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La philosophie française
au Moyen âge
La philosophie en
France commence avec la scolastique,
qui règne depuis le IXe siècle jusqu'au
XVe, mais avec un caractère qui tient
le milieu entre une soumission absolue à l'autorité religieuse et une
complète indépendance.
Tracer en quelques
lignes le sommaire d'une histoire de la scolastique en France n'avancerait
à rien. La scolastique y fut d'ailleurs, comme dans les autres pays, une
doctrine d'Eglise et non une doctrine d'Etat.
La scolastique est chrétienne avant d'être française ou anglaise. Et
ce qui le prouve bien, c'est qu'Ã la Sorbonne,
dont l'histoire est inséparable de celle de la scolastique, les maîtres
qui enseignent et les élèves que l'on y voit étudier y viennent de tous
les pays de l'Europe. Ni Alexandre de Halès, ni
saint
Bonaventure dont il fut le maître, ne sont Français. La Sorbonne
compte l'un parmi ses professeurs, l'autre parmi ses étudiants. Outre
la Sorbonne, il y eut en France d'autres centres florissants d'études.
L'école de Laon eut pour élèves
Guillaume
de Champeaux, défenseur zélé de la doctrine réaliste, et surtout
son disciple Abélard. A Marmoutiers, on relève le nom de Gaunilon.
Il ne faut pas non
plus prendre trop au pied de la lettre ces mots d'ancilla theologiae
dont les esprits paresseux abusent, pour se dispenser d'étudier de près
ces docteurs profonds et subtils, au demeurant esprits très libres et
que l'obligation de rester fidèles à l'orthodoxie religieuse ne détourna
pas de suivre chacun sa propre voie. On sait le mot de Leibniz
:
« Il y
a de l'or dans le fumier de la scolastique. »
Abélard.
Il n'est pas de
nom plus illustre au Moyen âge que celui
de Pierre Abélard (1079-1142) dont la doctrine
ne rentre dans aucun des cadres préexistants. Le nom de conceptualisme
qui la désigne ne suffit pas à la caractériser sans doute. La nécessité
où l'on est de s'en servir montre assez à quel degré d'indépendance
s'éleva l'enseignement du maître, puisqu'il combattit avec une égale
vigueur les réaux (réalistes) et les nominaux
(nominalistes). Ceux qui ont le goût des
formules diront peut-être d'Abélard qu'il fut le Descartes de la scolastique.
Et il n'y aura pas à se récrier, puisqu'aussi bien le rapprochement de
ces deux noms éveille une idée commune, celle d'une pensée entendant
ne relever que d'elle-même.
Gaunilon.
Le moine Gaunilon,
qui vécut au XIIe siècle, est celui qui
porta les premiers coups à la preuve ontologique de l'existence de Dieu
formulée pour la première fois par saint Anselme de Canterbury.
Dans une réponse à saint Anselme : Liber
pro insipiente, il montre qu'il n'y a pas de relation à établir entre
l'existence réelle et l'existence simplement conçue. Kant
devait, sept siècles plus tard, reprendre cette objection.
La philosophie française
à la Renaissance
Du fonds commun de la
philosophie scolastique commencent à se détacher, au XVIe
siècle, toutes les philosophies nationales de l'Europe moderne. La vague
vient d'Italie, qui produit alors de
hardis novateurs en philosophie. Parmi eux il en est qui ont passé en
France une partie de leur vie, et qui, sans nul doute, ont contribué par
leur influence au mouvement philosophique, d'où devait sortir la philosophie
française du XVIIe siècle. Tels furent
Giordano
Bruno, qui enseigna et qui eut des disciples à Paris;
Vanini,
qui passa en France une grande partie de sa vie errante, et à qui l'Eglise
fit payer à Toulouse, par une mort cruelle,
ses opinions philosophiques et religieuses; tel fut aussi
Campanella,
qui, échappé après les plus cruelles tortures des cachots des Espagnols
et des
inquisiteurs, vint achever paisiblement
en France sa vie orageuse, sous la protection du cardinal Richelieu.
Mais le principal moteur de ce moteur de mouvement à la fois critique
et sceptique, fut, en France Ramus.
Ramus.
Avec Ramus
se manifeste l'esprit qui bientôt doit caractériser la philosophie française.
En effet, quel a été le but de l'entreprise si éclatante et si audacieuse
de Ramus? Etablir un libre droit de discussion. Pour cela il fallait abolir
le faux culte d'Aristote; c'est ce qu'il tenta,
donnant la préférence à Platon; mais au lieu
d'adopter des doctrines toutes faites, il soutint qu'il valait mieux travailler
par soi-même. C'est pourquoi, pensait-il, il ne suffit pas de s'affranchir
à jamais la philosophie non seulement de l'autorité d'Aristote, mais
de toute autre autorité sauf celle de la raison la mettre à la portée
du plus grand nombre d'intelligences, la faire sortir de la théorie pure
pour entrer dans les applications et dans la pratique.
Dans ses écrits
et dans ses leçons, Ramus dépouille toutes les vieilles formes de la
philosophie scolastique, pour y substituer des formes littéraires et oratoires
: il accompagne toujours d'applications et d'exemples ses préceptes de
logique,
nouveautés qui font scandale dans la vieille université de Paris.
Enfin Ramus, en introduisant
l'usage de la langue commune à la place de la langue
latine dans les ouvrages de philosophie, a le premier renversé cette
barrière infranchissable d'une langue étrangère, qui fermait au grand
nombre l'accès des questions philosophiques. Plus de cinquante ans avant
l'auteur du Discours de la Méthode,
il avait publié en français un traité de dialectique.
Ainsi, brillant et malheureux précurseur de Descartes,
il inaugura avec éclat la philosophie française au milieu du XVIe
siècle, et au sein même de l'université de Paris. Mais il devait payer
de sa vie cette oeuvre novatrice; et le jour de la Saint-Barthélemy,
Ramus, comme Vanini et Bruno dans d'autres circonstances, périt victime
des haines philosophiques et religieuses accumulées contre lui.
Sceptiques et
libre-penseurs.
Le scepticisme
a été une autre conséquence forcée des excès de la scolastique.
Sanchez.
Francisco
Sanchez, (1551-1523), médecin et professeur à Toulouse, publia un
traité ayant pour titre: De multum nobili et prima universali scientia
: Quod nil scitur; il y professe un scepticisme dont le but principal
est de renverser l'aristotélisme.
Rabelais,
Montaigne et Charron.
Avec des formes
moins scientifiques, Rabelais, Montaigne
et Charron animés de ce même esprit de critique
et d'indépendance, qui de tout côté se faisait jour, contribuèrent
aussi à discréditer, en les couvrant de ridicule, l'esprit et les formes
de la philosophie scolastique.
La
Boétie, Bodin.
De leur côté,
Etienne
de La Boétie (1530-1563) est l'auteur du Discours sur la servitude
volonlaire,
qui est une violente protestation contre la tyrannie des rois; Jean
Bodin (1530-1596) fut un précurseur de Montesquieu
en fondant le premier, la science politique et la philosophie de l'histoire
dans sa République.
Gassendi.
Pierre
Gassendi (1592-1655), à la fois prédécesseur et contemporain de
Descartes avec lequel il eut d'ailleurs de vifs échanges, appartient sans
doute déjà au XVIIe siècle, mais il
est surtout de ceux qui ont porté les derniers coups au totalitarisme
médiéval. Dans ses Exercitationes paradoxicae adversus Aristotelem
(1624), il combat l'autorité d'Aristote, et à la vieille philosophie
scolastique vainement défendue par les arrêts des parlements et de la
Sorbonne; le premier peut-être, avec Descartes, il donna en France l'exemple
d'une discussion philosophique élégante, claire et précise.
Ennemi d'Aristote,
Gassendi ne l'est pas de toute la philosophie
antique. Il fit des travaux d'une érudition admirable pour restaurer
et réhabiliter Epicure et sa doctrine
des atomes si longtemps oubliée et condamnée. Gassendi se forma en
outre une doctrine à lui, sorte d'éclectisme
qui avait pour base les données de l'expérience.
Molière
et Cyrano de Bergerac, parmi d'autres, furent
par sa doctrine. Il se lia par ailleurs avec quelques-uns des principaux
savants et penseurs de son temps, tels que Galilée,
Képler,
Hobbes,
Mersenne,
Pascal,
Lamothe-le-Vayer.
Descartes et le XVIIe
siècle
La révolution philosophique
était préparée partout; Bacon, en Angleterre,
préconisait les méthodes expérimentales
et l'observation des phénomènes
sensibles; mais Descartes, en fondant une école rationaliste,
devint réellement le père de la philosophie
moderne.
Descartes.
Une première coupe
révèle dans le Cartésianisme la philosophie
des idées « claires et distinctes », celle qui a définitivement délivré
la pensée moderne du joug de l'autorité pour ne plus admettre d'autre
marque de la vérité que l'évidence. Un peu plus bas, en creusant la
signification des termes « évidence », « clarté », « distinction»,
on trouve une théorie de la méthode.
Partant du doute
méthodique, René Descartes cherche le
principe
de toute certitude, et, pour y parvenir, il
prend pour point de départ la pensée. Le fait
de la pensée est un fait primitif, évident par lui-même, et impossible
à nier. Descartes l'accepte avec une confiance d'autant plus grande qu'elle
est forcée; il est conduit à s'affirmer lui-même : Je pense, donc
je suis; de là la première règle de toute sa philosophie, l'évidence,
seul criterium de toute certitude. Certain de son existence comme être
pensant, il ne l'est pas de l'existence de
son corps; il la constatera plus tard par un
raisonnement
qui préparera l'idéalisme dans lequel son école est tombée, mais disons
tout de suite qu'il pose d'une manière radicale la distinction de l'esprit
et de la matière par la pensée pour l'une et
l'étendue pour l'autre. De l'existence du moi
comme être fini, il s'élève à celle de Dieu
par l'idée de l'infini, parce que, dit-il, l'existence
de l'être infini ou de Dieu est implicitement comprise dans l'idée que
nous en avons; à cette première preuve il joint celle de la nécessité
d'une cause première pour expliquer l'existence
de l'humain, être contingent, et celle du
parfait et de l'essence de Dieu, qui implique
l'existence.
A ces points essentiels
du Cartésianisme, il faut ajouter les idées innées ou naturelle, qu'il
distingue des idées adventices et factices; la conservation du monde assimilée
à une création continuée, et par suite une tendance funeste à concentrer
toute activité dans la cause première. En ne voyant dans les bêtes que
de simples machines, Descartes tirait la première conséquence de son
erreur.
-
René
Descartes.
Au-dessous de cette
philosophie, on trouverait maintenant une théorie de l'esprit ou, comme
dit Descartes, de la « pensée », un effort
pour résoudre la pensée en éléments simples : cet effort a ouvert la
voie aux recherches de Locke et de Condillac.
On trouverait surtout cette idée que la pensée existe d'abord, que la
matière est donnée par surcroît et que le monde matériel pourrait,
à la rigueur, n'exister que comme représentation
de l'esprit. Descartes admettait la réalité du monde matériel, non pas
directement et sur la foi de nos facultés perceptives, car, disait-il,
un esprit malin pourrait nous tromper, mais comme une conséquence de la
véracité divine. Tout l'idéalisme moderne
est sorti de là , en particulier l'idéalisme allemand.
Enfin, au fond de
la théorie cartésienne de la pensée, il y a un nouvel effort pour ramener
la pensée, au moins partiellement, à la volonté. Les philosophies «-volontaristes
» du XIXe siècle se rattachent ainsi
à Descartes. Ce n'est pas sans raison qu'on a vu dans le cartésianisme
une « philosophie de la liberté ».
A Descartes remontent
beaucoup des doctrines de la philosophie moderne. Si les tendances de cette
philosophie coexistent chez Descartes, c'est le rationalisme qui prédomine,
comme il devait dominer la pensée des siècles suivants.
Après Descartes.
On serait tenté
de croire qu'après Descartes, la philosophie
en France au XVIIe siècle, et l'on
pourrait dire dans toute l'Europe, fut le cartésianisme; partout on voyait
des penseurs ayant subi directement l'influence de Descartes. Il faut citer
parmi eux : De la Forge, Clerselier,
Rohault,
Sylvain
Régis,
Clauberg,
Geulincx.
Parmi ceux qui suivirent le plus fidèlement ses doctrines, on doit mentionner
presque tous les esprits d'élite du siècle : Arnauld,
Nicole,
Bossuet,
Fénelon.
D'autres eurent pour point de départ Descartes, mais en modifièrent profondément
ses doctrines, comme Malebranche par la théorie
des causes occasionnelles, comme Pascal,
qui, s'il fut cartésien, ce qui ne saurait être objet de doute, cessa
de l'être après sa « conversion », comme
Leibniz
par l'harmonie préétablie, et comme Spinoza
qui rapportait directement tous les phénomènes à la substance
divine.
Encore faut-il préciser
ce qu'on entend par cartésianisme. Descartes n'a pas fondé à proprement
parler d'école. Il a posé des bases que ses successeurs - ceux qu'il
est coutume d'appeler les Cartésiens - ont utilisées pour construire
leur propre doctrine, une doctrine souvent très éloignée et parfois
même très en contradiction avec celle de Descartes. C'est qu'aussi bien
on se méprend peut-être sur ce qui est le centre de la philosophie de
Descartes. On ne songe qu'au cogito et
à l'existence de Dieu qui, selon Descartes, en résulterait à la façon
d'un corollaire immédiat. On oublie, « la méthode », l'apologie de
l'évidence et d'une évidence produite par des idées claires et distinctes.
Mais est-ce la doctrine de métaphysique qui est le centre du cartésianisme?
N'en est-ce pas plutôt la méthode? Au final,
ce qu'il reste de Descartes chez les Cartésiens, bien c'est cela, c'est
sa méthode, sa manière nouvelle d'aborder la spéculation philosophique,
davantage que sa doctrine.
D'autre courants
persistent. Ainsi, le scepticisme a pour principaux organes Lamothe-Levayer,
Huet,
évêque d'Avranches, qui voulurent le faire tourner au profit de la foi
religieuse; et Bayle, qui en fit un instrument
d'indépendance. Le mysticisme comptait dans ses rangs Poiret et les partisans
du quiétisme, qui commençait à se montrer.
Et l'on a pu justement former un troisième groupe des libertins ennemis
de la religion, amis de la nature et que la philosophie de Gassendi dut
satisfaire bien plus encore que celle de Descartes.
-
Descartes
et Pascal, vus par V. Cousin
« De tous les grands
esprits que la France a produits, celui qui me paraît avoir été doué
au plus haut degré de la puissance créatrice est incomparablement Descartes.
Cet homme n'a fait que créer : il a créé les hautes mathématiques par
l'application de l'algèbre à la géométrie; il a montré à Newton le
système du monde en réduisant le premier toute la science du ciel Ã
un problème de mécanique; il a créé la philosophie moderne condamnée
à s'abdiquer elle-même, ou à suivre éternellement son esprit et sa
méthode; enfin pour exprimer toutes ces créations il a créé un langage
digne d'elles, naïf et mâle, sévère et hardi, cherchant avant tout
la clarté, et trouvant par surcroît la grandeur. C'est Descartes qui
a porté le coup mortel non pas seulement à la scolastique, qui partout
succombait, mais à la philosophie et à la littérature maniérée de
la Renaissance. Il est le Malherbe de la prose; ajoutons qu'il en est le
Malherbe et le Corneille tout ensemble. Avant Descartes il n'y a guère
que des styles d'emprunt, parmi lesquels se distingue celui de Montaigne,
piquant mélange de grec, de latin, d'italien, de gascon, que le plus heureux
génie tourmente et anime en vain, sans pouvoir l'élever à la dignité
d'une langue. C'est Descartes qui a fait cette langue. Dès que le Discours
de la méthode parut, à peu près en même temps que le Cid, tout ce qu'il
y avait en France d'esprits solides, fatigués d'imitations impuissantes,
amateurs du vrai, du beau et du grand, reconnurent à l'instant même le
langage qu'ils cherchaient. Depuis on ne parla plus que celui-là , les
faibles médiocrement, les forts en y ajoutant leurs qualités diverses,
mais sur un fond invariable devenu le patrimoine et la règle de tous.
Pascal est le premier
homme de génie qui ait manié l'instrument créé par Descartes, et Pascal,
c'est encore un philosophe et un géomètre. Loin donc de s'altérer entre
ses mains, le caractère imprimé à la langue s'y fortifia. Cette régularité
géométrique du Discours de la méthode, qui forme un si frappant contraste
avec l'allure capricieuse de la phrase de Montaigne, devient en quelque
sorte plus rigide sous le compas de Pascal. Descartes, qui invente et produit
sans cesse, tout en écrivant avec soin, laisse encore échapper bien des
négligences. Pascal n'a pas cette fécondité inépuisable; mais tout
ce qui sort de sa main est exquis et achevé! Osons le dire : l'homme dans
Pascal est profondément original, mais l'esprit créateur ne lui a point
été donné. En mathématiques il n'a point fait de ces découvertes,
qui renouvellent la face de la science, telles que l'application de l'algèbre
à la géométrie : le seul grand calcul auquel son nom demeure attaché
est celui des probabilités, et Fermat partage au moins avec Pascal l'honneur
d'avoir commencé ce calcul. En physique il a démontré la pesanteur de
l'air, que Descartes avait trouvée douze ans même avant Torricelli. En
philosophie, il n'a fait autre chose que ranimer la vieille guerre de la
foi et de la raison, guerre fatale à l'une et à l'autre. Pascal n'est
pas de la famille de ces grandes intelligences dont les pensées composent
l'histoire intellectuelle du genre humain : il n'a mis dans le monde aucun
principe nouveau mais tout ce qu'il a touché il l'a porté d'abord Ã
la suprême perfection! Il a plus de profondeur dans le sentiment que dans
la pensée, plus de force que d'étendue. Ce qui le caractérise, c'est
la rigueur, cette rigueur inflexible, qui aspire en toute chose à la dernière
précision, à la dernière évidence. De là ce style net et lumineux;
ce trait ferme et arrêté, sur lequel se répand ensuite ou la grâce
de l'esprit le plus aimable, ou la mélancolie sublime de cette âme que
le monde lassa bien vite et que le doute poursuivit jusque dans les bras
de la foi.
Tels sont les deux
fondateurs de la prose française. En sortant de leurs mains elle était
assez forte pour résister au commerce des génies les plus différents,
et porter tour à tour, sur le fondement inébranlable de la simplicité,
de la clarté et d'une méthode sévère, la majesté et l'impétuosité
de Bossuet, la grâce mystique de Fénelon et de Malebranche, la plaisanterie
aristophanesque de Voltaire, la profondeur raffinée de Montesquieu, la
pompe de Buffon et jusqu'à l'éloquence fardée de J.-J. Rousseau, avec
laquelle finit l'époque classique, et commence l'ère nouvelle et douteuse
que nous parcourons. »
(V.
Cousin, Extrait du Rapport à l'Académie française
sur
la nécessité d'une nouvelle édition des Pensées de Pascal,
1842).
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Pascal.
Au début, Blaise
Pascal est animé d'un esprit tout cartésien; il a une grande foi
dans la puissance de la raison humaine et dans l'avenir de la science.
Il fait lui-même, en physique, des expériences et des découvertes fameuses
(la pesanteur des gaz, la presse hydraulique, etc.) en appliquant la méthode
positive de Descartes à la résolution des problèmes fournis par l'expérience.
Dans le Fragment d'un traité du vide, il répudie les qualités
occultes et les superstitions de la scolastique,
auxquelles il oppose la raison.
Analyste subtil du coeur humain, il applique
encore la même méthode rationnelle à l'étude des sentiments. Dans le
Discours
sur les passions de l'amour, il recherche l'origine des
passions
et il les défend avec des arguments analogues à ceux de Descartes; il
les considère comme les mobiles qui suscitent les grandes actions.
Très lié avec les solitaires de Port-Royal,
Pascal s'était jeté dans les luttes religieuses d'alors, en prenant parti
pour les jansénistes. Dans les Lettres a un provincial ( = Les
Provinciales),
il attaque la morale des jésuites et le système
des restrictions et des compromissions de conscience. Il dénonce
leur théorie sur le péché et le crime,
qui consiste à dire que la fin justifie les moyens; il examine le problème
de la grâce, qu'il résout dans le sens janséniste (c'est-à -dire selon
le point de vue d'Arnauld), avec une grande élévation d'esprit, et il
mène le débat avec une ironie froide et mordante qui gagne le public
à sa cause.
Mais, les souffrances, la maladie, réveillèrent
le sentiment religieux très vif qui sommeillait en Pascal. Il entra Ã
Port-Royal prit le chemin du mysticisme.
C'est à cette inspiration nouvelle que nous devons les Pensées,
ouvrage fragmentaire où Pascal fait preuve d'une sensibilité extrême,
d'une science merveilleuse du coeur et des sentiments, d'une
imagination
puissante, d'une éloquence heurtée dans ses mouvements et, en même temps,
âpre et forte. L'unité de la pensée n'apparaît pas dans les détails,
mais on peut avoir la clef de l'ouvrage et du but poursuivi par Pascal,
en se rapportant à l'Entretien avec M. de Sacy. Il y fait à la
fois le procès de la raison et du scepticisme. Il rabaisse l'orgueilleuse
vanité de l'esprit humain qui prétend tout connaître et se passer de
la foi. Il le montre rempli de contradictions et incapable de faire une
science complète et de se concilier le bonheur. D'autre part, il ne le
juge pas, comme Montaigne, absolument impuissant
à connaître la vérité. Nous trouverons le repos dans la croyance religieuse.
L'humain est un être déchu, de là sa petitesse et sa grandeur. Seule
la révélation nous apaise en nous, faisant connaître notre véritable
nature et notre origine. Le bonheur, le salut
est dans la foi et dépend de la grâce divine.
Malebranche.
Comme Spinoza et Leibniz, Malebranche
avait combiné le cartésianisme avec la métaphysique des Grecs,
(plus particulièrement avec le platonisme
des Pères de l'Église). Le monument qu'il a
élevé est un modèle du genre. Mais il y a en même temps chez Malebranche
toute une psychologie et toute une morale qui conservent leur valeur, même
si l'on ne se rallie pas à la métaphysique de Descartes.
Malebranche conserva
les doctrines de son maître sur la méthode, sur l'insuffisance de l'autorité
en philosophie et la nécessité de l'évidence, sur la nature de l'âme,
sur l'automatisme des animaux; mais au lieu d'admettre comme lui des idées
innées, il disait que nous voyons tout en Dieu et que ce n'est que par
notre union avec l'être qui sait tout que nous
connaissons quoi que ce soit; en outre, il prouvait l'existence des corps,
non par la véracité divine (comme Descartes) mais par la révélation;
il niait l'action de l'âme sur le corps et même
toute action des substances corporelles les
unes sur les autres, attribuant leur commerce à l'assistance divine et
ne voyant dans les mouvements du corps ou de l'âme que des causes occasionnelles;
il prétendait que notre volonté de même que notre intelligence, ne peut
rien par elle-même, que Dieu est le principe de nos déterminations et
des actes de notre volonté, inclinant ainsi sans le vouloir vers le fatalisme.
Du reste, il professait l'optimisme et expliquait
le mal en disant que Dieu n'agit que comme cause
universelle; enfin, il fondait la morale sur l'idée
d'ordre.
Les opinions qu'il
soutenait sur plusieurs points de théologie ou de philosophie rencontrèrent
une forte opposition. Il eut de vives disputes avec Arnauld sur la nature
des idées et sur la grâce; avec Régis sur le mouvement; avec le P. Lamy
sur l'amour de Dieu; et même quelques-uns de ses écrits furent mis Ã
l'Index à Rome.
La philosophie des Lumières
en France
La philosophie
française du XVIIIe siècle subit
le contre-coup d'une réaction générale. Le système de Newton
remplace la physique de Descartes, puis l'empirisme de Locke traverse Ã
son tour la Manche. Condillac développe la doctrine de la « sensation
transformée » et un nominalisme radical. Helvétius, La Mettrie et d'Holbach
en viennent au matérialisme le plus décidé.
Montesquieu renouvelle la philosophie du
droit,
Voltaire touche à tous les sujets, est l'adversaire passionné de l'église
et de ses doctrines et soutient un déisme un peu froid : Jean-Jacques
Rousseau défend le théisme, rajeunit la pédagogie
et contribue par ses théories sociales à préparer la Révolution.
En même temps, les Encyclopédistes, sous la direction de Diderot et de
d'Alembert, essayent de combattre les idées traditionnelles dans une sorte
de « Somme » du XVIIIe s.
Condillac.
Dans son Traité
des sensations,
l'abbé de Condillac (1715-1780) dépasse
Locke
lui-même et fonde un sensualisme plus radical. Selon lui, Locke a eu raison
de rejeter l'idée de facultés
abstraites
dans lesquelles notre être serait pour ainsi dire divisé; cependant,
il considérait encore les opérations de l'âme, la perception,
la volonté, comme je ne sais quoi de primitif,
et en quelque sorte comme des propriétés innées à l'âme.
« Aussi
le Philosophe se contente-t-il de reconnaître que l'âme aperçoit, pense,
doute, croit, raisonne, commente, veut, réfléchit [...] mais il n'a pas
senti la nécessité d'en découvrir le principe et la génération; il
n'a pas soupçonné qu'elles pourraient n'être que des habitudes acquises.
» (Essai sur l'origine des connaissances humaines).
La vraie méthode consiste,
selon Condillac, à remonter à l'origine des connaissances, pour en expliquer
la génération par une transformation graduelle du principe primitif.
On suit de cette manière la logique de la nature :
« la nature
a tout commencé, et toujours bien. »
Il n'y a qu'Ã la suivre.
Le principe primitif
des connaissances, dit Condillac, est la sensation, et tout s'explique
en nous par la sensation transformée; imaginez une statue et donnez-lui
les sens, vous en ferez une personne humaine. Une
sensation dominante devient l'attention ; une
sensation faible qui en accompagne une vive, c'est le souvenir ; deux sensations
simultanément dominantes, c'est la comparaison, qui engendre le jugement,
qui engendre le raisonnement, et ainsi de suite. A la sensation
Locke joignait la réflexion, c'est-à -dire la conscience;
mais, selon Condillac, la réflexion n'est encore que la sensation se sentant
elle-même. Le moi d'une personne « est la collection
des sensations qu'elle éprouve, et de celles que la mémoire
lui rappelle ».
Philosophes matérialistes
et Idéologues.
L'école
matérialiste.
Les doctrines
sensualistes de Condillac donnèrent naissance à une école appelée
Ecole matérialiste, dont les chefs furent Diderot
(1713-1784), auteur des Pensées philosophiques, et le principal
maître d'oeuvre de l'Encyclopédie;
La
Mettrie (1709-1751), qui ne voyait dans l'âme et dans tous ses actes
qu'un pur mécanisme; Helvetius (1715-1771),
qui ramène tout à la perception, et pour qui l'idée de l'infini n'est
qu'une négation; et le Baron d'Holbach (1723-1789),
qui prônait l'athéisme.
Les
premiers Idéologues.
On peut placer aussi
dans le prolongement de la pensée condillacienne les Idéologues.
L'école idéologique a exercé une grande influence à la fin du XVIIIe,
pendant la Révolution, et au début
du XIXe, sous l'Empire.
L'Institut, au moment de sa création ne comprenait guère que des idéologues.
Ils furent les inspirateurs des enseignements donnés dans les établissements
créés par la
Convention.
Ils eurent aussi une grande place dans les assemblées politiques. Leur
organe fut la Décade philosophique.
A cette école appartiennent
notamment Sieyès, Lakanal,
Condorcet,
Volney,
Garat,
Laplace,
Pinel,
Cabanis, qui crée la psychologie physiologique,
et bientôt Destutt de Tracy, qui annonce le
positivisme.
Avec eux, on a donc déjà un pied dans le XIXe
siècle.
Philosophie politique.
C'est en France
que s'élaborèrent, au cours du XVIIIe
siècle, les principes de la science politique en général, et plus particulièrement
les idées qui devaient amener une transformation de la société. Les
premiers penseurs politiques auxquels on songe sont Montesquieu, Voltaire,
Rousseau et même Diderot, mais les économistes de l'école physiocratique
(Quesnay, Turgot, Condorcet, etc.) ont aussi leur part dans ce mouvement.
Voltaire.
Voltaire (1694-1778)
par ses Lettres Philosophiques, tient une des premières places
parmi les philosophes du XVIIIe
siècle, pour qui, la science était synonyme d'irréligion. Il est
partisan de la philosophie de Locke; toutefois, contre le philosophe
anglais, il combat la morale de l'intérêt. Il croit à l'existence
de Dieu, à la spiritualité de l'âme et au libre arbitre, mais il nie
la Providence. En philosophie, il représente
l'école rationaliste.
Montesquieu.
Montesquieu
(1689-1755) fut un des plus célèbres représentants de l'école politique
au XVIIIe siècle. Son principal ouvrage
L'Esprit
des Lois
eut une influence considérable. Il définit les lois comme « les rapports
nécessaires qui dérivent de la nature des choses ». Et donc, tous les
êtres ont leurs lois. Ces lois, découlant de la
constitution des êtres, s'appellent lois de la nature et existent avant
toutes les lois positives, religieuses ou morales, civiles ou politiques.
Il y a, en effet, sans les lois humaines,
quelque chose de bon ou de mauvais. C'est ce qu'enseigne Montesquieu.
« Dire
qu'il n'y a rien de juste et d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent
les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle tous
les rayons n'étaient pas égaux.-»
Une de ces lois de la nature porte l'humain
à vivre en une société dont les lois ne sont pas conventionnelles, mais
reposent sur les rapports nécessaires des choses. Une étude mûrement
réfléchie des différentes formes de gouvernement l'amène à donner
ses préférences à la monarchie représentative
dont il emprunte le type à l'Angleterre.
On peut reprocher à Montesquieu de ne
voir dans les lois qu'un rapport nécessaire et de ne pas faire assez cas
de la liberté morale dans leur genèse et leur
application. Il s'est plutôt attaché à décrire ce qui est que ce qui
devrait être. On doit reconnaître cependant qu'il a préparé les voies
à d'importantes réformes sociales, notamment à l'abolition
de l'esclavage, à la révision du code pénal et à la répartition
de l'impôt.
Rousseau.
La réforme que
Jean-Jacques
Rousseau (1712-1778) opéra dans le domaine
de la pensée pratique fut aussi radicale que l'avait été celle de Descartes
dans le domaine de la spéculation pure. Lui aussi remit tout en question;
il fit table rase de ce qui était convention, artifice et tradition; il
voulut remodeler la société, la morale, l'éducation, la vie entière
de l'humain sur des principes « naturels ». Ceux mêmes qui ne se sont
pas ralliés à ses idées ont dû adopter quelque chose de sa méthode.
Par l'appel qu'il a lancé au sentiment, Ã
l'intuition, Ã la conscience
profonde, il a encouragé une certaine manière de penser que l'on trouvait
déjà chez Pascal, (dirigée, il est vrai, dans un sens tout différent),
mais qui n'avait pas encore droit de cité en philosophie.
Le principe fondamental de la philosophie
de Rousseau est que l'humain naturellement bon et heureux devient misérable
et déprave lorsqu'il vit en société avec ses semblables. D'où il conclut
que l'homme vivant aujourd'hui est un individu gâté formant partie d'un
tout ou de la société qui est la cause de son malheur. Voilà pourquoi
il prêche la restauration de l'individu dans son Émile
et celle de la société dans son Contrat social.
L'enfant, selon lui, doit être élevé en dehors de l'influence de toute
société et d'une manière conforme à la nature; et partant, il faut
développer chez lui la partie physique, instinctive, et ne pas lui parler
de religion positive, mais lui faire voir seulement le Dieu connu dans
la nature, jusqu'à sa quinzième ou seizième année. A cet âge, il fera
son choix.
Quant au contrat
social, sa thèse principale est que la société n'est pas naturelle
à l'humain, mais repose sur un pacte ou convention née du besoin de se
protéger, besoin éprouvé par les êtres humains vivant à l'état de
nature pure. Par ce contrat, les hommes libres et égaux créent un pouvoir
collectif et s'engagent à lui soumettre leur volonté individuelle. Pour
le sociétaire, cette aliénation de sa volonté n'est pas un esclavage
: il n'obéit qu'à lui-même, par cela qu'il veut que la volonté générale
soit respectée. Cette volonté générale, collection des volontés particulières,
arbitre suprême, inaliénable, absolu, égal pour tous, tout puissant,
se manifeste par la loi, que le peuple est toujours maître de changer.
Quoiqu'il n'ait pas
construit un système, Rousseau a inspiré, en partie, les systèmes métaphysiques
du XIXe siècle : le kantisme d'abord,
puis le « romantisme » de la philosophie
allemande, lui durent beaucoup. L'art et la littérature lui doivent au
moins autant.
Diderot.
Denis
Diderot (1713-1784), esprit puissant et plein de verve, réchauffe
autour de lui l'ardeur des artistes et des savants, en même temps qu'il
répand les idées les plus neuves et les plus originales. Il adopte une
sorte de panthéisme naturaliste, qui le porte
à concevoir l'univers comme un grand tout, dont les individus sont les
éléments, et qui subit une incessante transformation. Quant à Dieu,
il viendra un jour, dit Diderot; il est dans le devenir comme l'âme du
monde avec laquelle il s'identifie.
On a pu dire avec
raison de Diderot, qu'il fut le précurseur le plus puissant de la grande
Révolution, dans la politique, dans les lettres, dans la philosophie.
Nul écrivain ne s'est plus éloquemment et plus généreusement élevé
contre le despotisme des princes et des prêtres,
auquel il oppose les principes éternels de la morale et du droit humain.
Par sa glorification des arts et des métiers, par son éloge du travail
manuel dans l'Encyclopédie,
par ses sentiments démocratiques de « fils de forgeron », comme il tenait
à s'appeler, il prépara la révolution sociale non moins que la révolution
politique, et Babeuf, dans son Manifeste des
Egaux, le donne pour le véritable créateur du socialisme.
Ses oeuvres proprement littéraires, romans
et études critiques, sont hors de toute convention littéraire. On y sent
l'inspiration vivante de la nature et du coeur humain. Il a créé la critique
moderne des « salons » et du théâtre,
le roman réaliste et enfin le drame moderne.
En philosophie, il
est beaucoup plus avancé et hardi que Voltaire; Rousseau et tous ses contemporains.
Il ne se contente pas d'attaquer la tradition chrétienne. Il pose les
principes de la philosophie positive moderne. Michelet
dit :
« Diderot
était l'homme le plus grand du XVIIIe siècle [...]. Un torrent révolutionnaire,
on peut dire davantage, la Révolution même, son institution supérieure,
fut en lui, s'y montra par éclairs, par lueurs volcaniques. Si de Rousseau
vint Robespierre, de Diderot jaillit Danton. »
L'école physiocratique.
Quesnay (1694-1774) est le fondateur de
l'école économique dite des Physiocrates.
Il part de ce principe que le sol est l'unique source de la richesse. Turgot
(1727-1781) et Condorcet (1743-1794), tous les deux,
par des ouvrages diversement appréciés, se sont placés au premier rang
des économistes de leur siècle. A Turgot et à Condorcet, autant qu'Ã
Montesquieu, est dû l'approfondissement des concepts de loi, de gouvernement,
de progrès, etc.
Quesnay.
Contrairement a ce qu'enseigna plus tard
Adam
Smith, François Quesnay (1694-1774) pensait
que l'unique source de richesses, c'est le travail agricole, qui donne
d'abord la nourriture et l'entretien de l'ouvrier, et ensuite un excédent
qu'il appelait produit net. Le travail in dustriel était, déclaré improductif.
D'où il concluait que seul le produit net doit supporter l'impôt, mais
aussi que le propriétaire fon cier doit seul prendre part aux affaires,
et assurer d'ailleurs à l'industriel la liberté du travail. C'est de
ce principe incomplet que sortirent d'abord la ruine des maîtrises et
des jurandes et ensuite la concurrence. La formule célèbre : Laissez
faire, laissez passer, est de cet
économiste français. Quesnay restait
partisan de la monarchie absolue, qu'il regardait comme un gouvernement
paternel, tandis qu'il n'attendait de la démocratie
que licence et désordre.
Turgot.
Jacques Turgot
(1721-1781) fut contrôleur-général des finances sous
Louis
XVI. C'est alors qu'il fit connaître ses vastes projets de réformes
démocratiques qui lui suscitèrent des ennemis nombreux dans le clergé
et la noblesse. Il fut renvoyé par, le roi (1776) avant d'avoir pu accomplir
une transformation sociale qui peutêtre eût prévenu la Révolution.
Turgot a écrit des Réflexions sur la formation et la distribution
des richesses, un Discours sur les progrès du genre humain
et une Lettre sur la tolérance. Il collabora à l'Encyclopédie.
Condorcet.
Le marquis Caritat
de Condorcet (1743-1794) lié avec D'Alembert,
Voltaire et Turgot, proche comme on l'a vu des Idéologues, et collaborateur
de l'Encyclopédie fut un mathématicien en même temps qu'un économiste
de l'école des physiocrates. Comme philosophe, il s'est surtout distingué
par son ardent amour pour l'humanité et par des idées hardies sur la
perfectibilité indéfinie de l'espèce humaine. Ayant embrassé avec ardeur
la cause de la Révolution, il propagea par ses écrits les idées nouvelles.
Parmi ses ouvrages on mentionnera surtout : sa Vie de Turgot,1786,
sa Vie de Voltaire, 1787; et son Esquisse des progrès de l'esprit
humain,
1795. Ce dernier ouvrage est le plus généralement connu; Condorcet le
composa peu avant de mourir : c'est là surtout qu'il expose ses idées
sur la perfectibilité.
La philosophie française
au XIXe siècle
Les
Idéologues.
Sur la fin du XVIIIe
siècle et au commencement du XIXe, Ie
sensualisme
en France devient l'idéologie, doctrine qui
consiste uniquement dans l'analyse des sensations et des idées. Forcée
de tenir compte de l'être pensant, l'Idéologie ne reconnaît plus dans
l'âme qu'une collection sans unité et sans identité.
Les Idéologistes
(ou Idéologues), dont on a vu que les doctrines se constituent vers l'époque
de la Révolution, sont les héritiers de Condillac. Il ne se livrent pas
tous à l'analyse de l'esprit humain, mais ils attachent tous une certaine
importance à la connaissance des facultés intellectuelles et admettent
la méthode d'observation indépendante de toute métaphysique que pratiquait
Condillac.
Napoléon,en rapprochant
les expressions « idéologues » et « métaphysiciens nébuleux»,
ne paraît pas avoir eu une idée exacte de ce qu'ils étaient. Il est
vrai qu'il les combattit d'abord, parce qu'il trouvait la plupart d'entre
eux au nombre de ses adversaires.
Leurs représentants
les plus influents au début du XIXe siècle
sont : Cabanis et Destutt de Tracy, qui sera vu comme le chef de cette
école. Ils eurent pour auxilliaires, disciples et continuateurs : Daunou,
Benjamin Constant. Lamarck. Broussais. Ampère, Laromiguière, Degérando
et Maine de Biran. Laromiguière, pour la défendre, la modifie sur plusieurs
points essentiels; Degérando et Maine de Biran l'abandonnent,
Cabanis.
D'abord matérialiste
Pierre
Cabanis (1757-1808) soutint dans un premier ouvrage, resté célèbre,
que la pensée est une fonction cérébrale et que le moral n'est que le
physique retourné. (Rapports du physique et du moral). Plus tard,
dans la Lettre sur les causes premières, il admet que le monde
est l'oeuvre d'une cause intelligente et volontaire et professe alors un
panthéisme voisin de celui des Stoïciens.
Destutt
de Tracy.
Antoine
Destutt de Tracy (1754-1836) est sensualiste et matérialiste. Son
principal ouvrage est les Eléments d'idéologie (1804). Il n'admet
aucune religion et fonde la morale, comme les philosophes du XVIIIe
siècle, sur le seul développement de l'humanité, sur le progrès
humain.
Laromiguière.
Avec Pierre
de Laromiguière (1756-1837) une réaction se dessine contre l'empirisme
anglais. Il s'est éloigné de Condillac dont il a d'abord été un disciple
pur, en niant que tout se réduise dans l'homme à la sensation : outre
la sensiblité, il admet l'activité, qui est mise en jeu par le sentiment;
il distingue quatre manières de sentir : sensation, sentiment de l'action
des facultés de l'âme, sentiment de rapport, sentiment moral, et montre
comment l'activité, s'appliquant à ces sentiments, en tire toutes nos
idées.
La réaction spiritualiste.
Traditionnalisme,
ontologisme et néo-thomisme.
La première forme
des systèmes philosophiques, créés par les catholiques français pendant
la première moitié du XIXe s., et la
plus considérable - le traditionalisme - représente à la fois une réaction
contre le matérialisme et contre le spiritualisme éclectique qui se développe
en parallèle.
• Bonald
(1754-1840), fondateur de l'école traditionaliste, est le contemporain
de la Révolution, dont il réprouva les excès et à laquelle il opposa
les théories catholiques sur l'origine et la mission du pouvoir social.
Sa théorie philosophique la plus originale est relative à l'origine des
idées. Impuissante par elle-même, la raison humaine n'eut pu atteindre
aucune vérité sans une révélation divine primitive. C'est Dieu qui
apprit à l'humain à parler et lui révéla les vérités fondamentales.
Celles-ci sont transmises par la tradition, grâce à la société, dont
de Bonald revendique, à l'encontre de J. J. Rousseau, le caractère naturel
primitif.
• Joseph
de Maistre (1754-1821) se rattache à l'oeuvre politique de Bonald,
tandis que Lamennais (1782-1834) est plus directement tributaire des principes
critériologiques du traditionalisme : L'Eglise catholique est seule dépositaire
de la tradition universelle que l'individu, livré à lui-même, est impuissant
à connaître. Considéré pendant longtemps comme le chef du parti catholique,
familier de Lacordaire, de Montalembert, de Gerbet, etc., Lamennais
se brouilla plus tard avec ses amis et refusa de se soumettre aux décisions
romaines. La philosophie développée dans son dernier ouvrage (Esquisse
d'une philosophie), est devenue une forme du panthéisme.
• Et les
doctrines de Gratry sur la logique témoignent
d'une audace spéculative dont s'effraya plus d'une fois, et à bon droit,
le ferme bon sens des spiritualistes universitaires.
On retrouve les principes
du traditionalisme chez Ballanche (1776-1847), Bautain (1796-1867) et chez
Bonnetty (1798-1879), qui fonda en 1830 les Annales de philosophie chrétienne.
L'ontologisme, qui
prétend que nous voyons directement en Dieu l'objet de nos idées, fut
préconisé par des hommes tels que Fabre d'Envieu, mais trouva en Italie
(Gioberti) et en Belgique (Ubaghs) ses plus brillants défenseurs. Diverses
condamnations romaines frappèrent le traditionalisme et l'ontologisme.
Un peu plus tard,
la philosophie catholique prend un nouvel essor depuis la restauration
du thomisme par l'encyclique Aeterni Patris. S'l y a eu des philosophes
chrétiens français au XIXe siècle, il
n'y avait pas eu d'école de philosophie chrétienne jusqu'à ce moment.
Maine
de Biran.
Maine de Biran
occupe une place à part dans la philosophie : le premier, il rompit avec
l'école de Condillac au sein même de cette école, et fonda une nouvelle
philosophie réellement française. D'autres, plus tard, comme Royer-Collard
et Victor Cousin, professèrent ou écrivirent sous l'influence des doctrines
écossaises ou allemandes; lui, il avait déjà commencé la réaction
et ressuscité le spiritualisme, en partant uniquement de l'observation
intérieure, et par les procédés de l'investigation scientifique. De
là l'originalité et la solidité de ses idées; de là aussi ce qu'elles
offrent d'étroit et d'incomplet. Toutes ses recherches portent sur la
psychologie ou sur l'étude de l'âme par la conscience ou le sens intime.
Cette étude est, pour l'école française du XIXe
siècle,
la base de toutes les sciences philosophiques. Nul n'a mieux prouvé, par
son exemple, que Maine de Biran la fécondité et la portée de cette méthode
et de cette science. Dans un mémoire sur cette question : Ce qu'est
l'influence de l'habitude sur la faculté de penser, 1803, couronné
par l'Institut, il distingue, dans l'âme, des habitudes
passives, et des habitudes actives. Les sensations, les impressions, s'émoussent
et s'affaiblissent par leur répétition, tandis que l'habitude aiguise,
la pensée fortifie la volonté, rend les actes plus faciles et plus rapides.
Cette seule distinction renverse le système de Condillac et ouvre la voie
à une nouvelle théorie de connaissances humaines, diamétralement opposée
à la théorie sensualiste : ici, le principe de toute connaissance est
l'activité, inhérente à l'âme et constituant son essence. Cette idée
se développe dans une série de travaux, où l'auteur montre autant de
force et de pénétration d'esprit que d'originalité. Voici les points
principaux de sa doctrine psychologique :
1° On a méconnu toute l'étendue et la
portée de la conscience et de l'observation intérieure. Locke lui substitue
l'expérience des sens; Descartes regarde trop l'âme comme un objet de
la raison; Maine de Biran restitue au sens intime, non seulement
les faits, mais les idées et les questions qui lui appartiennent; l'âme
a des idées dont elle seule est l'origine, et dont on chercherait vainement
ailleurs la véritable source. Ce sont, avec l'idée de l'activité, celles
de force ou de causalité, de liberté,
d'unité. Les problèmes de la spiritualité et
de la liberté de l'âme sont ainsi enlevés au raisonnement et à la métaphysique,
pour être rendus à la conscience et au sens intime, qui en décide souverainement.
2° Il a fait sortir la théorie tout entière
de la connaissance de l'activité volontaire
ou de l'effort continu dans l'attention; il
distingue des perceptions ou des impressions
vagues ou confuses, comme celles de l'animal ou peut-être de la plante,
et qui constituent la vie sensible ou animale, puis la connaissance véritable,
qui a conscience d'elle-même et qui n'est
possible que par un acte d'attention et de volonté,
c.-à -d. de réflexion. C'est la vie de l'intelligence dont le principe
est l'activité personnelle. Par là est créé le moi dans l'humain, la
personne. La connaissance se développe, par l'activité de l'esprit, qui
distingue, abstrait et forme des idées générales en comparant les objets.
A côté de connaissances nous trouvons en nous d'autres idées, universelles
et absolues que l'activité personnelle ne peut proqui restent indépendantes
du moi. Ces idées apparaisssent à l'âme et ne la constituent pas; elles
nous conduisent à un principe distinct du moi, et qui pourtant est doué
de personnalité, au lieu d'être une pure substance comme le veut Spinoza.
Dieu est le principe de ces idées, comme les corps sont la cause des impressions
qui viennent de nos sens. Pour compléter cette théorie, Maine de Biran,
dans les dernières années de sa vie, reconnaît, dans la volonté
humaine et dans l'effort qui la caractérise, un côté faible et borné
qui l'oblige à recourir à une force supérieure sur laquelle la nôtre
est appuyée; son soutien et puissance véritable, sans qu'elle perde néanmoins
sa liberté et sa personnalité distincte. Il arrive là à des conclusions
qui le ramènent, mais sans sortir de l'observation intérieure et des
voies de la science, sur un chemin déjà tracé par Leibniz, quoique Maine
de Biran reste exclusivement sur le terrain de la psychologie. On l'a aussi
comparé pour le principe et le fond de sa doctrine à Fichte,
dont il a probablement ignoré le système; mais il n'y a rien de commun
entre les procédés et le système du métaphysicien, du continuateur
de Kant, et la foctrine et la méthode du psychologue
français.
Royer-Collard.
Tandis que Maine
de Biran méditait dans le silence, la chaire de philosophie de la
Sorbonne
était occupée par
Pierre Royer-Collard
(1763-1845), un janséniste, donc un adversaire
du cartésianisme, qui ne voulait pas « faire au scepticisme sa part »
et qui poursuivait jusqu'au doute méthodique. Royer-Collard a été un
homme politique avant d'être un philosophe. Il fut un des fondateurs du
régime constitutionnel en France. On lui avait donné, ainsi qu'à ses
amis, le titre de doctrinaire, soit par allusion à la congrégation
de la Doctrine où il avait été élevé soit parce qu'il avait en politique
une doctrine arrêtée, doctrine qui consistait à concilier par la pondération
des pouvoirs la liberté et la légitimité. Comme philosophe, il a surtout
attaché son nom à la réaction spiritualiste en combattant les tendances
idéalistes de descartes et le sensualisme de Condillac et en faisant connaître
en France la philosophie écossaise.
L'Eclectisme
Royer-Collard, en
faisant connaître l'école écossaise et les doctrines de Reid
en France, prépare la venue de l'école éclectique.
Pour le fond des doctrines, l'éclectisme
fut un retour au spiritualisme établi par Descartes, en lui donnant plus
de précision et de force, et en insistant sur la volonté. T. Jouffroy
et Victor Cousin furent les plus illustres représentants de cette école,
dont la doctrine devient, au milieu du siècle, une sorte de doctrine officielle.
La doctrine éclectique sera ensuite développée par Garnier, Saisset,
Albert Lemoine, Paul Janet.
Cousin.
Victor
Cousin (1789-1867) fut par l'éclat de ses leçons, par I'impulsion
qu'il donna à l'érudition, par la publication de ses traduction et de
ses oeuvres, fortifia chez un grand nombre de ses disciples le goût de
l'histoire de la philosophie. En relation avec Hegel et Schelling, il accepta
dans sa jeunesse leur doctrine et en fit passer une partie dans ses ouvrages.
Cousin aura ainsi
eu plusieurs philosophies, qu'il défendra successivement avec une chaleur
de conviction communicative. Il ira de Reid à Hegel
en traversant Maine de Biran, mais sans jamais prendre, vis-Ã -vis des
maîtres français dont il s'éloigne pour en suivre d'autres, les allures
d'un renégat. Les croyances successives de Cousin ne lui ont jamais imposé
d'abjurations. Aussi bien, s'il fut un moment panthéiste, à la suite
de Hegel, il ne le fut qu'en métaphysique : on peut même aller jusqu'Ã
dire qu'il ne le fut pleinement que dans ses leçons de 1828 sur la philosophie
de l'histoire.
Des leçons qui reprsentent
d'ailleurs plus que cela. Quand on songe où en était encore l'histoire
de la philosophie en France en 1828, on ne saurait trop admirer cette esquisse
à grands traits que traça Cousin d'une histoire générale de la philosophie,
depuis l'Inde jusqu'au XVIIIe
siècle, préambule magnifique, et un peu disproportionné, à la critique
du système de Locke qui devait être l'objet du cours. On lui a reproché
d'assujettir la philosophie à tourner sur elle-même, toujours condamnée
à repasser par la même série des mêmes erreurs. Mais ce que dit Cousin,
sans aucun fatalisme et sans nier en rien le progrès philosophique, c'est
seulement qu'à toutes les époques de l'histoire de la philosophie reparaissent
des systèmes qui reflètent plus ou moins les grandes tendances de l'esprit
humain, l'idéalisme, l'empirisme, et même le mysticisme et le scepticisme.
En psychologie, Cousin
resta partisan du libre arbitre, de l'âme spirituelle : en morale, il
resta kantien, on devrait dire : pseudo-kantien pour être juste, car sa
théorie du bien est incompatible avec les principes de la
Critique
de la raison pratique.
Dans la seconde partie
de sa vie, il tenta de fonder, sous le nom d'éclectisme une approche qui
s'appuyant sur la double autorité de histoire et de la conscience, concilierait
tous les systèmes en les interprétant d'après la maxime de Leibniz,
que « tous les systèmes sont vrais par ce qu'ils affirment et faux par
ce qu'ils nient ». Le mot éclectisme renvoie à un courant de la philosophie
antique, mais chez Cousin il ne désigne pas ne signifie pas un système
: plutôt une méthode, une règle que le philosophe doit appliquer Ã
la critique des systèmes, et le profit qu'il doit en retirer pour ses
propres spéculations. Or celle méthode et cette règle supposent une
philosophie d'où elles sont tirées, et à la mesure de laquelle se fait
la part de la vérité et de l'erreur dans toutes les autres philosophies.
C'est d'ailleurs ainsi que Cousin s'expliqua sur ce nom d'éclectisme.
« On s'obstine
à représenter l'éclectisme, dit-il, comme la doctrine à laquelle on
daigne attacher notre nom. Nous le déclarons : l'éclectisme nous est
bien cher sans doute, car il est à nos yeux la lumière de l'histoire
de la philosophie; mais le foyer de cette lumière est ailleurs. L'éclectisme
est une des applications les plus importantes et les plus utiles de la
philosophie que nous professons, mais il n'en est pas le principe. Notre
vraie doctrine, notre vrai drapeau est le spiritualisme. »
Il prétendait prendre
toujours pour base de la philosophie, et même de la métaphysique, la
méthode psychologique, mais, de plus en plus, il inclina, surtout après
son livre : Le Vrai, le Beau, le Bien, Ã faire de la philosophie
non une science pure, mais une discipline de défense et de réaction contre
« les mauvaises doctrines ». Il la rapprocha jusqu'à l'en faire presque
dépendre du sens commun, d'une part, et de la religion catholique, de
l'autre; il arriva ainsi à faire de son spiritualisme une sorte d'orthodoxie,
dont le caractère officiel et un peu superficiel devait, avant la fin
du XIXe siècle, discréditer l'école
éclectique.
De tous les éclectiques
français, Cousin est le seul qui ait ébauché une théorie de la raison.
Le Programme d'un cours sur les vérités absolues inséré dans
les Premiers Essais de philosophie n'est qu'un programme sans doute,
mais il atteste une rare vigueur de pensée et il fait comprendre ce que
signifie exactement cette expression très usitée, mais très rarement
commentée, de « méthode psychologique » que Cousin défendait comme
la seule féconde, non pas en psychologie - ce serait avoir parlé pour
ne rien dire mais en métaphysique.
Jouffroy.
Jouffroy
(1796-1842), disciple de Cousin, se sépare de son maître pour rester
fidèle à l'esprit de la philosophie écossaise, qui néglige les questions
de métaphysique.
Il distinguait les
questions de faits et les questions ultérieures; il n'admettait celles-ci
que dans la mesure où elles pouvaiient être résolues par les premières.
Aussi réduisait-il la philosophie à l'étude de la psychologie. Il a
défini avec précision la méthode qu'il faut employer dans l'observation
interne et les services qu'on en peut attendre.
« La conscience
obscure que nous avons tous de nous-mêmes deviendra, dit-il, la science
du moi, quand elle aura été éclaircie par la réflexion libre. Qu'y
a-t-il dans la conscience que chacun de nous a de soi-même`? La solution
de cette question est la psychologie tout entière. »
En morale,
il reste le disciple d'Adam Smith. La bonté
d'une action est en raison directe de l'assentiment qu'elle excite dans
les autres humains, et les actions les meilleures sont celles qui sont
de nature à obtenir la sympathie la plus pure
et la plus universelle possible.
Son influence se
lit chez Damiron (1794-1862), Garnier (1801-1864),
Saisset,
J.
Simon, Barthélémy Saint-Hilaire.
Le Positivisme
comtien.
Auguste Comte(1798-1857)
est
le chef au Positivisme, c'est-Ã -dire, d'une
école de philosophes hostiles à la métaphysique qu'ils considèrent
comme un mode transitoire de la pensée humaine et décidés à la remplacer
par la science. Il tenait de l'utopiste
humanitaire Henri de Saint-Simon l'aversion
incurabe et assez inclairvoyante qu'il ne cessa de témoigner pour les
recherches métaphysiques. Il devait aussi à la même influence un souci
de régénération sociale qui, au lieu de n'aboutir qu'à des rêves,
comme chez les saint-simoniens et les fouriéristes, eut pour résultat
durable, sinon l'introduction d'un nouveau concept et par là même d'une
nouvelle science, du moins l'élaboration et presque l'achèvement du concept
d'organisme social.
Aux yeux des positivistes,
la société est un être collectif, mais non un être abstrait, puisque
les besoins, les aspirations, les fonctions de cet être collectif, bien
que ne se manifestant que chez les individus, ont pour unique raison d'être
le règne de l'ordre dans l'humanité. Le mot « organisme social » selon
l'idée qu'on s'en est faite chez les positivistes - et ailleurs - n'est
donc pas une vaine métaphore : aussi bien la méthode applicable en sociologie
doit elle être calquée sur la méthode en biologie.
Comte.
Auguste Comte avait
d'abord embrassé avec ardeur les doctrines de Saint-Simon; mais, dès
1824, il se sépara du maître et publia, sous le titre de Système
de politique positive, le programme d'une doctrine nouvelle, programme
qu'il remplit depuis dans son Cours de philosophie positive (1839
et ann. suiv.), dans son Catéchisme positiviste (1850), et dans
sa Politique positiviste (1851-1854). Combinant, selon ses expressions,
les indications de la science physiologique avec les révélations de l'histoire
collective du genre humain, il veut établir que l'humain, après avoir
été successivement dupe d'hypothèses théologiques ou métaphysiques,
ne possédera une science véritable que lorsque, renonçant à toute intervention
surnaturelle, Ã toute recherche des
causes finales,
il n'admettra plus que des faits positifs : sa philosophie devait présenter
l'ensemble de ces faits, ordonnés en système.
Quoique annulant ainsi l'idée de Dieu, A. Comte eut la prétention dans
ses dernières années de fonder un culte nouveau, et écrivit dans ce
but la Religion de l'humanité.
Selon Auguste Comte, l'esprit humain a
passé par trois états : l'état théologique, l'état métaphysique et
l'état positif. A l'état théologique ou anthropomorphique, l'esprit
humain explique les phénomènes par des divinités, des volontés semblables
à la nôtre. A l'état métaphysique, la pensée explique les phénomènes
non plus par des volontés conscientes, mais par des abstractions considérées
comme des êtres réels. On remplace les divinités par des âmes, des
essences mystérieuses, des qualités occultes. Le règne de la métaphysique
a duré jusqu'à la fin du Moyen âge.
Mais l'esprit humain, enfin parvenu à sa maturité et à l'état positif,
explique les phénomènes relativement, les uns aux autres. Il ne conçoit
de réalité que celle des faits, et la véritable science consiste Ã
rechercher et à découvrir les lois positives des faits.
Chacune des sciences particulières a passé
par ces trois états successifs. L'ordre suivant lequel elles sont entrées
dans la phase métaphysique et dans la phase positive répond à l'ordre
logique qui les relie les unes aux autres. C'est en envisageant à la fois
l'histoire du développement des sciences, leur ordre chronologique et
leur nature, qu'Auguste Comte est amené à établir entre elles une hiérarchie
qui part des sciences les plus simples ou, les
plus abstraites pour s'élever jusqu'aux sciences les plus complexes ou
les plus concrètes. Les sciences les plus simples se sont perfectionnées
les premières; les autres, en raison de leur complexité, ne sont entrées
que plus tard dans l'état positif.
Les sciences mathématiques,
comprennent l'arithmétique et l'algèbre,
la géométrie, la mécanique rationnelle,
sont au premier degré de l'échelle. Puis viennent l'astronomie,
qui ajoute un groupe de faits nouveaux : les faits de gravitation; la physique,
qui comprend la
physique proprement dite et
la chimie; la biologie
et la physique sociale ou sociologie.
Chacune de ces sciences, qu'Auguste Comte
appelle aussi sciences fondamentales, est en relation directe avec la science
qui la précède et celle qui la suit. L'idéal de chacune d'elles est
de tendre à prendre la forme mathématique. La sociologie, qui traverse
actuellement la phase métaphysique, doit être amenée à maturité et
doit prendre la forme positive. Les faits historiques se suivent et s'enchaînent
avec la même nécessité que les faits biologiques; les idées politiques
et sociales se suivent d'après une loi déterminée. Quand cet enchaînement
et cette loi seront connus, l'histoire deviendra
une science au même titre que la physique et l'astronomie.
Dès lors, la totalité des sciences, c'est-à -dire
la philosophie, aura atteint sa forme positive. La philosophie ne doit
plus être, en effet, considérée comme une science à part, mais comme
une coordination systématique du savoir humain. Le règne de la métaphysique
touche à sa fin. Elle a été utile à son heure, elle a préparé le
terrain à la science positive, mais elle n'a été et ne peut être qu'une
forme de transition. Son rôle est aujourd'hui rempli.
La philosophie, ainsi entendue comme quelque
chose d'achevé et de fini, devait dans la pensée de Comte, unifier les
esprits. Il fut en effet toute sa vie hanté du projet de créer une catholicité
nouvelle par un enseignement uniforme. Il était l'ennemi de la liberté
de pensée qu'il considérait comme un état d'anarchie intellectuelle.
Son rêve, où il faut chercher l'unité de toute sa doctrine, était de
gouverner les humains en les faisant entrer dans les cadres d'une philosophie
religieuse qui était précisément le positivisme comtien.
Auguste Comte a eu de nombreux disciples,
mais son école se divisa en deux partis :
le positivisme orthodoxe, qui
maintient la doctrine dans son ensemble, à la tête duquel se trouvait
le directeur du positivisme (le premier fut Pierre Laffite, désigné par
Comte lui-même), et l'école dissidente,
qui néglige
la dogmatique sociale du maître et constituée autour d'Emile
Littré. Celui-ci a porté sur son maître le jugement suivant
:
« M. Comte
fut illuminé des rayons du génie. Celui qui, à l'issue de la mêlée
confuse du XVIIIe siècle, aperçut, au commencement du XIXe, le point
fictif ou subjectif qui est inhérent à toute théologie et à toute métaphysique;
celui qui forma le projet et vit la possibilité d'éliminer ce point,
dont le désaccord avec les spéculations réelles est la grande difficulté
du temps présent; celui qui reconnut que, pour parvenir à cette élimination,
il fallait d'abord trouver la loi dynamique de l'histoire, et la trouva;
celui qui, devenu, par cette immense découverte, maître de tout le domaine
du savoir humain, pensa que la sûre et féconde méthode des sciences
particulières pouvait se généraliser et la généralisa; enfin celui
qui, du même coup, comprenant l'indissoluble liaison avec l'ordre social
d'une philosophie qui embrassait tout, entrevit, le premier les bases du
gouvernement rationnel de l'humanité; celui-là , dis-je, mérite une place,
et une grande place, à côté des plus illustres coopérateurs de cette
vaste évolution qui entraîne le passé et qui entraînera, l'avenir.»
Le positivisme a gagné
de proche en proche même bien au-delà de son école, mais c'est bien
plus par sa méthode qu'il s'est imposé au respect des bons esprits que
par sa doctrine. Ainsi, d'Auguste Comte, on lisait volontiers dans les
dernières décennies du XIXe siècle certaines
pages de son Cours de philosophie positive. On ne lisait guère
sa Politique positive, son oeuvre capitale cependant, puisque la
« philosophie » n'était à ses yeux que la préface de la politique.
C'est l'esprit du
positivisme que l'on retrouvera, par exemple, chez Taine et chez Th. Ribot.
Ravaisson,
Guyau,
Lachelier.
J. Lagneau, de leur côté, représentent une tendance
de cette philosophie que l'on a appelée le positivisme spiritualiste
Le positivisme
spiritualiste.
L'appellation de positivisme spiritualiste
recouvre la forme que prend dans la seconde partie du XIXe
siècle le spiritualisme, dont le fil apparaît déjà chez Maine de Biran,
et tel qu'on le retrouvera plus tard chez Boutroux
ou Bergson.
Ravaisson.
Félix Ravaisson
(1813-1900) est avant tout un historien de la philosophie. Attaché Ã
Pascal autant qu'à Maine de Biran, épris de l'art
grec autant que de la philosophie grecque,
il a mis en lumière ce côté artistique et classique de la pensée philosophique
française, tout en traçant les linéaments d'une philosophie qui mesure
la réalité des choses à leur degré de beauté.
Guyau.
Jean-Marie Guyau
(1854-1888) rejette tous les principes de moralité a priori, antérieurs
et supérieurs aux faits, et il fonde sur les seules données de la science
positive une loi de la vie. D'autre part, il montre comment l'humanité
peu à peu se dégage des religions -organisées et dogmatiques pour aller
à « l'irréligion », et il étudie surtout le caractère social de la
religion considérée comme une aspiration à l'inconnu, à l'infini. Guyau,
qui fut surtout préoccupé par les questions esthétiques,
morales, sociales et religieuses, se rattache à la philosophie de l'évolution,
mais très librement, et il reste avant tout un penseur indépendant et
original.
Lachelier.
S'appuyant sur le kantisme,
qu'il interprète dans le sens d'un dogmatisme idéaliste,
Jules
Lachelier (1832-1918) a combattu à la fois le spiritualisme superficiel
de l'école cousinienne et les doctrines positivistes de l'école comtienne.
Il conclut que la métaphysique est la vraie science de l'esprit, le vrai
fondement du spiritualisme.
Le néo-criticisme
On parle de néo-criticisme pour désigner
la doctrine philosophique renouvelée du kantisme qui s'opère à partir
du milieu du XIXe siècle. Mais le terme
néo-criticisme n'a pas le même sens en France et en Allemagne. Dans ce
dernier pays, il désigne une réaction contre l'idéalisme
absolu qui prétendait reconstruire a priori et dans le détail les lois
de la nature. Le mot d'ordre « revenir à Kant
» fut donné, en 1862, dans une célèbre leçon d'Edouard
Zeller sur la théorie de la connaissance. Toute une école de philosophes
estima que la pensée de Kant avait été faussée par ses continuateurs
et qu'il y avait lieu de reprendre les choses au point où le maître les
avait laissées. Les néo-kantiens allemands insistent surtout sur la critique
de la raison pure. La plupart d'entre eux laissent au second plan la partie
morale et religieuse du kantisme.
Renouvier.
Au contraire, la principale tendance du
néo-criticisme français, représenté par Renouvier,
met l'accent sur la morale et sur les postulats de la raison pratique.
Parti du criticisme kantien, qu'il avait d'ailleurs profondément modifié
dès le début, Renouvier s'en est dégagé peu à peu pour arriver Ã
des conclusions qui ne sont pas très éloignées, quant à la lettre,
de celles du dogmatisme métaphysique. Il affirme, en particulier, l'indépendance
de la personne humaine, il réintègre la liberté dans le monde. Mais
il renouvelle la signification de ces thèses en les rapprochant des données
de la science positive, et surtout en les faisant précéder d'une critique
de l'entendement humain. Il montre sur quels
points peut s'étendre, au delà de la certitude scientifique, la croyance
métaphysique et, au delà de celle-ci, la croyance religieuse. Par sa
morale, autant que par sa théorie de la nature et de l'homme, il a agi
sur la pensée philosophique de son temps.
Cournot.
La dimension épistémologique
du néo-criticisme n'est pas pour autant absente en France : elle est initiée
par Cournot. Conduit à la philosophie, lui aussi,
par l'étude des sciences et en particulier par les mathématiques, Cournot
institua une critique d'un genre nouveau, qui, à la différence de la
critique kantienne, porte à la fois sur la forme et sur la matière de
notre connaissance, sur les méthodes et sur les résultats. Sur une foule
de points - notamment sur le hasard et la probabilité
- il a apporté des vues neuves, pénétrantes et profondes. Il a
fait la critique de l'idée de loi en général, et celle de la méthode
dans tous les ordres de sciences. Ce penseur occupe une des premières
places parmi les philosophes du XIXe siècle.
On retrouvera son influence dans les théories de la connaissance élaborées
notamment par Cl. Bernard ou H.
Poincaré.
Renan, Taine.
A la suite de Renouvier,
Renan et Taine occupent une place spéciale dans la nébuleuse positiviste.
Renan n'a pas de parenté intellectuelle avec Comte. Mais, à sa manière,
et dans un sens assez différent, il a eu, lui aussi, cette religion de
l'humanité qu'avait rêvée le fondateur du positivisme. Quant à Taine,
pas plus que Renan, il ne ressemble ni ne se rattache à Comte. Et pourtant
ce n'est pas tout à fait sans raison qu'on le classe parfois, ainsi que
Renan lui-même, parmi les positivistes. C'est surtout l'esprit d'une époque
qui s'exprime à travers eux.
Renan.
La séduction qu'Ernest
Renan exerça sur son temps tient à bien des causes. Ce fut d'abord
un merveilleux écrivain, si toutefois on peut encore appeler écrivain
celui qui nous fait oublier qu'il emploie des mots, sa pensée paraissant
s'insinuer directement dans la nôtre. Mais bien séduisante aussi, bien
adaptée au siècle qui avait revivifié les sciences historiques, était
la conception doublement optimiste de l'histoire qui pénétrait l'oeuvre
de ce maître; car d'une part il pensait que l'histoire enregistre un progrès
ininterrompu de l'humanité, et d'autre part il voyait en elle un succédané
de la philosophie et de la religion.
Taine.
Cette même foi à la science, - aux sciences
qui étudient l'homme, - se retrouve chez Taine,
un penseur qui eut autant d'influence que Renan en France, et qui en eut
peut-être plus encore que Renan à l'étranger. Taine veut appliquer Ã
l'étude de l'activité humaine sous ses diverses formes, dans la littérature,
dans l'art, dans l'histoire, les méthodes du naturaliste et du physicien.
D'autre part, il est tout pénétré de la pensée des anciens maîtres
: avec Spinoza, il croit à l'universelle nécessité; sur la puissance
en quelque sorte magique de l'abstraction, sur les « qualités principales
» et les «facultés maîtresses », il a des vues qui le rapprochent
d'Aristote et de Platon. Il revient ainsi, implicitement, à la métaphysique;
mais il borne l'horizon de cette métaphysique à l'humain et aux choses
humaines.
Socialisme.
On range sous le terme de socialisme
des doctrines philosophiques et sociales, souvent très différentes les
unes des autres, et généralement fondées sur le principe de la socialisation
des moyens de production et de substitution de la propriété collective
à la propriété individuelle. Saint-Simon, Pierre Leroux, Fourier, Cabet,
Considérant, Proudhon, Benoît Malon, Guesde, Jaurès ont préparé ou
formulé les divers systèmes de socialisme humanitaire, collectiviste
ou communiste.
Saint-Simon.
Henri, comte de Saint-Simon
(1760-1825) avait pour projet de reconstituer l'ordre social et de réorganiser
la science et l'industrie. Il est le fondateur de l'école industrialiste
: il voulait améliorer, au moyen de la science et de l'industrie, le sort
de l'humanité, surtout des classes les plus nombreuses et les plus pauvres;
il considérait les savants, les industriels, les artistes, les producteurs
de toute espèce comme la seule aristocratie légitime, leur confiait la
direction de la société nouvelle, proscrivait les oisifs, prêchait l'association
et l'organisation des travailleurs, et voulait que tous les efforts fussent
dirigés d'après une doctrine générale et vers un but commun; en outre,
il constituait sur de nouvelles bases la propriété, la religion, et même
la famille.
Ses disciples (Augustin Thierry, Auguste
Comte, Olinde Rodrigues, Enfantin, Bazard,
Pierre
Leroux, Lambert-Bey etc.) connus
sous nom de Saint-Simoniens, formèrent une secte qui développa avec talent
ses doctrines sur l'économie sociale et qui obtint un succès momentané;
mais ils échouèrent lorsqu'ils voulurent passer de la théorie à la
pratique : ils voulurent créer une hiérarchie nouvelle, établir l'égalité
absolue de l'homme et de la femme, modifier le mariage, abolir l'héritage,
substituer à la filiation naturelle une filiation toute conventionnelle,
enfin instituer un culte nouveau. Les Saint-Simoniens furent accusés devant
les tribunaux d'attentat à la morale publique, et leur association fut
dissoute en 1833 par sentence judiciaire.
Fourier.
Charles Fourier
(1768-1837) est le fondateur de l'école d'économistes dite sociétaire
ou phalanstérienne. Il se livra de bonne heure et solitairement à des
recherches spéculatives sur l'organisation de la société, et publia
ses idées dès 1808 sous le titre de Théorie des quatre mouvements
: il s'y proposait de fonder un ordre social où toutes les passions humaines,
bonnes ou mauvaises, trouveraient une place légitime et une satisfaction
qui tournât au profit général; où toutes les aptitudes fussent appliquées,
où ce fût un droit et un attrait pour tous, et non plus un devoir pénible,
de concourir au bien-être universel; et pour cette fin, il voulait associer
les hommes en capital, travail et talent par groupes, par séries, puis
par phalanges, au moyen de l'attraction passionnée, dont il fait la loi
de l'humanité, comme l'attraction universelle de Newton est la loi de
la physique. Malgré le peu d'attention qu'avaient obtenu ses théories,
il continua à les développer dans le
Traité de l'association domestique
agricole (1822), le Nouveau Monde industriel (1829), et la Fausse
Industrie (1835). Il créa en 1832, avec le concours de quelques disciples,
le Phalanstère, journal qui prit en 1836 la titre de la Phalange.
Sa doctrine, assez peu facile à saisir dans ses ouvrages, a été résumée
et éclaircie par V. Considérant, l'un de ses disciples, dans un livre
intitulé Destinée sociale. Ses disciples tentèrent, mais sans
succès l'application de sa doctrine dans un Phalanstère qu'ils fondèrent
à Condé-sur-Vesgre.
Proudhon.
Pierre-Joseph
Proudhon (1809-1865) fit paraître en 1840 son fameux mémoire sur
la propriété, sous ce titre : Qu'est-ce que la Propriété? ou Recherches
sur le principe du droit et du gouvernement. C'est dans cet ouvrage
qu'il dit : « La propriété, c'est le vol-».
Mais, quoi qu'on ait pu croire, Proudhon ne nie pas et ne condamne pas
la propriété. Il nie et condamne la propriété immobilière, la propriété
de l'instrument primitif de travail que la nature a donné à tous les
hommes et qui, pour être accessible à tous, doit être non pas la propriété,
mais seulement la possession de chacun. L'intérêt du capital, les bénéfices
du commerce, la rétribution du talent en dehors du travail, lui paraissent
injustifiables. Il affirme l'égale dignité de tous les humains, leurs
titres égaux au bien-être et à la vie complète. Proudhon expliqua sa
critique et ses idées sociales dans une Lettre à Blanqui et dans
une autre Lettre à Considérant. Il fut dès lors mêlé à toutes
les luttes politiques en 1848 et sous le Second Empire.
(J. Dauriac /H. Bergson / DSP / HP / Bt. / NLI).
La philosophie française
au XXe siècle
Philosophies de la
vie.
Le courant vitaliste,
apparu au XIXe siècle, se poursuit au
début du siècle suivant. Il met l'accent sur la vie, la créativité
et l'évolution, en opposition à la mécanisation et à la rigidité de
la pensée scientifique traditionnelle.
Bergson.
Henri
Bergson (1859-1941) est sans doute le philosophe le plus influent au
début du XXe
siècle en France. Il développe
une philosophie de la durée, de l'élan vital, et de l'intuition, en opposition
au matérialisme et au positivisme de son époque. Oeuvres clés : Essai
sur les données immédiates de la conscience (1889), Matière et
mémoire (1896),
L'Évolution créatrice (1907).
Blondel.
Maurice Blondel
(1861-1949) est un philosophe de l'action. Il s'intéresse à la relation
entre l'action humaine et la foi religieuse, Il mettant l'accent sur l'interaction
dynamique entre l'humain et le divin. Oeuvre clé L'Action
(1893).
Teilhard
de Chardin.
Pierre Teilhard
de Chardin (1881-1955) s'est employé à tenter de concilier science et
religion, notamment à travers sa théorie de l'évolution humaine vue
comme un processus spirituel. Son oeuvre majeure, Le Phénomène humain,
propose une vision du monde où l'évolution est perçue comme une montée
vers la complexité et la conscience. Ses idées ont influencé de nombreux
penseurs et ont été controversées, en particulier au sein de l'Église
catholique.
Palante.
Georges
Palante (1862-1925) se signale surtout par son individualisme libertaire
et son rejet des systèmes sociaux oppressifs. Influencé par des
penseurs comme Nietzsche et Schopenhauer,
il prônait une éthique basée sur la révolte individuelle et la liberté
personnelle. Il a écrit des ouvrages critiques de la société, notamment
Combat
pour l'individu et La Sensibilité individualiste.
Sorel.
Georges Sorel (1847
- 1922) a élaboré des théories sur le syndicalisme révolutionnaire
et son concept de mythes sociaux. Il a eu une influence considérable
sur diverses mouvances politiques, allant du syndicalisme révolutionnaire
au fascisme, bien qu'il n'ait jamais adhéré à un parti politique spécifique.
Son oeuvre principale, Réflexions sur la violence, explore l'importance
de la violence dans les mouvements sociaux et politiques.
Philosophies de
l'existence.
Nous rangerons ici
des traditions philosophiques diverses, comme l'existentialisme et
le personnalisme, la phénoménologie et l'herméneutique.
Sartre.
Jean-Paul
Sartre (1905-1980) est le figure emblématique de l'existentialisme.
Ses oeuvres majeures, comme L'Être et le Néant (1943) et L'existentialisme
est un humanisme (1946), traitent de la liberté, de l'angoisse et
de la responsabilité individuelle.
Beauvoir.
Simone
de Beauvoir (1908-1986) est l'autrice du Deuxième Sexe (1949),
une oeuvre fondatrice du féminisme moderne,
ou elle analyse l'oppression des femmes et la construction sociale du genre
sous l'angle existentialiste.
Camus.
Albert
Camus (1913-1960), en marge de l'existentialisme, a développé ses
propres idées, centrées sur l'absurde et la révolte. Parmi ses oeuvres
les plus représentatives : Le Mythe de Sisyphe (1942) et L'Étranger
(1942).
Bataille.
Georges Bataille
(1897-1962) a produit une philosophie de l'excès et de la transgression.
Il a parcouru des thèmes tels que l'érotisme, la mort et le sacré et
a proposé une vision non conventionnelle de la philosophie. Oeuvres
clés : L'Expérience intérieure (1943), La Part maudite
(1949).
Marcel.
Gabriel Marcel (1889-1973)
est un représentant de l'existentialisme chrétien. Son approche de l'existentialisme
est centrée sur des thèmes comme l'être, la foi, et le mystère de l'existence.
Oeuvre clé : Le Mystère de l'être (1951).
Mounier.
Emmanuel Mounier
(1905-1950) est le fondateur du mouvement personnaliste.
Il insiste sur la primauté de la personne humaine et sur l'engagement
communautaire et social. Oeuvre clé : Révolution personnaliste et
communautaire (1935).
Weil.
Simone
Weil (1909-1943) est une philosophe, mystique, et militante sociale
française dont l'oeuvre est marquée par une profonde réflexion sur la
condition humaine, la justice, et la spiritualité. Elle a analysé des
mécanismes d'oppression et de déshumanisation, avec un accent sur la
dignité et la liberté humaines. Oeuvres notables : La pesanteur et
la Grâce; L'enracinement.
Merleau-Ponty.
Maurice
Merleau-Ponty (1908-1961), influencé par la phénoménologie
de Husserl et Heidegger, Merleau-Ponty a développé une philosophie centrée
sur le corps et la perception Il a analysé la manière dont nous vivons
et interprétons le monde à travers notre expérience corporelle. Oeuvres
clés : La Structure du comportement (1942), Phénoménologie
de la perception (1945).
Lévinas.
Emmanuel
Lévinas (1906-1995), influencé par Husserl
et Heidegger, a développé une philosophie
de l'altérité et a introduit une éthique centrée sur l'autre et la
responsabilité infinie envers autrui. Oeuvre clé : De l'existence
à l'existant (1947), Totalité et Infini (1961) et Autrement
qu'être ou au-delà de l'essence (1974).
Ricoeur.
Paul
Ricoeur (1913-2005) a intégré la phénoménologie et l'herméneutique.
Il a développé une philosophie du langage et de l'interprétation. Ses
travaux, tels que Le Conflit des interprétations (1969) et Temps
et récit (1983-1985) et Soi-même comme un autre (1990),
ont été particulièrement influents.
Marion.
Jean-Luc Marion
(né en 1946), à la fois philosophe et théologien, il se concentre sur
la phénoménologie de la donation et l'eétude de la théologie et de
la philosophie de la religion. Ouvrages clés : Dieu sans l'être
(1982), Étant donné (1997).
Structuralisme
et post-structuralisme.
Lévi-Strauss.
Claude
Lévi-Strauss (1908-2009), anthropologue et figure clé du structuralisme,
Lévi-Strauss a appliqué les méthodes structurales à l'étude des sociétés
humaines, notamment dans Les Structures élémentaires de la parenté
(1949), La Pensée sauvage (1962) et Mythologiques
(1969-1981).
Barthes.
Roland
Barthes (1915-1980), sémiologue et critique littéraire, il a utilisé
le structuralisme pour analyser la culture et la littérature, notamment
dans Mythologies (1957) et S/Z (1970).
Althusser.
Louis
Althusser (1918-1990) aproposé une lecture structuraliste de Marx
dans Pour Marx (1965) et Lire le Capital (1965).
Foucault.
Michel
Foucault (1926-1984) s'est intéressé aux relations entre pouvoir,
savoir et discours. Ses travaux, comme Les Mots et les choses
(1966), Surveiller et punir (1975),
Histoire
de la sexualité (1976-1984) et La Volonté de savoir (1976)
ont eu un impact majeur sur les sciences humaines.
Post-structuralisme
Derrida.
Jacques
Derrida (1930-2004) est l'initiateur du concept de la déconstruction.
Il a critiqué les notions de signification stable et d'identité fixe
et a remis en question les oppositions binaires et les hiérarchies textuelles
dans des oeuvres comme La Dissémination (1972), De la
grammatologie (1967), Spectres de Marx (1993).
Cixous.
Hélène Cixous
(née en 1937) est une figure clé du féminisme français et du post-structuralisme.
Ses travaux abordent des thèmes tels que la sexualité, l'écriture et
la déconstruction des oppositions binaires. Elle a écrit des oeuvres
influentes telles que Le Rire de la Méduse, un essai qui appelle
les femmes à écrire leur propre histoire et à s'affranchir des structures
patriarcales.
Nancy.
Jean-Luc Nancy (1940-2021)
a crit sur des thèmes tels que la communauté, le corps et l'être-en-commun.
Son travail engage une déconstruction de la métaphysique occidentale.
Ouvrages clés : La Communauté désoeuvrée (1986), Être singulier
pluriel (1996).
Critique de la
modernité.
Lyotard.
Jean-François
Lyotard (1924-1998) a popularisé le concept de postmodernisme, caractérisé
par la méfiance envers les métarécits et une approche fragmentaire de
la connaissance. Oeuvre clé : La Condition postmoderne (1979).
Deleuze
et Guattari.
Gilles
Deleuze (1925-1995) et Félix Guattari (1930-1992) ont produit en collaboration
des oeuvres innovantes comme Capitalisme et schizophrénie (1972,
1980), qui critiquent les structures traditionnelles de pensée et s'intéressent
à de nouvelles formes de subjectivité.
Bourdieu.
Pierre
Bourdieu (1930-2002), sociologue influent, a développé des concepts
comme l'habitus, le champ et le capital culturel dans des oeuvres
comme La Distinction (1979).
Baudrillard.
Jean Baudrillard
(1929-2007) est connu pour ses analyses de la société
de consommation et de la simulation. Il aborde ces thèmes notamment
dans Simulacres et Simulation (1981).
Philosophie des
sciences, épistémologie.
Couturat.
Louis Couturat (1868-1914)
a été un pionnier dans le développement de la logique moderne et a influencé
la philosophie des mathématiques et la logique formelle. Son travail sur
Leibniz a enrichi la compréhension de la pensée logique et mathématique.
Principales oeuvres : La logique de Leibniz, L'algèbre de la
logique.
Bachelard.
Gaston
Bachelard (1884-1962) s'est illustré par ses travaux sur la philosophie
des sciences et la poétique. Il a écrit des œuvres influentes comme
La
Formation de l'esprit scientifique et a introduit. Bachelard a introduit
le concept de rupture
épistémologique, qui traduit les discontinuités dans le développement
de la science.
Koyré.
Alexandre Koyré
(1892-1964) est connu pour ses travaux sur l'histoire des sciences et de
la pensée scientifique. Il a écrit des livres importants comme Du
monde clos à l'univers infini, où il examine la révolution scientifique
du XVIIe siècle. Koyré a souligné l'importance
des idées philosophiques et métaphysiques dans le développement de la
science moderne.
Cavaillès.
Jean Cavaillès
(1903-1944) a travaillé sur la logique et la philosophie des sciences.
Avec des figures
comme Bachelard et Koyré, il a co-fondé l'école française de philosophie
des sciences. Son ouvrage posthume Sur la logique et la théorie de
la science est une référence en épistémologie. Résistant pendant
la Seconde Guerre mondiale, il a été exécuté par les nazis en 1944.
Canguilhem.
Georges Canguilhem
(1904-1995) a produit des travaux consacrés à la philosophie et l'histoire
de la médecine et de la biologie. Son livre Le Normal et le pathologique
est une référence en épistémologie médicale. Il a fortement
influencé des penseurs comme Michel Foucault et a insisté sur l'importance
de comprendre les concepts scientifiques dans leur contexte historique.
Desanti.
Jean-Toussaint Desanti
(1914-2002) a apporté des perspectives sur la méthode scientifique
et la relation entre science et philosophie. Oeuvres clés : La philosophie
des sciences, L'oeuvre de Pascal, Le Langage et la pensée.
Dagognet.
François Dagognet
(1924-2015), élève de Canguilhem, il a poursuivi des recherches en philosophie
des sciences et de la médecine. Il a abordé des thèmes liés à la matérialité
des sciences et la logique des objets techniques. On lui doit notamment
: Tableaux et langages de la chimie et La Raison et les
remèdes.
Granger.
Gilles Gaston Granger
(1920-2016) s'est consacré à l'épistémologie, à la philosophie
des sciences et à la logique. Influencé par Jean Cavaillès et Gaston
Bachelard, et a développé une approche rigoureuse de la connaissance
scientifique. Il a écrit des ouvrages importants tels que Pensée formelle
et sciences de l'homme, où il analyse les méthodes formelles en
sciences sociales.
Bouveresse.
Jacques Bouveresse
(1940-2021) a été le défenseur de la philosophie analytique en France,
il a étudié des questions d'épistémologie et de logique, souvent en
dialogue avec Wittgenstein. Ouvrages clés
: Le Mythe de l'intériorité (1976), Prodiges et vertiges de
l'analogie (1999).
Imbert.
Claude Imbert (né
en 1933) s'intéresse aux relations entre science et philosophie. Il se
concentreconcentrant sur la logique, la théorie de la connaissance et
la phénoménologie. Ouvrage clé : Philosophie et sciences humaines
(1994).
Serres.
Michel
Serres (1930-2019) est connu pour ses travaux interdisciplinaires
qui relient la philosophie, les sciences, et la culture. Il a été
un pionnier dans le croisement des disciplines et a offert de nouvelles
perspectives sur la culture, la science, et la société moderne. Principales
oeuvres : Hermès; La Légende de la société industrielle,
Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques.
Philosophie contemporaine
Philosophie politique
et éthique
Badiou.
Cherchant à réactualiser
la pensée marxiste, Alain Badiou (né en 1937) analyse les concepts de
vérité, d'événement et d'être. Son travail se concentre également
sur la politique, l'amour, l'art et la science. Ouvrages clés : L'Être
et l'événement (1988), Logiques des mondes (2006), qui combinent
marxisme, mathématiques et ontologie.
Rancière.
Jacques Rancière
(né en 1940) travaille sur la politique, l'esthétique et l'égalité,
Rancière critique les hiérarchies traditionnelles et explore la distribution
du sensible. Ouvrages clés : Le Maître ignorant (1987), Le
Partage du sensible (2000).
Balibar.
Étienne Balibar
(né en 1942), philosophe politique influent, se penche sur des questions
de citoyenneté, de démocratie, et d'émancipation,
en dialogue avec la tradition marxiste. Ouvrage clé : Citoyen sujet
et autres essais d'anthropologie philosophique (2011).
Écologie et philosophie
environnementale.
Latour.
Bruno Latour (1947-2022),
sociologue et philosophe des sciences, Latour a étudié la question de
l'anthropocène et les relations entre humains et non-humains, appelant
à repenser notre rapport à la nature. Ouvrages clés : Nous n'avons
jamais été modernes (1991), Face à Gaïa (2015).
Philosophie féministe.
Badinter.
Élisabeth Badinter
(née en 1944) a écrit sur l'histoire des femmes, la maternité,
et la construction sociale du genre. Ouvrages clés : L'Amour en plus
(1980), Fausse route (2003).
Agacinski.
Sylviane Agacinski
(née en 1945) s'intéresse aux questions de genre, de différence sexuelle
et à la critique de la marchandisation des corps. Ouvrages clés : Politique
des sexes (1998), Corps en miettes (2009).
Philosophie et
numérique.
Stiegler.
Bernard Stiegler
(1952-2020) a étudié l'impact des technologies numériques sur
la culture, la politique et la cognition humaine. Ouvrages clés : La
Technique et le Temps (1994-2001), Ce qui fait que la vie vaut la
peine d'être vécue (2010).
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Jean-François
Petit, Histoire
de la philosophie française au XXe siècle, Desclée de Brouwer,
2009. - Vouloir dresser un tableau de la philosophie
française au XXe siècle est une entreprise risquée. Comment s'y repérer?
Quelles ressources y puiser? Cet ouvrage opère un retour critique sur
les grandes traditions françaises : idéalisme, réalisme, spiritualisme.
Il vise à en montrer le profond renouvellement jusqu'à la période contemporaine.
Les temps ne sont plus aux "grands récits" : Sartre,
Althusser,
entre autres, ne tiennent plus le haut du pavé. De nouvelles directions
de recherche ont largement émergé. Phénoménologie,
structuralisme,
herméneutique
sont encore très présents, même si on constate désormais un véritable
éclatement de la pensée française. Les figures de
Foucault,
Derrida,
Lyotard
ou
Deleuze en sont les plus représentatives.
Problèmes, méthodes, enjeux, notamment d'un point de vue chrétien, se
trouvent au coeur de cette passionnante traversée du siècle. (couv). |
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