lyrisme de
Victor Hugo.
Pour la forme, Victor Hugo n'a pas, comme Lamartine, donné d'un premier jet ses plus beaux chefs-d'oeuvre. Son art s'est dégagé lentement, et il y entre autant de volonté que d'inspiration. Il se perfectionne de jour en jour dans son métier. Semblable à un artiste qui devient peu à peu maître de son pinceau et de sa palette, et qui a le souci d'enrichir et de renouveler sa manière, Hugo, d'année en année, est de plus en plus un visionnaire et un peintre. Visionnaire, il l'est par la structure même de son oeil, qui lui fait distinguer, jusque dans les choses banales, des contours, des profondeurs, des nuances. Son imagination s'empare de ce que son oeil lui a révélé; elle le précise, le met au point, et le revêt, pour le peindre, de figures splendides. Par ces figures, elle donne au réel la profondeur et le mystère de la vision; elle donne au rêve et à l'abstrait la solidité et l'éclat du réel. Souvent aussi, cette imagination grossit, enfle, et dénature les choses, au point de fatiguer et de rebuter le lecteur. Victor Hugo n'a manqué que de sobriété et de mesure. Voilà pourquoi la postérité a dû faire un choix dans cette oeuvre et immense. Alfred de VignyLe comte Alfred de Vigny (1797-1863) occupe une place à part dans la poésie romantique. Entré dans l'armée au moment où l'épopée impériale était close, il, ne pouvait avoir, comme officier, que des déceptions. Aussi démissionna-t-il, en 1827, pour se retirer dans sa « tour d'ivoire ».Depuis 1820, il s'était mêlé au mouvement romantique; il avait collaboré au Conservateur littéraire de Victor Hugo. Poèmes
antiques et modernes.
I. Le Livre mystique, composé de Moïse, Éloa, le Déluge. Dans Moïse, Vigny exprimait la théorie de la fatalité qui s'attache au poète (Chatterton). Eloa, ou la soeur des anges, mystère, est un court poème en trois chants. Un ange, né d'une larme du Christ, Éloa, aime par pitié Satan, et est entraîné par lui dans l'abîme. Poésie sereine et harmonieuse, mais froide.Vigny, après cette publication, se tourna vers le roman et vers le théâtre. Il ne donna plus, comme poèmes, que le Mont des Oliviers et la Maison du berger (insérés dans la Revue des Deux Mondes). Après sa mort seulement parut le livre intitulé les Destinées, et qui comprend, avec les deux pièces que nous venons de nommer, ses plus beaux poèmes : la Colère de Samson, la Mort du loup, la Bouteille à la mer, l'Esprit pur. La philosophie
de Vigny.
Il y a de la beauté dans ce pessimisme, et Vigny a su présenter ses idées dans des «-symboles » bien choisis, saisissants par leur simplicité et par leur puissance. Mais cette indifférence superbe à l'égard de la nature prive les sujets de décor, de profondeur, et de ce que les paysagistes et les peintres en général appellent de l'air. Voilà pourquoi Vigny fait plutôt des bas-reliefs que des statues, et des dessins que des tableaux. Alfred de MussetNé et mort à Paris, Alfred de Musset (1910-1857) appartenait à une famille qui s'était déjà distinguée dans les lettres. Tout jeune, il fréquenta le Cénacle de l'Arsenal, où il fut accueilli comme une sorte d'enfant terrible du romantisme.Sans bien s'en rendre compte, peut-être, il en parodia spirituellement les excès dans ses premiers vers : Contes d'Espagne et d'Italie (1830). Vint ensuite le Spectacle dans un fauteuil (1832), comprenant la Coupe et les Lèvres, A quoi rêvent les jeunes filles, Namouna. Tous les vers écrits de 1829 à 1835 formèrent le recueil des Premières Poésies. A partir de 1835, Musset publie dans la Revue des Deux Mondes ses plus beaux morceaux : les Stances à la Malibran, les Nuits, la Lettre à Lamartine, l'Espoir en Dieu, etc., qui forment le recueil des Poésies nouvelles (1836-1852). Il donnait en même temps des nouvelles, des comédies, un roman autobiographique : la Confession d'un enfant du siècle. Reçu à l'Académie française en 1852, il mourut prématurément en 1857. Les chefs-d'oeuvre de Musset, dans les
différents genres lyriques, sont : - Rolla (1833), poème sans
composition précise, mais qui contient des morceaux éloquents, quoique
un peu gâtés par l'abus de la rhétorique; - les Nuits : la Nuit de
mai (1835), la Nuit de décembre (1835), la Nuit d'août
(1836), la Nuit d'octobre (1837); les plus belles sont la première
et la dernière. La Lettre à Lamartine (1836) est une magnifique
profession de foi spiritualiste; elle se complète par l'Espoir en Dieu,
(1838) et le Souvenir (1841). - Dans les Stances à la Malibran
(1836), Musset pleure la mort d'une grande artiste, qui a donné sa vie
pour son art. - Dans le délicieux badinage intitulé Sur trois marches
de marbre rose (1840), il est étourdissant d'esprit et de virtuosité.
- Citons encore : Une Soirée perdue (1840), qui contient un éloge
de Molière devenu si justement célèbre;
le Saule; Silvia, etc.
Musset n'est qu'à demi romantique. Sans doute, il a écrit les Contes d'Espagne et d'Italie, les Marrons du feu, etc.; mais son romantisme est d'un espiègle plein de talent, qui s'amuse à ramasser l'instrument d'autrui, et à en jouer pour mystifier le public. Peut-être, d'ailleurs, Musset se laissait-il prendre à son propre jeu; peut-être la Ballade à la lune, la Coupe et les Lèvres, Rolla, lui paraissaient-ils des chefs-d'oeuvre, quand une crise terrible vint le secouer. Alors, adieu la « couleur locale-», le pastiche, l'amour de mélodrame, la déclamation. « Ah! frappe-toi le coeur, c'est là qu'est le génie! » Musset ne pense plus qu'à chanter son désespoir, ses douleurs, ses souvenirs. Il est devenu le plus grand poète de l'amour sincère et trompé. La crise passée, il n'est plus romantique du tout, pas même comme Lamartine, dont il se rapprochait dans les Nuits, l'Espoir en Dieu et le Souvenir. Il devient un poète presque classique, avant tout spirituel, d'une sensibilité discrète, un héritier de La Fontaine et de Marivaux. Il écrit sur le romantisme les ironiques et cruelles lettres de Dupuis et Cotonet. Les critiques classiques, comme Nisard, le tirent à eux et il est possible qu'un jour on le place à part, comme un poète tout à fait indépendant. Les poètes secondairesOn peut encore citer quelques poètes lyriques de cette période (1815-1850).Delavigne.
Béranger.
Deschamps.
Desbordes-Valmore.
Brizeux.
Barbier.
Laprade.
Du Romantisme au Parnasse G. de NervalGérard Labrunie, dit Gérard Nerval est né et mort à Paris (1808-1855). Célèbre dès le collège par des Elegies, des Satires, et surtout par une traduction du Faust de Goethe, il eut par la suite une vie d'insouciance et de caprice. Il possédait l'art de la forme simple, délicate et fermé à la fois. Mais la vie ne fut jamais pout lui qu'un rêve dont il attendait le réveil. Partout où il mena ce rêve errant : en Allemagne, où l'attiraient la poésie tragique du Faust de Goethe, la poésie fantastique de Bürger et les Lieder mélancoliques, en Orient. vers des mirages, dans le Valois, pour entendre les vieilles légendes du terroir, si émouvantes en leur simplicité, dans les bas-fonds de Paris, dont il faisait ses palais et ses royaumes : partout il essaya d'atteindre, au delà des apparences, l'insaisissable réalité.Après avoir collaboré sous des pseudonymes à différents journaux et revues, notamment à l'Artiste, Gérard de Nerval avait publié en 1850, Scènes de la vie orientale, réimprimé sous le titre de Voyage en Orient, chef-d'oeuvre de grâce où le poète alterne avec le savant et le conteur. Vinrent ensuite : Lorelly, souvenirs d'Allemagne (1852 et 1855), promenade sur les bords du Rhin et dans la Saxe; la Bohème galante (1855), la Main de gloire (1853), les Filles du feu (1854-1856), les Illuminés (1852), enfin Aurélia ou le Rêve et la Vie, sorte de poème de la folie se racontant elle-même, et que Gérard achevait au moment de sa mort. On doit à cet incomparable écrivain mille pages délicieuses, parmi lesquelles il faut citer surtout Sylvie, cette fille du feu, naïve et malicieuse à la fois, quelque chose comme un Greuze retouché par Fragonard. La prose française n'offre pas, dans ses menus chefs-d'oeuvre, quelque chose d'aussi pur, d'aussi élégant que cette nouvelle. La langue du XVIIIe siècle, celle des Confessions et du Neveu de Rameau, lui suffit. Il est objectif sans doute, mais pas trop; son image, comme sa pensée, est toujours discrète et nuancée, et, habile à noter les détails poétiques, il voltige à fleur de terre avec aisance et légèreté. Prosateur de haute
valeur, Gérard de Nerval ne fut guère poète qu'à l'occasion, et, sous
ce titre, il ne se recommande à nous que par cette Fantaisie écrite
en 1831, et par une douzaine de sonnets recueillis
sous le titre des Chimères, à la fin de la Bohème galante.
Ces sonnets sont bien l'expression de son désespoir et de sa folie. Parfois
énigmatiques comme dans el Desdichado, plus souvent obscurs et
inintelligibles, ils n'en sont pas moins d'une rareté de forme et d'expression
qui font de lui un frère aîné de Baudelaire, de Verlaine et même de
Mallarmé.
Il avait une personnalité charmante, discrète, et toute en nuances. On ne se douterait guère, à ne le lire que dans ses chefs-d'oeuvre, qu'il vivait en plein romantisme, et, en effet; il ne fut jamais romantique au fond de lui-même. Il traversa cette époque comme une hirondelle voyageuse, se posant seulement en passant sur la flèche d'une cathédrale gothique, pour repartir bien vite vers le soleil, vers l'Orient, qui le hanta toute sa vie, où il vécut même deux ans, et où il eut avec la poésie des noces d'or dignes d'illustrer un conte des Mille et une nuits. Ses vers sont les échos de ses amours transfigurées, de ses visions troublantes, de sa folie trop réelle. Le style de ses admirables nouvelles ne cesse pas d'être simple et frais; et il exprime cependant les pressentiments obscurs, les mystérieuses harmonies, les souvenirs des existences antérieures, les révélations sur l'existence future, que Gérard de Nerval croit saisir avec sa sensibilité d'acorché. Le contraste n'est pas seulement saisissant, tant il est douloureux. Théophile GautierThéophile Gautier (1811-1872) se croit d'abord la vocation de peintre (et il ne se trompe que sur l'emploi des procédés); c'est comme rapin, élève de Rioult, qu'il prend part à « la bataille d'Hernani », et qu'il scandalise les « philistins » avec son pourpoint rouge cerise, son pantalon vert d'eau, et son pardessus gris noisette. Il publie ses premiers vers à la fin de 1830, sans y révéler encore autre chose qu'une certaine sûreté dans la facture. En 1833, son originalité se détermine dans Albertus, où il se montre romantique assez exagéré; mais la même année, avec une désinvolture d'esprit qui rappelle celle de Musset, « il blague » ses amis dans les Jeune-France. Il commence à cette époque à écrire dans les revues et dans les journaux; c'est en 1837 qu'il entre à la Presse pour y faire la critique dramatique et la critique d'art; puis, en 1845, il passe au Moniteur. Toute sa vie, il s'est plaint de cet esclavage, auquel il s'est cependant condamné par vocation ; car il a, quoi qu'on en dise, - l'étoffe d'un véritable critique, mais d'un critique impressionniste, Il n'en continue pas moins à publier des vers, parallèlement avec des romans; la Comédie de la mort (1838), Emaux et Camées (1852), le Roman de la momie (1856), le Capitaine Fracasse (1863); et des voyages : Tra los montes (Voyage en Espagne, 1839), Italia (1852), Constantinople (1854), Voyage en Russie (1866).Théophile Gautier pratique le premier la théorie de « l'art pour l'art ». Il réagit contre l'«-hypertrophie du Moi », contre les perpétuelles effusions sentimentales (Lamartine), contre les désespoirs de l'amour déçu (Musset), contre les prétentions philosophiques ou politiques du poète (Vigny, Hugo). Selon Gautier, le poète est un homme qui voit le monde extérieur et qui en exprime, en vers plastiques et colorés, les aspects divers. Ce n'est pas qu'il bannisse toute idée de la poésie; mais il n'en impose aucune à son lecteur; celui-ci, devant un tableau ou devant une silhouette, éprouvera tel on tel sentiment comme devant la réalité. Aussi Gautier est-il avant tout un grand artiste, qui peut-être, en plein romantisme, a sauvé la langue et la versification françaises d'une sorte de diffusion verbale et rythmique. Son chef-d'oeuvre est Émaux et Camées. BaudelaireHéritier des Romantiques (les sentiment), contemporain des Parnassiens (la perfection du style), précurseur des Symbolistes (la rêverie), Baudelaire (1821-1867) avec sa sensibilité douloureuse, son goût du rare et du faux, son mépris du simple et du vrai, son culte de la forme et du rythme, avec toutes qualités et tous ses défauts,occupe une place à part et unique dans la poésie du XIXe siècle.On était un peu las des confessions passionnées et douloureuses. Charles Baudelaire (1821-1867), traducteur du romancier Edgar Poe (Histoires extraordinaires 1856. Nouvelles histoires extraordinaires 1857. Histoires grotesques et sérieuses 1865), voulut éviter la banalité par l'extraordinaire. Un seul recueil, les Fleurs du mal (1857), fit sa réputation. On trouve dans ces poésies inquiètes, tourmentées, d'un raffinement morbide, une mélancolie torturée, un réalisme abrupt, des élégances parfois exquises, et une incomparable puissance d'expression. L'ennui.
Et de longs corbillards, sans tambour ni musiqueLa pensée de la mort. Il songe aussi aux misères, aux hontes de l'humanité avilie qu'il dépeint dans des tableaux crus (Le vin de l'assassin). Il recherche tout ce qui est étrange ou mystérieux; il aime l'énigme vivante du chat (le Chat, les Chats). Mais plus que toute autre, la pensée de la mort le poursuit. Des spectres rôdent dans ses vers. (Voir notamment les dernières pièces groupées sous le titre La Mort). On songe à Villon, mais l'expression est plus brutale. Ainsi cette idée que la beauté est périssable, idée dont Ronsard avait tiré la pièce charmante : Quand vous serez bien vieille, se présente dans Baudelaire sous forme d'un tableau repoussant et désolé : Une Charogne. Le don du symbole.
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent,Cette gerbe de fleurs, poussées dans les bas-fonds de la sensibilité, révèle la décomposition du romantisme. Le coeur a perdu toute pudeur. Il a gagné en vérité. Théodore de BanvilleLes Fleurs du Mal sont dédiées « au poète impeccable, au parfait magicien ès-lettres françaises », Théophile Gautier, l'initiateur de la doctrine de l'art pour l'art . Théodore de Banville (1823-1891) est son disciple aussi par l'importance qu'il donne à la facture dans son Petit Traité de versification française (1872) aussi bien que dans ses divers recueils : les Cariatides (1842) et les Stalactites (1846), poèmes inspirés surtout de l'Antiquité grecque, les Odelettes (1857) et les Odes funambulesques (1857) où domine la fantaisie, les Exilés (1867) qu'inspire davantage la mélancolie et le sentiment de la solitude morale. Pour lui la rime est le seul mot du vers qu'on entende, et il met tout son effort à la rendre riche, imprévue, baroque à l'occasion. Sans doute, Banville cherche surtout les effets de rythme et de rime, et la plupart de ses petites pièces ne valent que par la forme; mais il a mis une fausse coquetterie à se railler de la pensée et du sentiment, car il est plus d'une fois heureusement inspiré, et son talent de ciseleur n'exclut ni la finesse ni la sensibilité.La poésie éruditeMénard.Louis Ménard (1822-1901) s'adonna à la poésie, puis à la chimie, et découvrit le collodion (1846). Républicain ardent, il collabora après 1818 aux journaux de Proudhon, fut condamné, en 1849, à quinze mois de prison pour un livre intitulé : Prologue d'une révolution, passa alors en Angleterre, regagna Paris en 1852, et renonça à la politique active. Doué des aptitudes les plus diverses, il s'occupa à la fois de peinture, de poésie, de philosophie, d'histoire religieuse, de travaux sur les beaux-arts. En 1860, il se fit recevoir docteur ès lettres. De 1857 à 1869, il exposa au Salon des paysages. En 1887, il devenait professeur à l'Ecole des arts décoratifs, et, en 1889, le conseil municipal de Paris le chargeait de professer à l'Hôtel de Ville un cours d'histoire qu'il fit jusqu'à la fin de sa vie. C'était un penseur, un poète pessimiste, un admirateur passionné de l'hellénisme, un « païen mystique », comme il s'appelait lui-même. Nous citerons de lui : Poèmes (1855); Rêveries d'un païen mystique (1876), curieux recueil en vers et en prose; esprit indépendant, semeur d'idées, Louis Ménard a toujours vécu solitaire, dans l'extase du rêve et de la pensée. Bouilhet.
Les Parnassiens En 1866 (puis en 1871 et 1876), le libraire Lemerre publiait, sous te titre de Parnasse, un recueil comprenant des vers de Leconte de Liste, Sully-Prudhomme, J.-M. de Hérédia, A. Silvestre, Léon Dierx, F. Coppée, Villiers de l'Isle-Adam, A. Theuriet, Stéphane Mallarmé, Verlaine, Jean Lahor, Catulle Mendès, etc., auxquels le titre de la publication valut bientôt le nom de Parnassiens. Cette réunion ne fut que momentanée, et tel Parnassien s'est très vite séparé du Parnasse. Sans parler des dissidences complètes qui se produisirent avec Mallarmé et Verlaine, chefs du Symbolisme, on verra combien diffèrent, de Leconte de Lisle et de Heredia, les Coppée et les Sully-Prudhomme. Si l'école parnassienne est celle de la beauté plastique, du rythme, de l'impersonnalité poussée jusqu'à l'indifférence, le nom de Parnassien ne convient exactement qu'à Leconte de Lisle et à , J.-M. de Hérédia. Les autres, comme Sully-Prudhomme et F. Coppée, encore qu'on les appelle Parnassiens, sont des poètes, tout simplement, sans autre étiquette que leur illustre nom. La poésie parnassienneL'art romantique avait eu l'avantage, grâce au principe de liberté qui l'animait, de ne pas laisser la génération suivante prisonnière de formules : l'art put se renouveler sans secousses, conformément au mouvement général des esprits.Théories et caractères
généraux.
L'impersonnalité
relative.
« Il y a dans l'aveu public des angoisses du coeur, et de ses voluptés non moins amères, une vanité et une profanation gratuites. » (Leconte de Lisle. Préface des Poèmes antiques. - Voir aussi Poèmes barbares : Les Montreurs).L'exemple de Baudelaire montrait à quelles étrangetés le lyrisme ainsi compris pouvait conduire, et les poésies posthumes de Vigny qui paraissaient (1864), à quelle hauteur au contraire la sérénité pouvait élever le poète. Les Parnassiens ne s'interdisent pas l'expression de leurs sentiments personnels. Mais elle n'est plus l'essentiel de leur poésie, et ils y apportent, avec plus de pudeur, le souci d'analyser avec justesse leurs émotions, plutôt que le désir de les étaler. L'art
et la science.
« L'art et la science, longtemps séparés par suite des efforts divergents de l'intelligence, doivent clone tendre à s'unir étroitement, si ce n'est à se confondre. » (Préface des Poèmes antiques).Le souci de la forme. Le poète se distinguera du savant parce qu'il poursuivra le beau en même temps que le vrai : La mort petit disperser les univers tremblants,Plus que les romantiques qui, sauf Hugo et Gautier, ont parfois des négligences de versification, les Parnassiens veulent l'art impeccable jusque dans les moindres détails de la technique. Tous, comme le constate Sully-Prudhomme, sont d'accord sur ce point, voire avec un peu d'excès : « C'est chez Leconte de Lisle, il v a une quinzaine d'années, dans les réunions où il voulut bien m'admettre, que j'ai pour la première fois bien compris ce que c'est qu'un vers bien fait [...]. J'appris à cette école que la richesse et la sobriété sont données toutes deux à la fois par la seule justesse [...]. L'importance que les Parnassiens ont attachée à la plastique du vers, c'est-à -dire à sa beauté purement musicale, indépendamment de la pensée ou du sentiment qu'il exprime, cette importance ne peut être bien sentie que des poètes. » (Testament poétique, Introduction).C'est à ce culte de la forme qu'on pense surtout lorsqu'on parle des Parnassiens. Pour le fond, les uns, comme Leconte de Lisle et de Hérédia, ont mis dans leurs vers plus d'érudition, les autres, comme Sully-Prudhomme, plus de pensée, les autres, comme François Coppée, plus d'observation du monde qui les entoure. Leconte de LisleVie et oeuvres.Fils d'un chirurgien militaire de la Réunion, Leconte de Lisle (1818-1894) voyagea en Inde et dans les îles de la Sonde (Indonésie), puis vint étudier et s'établir à Rennes où il se mit à écrire dans la presse locale. Il se lia avec des Fouriéristes, collabora quelque temps à la Phalange, et en 1848 rédigea une lettre des créoles à l'Assemblée nationale pour la remercier de l'abolition de l'esclavage. Mais le dégoût de la politique le prit vite. Il se consacra tout entier à la poésie, groupant autour de lui quelques amis et admirateurs, et faisant pour les libraires des traductions du grec. L'Empire finit par lui donner une pension, et la République le poste de bibliothécaire du Sénat. Il fut le successeur de Victor Hugo à l'Académie (1887). Ses oeuvres comprennent des poésies : Poèmes antiques (1852), Poèmes barbares (1862), Poèmes tragiques (1884). Derniers poèmes (1895), des traductions-: Théocrite (1861), l'Iliade (1866), l'Odyssée (1867) et un drame, adaptation d'Eschyle, Les Erynnies (1873). La poésie de
Leconte de Lisle.
La
poésie pessimiste.
Sombre douleur de l'homme, ô voix triste et profonde,Il voit la créature révoltée contre le créateur. (Poèmes barbares, l'Anathème). Mon souffle, ô Pétrisseur de l'antique limon,Mais au lieu d'aboutir, comme Vigny, au stoïcisme, Leconte de Lisle, à la manière des Hindous, n'aspire qu'à l'anéantissement. Le bien suprême, c'est la mort qui nous donne le repos, et par laquelle nos éléments dissociés vont se confondre dans l'ample sein de la nature. (Voir Poèmes antiques : Dies irae, Midi). Que ne puis-je, couché sous le chiendent amer,La poésie mythique et légendaire. Le poète est tout plein d'un amer dégoût pour la vie et la laideur du monde moderne. (Poèmes barbares : Aux modernes). « Depuis Homère, Eschyle et Sophocle, qui représentent la poésie dans sa vitalité, dans sa plénitude et dans son unité harmonique, la décadence et la barbarie ont envahi l'esprit humain. » (Poèmes antiques. Préface).Il se tourne vers le passé lointain. Il conte les légendes de la Grèce, terre chérie de la Beauté (Poèmes antiques : Hélène, Niobé, L'Enfance d'Héraklès, etc.); celles des époques violentes, où l'humanité barbare avait au moins une grandeur farouche (Poèmes barbères. La Tête du Comte. Poèmes tragiques : L'Apothéose de Mouca-al-Kébyr, Les Siècles maudits, Le Lévrier de Magnus, etc.); celles de l'Inde qu'il a connues dans ses voyages et qu'inspire le désir de la paix suprême dans le Nirvana (Poèmes antiques, Bhagavat, Çunacépa, La Vision de Brahma, etc.). Il écrit ainsi une sorte de Légende des Siècles moins pour brosser des tableaux historiques que pour satisfaire sa sensibilité d'artiste désabusé. La
poésie exotique.
O mers, ô bois songeurs, voix pieuses du monde,Il l'a connue dans tout son éclat et sa vigueur sous les tropiques. Il en décrit la végétation puissante et exotique, les couleurs vives dans la lumière crue (Poèmes Antiques : Juin, Midi, Nox; Poèmes barbares : L'Oasis, La Fontaine aux Lianes, La Ravine Saint-Gilles, La Forêt vierge, etc.). Il aime plutôt la force que la grâce, et son regard observateur s'arrête volontiers sur les grands fauves et les reptiles redoutables. (Poèmes barbares : Les Eléphants, La Panthère noire, Le Rêve du Jaguar, etc.). L'art de Leconte
de Lisle.
La
précision dans la description.
Vingt Cipayes, la main sur leurs pommeaux fourbisLes êtres et les choses sont observés pareillement avec une précision qu'un peintre envierait. Il est impossible par exemple de mieux montrer par les mots un jaguar qui regagne sa tanière : Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue;La précision dans le vers. Non seulement Leconte de Lisle cherche et rencontre le mot pittoresque et l'épithète significative, mais dans ses vers si pleins rien n'est laissé au hasard. Les coupes, le mouvement, les sonorités, tout concourt à l'impression d'ensemble. La musique du vers est l'accompagnement juste de l'idée. On peut en juger par ces vers qui veulent rendre les bruits d'un crépuscule tropical : C'est une mer, un lac blême, maculé d'îlesCes poèmes de marbre, élaborés d'un effort patient et heureux, n'ont contre eux que leur perfection presque absolue. On y souhaiterait ce qu'on trouve chez Victor Hugo, un frisson ou un sourire, ou poète et lecteur communient dans la même humanité. José-Maria de HérédiaLe disciple préféré de Leconte de Lisle fut José Maria de Hérédia (1839-1907), cubain élevé en France et qui suivit les cours de l'Ecole des Chartes. Il a de la poésie la même conception que son maître, sans avoir le même pessimisme. Son recueil de sonnets, les Trophées (1893), est aussi à sa manière une Légende des Siècles en miniature, où sont passés en revue la Grèce et Rome, la Renaissance, l'Orient et les Tropiques. L'auteur iy réalise ce tour (le force de faire tenir dans les quatorze vers d'un sonnet toute une époque (Némée, La Trebbia, Soir de bataille, La Belle Viole, Les Conquérants, etc.). Son secret, outre le choix des détails pittoresques, est dans la plénitude de l'expression, et surtout clans l'art de lancer pour ainsi dire l'imagination du lecteur par le dernier vers. Ce sont les navigateurs en route vers l'Amérique qui voient surgir :Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles. (Les Conquérants).C'est Cellini, ciseleur habile, qui représente : Le combat des Titans au pommeau d'une dague. (Sur le Pont vieux).Le poète lui ressemble par la même adresse. GlatignyAlbert Glatigny (1839-1873), fils d'un charpentier, devint clerc d'huissier, apprenti typographe, puis comédien ambulant. Il s'enthousiasme à la lecture des Odes funambulesques de Banville, et se révèle soudain poète. Il publie les Vignes folles (1857), les Flèches d'or (1864), Gilles et Pasquins (1871); ces trois recueils ont été réunis en un volume : Oeuvres (1879), avec une notice d'Anatole France. Glatigny a écrit aussi, en vers, quelques essais dramatiquesGlatigny est, dans l'histoire du Parnasse, comme un héros à demi légendaire. On a fait de ce poète sympathique et amusant, mais sans grande envergure, mort très jeune, à trente-quatre ans, un amant de l'idéal, un poète primitif, un génie spontané, que la passion du vers était allé chercher au village, et dans un milieu populaire. Son oeuvre est très courte. Son premier recueil, Vignes folles, est dédié à Théodore de Banville, et en effet il procède directement des Odes funambulesques. Glatigny le déclare gentiment : Oh! mes vers! On dira que j'imite Banville.Bien entendu, ce sont surtout les procédés banvillesques que Glatigny saisit; il répète, sans trop de conviction, les hymnes à la beauté grecque, aux belles statues antiques; et il s'amuse surtout à des exercices de virtuosité; il jongle avec les rimes; il « accouple des mots jaunes, bleus ou roses » où il croit trouver « de jolis effets ». Sa facilité était telle que, vers la fin de sa vie, une de ses ressources fut de donner des séances d'improvisation : on lui jetait des sujets, des rimes; « il les cueillait au vol comme des mouches ». Les Flèches d'or sont dédiées à Leconte de Lisle; évidemment Glatigny y fait effort pour se hausser jusqu'à la sérénité philosophique et à l'inspiration antique, qui pouvaient agréer au maître; mais il se plait surtout à écrire des pièces fantasques et railleuses, qui sont d'un joli réalisme descriptif. Il est un exemple excellent de ce que pouvait donner la doctrine parnassienne chez un poète doué d'une merveilleuse facilité verbale, mais qui, vraiment, n'avait pas grand-chose à dire. DierxLéon Dierx (1838-1912), né à l'île de la Réunion, vint jeune à Paris et publia, en 1858, des Aspirations, qu'il n'a pas recueillies dans ses oeuvres complètes. Il donne, en 1864, des Poèmes et poésies (remaniés plus tard); en 1867, les Lèvres closes; en 1871, les Paroles d'un vaincu; en 1879, les Amants. Un petit emploi au ministère de l'Instruction publique contenta son ambition, sa vie durant. Il fut élu « prince des poètes-», en 1898, à la mort de Mallarmé. Oeuvres complètes, 2 volumes, 1888.Dierx, comme Glatigny, fait partie de la légende dorée du Parnasse; cette légende le surfait un peu. Catulle Mendès l'a proclamé « l'un des saints, non le moindre, de la religion poétique ». « Jamais, dit Mendès, il n'a péché contre le rêve et l'idéal. » Ce pur parnassien a trouvé grâce auprès des symbolistes eux-mêmes. Créole, comme Leconte de Lisle, et son ami intime, il est vraiment son reflet, un reflet extraordinairement ressemblant. Ses poèmes sont de tragiques histoires, lointaines, anciennes et compliquées, qui, toutes, disent les crimes du passé et traduisent le désespoir du poète. Ces aventures sont plus solennelles et mystérieuses que celles qu'a contées le maître; la composition et le style en sont plus hautains, plus hiératiques; la philosophie, souvent plus désespérée : mais un lecteur de Leconte de Lisle éprouve, à lire ces poèmes, la sensation du déjà vu. Dierx retrouve son originalité quand il veut que son vers devienne pure musique, quand il l'emploie à traduire des sensations, voluptueuses et vagues, non plus des idées au relief arrêté. Il a réussi quelques difficiles tentatives, dont lui ont su gré les poètes de la génération symboliste : le Soir d'octobre, par exemple, où chaque vers se prolonge en écho dans le vers qui suit, et où les images, les réflexions, les sensations s'emmêlent suivant une ligne sinueuse et imprévisible, séparées de temps en temps par un tintement de cloche, dont peu à peu la douce tristesse finit par tout envahir; ou bien encore Croisée ouverte, où deux sensations de blancheur mobile finissent par se transposer complètement : celle des doigts d'une jeune fille courant sur les touches d'un clavier, celle d'une bande de ramiers voltigeant sur les prés voisins. Ce sont de petits chefs-d'oeuvre d'une rare perfection. Sully-PrudhommeVie et oeuvres.René Sully-Prudhomme (1839-1907) paraissait destiné plus spécialement à réaliser l'union de la science et de la poésie, dont parlait Leconte de Lisle. Il commença en effet par de sérieuses études scientifiques, puis il fut ingénieur au Creusot. Plutôt fait pour la contemplation que pour l'action, il essaya du droit et vint enfin à la poésie. Il recevra le prix Nobel de littérature en 1901. Ses principaux recueils sont : Stances et poèmes (1865), Les Epreuves (1866), Les Solitudes (1869), Les Vaines Tendresses (1875), La Justice (1878), Le Bonheur (1888). Il a aussi traduit en vers le 1er livre de Lucrèce : La Nature des Choses (1878). - En prose il a laissé des ouvrages d'esthétique et de philosophie : L'Expression dans les Beaux Arts (1883), Que sais-je? (1895), Testament poétique (1901), La Vraie Religion selon Pascal (1905). La poésie de
Sully-Prudhomme.
C'est de ce côté qu'il alla. Il se proposa bientôt de « faire entrer dans le domaine de la poésie les merveilleuses conquêtes de la science et les hautes synthèses de la spéculation moderne », non plus par le moyen du symbole, mais sous une forme directe. Avec des poèmes comme la Justice et le Bonheur, sa poésie devint toute didactique, et les conséquences s'en firent vite sentir. Puisqu'il ne s'agissait plus que de versifier, de façon précise et correcte, les formules philosophiques et scientifiques, le vers n'avait plus, de l'aveu même du poète, une valeur de suggestion plastique ou musicale; il n'était qu'un aide-mémoire. Ce sont, dès lors, de continuels tours de force qu'il faut tenter, et Sully-Prudhomme ne triomphe pas toujours des difficultés qu'il se propose; aussi bien veut-il décrire en vers très brefs le paratonnerre, le baromètre, la quadrature du cercle, la table de Pythagore. ou résumer les principaux systèmes de métaphysique! Souvent il met des notes, sans quoi l'on ne comprendrait pas. Par moments brillent de beaux vers et de nobles pensées. Mais la conception même que le poète se fait de la poésie la détruit, tout simplement; la pensée s'anémie dans une forme étriquée; le vers n'est plus qu'une prose inexacte. Sully Prudhomme paraît l'avoir compris; après le Bonheur (1888), il renonça vraiment à la poésie, et n'écrivit plus en vers que quelques pièces de circonstance. Il ne semble pas qu'on le lise beaucoup aujourd'hui, hors quelques pièces d'anthologie, dont la meilleure n'est pas le Vase brisé. Mais il garde des fidèles, qui n'aiment pas seulement ses vers d'amour et qui voient dans son oeuvre le plus admirable effort qu'ait fait la poésie française au XIXe siècle pour traduire les émotions intellectuelles et les angoisses philosophiques; ils lui sont reconnaissants d'avoir montré, dans ces hautes spéculations, une personnalité non pas inhumaine à force de stoïcisme ou de résignation, mais tendre, douloureuse et délicate. François CoppéeLes Parnassiens devaient être tentés d'appliquer à la société parisienne les procédés de peinture exacte de leur maître Leconte de Lisle, et d'essayer de faire en poésie une place aux réalités médiocres de la vie courante auxquelles les romanciers intéressaient le public. Ils avaient pour s'en autoriser mieux que l'exemple de Sainte-Beuve et de ses Poésies de Joseph Delorme, c'est-à -dire celui de Victor Hugo qui dans Les Pauvres Gens avait réellement fondé le genre. Eugène Manuel le premier s'en fit une spécialité, notamment dans ses Poèmes populaires (1871), et dans un drame en un acte : les Ouvriers (1870).Vies et oeuvres.
1° Poésie : Le Reliquaire (1866), Les Intimités (1868), La Grève des Forgerons (1869), Les Humbles (1872), Promenades et intérieurs (1872), Olivier (1875), Élégies (1876), Contes en vers (1881 et 1887). - 2° Théâtre : Le Passant (1869), Le Luthier de Crémone (1877), Le Trésor (1878), Severo Torelli (1883), Les Jacobites (1885), Pour la Couronne (1895). - 3° Prose : La Bonne Souffrance (1898), Une Idylle pendant le siège, Contes en prose, Toute une jeunesse, Mon Franc-parler (4 séries), Les Vrais Riches, etc. La poésie de
F. Coppée.
Mais, très vite, il dériva vers la forme de poésie qui devait assurer sa popularité : l'expression de la bonne et simple sentimentalité populaire, dont le Petit Épicier de Montrouge (1872) est resté le type célèbre; si peu qu'on force le ton, cette pièce devient légèrement caricaturale; on en a fait des pastiches qui ressemblent dangereusement au modèle. La gloire de Coppée lui valut les durs mépris de la jeune école de poètes; on le traita de naturaliste. « Il n'y a là qu'un cas de mauvaise littérature, » écrira Henri de Régnier. Et, de fait, Coppée abandonna, surtout dans ses dernières années, l'idée même de l'art pour l'art ; il se proposa, avant tout, une oeuvre d'action sociale; et la qualité de ses vers, la valeur artistique de ses thèmes comptèrent bien peu, à ses propres yeux. La poésie à la fin du XIXe siècle et au début du XXeLe Symbolisme a apporté une poétique nouvelle, et par là il faut entendre à la fois une conception esthétique et une technique. Il a commencé par se manifester comme un mouvement d'opposition à la littérature régnante : c'est là sa part critique et négative. Dans les années qui s'écoulent entre 1880 et 1890, les esprits étaient saisis d'un certain désenchantement, qui se traduisait par les fantaisies satiriques et irrévérencieuses du Chat Noir, aussi bien que par les proclamations hardies de ceux qui s'intitulaient « décadents », rompaient avec Victor Hugo, et bannissaient François Coppée de la République des poètes. Mais en même temps se poursuivait la recherche d'un art nouveau. L'étude plus approfondie de Baudelaire, l'influence d'Arthur Rimbaud (1856-1891), qui publiait en prose Une saison en Enfer (1873), les Illuminations (1886), et en vers et prose le Reliquaire (1891), celle d'un fantaisiste comme Tristan Corbière (1845-1875) celle d'un rare esprit, comme Charles Cros (1842-1888), savant, poète et humoriste, qui interrompait ses recherches sur la photographie des couleurs pour écrire le mélancolique et gracieux Coffret de santal (1873), la connaissance des littératures étrangères, la découverte de Wagner, contribuèrent à l'étaboration des idées nouvelles, et créèrent un milieu favorable où l'apparition de la poésie de Verlaine et de Mallarmé fut comme une révélation non seulement souhaitée, mais attendue. RimbaudArthur Rimbaud (1854-1891) est à la fois un poète et un voyageur. A 16 ans, il a déjà produit la moitié de son oeuvre. S'enfuit à diverses reprises de la maison paternelle. Accompagne Verlaine à Londres, puis en Belgique (1873), où Verlaine le blesse d'un coup de revolver. A cette époque, toute son oeuvre littéraire est terminée. Depuis lors, il mène longtemps une vie errante. Il voyagea en Europe, aux îles de la Sonde, alla en Scandinavie, en Egypte (1880), à Chypre, en Afrique, au Harrar, où il fit le trafic de l'ivoire, et gagna une fortune en fabriquant des cartouches pour Ménélik. Pendant un voyage en France en 1890, il fit une chute, fut amputé d'une jambe et alla mourir à l'hôpital.Comme poète, Rimbaud est un inconnu lorsque Verlaine lui consacra une étude dans ses Poètes maudits (1884) et publia en 1886 un recueil de ses vers. Quelques pièces de lui, comme les Chercheuses de poux, le Bateau ivre, et surtout le fameux Sonnet des voyelles, le classèrent au premier rang des décadents et des symbolistes. On lui doit : une Saison en enfer (1873), autobiographie, et les Illuminations (1873-1875), poésies (1886), avec préface de Verlaine. Rimbaud est un visionnaire - et aussi un peintre réaliste, qui fait plus d'une fois penser aux maîtres flamands et hollandais. C'est un réfractaire de génie, ce poète qui cesse d'écrire à 20 ans et dont la destinée ne s'est pas accomplie. Il eut de passionnés admirateurs. Son Sonnet des Voyelles est-il vraiment une plaisanterie? Beaucoup cependant, jeunes poètes d'alors ou critiques, l'ont pris au sérieux. A côté de poèmes dont l'amertume étrange ou la brutalité sont voulues, les « Poésies complètes » renferment des pièces charmantes, écrites tout simplement et sans affectation aucune, et qui ne rappellent pas (ou presque pas) la manière des décadents. Elles se rattachent plutôt à la formule parnassienne. Elles étaient tenues en moindre estime par Verlaine et les camarades des « Vilains bonshommes». D'autres poèmes sont d'une originalité puissante, visions fulgurantes, qui donnent le vertige, notations fiévreuses. Ce génie effrayant a des sensations d'une acuité extrême, qu'il exaspère par tous les moyens. Verlaine lui trouve « d'étranges mysticités et les plus aigus aperçus psychologiques ». André Beaunier a dit de lui : « A. Rimbaud eut la rage heureuse du nouveau. Presque toutes les tentatives dont s'éprirent sa génération et celle qui suivit, c'est lai tout d'abord qui les fit, fiévreusement, incomplètement, niais avec éclat... Il donna à la poésie française qui s'endormait un peu, une secousse heureuse, dont elle est encore toute frémissante comme dans un, éblouissement merveilleux de réveil ».Quant à la forme, on peut considérer Rimbaud comme le précurseur de toutes les hardiesses prosodiques qui ont suivi. VerlaineA Paul Verlaine (1844-1896) fut réservé le privilège du pur génie lyrique. Il demeure un des meilleurs poètes de son temps et de tous les temps. Par son existence vagabonde, par son ingénuité sensuelle, par la résonance d'une sensibilité extrême à laquelle ne se mêle aucun élément intellectuel, comme par son art à la fois subtil et naturel, il est d'une originalité absolue : peut-être faut-il remonter à Villon pour lui trouver un aïeul dans la littérature française.Il a commencé par être disciple du Parnasse, et s'il est vrai que ses premiers recueils (Poèmes saturniens, 1866; Fêtes galantes, 1869; la Bonne Chanson, 1870) font entendre parfois des accents qui étonnent et qui troublent, ils ne révélaient pas encore tout ce que sa sensibilité contenait d'étrange et de mystique. C'est bien des années plus tard que Sagesse (1881); Jadis et naguère (1885), puis Parallèlement (1888), Bonheur (1891), Liturgies intimes (1892), Élégies (1893), firent connaître les chants désolés et magnifiques du poète qui, tantôt grand pécheur et tantôt grand repenti, disait avec une égale innocence ses fautes et ses remords. Il a été, selon le mot de Jules Tellier, un de ceux que le rêve a conduits à la folie sensuelle; et il a raconté avec un lyrisme farouche et câlin, avec une naïveté sauvage et puérile, les alternatives de ses erreurs et de ses expiations. Il a trouvé naturellement et humblement les mots les plus doux et les plus parfumés de grâce mystique. Certaines de ses pièces, ou la poésie jaillit du coeur, font penser à l'Imitation ou rappellent les accents si tendrement séduisants des Fioretti. Très sûr de son art, maître de la langue et des rythmes, il se meut avec une merveilleuse aisance dans une poésie savamment libérée de toute règle. Victor Hugo avait disloqué l'alexandrin : Verlaine le rend fluide. Il se dispense même parfois de la rime. Et dans cette forme familière jusqu'à la nonchalance, sans une platitude, avec un art dont la simplicité est un suprême raffinement, il a su faire tenir parfois des paroles célestes. MallarméStéphane Mallarmé (1842-1898) fut un poète délicat et raffiné, attiré par le mystère des idées, et qui, par horreur de la banalité, est souvent obscur et presque inintelligible. Il voulait non pas analyser ou décrire, mais seulement suggérer, et il procédait par évocations et par allusions. Il avait débuté, ainsi que Verlaine, dans les petites revues du Parnasse, où il avait connu Banville, Mendès et Villiers de l'Isle-Adam. Mais, ayant discerné dans les Fleurs du mal une poésie d'intellectualité pure, construite selon des lois spéciales, il commença de composer des pièces concises jusqu'à l'obscurité, d'une syntaxe savante, en opposition marquée avec les habitudes analytiques de la langue française. Comme il ne se souciait guère du succès et qu'il n'écrivait que pour satisfaire son rêve intérieur, il arriva à créer une poésie compliquée, peu intelligible, subtile et raffinée. C'est un art d'initié : le profane qui lit l'Après-midi d'un faune (1876) saisit au passage des images charmantes, des lueurs qui le ravissent, mais il n'est jamais sûr de bien comprendre ni de tout voir.Vers 1886, la gloire entra tout à coup dans le modeste logis qu'habitait le poète, rue de Rome. Victor Hugo était mort, et déjà les jeunes écrivains cherchaient autre chose que la perfection parnassienne, l'éclat des rimes et des images et l'impassibilité. En 1884, Huysmans avait publié A rebours, et il avait fait célébrer par le héros du livre, en termes magnifiques, le poète Stéphane Mallarmé. Il louait celui qui, dans un siècle de suffrage universel et dans un temps de lucre, vivait à l'écart même des lettres, « abrité de la sottise environnante par son dédain, se complaisant, loin du monde, aux surprises de l'intellect, aux visions de sa cervelle, raffinant sur des pensées déjà spécieuses, les greffant de finesses byzantines, les perpétuant en des déductions légèrement indiquées que relie à peine un imperceptible fil. »Les jeunes Symbolistes d'alors, qui, intrépidement, rompaient à la fois avec le Réalisme et avec les disciplines du Parnasse, se tournèrent vers ce maître. Tous ceux qui ont fréquenté Mallarmé ont gardé un souvenir ébloui de ses entretiens, qui ouvraient un monde inconnu de pensées et de rêves, et que nous connaissons seulement par les brèves notes rédigées par le poète lui-même sous le titre de Divagations (1897). Ce qui caractérise l'oeuvre de Stéphane Mallarmé, c'est qu'elle est à la fois considérable par l'intention et la qualité, et qu'elle est en fait très brève, puisqu'elle se compose de quelques centaines de vers, qui ne sont pas tous intelligibles. Il faut reconnaître que l'interprétation de certaines pièces est difficile et laisse perplexe la meilleure volonté du monde. Mais il reste, épars et solitaires, des vers magnifiques par leur plénitude, par leur puissance d'évocation, par le mystère indéfini de leur charme. C'est une aventure assez rare dans l'histoire de la littérature que celle d'un poète ayant si peu écrit, et pourvu d'une si ensorcelante faculté d'exciter l'imagination et la sensibilité. L'idée essentielle de Mallarmé - et c'est par là qu'il est veritablement le chef du Symbolisme - est d'avoir cherché dans les mots, et même dans les mots abstraits, autre chose que leur valeur logique; et dans le langage, autre chose que l'expression intellectuelle de la pensée. Il a dit très subtilement que dans un poème les mots se reflètent les uns les autres jusqu'à paraître ne plus avoir leur couleur propre, et n'être désormais que les transitions d'une gamme. Il ne veut pas que les mots soient séparés par un espace; il souhaite qu'ils se touchent, et non seulement qu'ils se touchent, mais qu'ils ne vivent pas de leur propre vie, « comme les pierreries d'un joyau ». C'est dire que Mallarmé rêvait d'une poésie qui serait de la musique et de vers qui donneraient la sensation d'une symphonie. Tel fut bien le point de départ de son invention originale. Quand on relit aujourd'hui le volume intitulé Vers et prose, qui a paru en 1893 et qui contient la partie la plus importante de l'oeuvre de Mallarmé, on s'aperçoit de l'effort considérable accompli par le poète. La langue est un moyen d'expression créé pour ce qui est intelligible; les mots, les rapports grammaticaux, les lois de la syntaxe répondent avant tout au besoin de communiquer ce qui est communicable. Renoncer à ces règles, c'est vouloir faire de la langue une musique sans clef. Mallarmé supprime tous les termes qui ne lui paraissent pas indispensables, toutes les liaisons rationnelles entre les mots et les phrases, tout ce qui est transition, élément de structure. Puis il cherche aux mots qu'il garde la place qui leur convient pour que les images se succèdent selon l'ordre qui l'émeut. De là des textes qui sont le résultat d'un long travail et qui demandent un long travail pour être déchiffrés. De là aussi des rythmes troublants, des paroles musicales chargées d'émotion, et, dans le nombre, des vers d'une beauté singulière. La poésie symbolisteLes poètes symbolistes.Sous l'influence de Mallarmé, de Verlaine, de Rimbaud aussi, se trouvèrent groupés des écrivains très différents par le talent et qui devaient plus tard se séparer, mais qui avaient en commun quelques principes de poétique nouvelle : • Henri de Régnier, en qui le symbolisme eut dans la suite son véritable épanouissement; Jean Moréas, Albert Samain, F. Viélé-Griffin, Gustave Kahn (1859-1936), auteur de Chansons d'amant (1891), de Domaine de fée et de Limbes de lumière (1895); Charles Morice (1861-1919), qui a écrit le Rêve de vivre (1900); Jules Laforgue (1860-1887), qui a publié les Complaintes (1885), le Concile féerique (1886), les Fleurs de bonne volonté (1887); Stuart Merrill (1863-1915), connu et apprécié pour lesGammes (1887), les Fastes (1891), Petits poèmes d'automne (1895); Adolphe Retté (1863-1830), auteur de Cloches dans la nuit (1889), de l'Archipel en fleurs (1895), de la Forêt bruissante (1896); Maurice du Plessys (1862-1924), dont le Premier livre pastoral (1890) et les Études lyriques (1896) sont goûtés des lettrés; Pierre Quillard (1864-1912); Ephraïm Mikhaêl (1866-1890); André-Ferdinand Hérold (1865-1940); et d'autres, qui ont travaillé avec ardeur à la floraison de la poésie nouvelle.Les théories symbolistes. Malgré la diversité des tempéraments et des tendances, les symbolistes ont eu une idée commune : ils se sont souvenus que la poésie est avant tout pouvoir d'évocation, et ils ont voulu faire rentrer le rêve dans la littérature. Le monde, tel que le conçoivent les positivistes, est une réalité extérieure, qui a des contours et des limites. Le monde des idéalistes, au contraire, n'existe que par nos sensations et nos représentations, et il n'est qu'une sorte de songe. Pour les premiers, il est une collection d'images et une matière à description; pour les seconds, il n'est que le symbole de notre vie intérieure. Dans la série des spectacles fournis par la nature, par l'histoire ou par la légende, la poésie nouvelle a vu le reflet des émotions de celui qui les contemple, et au lieu de s'arrêter aux formes définies et durables des phénomènes extérieurs, elle a eu pour objet la mobilité incessante des phénomènes psychologiques, dont l'univers ne fut plus que la figuration. Elle renonçait complètement à l'impassibilité parnassienne; elle ne prêtait son attention qu'à la vie affective; elle supposait aussi, consciemment ou non, une psychologie - on est tenté de dire une philosophie - différente de celle de la génération qui avait précédé. En même temps, elle réclamait une technique nouvelle. La poésie du Parnasse, par son goût de l'image et des formes, se rapprochait des arts plastiques. Le Symbolisme s'apparente à la musique. Pour traduire à la fois la vie de l'âme et ses mobiles reflets, on eut besoin d'une langue infiniment souple, exprimant non plus des relations logiques entre les mots et les phrases, mais des rapports entre des impressions; on eut besoin d'un rythme se moulant sur le mouvement fluide de la sensibilité. De là les tentatives de Stéphane Mallarmé pour rompre les règles traditionnelles de la syntaxe; de là les innovations de Jules Laforgue et de Gustave Kahn, qui inventent le vers libre; de là le bouleversement de l'alexandrin accompli par Verlaine. On écrit des poèmes qui ne sont plus que de la prose rythmée; on combine les vers de tous mètres, sans tenir compte des limitations qu'imposait l'ancienne prosodie; on recherche les assonances lointaines et rares; bref, on emploie tous les moyens d'exprimer ce qui était considéré comme inexprimable. Ces efforts ont abouti en fait à bien des oeuvres étranges, souvent peu intelligibles. Voici les principaux commandements de la poésie symboliste, résumés par Verlaine : De la musique avant toute chose,Au final, le Symbolisme a rendu de remarquables services. Il a achevé l'oeuvre d'assouplissement du vers commencée par Victor Hugo, et l'a poussée beaucoup plus avant; il a fait passer dans l'usage des innovations nombreuses, comme la faculté de faire rimer les singuliers et les pluriels, comme le rejet de la règle qui proscrivait tous les hiatus ou de celle qui imposait l'alternance régulière des rimes masculines et des rimes féminines. Il a rendu à la poésie des nuances délicates, et la magie de la variété; il a rappelé la puissance mystérieuse du vers; et si toute notre histoire littéraire, et même la plus récente avant le symbolisme, prouve que ces vertus n'avaient jamais été ignorées des poètes véritables, il a eu le mérite d'inviter les écrivains à retourner aux sources du lyrisme et de tenir compte de tous les pouvoirs de l'esprit. L'héritage du SymbolismeLa période militante de la nouvelle école a été courte : le XIXe siècle n'était pas terminé qu'elle avait achevé de répandre ses enseignements et qu'elle se transformait.Elle a servi du moins à montrer la valeur de certains rythmes tombés en désuétude depuis Ronsard, comme les vers de neuf et de onze syllabes, à combattre la superstition de la rime riche, à remettre en honneur la mélodie poétique, et en définitive, en bousculant la tradition, à rendre à chaque poète le droit de chercher la formule d'art la plus propre à exprimer son individualité.Régnier.
Samain.
Viélé-Griffin.
Jammes.
Guérin.
Fort.
Tailhade.
Montesquiou.
Moréas.
Jean Moréas eut ensuite l'idée de se retremper aux sources de l'ancien idiome roman, se plut aux archaïsmes, goûta les histoires de chevalerie. Puis il vint à la Renaissance et retrouva les dieux de la Grèce sous les formes savantes que leur avaient données Ronsard et la Pléiade. La recherche de ces disciplines, que Jean Moréas poursuivit en même temps que Charles Maurras et Raymond de La Tailhède, et qui caractérise aussi l'oeuvre de Joachim Gasquet (1873-1921), si mêlé au mouvement de la renaissance classique, l'amena à prendre pleinement possession de lui-même. Les six livres qui composent les Stances (1899-1901) nous le montrent sobre et classique, gardant la mesure dans l'émotion, dans la grâce et dans la force. « C'est dans Racine, disait-il, que nous devons chercher les règles du vers et le reste ». Mais, en outre, Jean Moréas portait en son coeur un souvenir profond : celui des poètes lyriques de l'Hellade. Nul n'a mieux exprimé ce que peut être pour un homme de son temps l'ivresse légère et harmonieuse que nous inspire la Grèce telle que nous l'imaginons à l'ombre des temples en ruines. Le charme cristallin des vers de Jean Moréas, la grâce lumineuse et funéraire de l'évocation de la beauté athénienne ont enchanté une jeune génération de poètes, où l'influence du néo-classicisme va se lire longtemps. Les tendances au début du XXe siècleLorsque le XIXe siècle a pris fin, les querelles d'école étaient terminées. Le Symbolisme avait fait son oeuvre. Henri de Régnier était revenu aux formes traditionnelles; Moréas, pareillement. Les écrivains du début du XXe siècle pouvaient bénéficier de toutes les tentatives et de tous les enseignements de leurs prédécesseurs; les uns étaient plus romantiques, d'autres plus parnassiens, selon leur tempérament. Dans son ensemble, la poésie évoluait vers un lyrisme classique dont chacun devait user selon sa manière propre.A. de Noailles.
Ses poèmes sont pleins de l'odeur de l'aube et de la nuit, des fleurs de mai dont chaque brin se pâme, des fruits, du vent, des douze mois. Mais bientôt ce n'est plus seulement le charmant parterre, le verger familier où s'émerveillait son enfance que chante sa voix troublante; c'est tout l'espace et tout le temps, c'est le doux paysage de l'lle de France et c'est l'Orient, c'est Venise, Constantinople et la Perse, c'est le bruissement infini de l'univers et l'immense enchantement du monde (les Éblouissements, 1907; les Vivants et les morts, 1913; les Forces éternelles, 1920). Haletante et effrénée, oppressée comme une prêtresse antique, elle dit avec un ravissement païen la jeunesse, l'amour, la beauté du monde; mais bientôt, par un retour inévitable, elle s'aperçoit que, mêlé à la vie universelle, l'être humain s'en distingue et la perçoit, qu'il n'est qu'un instant éphémère dans la durée. Toute une partie de son oeuvre est inspirée par le sentiment de l'inquiétude humaine, par le spectacle de la douleur et de la mort, par la hantise de l'implacable destinée, à laquelle la dignité des mortels est d'avoir opposé la douceur de la bonté, l'orgueil du courage et l'héroïsme du sacrifice. S'il y a, dans le tumulte de ses poèmes, une spontanéité enfiévrée qui entraîne à des combinaisons de mots et d'images parfois étranges, il est en eux une musique et une magie cérébrale qui en font I'une des oeuvres exceptionnelles de son temps et de la littérature française. Gregh.
Rivoire.
Bonnard.
Claudel.
Péguy.
Franc-Nohain.
Les autres poètes.
Leur historien, Robert de la Vaissière, a noté, dans son Anthologie poétique du XXe siècle, qu'on peut distinguer parmi eux : • Les poètes catholiques : Paul Claudel, Fagus (1872-1933), Max Jacob (1876 - mort dans le camp de Drancy en 1944).Mais cette classification est parfois arbitraire, de l'aveu de son auteur. Le fait le plus caractéristique est que tous, dans le jeu verbal ou dans le jeu des pensées, ont une tendance à revenir à des formes simples, limpides et classiques. On en trouve encore la preuve dans l'oeuvre de : • P.-J. Toulet (1867-1920), qui avait une sensibilité poétique charmante et qui garde tant de retenue et de fantaisie jusque dans ses émotions les plus profondes; dans celle de Tristan Derème (1889-1941), qui a la grâce, l'aisance et la malice méridionales; dans celle de Francis Carco (1886-1958), si délicate et si triste; dans celle de Charles Derennes (1882-1930), qui fait un usage si adroit de la langue française; dans celle de Paul Géraldy (1885-1983), plus attendri et qui met une note si personnelle, si délicate dans l'expression discrète de ses intimes émois;Ces poètes, si divers de tendances, s'accordent généralement à manifester une faveur particulière à l'un d'eux, Paul Valéry : Paul Valéry.
ApollinaireNombre des noms que l'on vient de citer ont continué leur carrière littéraire bien après la Première guerre mondiale. Certains appartiennent même, à ce titre, bien davantage au XXe siècle. Mais ils n'auront fait - en poésie du moins - que prolonger la tradition du XIXe siècle. De ce point de vue, Guillaume Apollinaire (1880-1918), bien qu'il n'ait pas survécu au conflit, est le seul auteur de notre période dont la poésie appartiennent le plus pleinement au XXe siècle.De son vrai nom Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky, Apollinaire est né à Rome de mère lituanienne. Dès l'âge de vingt ans fit un voyage de trois ans à travers l'Europe. Fonda, avec André Salmon et quelques autres, le Festin d'Esope (1903); fonda également La Revue immoraliste (1905) et les Soirées de Paris (1912). Il fit au salon des Indépendants, une série de conférences : La Phalange nouvelle, sur les jeunes poètes. Il défendit également la peinture nouvelle des Picasso, des Henri-Matisse, etc. Blessé à la tête, près de Berry-au-Bac, alors que, dans une tranchée, il lisait un numéro du Mercure; il dut subir l'opération du trépan et mourut le 9 novembre; il fut inhumé au Père-Lachaise. Apollinaire est Ã
la fois un charmant conteur, un érudit, un critique d'art, un humoriste,
un rêveur et, sous des dehors extravagants, un vrai poète lyrique, prophète
du surréalisme. La poésie lui doit : L'Enchanteur pourrissant (1909);
Le
Bestiaire ou Cortège d'Orphée (1911); Calligrammes (1916);
Alcools,
Poèmes,
1898-1913 (1920). Et, outre ses vers, il a publié : La Poésie
symboliste (1908), en collaboration avec P.-N. Roinard et V.-E. Michelet;
le
Théâtre italien
(1910);
l'Hérésiarque et Cie(1910),
recueil de nouvelles;
Les Peintres Cubistes (1912); La Femme
assise, roman. ( (E.
Abry / Ch. Le Goffic / Fh.-M. Desgranges / J. Giraud / P. Martino / A.
Chaumeix / Gauthier-Ferrières).
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