| Pierre-Paul Royer-Collard est un philosophe et homme d'Etat français; né à Sompuis (Champagne), le 21 juin 1763, mort à Châteauvieux (Loir-et-Cher) le 4 septembre 1845. Sa famille était d'une piété austère, d'esprit janséniste. Elevé chez les Pères de la doctrine chrétienne, il professa d'abord les mathématiques, puis fut nommé avocat au grand conseil du Parlement : on aperçoit comment son esprit se trouve ainsi dirigé dès l'abord vers le christianisme, la logique et l'éloquence, qui restèrent les passions maîtresses de sa vie tout entière, A la Révolution, qu'il accueille d'abord avec sympathie, il est nommé membre de la Commune de Paris par le quartier de l'île Saint-Louis; il se cache pendant la Terreur, puis est élu membre du conseil des Cinq-Cents, mais son élection est annulée au 18 fructidor. Il accepte ensuite, poussé surtout « par la curiosité », raconta-t-il à Sainte-Beuve, la direction d'un conseil secret royaliste institué à Paris par le comte de Provence et il engagea même avec le premier consul des négociations qui n'aboutirent pas; il se retira d'ailleurs bientôt, rebuté par l'imprudence brouillonne des agents du comte d'Artois (1798-1803). En 1811, il accepte de suppléer M. de Pastoret dans la chaire d'histoire de la philosophie à la Sorbonne : ce fut l'origine d'un cours qui dura trois ans et dont l'influence fut grande; la leçon d'ouverture de la troisième année est surtout connue et renferme l'essentiel de sa philosophie. A la Restauration, il devient conseiller d'Etat, directeur de la librairie et doyen de la Faculté des lettres; il prêté serment de fidélité à l'empereur pendant les Cent-Jours mais, se tient dans l'ombre; à la seconde Restauration, il est nommé député par le département de la Marne, qui depuis le réélut constamment, et son rôle politique commence. Président de la commission de l'instruction publique, il en fut, en fait, le grand maître jusqu'en 1820; redevenu alors simple député, entouré d'un groupe d'amis peu nombreux, redouté pour son éloquence, ses terribles boutades, son indépendance, fuyant les responsabilités du pouvoir, mais intervenant par de longs discours dans toutes les grandes discussions, il exerça par sa parole et son autorité personnelle une influence qui grandit sans cesse jusqu'en 1830. Vice-président, puis président de la Chambre, il fut, à ce titre, chargé de présenter à Charles X la fameuse adresse des 221, dont il était un des signataires. Avec la Restauration s'écroula la constitution qu'il aimait et qu'il avait toujours défendue, d'abord contre la Chambre, ensuite contre la royauté; la révolution de 1830, en transformant la charte, mit fin au rôle politique de Royer-Collard. Il resta député, mais, dépaysé dans nu milieu nouveau, de plus en plus morose, chagrin, découragé, son influence ne s'exerça que sur un nombre de plus en plus restreint d'amis. Le nom de doctrinaire, que l'opinion publique appliqua au petit groupe des amis de Royer-Collard, celui-ci le mérita d'abord et surtout par la forme de son éloquence, par le caractère didactique et professoral de ses moindres discours. D'esprit mordant et agressif, parlant un langage toujours solennel, volontiers oraculaire, froidement paré d'images aujourd'hui démodées jusqu'au ridicule (la démocratie coule à pleins bords; la chasteté constitutionnelle est perdue; respectons le mur de la vie privée, etc.), il exerça sur les diverses Chambres de la Restauration un réel ascendant. Dès qu'il monta à la tribune, ce fut pour se réclamer d'une doctrine politique, et dès lors chacun de ses discours prit l'apparence d'un syllogisme classique auquel la théorie fournissait son principe. Aucun mystère ne doit cacher les origines du pouvoir : le raisonnement doit justifier toutes les maximes du gouvernement. Il y a, non seulement harmonie, mais identité entre l'idéal politique de Royer-Collard et la charte octroyée par Louis XVIII. « Les principes de la charte... sont les principes éternels de la raison et de la justice » (Disc. sur la loi de sûreté, Barante, I, 298). Il ne s'inspira donc ni d'une admiration exclusive pour les institutions anglaises, comme on l'a cru quelquefois, ni d'un rationalisme abstrait et théorique. La charte satisfait à tous les sentiments de son cour et à tous les besoins de sa raison. Il en aurait été lui-même l'inspirateur ou le rédacteur qu'il ne l'aurait pas admirée davantage. Elle lui paraît, en effet, présenter, non pas la meilleure formule, mais la seule formule qui permette de concilier l'ordre et la liberté. Le principe de toute sa doctrine politique est donc la conception suivante du gouvernement représentatif : trois pouvoirs, également nécessaires, le constituent : 1° la monarchie légitime et héréditaire, qui exerce le pouvoir exécutif, et qui représente seule la puissance active de la nation; 2° une pairie héréditaire, qui représente les grandes supériorités sociales, richesse, science, talent, et qui exprime ainsi l'inégalité essentielle des individus; 3° une chambre des communes, qui représente, au contraire, les intérêts généraux de la nation, et qui doit être recrutée dans la classe moyenne : elle exprime l'élément d'égalité qu'il est juste de reconnaître à côté de l'inégalité. L'accord de ces trois pouvoirs ne peut âtre harmonieux et fécond que s'il est garanti par la liberté et si chacun se renferme strictement dans ses attributions. Aussi Royer-Collard lutta-t-il avec la même énergie, d'abord contre les tendances absolutistes de la Chambre introuvable, qui voulait détruire l'équilibre au profit de la royauté, ensuite contre les prétentions de la Chambre à représenter la nation : elle ne représente réellement qu'une partie très restreinte des forces sociales, à savoir les intérêts généraux de la classe moyenne. Si la politique de Royer-Collard repose sur une doctrime, sa philosophie subit l'influence de ses préoccupations politiques, et lorsque l'école de Victor Cousin a voulu se poser en alliée de la religion et en soutien du pouvoir, elle réalisait l'idéal de Royer-Collard. « En matière d'opinion, tout ce qui est funeste est faux, tout ce qui est salutaire est vrai [...] L'anarchie est vaincue dans la sphère de l'entendement comme dans celle de la politique. » (Discours au concours général, 1817, ibid., I, 425). Sans grande préparation philosophique, lorsqu'il débuta en 1811 à la Sorbonne, il se déclara presque d'instinct contre l'empirisme de Condillac qui enlevait à « la pensée sa sublime origine, à la morale son autorité, à l'homme ses destinées immortelles » (ibid., I, 426). Et il trouva dans la philosophie écossaise et la théorie du sens commun de Thomas Reid les armes qui convenaient le mieux à son dessein; à son caractère et à son esprit. L'homme trouve des vérités certaines dans les données de la conscience et des sens; la philosophie ne fait tort qu'à elle-même, elle se discrédite inutilement quand elle critique ce qui a pour soi l'évidence du sens commun. Il faut donc écarter a priori tout ce qui y contredit et démontrer par une analyse psychologique de l'esprit comment s'opère cette connaissance dont la valeur n'est pas mise en doute. A procéder autrement, on risquerait de tomber dans l'anarchie, dans ce dangereux scepticisme auquel on-ne peut « faire sa part ». « On ne s'accoutume guère à mettre en question les faits les plus évidents saris se persuader qu'il n'y a rien qui ne puisse et ne doive être mis en question. Terrible danger, auquel Royer-Collard échappe par un dogmatisme intempérant. Sa doctrine n'est donc, en somme, qu'une théorie psychologique de la connaissance et plus particulièrement de la perception extérieure, « ce mauvais trou », disait Taine, qu'il a creusé trois ans. Il a exposé avec une force et une élégance de style remarquables des idées précises et ingénieuses sur les sensations, sur la mémoire, etc. ; il s'est heurté aussi à une étrange théorie de l'induction, opération mystérieuse, véritable fait premier, par lequel l'esprit sort de lui-même pour atteindre et affirmer la réalité objective; il serait trop facile d'en montrer les inextricables difficultés. La certitude des notions fondamentales, telles que l'étendue, la résistance, la substance, l'être, la durée, et des lois directrices de la pensée ne nous est garantie ni par l'expérience, purement passive, ni par le raisonnement, stérile et vide, mais par la perception, acte de l'esprit, qui porte en lui-même son évidence et qui nous fait apercevoir clairement ces réalités, soit au fond de notre conscience, soit derrière nos sensations. Affirmer la valeur objective de notre connaissance, ce n'est d'ailleurs pas seulement une thèse de philosophe, c'est un devoir de citoyen, car « la morale publique et privée, l'ordre des sociétés et le bonheur des individus, sont engagés dans le débat de la vraie et de la fausse philosophie sur la réalité de la connaissance » (Discours d'ouverture, 1813, passim; ibid., I, pp. 112-134). On aperçoit donc l'unité qui relie sa philosophie et sa politique, mais il y déploya des qualités de même ordre, on y retrouve aussi la même étroitesse de vues, la même illusion du jugement. Dans les deux ordres, il confond le donné avec le nécessaire, le présent avec l'éternel. Il n'a donné pour principes à sa double doctrine ni la réalité de l'expérience et des faits, ni la rigueur du raisonnement critique, et il n'a jamais au fond exposé que ce qu'il appelait quelque part des « vérités de sentiment ». L'absence presque complète de sens historique et d'esprit scientifique ne lui a permis d'être qu'un orateur brillant et systématique, défendant avec éloquence et logique la cause de l'ordre sur tous les terrains. (G. Beauvalon). | |