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Voici brièvement
résumées les destinées de la diaspora juive
dans les différents pays du monde principalement à partir du Moyen
âge.
« Cette
histoire, dit I. Loeb, est presque partout la même : situation satisfaisante
à l'origine, puis plus tard vexations, mauvais traitements, confiscations,
pillages, expulsions.-»
En
Europe
En
Espagne et au Portugal
En Espagne, où les Juifs
étaient déjà nombreux au temps des Wisigoths,
ils se multiplièrent après la conquête arabe (711),
probablement par l'effet d'une immigration venue d'Afrique à la suite
des conquérants. Sous les émirs, puis califes
de Cordoue (Ã partir de 912),
dans les royaumes mauresques nés du démembrement du califat (1013),
la situation des Juifs fut longtemps florissante. Ils avaient adopté la
langue, le costume, les moeurs arabes, rivalisaient d'activité industrielle
et littéraire avec leurs maîtres. Intermédiaires diplomatiques entre
les musulmans
et les chrétiens ,
ils combattirent vaillamment dans les armées des deux partis : à la bataille
de Zalaca (1086) la lutte fut ajournée
du samedi
au dimanche
pour leur permettre d'y prendre part.
L'administration des finances, la perception
des impôts leur étaient confiées de préférence, sans souci du « pacte
d'Omar » et des prescriptions canoniques. Plusieurs trésoriers (almoxarif)
juifs furent renommés par leurs talents ou leur munificence; plusieurs
aussi eurent une fin tragique. Citons seulement à Cordoue,
auprès d'Abd er-Rahmân III, Hasdaï ibn Chaprout, qui correspondit avec
le roi des Khazares (Xe
siècle); à Grenade, Samuel Ibn
Nagrela et son fils Joseph (XIe
siècle); en Castille ,
R. Juda sous Alphonse VI, Çag sous
Alphonse
X le Savant, Joseph d'Ecija sous
Alphonse
XI, et le plus célèbre de tous, Samuel ha Lévi, sous Pierre
le Cruel (XIVe
siècle); au Portugal ,
Ferdinand Ier (1367-83)
emploie Judas et David Negro; encore au XVIe
siècle, Isaac Abravanel est successivement le ministre d'Alphonse
V de Portugal et
de Ferdinand d'Aragon .
D'autres rois eurent des médecins, des astronomes, des musiciens juifs.
Le reste des lois canoniques et gothiques n'était pas mieux observé.
Les Juifs possédaient des terres, circulaient librement, exerçaient les
métiers, portaient les armes; ils n'étaient astreints à aucun signe
distinctif. Certains fueros les assimilaient, pour le rang social,
aux hidalgos; dans les commissions d'experts,
juifs et chrétiens étaient en nombre égal.
Lorsque l'intolérance des Almoravides
et surtout celle des Almohades (milieu du XIIe
siècle) eut à peu près chassé les Juifs de l'Andalousie
musulmane, leur nombre augmenta en Castille
et en Aragon ;
à Tolède seul ils étaient 12 000, dans toute la Castille peut-être
un demi-million. Les lois canoniques ne commençèrent à être remises
en vigueur en Aragon que sous Jacques Ier
(1213-1276),
au Portugal
sous Denys le Laboureur (1279-1325),
en Castille après la victoire de Henri de Trastamarre (1369).
L'affaiblissement des Maures dans la Péninsule
détourne alors l'esprit de croisade vers de nouveaux objets : la papauté
surveille activement les intérêts de la foi en Espagne; enfin, le réveil
économique de la nation, la jalousie de la bourgeoisie ne furent pas étrangers
aux mesures restrictives, sans cesse réclamées par les conciles
et les cortès, sans cesse retardées par la répugnance des rois et de
la noblesse. Les Juifs sont déclarés hommes ou plutôt choses du roi,
sans toutefois que l'exploitation fiscale ait jamais atteint les proportions
que l'on constate dans d'autres pays. Successivement les rabbins
sont dépouillés de leur juridiction pénale, le port obligatoire de la
barbe, la rouelle, le ghetto sont introduits, les Juifs exclus peu à peu
de tous les emplois. On les envoie de force à des serments de conversion,
on organise des controverses solennelles, Benoît
XIII leur interdit de lire le Talmud
(1414). Sur cette pente on ne s'arrête
pas; la fureur de conversion s'unit à la soif du pillage pour déchaîner
des persécutions sanglantes : celle de Navarre
en 1329, celle de Castille
en 1390, celle d'Aragon
et de Catalogne
(campagne de Fernan Martinez) en 1391.
Les efforts de Vincent Ferrier, le « docteur angélique » (1412),
amenèrent des milliers de baptêmes plus ou moins spontanés.
A partir de cette crise, le judaïsme
espagnol, diminué de moitié, ne traîne plus qu'une existence languissante.
L'attention se concentre sur les nouveaux chrétiens (conversos, anousim,
marranes), très prospères et influents, mais qui pratiquent en cachette
les rites juifs et conservent des relations occultes avec leurs anciens
coreligionnaires. En 1480, l'Inquisition
est introduite; sous l'impulsion du dominicain
Torquemada, ce tribunal exerce d'effroyables rigueurs contre tous les convertis,
juifs ou maures, convaincus ou suspects de rechute; des milliers de ces
malheureux sont livrés au bras séculier, c.-à -d. au bûcher. Pour couper
le mal à sa racine, on se décida à chasser les Juifs. Au lendemain de
la conquête de Grenade, qui couronnait l'unité
de l'Espagne et le triomphe de la croix, le sentiment national et catholique ,
exalté jusqu'au fanatisme ,
réclamait cette mesure barbare : Ferdinand
et Isabelle prononcèrent L'expulsion
de tous les Juifs d'Espagne (31 mars 1492);
ils prirent le chemin de l'exil au nombre de 2 ou 300 000, et cet exode
fut accompagné de souffrances et de ruines lamentables. Les marranes,
restés seuls, se christianisèrent peu à peu; d'après le Tizon de
la Nobleza de Mendoza, presque toutes les grandes familles espagnoles
ont du sang juif dans les veines.
Le Portugal
avait jusqu'alors ménagé les Juifs et leur laissait une véritable organisation
politique en sept districts, ayant à leur tête un chef suprême (Arrabi
Moor); mais l'exil des Juifs espagnols atteignit par contre-coup ceux du
royaume voisin. Les Juifs fugitifs d'Espagne y furent d'abord réduits
en servitude; puis le roi Manuel, sous la pression
de Ferdinand le Catholique, interdit le territoire portugais aux Juifs
(décembre 1496). Il s'arrangea de
façon à empêcher l'embarquement de la plupart des proscrits et les contraignit
au baptême sous le promesse, fidèlement observée, d'une large tolérance.
Mais après sa mort, la foi toujours suspecte de ces néophytes amena l'introduction
de l'Inquisition
avec son cortège habituel de vexations et de supplices (1531);
la conquête du Portugal par Philippe II (1580)
exaspéra encore ses rigueurs. Aussi dans le courant du XVIe
siècle des milliers de marranes portugais s'échappèrent-ils
secrètement aux Indes
ou vers des pays plus hospitaliers (Italie, Turquie, Bordeaux, Hollande),
où ils ne tardèrent pas à reprendre ouvertement les rites de leurs ancêtres.
Au Portugal même, beaucoup continuèrent à les pratiquer secrètement
jusqu'au rétablissement de la liberté religieuse à la fin du XIXesiècle.
Le sang juif est aussi abondant dans la noblesse portugaise que dans celle
d'Espagne; on connaît le mot de Pombal
( Le
Portugal au XVIIIe siècle) à Joseph
Ier qui voulait exclure de la cour tous
les descendants des nouveaux chrétiens :
«
Il ne nous reste donc plus, dit-il, qu'à partir ensemble. »
En
France
En France, au début de la dynastie capétienne ,
les Juifs étaient partout répandus jusque dans les villages; relativement
bien vus des populations, ils ne s'étaient pas encore cantonnés dans
le commerce d'argent : ils possédaient des terres, des maisons; dans le
Midi on leur confiait des emplois publics. Leurs écoles talmudiques en
Champagne ,
en Languedoc
étaient florissantes; les rabbins parlaient partout le français, comme
le prouvent les gloses françaises éparses dans leurs commentaires; ils
portaient des noms français, francisaient même leurs noms hébraïques
(Haquin pour Isaac, Josse pour Joseph, Vivant pour Haïm).
Avec l'éveil du fanatisme chrétien au
XIe
siècle, quelques faits de persécution, quelques baptêmes
forcés se produisent à Orléans, Ã
Limoges,
à Rouen; cependant la fureur de sang déchaînée
par les premières
croisades n'atteignit
guère les Juifs de France; l'autodafé
de Blois (1171),
le massacre de Bray (1191) restent
des faits isolés. Ils eurent surtout à souffrir de la cupidité et des
caprices des rois. Louis VII les avait protégés,
malgré les exhortations de Pierre de Cluny. Mais Philippe-Auguste,
dès son avènement, arrête tous les Juifs de son domaine et ne les relâche
que contre une rançon de 15 000 marcs d'argent; deux ans après, à la
suite d'une accusation de sang (affaire de l'enfant Richard, Ã Pontoise),
il annule leurs créances, sauf un cinquième qu'il s'approprie, et les
chasse tous de son territoire qui, à la vérité, ne comprenait encore
qu'un quart de la France actuelle (1182).
Ils ne tardèrent pas à être rappelés; l'expulsion prononcée par saint
Louis (vers 1250) ne fut également
que temporaire.
Au XIIIe
siècle, la situation légale des Juifs de France se précise,
c.-à -d. s'aggrave. Ils deviennent incapables de posséder des immeubles
ruraux; leurs meubles même, en théorie, appartiennent « au baron »;
leurs contrats de prêt sont l'objet d'une surveillance minutieuse et donnent
lieu à des droits fiscaux élevés. Chaque feudataire a ses Juifs qu'il
pressure, vend, donne, hypothèque à sa guise; car le Juif, devenu serf
ne peut plus quitter les terres de son seigneur, et ceux-ci s'engagent
entre eux et avec le roi à s'extrader réciproquement leurs Juifs fugitifs;
en revanche, ils gardent le droit de les exiler en masse et plusieurs font
usage de ce droit (Bretagne, 1240;
Anjou ,
1289).
Dans le Midi, la croisade des Albigeois met fin à la prospérité des
Juifs : au traité de 1229, comtes
et barons s'engagent à ne plus leur confier des fonctions de baillis.
Saint
Louis, à la suite d'une controverse célèbre, fait brûler le Talmud
et des charretées de livres juifs (1243);
plus tard, il introduit la rouelle (1269).
D'atroces accusations se répandent dans le peuple et provoquent des supplices
(autodafé
de Troyes, 1288;
miracle de la rue des Billettes, 1290).
Enfin, Philippe le Bel
exile tous les Juifs du domaine royal et confisque leurs biens (22 juillet
1306).
Cette mesure, qui atteignit 400 000 personnes, frappa de façon presque
irrémédiable le judaïsme français.
Les Juifs furent rappelés cependant en
France dès le règne suivant (1345),
« de commune clameur du peuple »; mais ils ne revinrent qu'en petit nombre,
pour un temps limité, et en vertu d'un contrat formel. Désormais, ils
ne mènent plus qu'une existence précaire, sous l'incessante menace d'un
nouvel arrêt d'exil. Décimés par les massacres qui accompagnèrent la
croisade des Pastoureaux et la peste de
Guyenne
(1320-21),
chassés en 1322, rappelés en 1360
grâce à Manecier de Vesoul, au milieu des
misères de
la guerre de Cent ans, les
Juifs furent renvoyés définitivement par Charles
VI le 17 septembre 1394;
dès 1349 ils avaient dû quitter le
Dauphiné
et la Franche-Comté .
Les bannis gagnèrent pour la plupart l'Italie, l'Allemagne et les
Etats
français du pape. L'édit d'expulsion fut étendu aux divers grands fiefs
au fur et à mesure de leur réunion à la couronne (Bretagne ,
1491;
Provence ,
1498);
il fut encore renouvelé formellement par Louis
XIII en 1615. A cette époque,
il y avait cependant de nouvelles communautés juives en France : à Metz
par l'annexion de 1552, Ã Bordeaux
et à Saint-Esprit (Bayonne) par l'établissement
toléré, à la même époque, de « marranes chrétiens » fugitifs d'Espagne
et de Portugal ;
à ces juiveries s'ajoutèrent bientôt celles, beaucoup plus nombreuses,
de l'Alsace ,
devenue française en 1648. Dans cette
dernière province, le gouvernement royal laissa subsister presque sans
modification la législation allemande, avec
le péage corporel et des taxes exorbitantes; à Metz, à la veille de
la Révolution, les Juifs payaient 22 000 livres par an au roi, et 20 000
à la famille de Brancas; on y compta même un martyr, victime d'une accusation
de meurtre rituel (Raphaël Lévy, 1670).
Au
XVIIIe siècle,
il y avait encore quelques centaines de Juifs tolérés Ã
Paris,
Ã
Marseille et dans les colonies. Le Comtat-Venaissin ,
possession du pape, en comptait 3000, presque tous à Carpentras.
En
Angleterre
L'Angleterre saxonne n'avait renfermé
qu'un petit nombre de Juifs; le judaïsme anglais est venu de France Ã
la suite de Guillaume
le Conquérant (1066); sa
situation légale a été réglée par une charte de Henri Ier.
Les Juifs anglais jouirent pendant un siècle d'une brillante prospérité,
malgré l'élévation des impôts qu'ils payaient, - la taille des Juifs
égalait tout le reste des contributions du royaume, - et la surveillance
rigoureuse exercée sur leurs opérations commerciales par un échiquier
spécial. La fameuse Chambre étoilée paraît devoir son nom aux contrats
juifs (schtar) qui s'y trouvaient déposés.
L'opulence des Juifs anglais, leur propagande
religieuse attirèrent sur eux l'inimitié du clergé
et préparèrent leur perte. A l'avènement de Richard
Coeur de Lion (1189), surtout
après son départ pour la troisième croisade
(1190), ils subirent une sanglante
persécution à Londres, Norwich,
Stanford, York, etc. Les rois suivants, chargés
de dettes, les exploitèrent sans pudeur, sous tous les prétextes imaginables.
Jean
sans Terre fit arracher toutes les dents à un Juif de Bristol
jusqu'à ce qu'il eût livré ses trésors; Henri III extorqua 20 000 marcs
d'argent à une sorte de parlement juif, trafiqua des Juifs du royaume
et leur interdit toute propriété foncière. Quand les Juifs eurent été
à peu près ruinés par ces exactions et réduits par le désespoir Ã
des procédés frauduleux, comme la falsification des monnaies, Edouard
ler, après une série de lois restrictives,
prononça leur exil général (1290);
ils quittèrent le royaume au nombre d'environ 16 000; cette mesure atteignit
également les Juifs de Guyenne.
Les Juifs ne reparurent en Angleterre
que sous Cromwell, vers 1655,
à la suite des actives démarches d'un rabbin d'Amsterdam,
Manassé ben Israël; le statut d'Edouard Ier
ne fut pas expressément abrogé, mais on ferma les yeux sur le rétablissement
des Juifs à Londres. La première colonie
fut originaire de Hollande et désignée officiellement sous le nom de
nation
portugaise ;
plus tard arrivèrent des Juifs allemands, que leurs coreligionnaires du
rite portugais tinrent longtemps à l'écart. Au XVIIIe
siècle, les Juifs anglais, quoique considérés comme étrangers,
ne furent inquiétés ni dans leur culte, ni dans leur commerce. Dès 1753,
le ministère Pelham proposait une loi de naturalisation en faveur des
Juifs établis en Angleterre depuis trois ans; adoptée par les deux Chambres,
cette loi fut abrogée l'année suivante, sous l'influence d'un grand mouvement
de pétitions.
En
Italie
En Italie ,
grâce au morcellement politique du pays, grâce aussi à la persistance
des traditions romaines et à une certaine douceur des moeurs, les Juifs
n'ont jamais éprouvé ni de grandes persécutions, ni d'expulsion générale;
celle qu'ordonna l'empereur Louis II (835)
resta sans effet. Chassés d'un Etat, les Juifs ne tardaient pas à y être
rappelés, dans l'intérêt du commerce (c'est ce qui arriva plusieurs
fois à Venise et à Gênes) ou trouvaient
asile dans un Etat voisin. Outre la banque, dont ils eurent longtemps le
monopole, ils prirent une part active au commerce d'outre-mer et s'associèrent
même au mouvement intellectuel et littéraire des indigènes. Au Moyen
âge, leurs principaux établissements étaient dans l'Apulie (des
cimetières
juifs y remontent à l'époque romaine), à Naples,
en Sicile, où les Normand et les Hohenstaufen
les protègent, à Ancône,
Ferrare,
Bologne,
Mantoue
(berceau de l'imprimerie juive),
Modène,
Parme,
Vérone.
La situation légale des Juifs s'aggrava vers la fin du XVe
siècle, sous l'influence des Espagnols, désormais prépondérants
dans la péninsule, et à la suite des prédications fanatiques de Bernardin
de Feltre dans le Nord de l'Italie (affaire de l'enfant Simon, de Trente,
Les Juifs et marranes fugitifs d'Espagne et de Portugal
furent d'abord accueillis par plusieurs Etats; mais l'Inquisition
y mit bientôt son ordre et la plupart de ces malheureux durent reprendre
le chemin de l'exil. La Sicile fut interdite aux Juifs dès 1492,
le royaume de Naples en 1541; Paul
IV ferma Ancône aux marranes, au risque d'en ruiner le commerce, Pie V
expulsa même les Juifs de tous les Etats pontificaux, sauf Ancône et
Rome
(1568). En même temps, le système
du ghetto fermé fut introduit presque partout : à Venise
en 1516, Ã Rome sous Paul IV (1555-59),
à Florence en 1570,
à Padoue en 1603.
L'existence des Juifs de Rome devint particulièrement misérable, grâce
au renforcement de toutes les lois canoniques, Ã la confiscation de leurs
biens-fonds, à l'institution par Grégoire
XIII (1579-85)
des sermons de conversion auxquels ils étaient obligés d'assister. Ce
régime subsista dans les Etats romains, avec de très graduels adoucissements,
jusqu'à la Révolution; il en fut de même au Piémont, où les Juifs
étaient d'ailleurs peu nombreux. Dans le reste de l'Italie, la législation
s'humanisa au XVIIIe
siècle. En 1740, les Juifs
furent rappelés en Sicile; en Toscane, l'indulgent despotisme des grands-ducs
mit à profit leurs capitaux pour développer le commerce de Livourne,
devenue l'une de leurs principales communautés.
En
Allemagne et en Suisse
Les Juifs en Allemagne
ont été maltraités le plus souvent. L'Allemagne, politiquement divisée,
comme l'Italie, n'a jamais connu d'expulsion générale des Juifs, mais
leur situation y a été cependant plus misérable qu'ailleurs. Un certain
pédantisme théologique, administratif, scientifique s'est allié dans
ce pays avec l'avidité des gouvernements et la brutalité populaire pour
faire aux Juifs une existence humiliée et précaire à laquelle qui on
cherché refuge non seulement dans le repli, mais une "fermeture communautaire"
extrême, un piétisme étroit et sombre, une langue et un mode vestimentaire
qui leur étaient propres, la monotonie d'une littérature presque exclusivement
talmudique, midrashique
et cabbalistique .
Les Juifs allemands (Askenazim)
sont originaires les uns de Gaule, les autres d'Italie. Dès l'époque
romaine, Cologne était un centre juif important. Au commencement du Moyen
âge naquirent les communautés de Mayence ,
- où se fixa une famille distinguée de Lucques, les Calonymos, - de Worms ,
de Spire ,
de Ratisbonne, de Francfort,
etc. Au XIIIe
et au XIVe siècle,
le judaïsme allemand reçut un nouvel afflux d'immigrants français :
le yiddish ( idiome judéo-allemand) a
longtemps conservé des mots d'origine française.
Dans l'empire carolingien ,
les Juifs n'avaient acquitté que la dîme prélevée sur les marchands
de toutes nations. Avec les théories juridiques qui se développèrent
au XIIe siècle,
leur situation changea. On prétendit que les Juifs allemands descendaient
des prisonniers israélites dont
Titus avait fait
don au trésor impérial; ils furent déclarés «-serfs
de la Chambre impériale ». L'empereur les reçut sous sa garde et mainbournie;
en retour, il exigea d'eux un droit de protection spécial, puis une capitation
(Opferpfennig) d'un denier d'or par tête, perçue sur chaque Israélite
âgé de plus de treize ans, en souvenir de l'ancien fiscus judaicus.
On alla plus loin : l'empereur, disait encore une proclamation de 1463,
pouvait à son avènement disposer des Juifs, corps et biens, en toute
liberté; ce qu'il leur en laissait n'était qu'un effet de sa grâce.
Comme Vespasien n'avait épargné que le tiers
de la nation juive, plusieurs empereurs, en montant sur le trône, imaginèrent
de confisquer le tiers des biens des Juifs (Kronsteuer) d'autres,
comme Wenceslas, partagèrent leurs dépouilles avec les villes ou les
accablèrent, sous divers prétextes, de contributions extraordinaires.
L'excès des charges fiscales provoqua,
sous Rodolphe de Habsbourg, un commencement
d'émigration des Juifs; on l'arrêta en emprisonnant leur grand rabbin,
Méir de Rothenbourg. Dans la suite des temps, les droits fiscaux des empereurs
furent usurpés par les princes territoriaux;
Charles
IV autorisa formellement (bulle d'or, 1355)
les
électeurs à « avoir des Juifs » en pleine propriété, et cette permission
fut étendue à tous les détenteurs de droits régaliens (1577),
et, par des concessions individuelles, Ã plusieurs villes libres; ailleurs,
la « possession » des Juifs fut l'objet d'ignobles marchandages
et de discussions continuelles. La dernière tentative de soumettre le
judaïsme allemand à une organisation unitaire date des empereurs Maximilien
et Charles-Quint; un pieux rabbin alsacien,
Joselmann de Rosheim, eut alors le titre de gouverneur des juiveries de
l'Empire et exerça quelque temps une influence bienfaisante.
Le pouvoir impérial était plus jaloux
de percevoir les profits attachés à son protectorat que d'en remplir
les devoirs. Quoique Henri III eût prononcé une peine sévère (perte
des yeux et de la main droite) contre l'homicide d'un Juif, le gouvernement
assista indifférent ou impuissant aux innombrables persécutions dont
ils furent les victimes depuis la fin du XIe
siècle (première croisade,
1096)
jusqu'au milieu du XIVe
siècle. Le sang coula à flots en 1146,
lors de la deuxième croisade, en 1270,
quand les Judenbreter dévastèrent les communautés d'Alsace, en
1298
quand Rindfleisch saccagea celles de Franconie ,
en 1336 avec Armleder et ses Judenschlaeger.
La peste noire fut le signal d'un épouvantable
massacre (1348-50),
où des communautés entières (Fribourg,
Spire,
Strasbourg,
Worms,
Francfort,
Mayence,
etc.),
périrent par l'eau, le fer ou le feu. De cette époque datent aussi une
série d'accusations de meurtre rituel et de profanation d'hosties, qui
firent de nombreuses victimes et servirent de prétexte à des séditions
: encore en 1510, Ã la suite d'une
affaire de ce genre, 40 Juifs montèrent sur le bûcher dans la Marche
de Brandebourg.
A partir de la fin du XIVe
siècle, le fanatisme religieux eut une moindre part dans la
persécution que la jalousie économique, l'insatiable besoin d'argent
chez les princes et les villes. La spoliation des Juifs ou la suppression
de concurrents gênants sont le but, sinon le prétexte avoué des nombreuses
expulsions locales qui se succèdent dans les Etats particuliers (archevêché
de Mayence, 1420; Saxe, 1432
; Bavière, 1450 et 1555;
Wurzbourg, 1453;
Württemberg,
1551;
Brandebourg, 1573; Brunswick, 1590)
et dans les villes libres (Ulm,
1380;
Magdebourg,
1384;
Strasbourg, 1388; Spire, 1434;
Augsbourg,
1410;
Nuremberg,
1499;
Ratisbonne,
1519).
Une persécution générale faillit être déchaînée contre les livres
des Juifs et subsidiairement contre leurs personnes par les dénonciations
de l'apostat Joseph Pfefferkorn; cette tentative fut déjouée par la courageuse
intervention de Reuchlin
(1510-6).
A la fin du XVIe
siècle, il n'y avait plus guère en Allemagne que trois communautés
importantes : Fürth (qui avait remplacé Nuremberg en 1528),
Worms, où l'on comptait, dit-on, 14 000 Juifs; et Francfort-sur-le-Main.
Encore ces deux dernières villes voulurent-elles chasser leurs Juifs en
1614
et 1615, Ã la suite de mouvements
démagogiques (émeute de Vincent Fettmilch) : il fallut l'intervention
de troupes impériales pour les ramener de force. De cette époque date
aussi la fondation de la communauté de Hambourg, colonie de celle d'Amsterdam
(1612).
Là même où les Juifs restaient tolérés,
ils étaient enfermés dans leurs Judengassen, soumis au port d'un
signe distinctif, écrasés par des règlements tyranniques et des contributions
variées. Pour empêcher leur accroissement, le nombre annuel des mariages
était strictement limité (15 par an à Francfort); mille entraves s'opposaient
à leur circulation et à leur trafic : à l'entrée de chaque souveraineté
- et l'on sait combien le nombre s'en était multiplié en Allemagne -
on exigeait du Juif, vivant ou mort, un péage corporel (Leibzoll); pour
voyager ou séjourner dans certains endroits, il leur fallait payer l'escorte
d'un agent de police ou un sauf-conduit (Geleitzoll). Le règlement
général des Juifs de la monarchie prussienne
de 1750 - les Juifs chassés de Brandebourg
en 1573 y avaient été réadmis vers
1670
- est encore un modèle de fiscalité ubuesque : un des articles impose
aux juifs l'achat annuel d'une quantité de porcelaine de la manufacture
de Berlin! L'état intérieur des communautés
réflète cette législation humiliante. Les fortunes considérables étaient
rares; le commerce de banque des Juifs avait perdu de son importance depuis
que les chrétiens s'étaient mis de la partie et qu'un arrêt de la Chambre
impériale limitait à 5% le taux légal de l'intérêt. Submergée par
les rabbins polonais, la synagogue allemande croupissait dans la superstition,
dans, l'ignorance du monde extérieur et des sciences modernes : à Berlin,
un Juif fut expulsé par les anciens pour avoir été surpris lisant un
livre allemand, un autre faillit avoir le même sort pour s'être rasé.
Le spectacle de ce judaïsme pétrifié assurait le succès des volumineux
pamphlets antijudaïques qui se succèdent au XVIIe
et au XVIIIe siècle
(Wagenseil, Schudt, Eisenmenger) et qui sont restés le grand réservoir
de l'antisémitisme moderne.
L'histoire des Juifs de Suisse se rattache
étroitement à celle des Juifs d'Allemagne : là aussi ils sont massacrés
pendant la peste noire, et les expulsions
locales se succèdent depuis la fin du XIIIe
siècle (Berne, 1288;
Zurich,
1436;
Genève, 1490; Bâle ,
1576;
Schaffhouse au XVIIe
siècle). Sous l'Ancien régime,
il n'y avait plus de Juifs en Suisse que dans le comté de Baden (Argovie),
spécialement à Endingen et à Lengnau.
En
Autriche et en Hongrie
Dans les divers pays appelés à former
la monarchie austro-hongroise, l'histoire des Juifs présente de nombreux
points de rapprochement, même avant la réunion de ces Etats sous une
seule souveraineté. Les ducs d'Autriche furent autorisés à posséder
des Juifs en propre dès l'an 1156.
En Bohème, leur situation était alors favorable; il en était de même
en Hongrie, où divers édits (privilège de Béla III, 1190,
etc.) leur assuraient une pleine tolérance; les rois magyars
prenaient des Juifs comme percepteurs, comme administrateurs du trésor
(Comites camerae), des monnaies et des salines. A diverses reprises,
la papauté intervint pour empêcher ces scandales; le royaume fut même,
de ce fait, mis en interdit (1232);
mais les rois, dès qu'ils n'avaient plus un pressant besoin du Saint-siège ,
retombaient dans leurs anciens pratiques. En 1244,
le duc d'Autriche, Frédéric le Belliqueux, promulgua pour les Juifs de
ses Etats une charte qui est un véritable code : à côté de restrictions
sévères ou barbares, ce règlement renferme des garanties sérieuses
relatives au droit de circulation des Juifs, au prêt sur gages, à l'autonomie
juridique. Il fut adopté en Hongrie, avec quelques adoucissements, en
1251,
étendu à la Bohème et à la Moravie en 1268
; il fut également copié dans le duché de Kalisz.
Le XIVe
et le XVe siècles
furent une époque néfaste pour le judaïsme de ces régions. Pendant
la peste noire, les Juifs furent expulsés de Hongrie (1350),
pour être rappelés dès le règne suivant, mais désormais exclus des
emplois publics et astreints à porter un capuchon distinctif. Ils furent
massacrés à Prague en 1386,
ensuite atrocement pressurés. Les prédications du moine italien Jean
de Capistrano (1452) déchaînèrent
une sanglante persécution en Hongrie ,
en Bohème ,
en Moravie ,
en Silésie ;
les bûchers s'allumèrent à Breslau (Wroclow), les Juifs furent chassés
de Brünn et d'Olmütz. En Autriche ,
leur histoire offre une succession d'exils (1420,
1496,
1556)
et de rappels.
Au XVIe
siècle,
le groupement des Etats de la monarchie de Habsbourg
est achevé, mais la Hongrie passe aux mains des Turcs,
et les Juifs, qui font souvent cause commune avec eux, en sont punis lors
du retour de la domination autrichienne : sous Marie-Thérèse, les Juifs
de Hongrie payaient 80 000 florins d'impôt annuel. La situation matérielle
et morale des Juifs d'Autriche fut relevée par les efforts de Mardochée
Meisel, le premier millionnaire juif d'Allemagne (mort conseiller aulique
en 1601) et de Lipmann Heller, rabbin
de Vienne. Quelques Juifs viennois atteignirent une situation élevée
sous le titre de Hofjuden et le gouvernement battit monnaie avec les privilèges
qu'il leur accordait. Longtemps encore le judaïsme autrichien eut à souffrir
des caprices d'une cour bigote et facile à circonvenir : en 1670,
les Juifs sont expulsés de Vienne sous prétexte d'intelligence avec les
Turcs;
en 1745, l'exil des Juifs de Bohème
et de Moravie est prononcé au coeur de l'hiver; ils n'obtinrent leur rappel
qu'avec peine et le nombre des familles fut désormais limité.
En
Pologne et en Russie
Le judaïsme fait son apparition dans l'Europe
du Nord-Est avec les Khazares, peuple turkmène
établi entre la Volga et le Dnieper, dont le roi Boulan fut converti au
judaïsme avec une partie de sa nation au
VIIe
siècle, probablement par des rabbins juifs chassés de l'empire
byzantin. Les Khazares furent détruits en 970
par les Russes de Kiev; leurs débris, réfugiés
en Crimée et au Caucase, entrent certainement pour une part dans la population
juive actuelle de ces contrées, mais non pas dans celle de la Russie occidentale.
C'est au XIe siècleque
les Juifs, arrivant d'Allemagne et de Bohème, pénètrent dans cette dernière
région. Quelque temps tolérés chez les Russes, ils furent chassés de
leur territoire vers 1113 et ne purent
jamais y remettre le pied; la secte crypto-judéenne, persécutée à la
fin du XVe siècle,
se composait d'orthodoxes secrètement convertis au judaïsme .
Au contraire, la Pologne offrit aux Juifs une hospitalité libérale. Dès
1264,
Boleslas, duc de Kalisz et de Gnesen, introduisit dans ses Etats le statut
autrichien de 1244, en y joignant une
liberté de commerce illimitée et quelques sages précautions : par exemple,
une accusation de sang ne pouvait être accueillie que sur la déposition
de trois témoins juifs et de trois chrétiens. (Des accusations de ce
genre se reproduisirent fréquemment en Pologne; celle de 1407
ruina la communauté de Cracovie ).
En 1343, Casimir
le Grand, véritable fondateur de la monarchie polonaise, confirma
solennellement le code de Boleslas : mesure conforme à sa politique générale
et qu'on a attribuée sans raison à l'influence de sa maîtresse juive,
la belle Esterka, qu'il ne connut que bien plus tard. Les Juifs furent
placés sous la surveillance du comte palatin.
Pendant les deux siècles suivants, le
nombre des Juifs de la Pologne et de ses annexes s'accrut considérablement
par une immigration constante d'Allemagne, de Bohème, etc. Malgré les
efforts des synodes et de quelques rois pour donner force de loi aux dispositions
du droit canon, la situation des Juifs, protégés par la noblesse, reste
très favorable. Dans ce pays de serfs et de magnats, ils suppléent en
quelque sorte à l'absence d'une classe bourgeoise. Ils exploitent les
terres des seigneurs, gèrent leurs biens, sont préposes à la rentrée
des impôts, possèdent même des terres. La distillerie de l'alcool, le
grand commerce, plusieurs métiers sont entre leurs mains; ils ne sont
assujettis à aucun costume particulier, beaucoup portent l'épée. L'autonomie
juridique est complète : les tribunaux rabbiniques forment une hiérarchie
couronnée par une cour suprême (synode des quatre pays) qui se réunit
deux fois l'an. L'étude du
Talmud ,
d'une nécessité journalière, n'a été pratiquée nulle part avec plus
d'excès : tout le monde était ou voulait être un savant; on tenait de
véritables marchés de talmudistes. Cracovie,
Brzesc, Lublin avaient des « académies » juives et des imprimeries célèbres.
Les Juifs de Pologne, dont la civilisation
et la moralité ne s'élevaient pas au-dessus du niveau de la population
environnante, avaient pour ennemis le clergé, les négociants allemands
et surtout les Cosaques
de rite grec, opprimés par les nobles polonais, dont ils étaient les
intendants en Ukraine et dans la Petite-Russie. Aussi lors de la révolte
triomphante de l'hetman Chmielnicki (1648-56),
les Juifs furent-ils enveloppés dans la ruine de leurs patrons catholigues
: plus de 200 000 Juifs furent atrocement torturés, massacrés ou vendus
comme esclaves chez les Turcs. Le judaïsme
disparut de l'Ukraine; ailleurs il souffrit cruellement des guerres prolongées
entre Russes, Suédois et Polonais. Au XVIIIe
siècle, le judaïsme polonais appauvri rejette vers l'Occident
des milliers de rabbins mendiants; des sectes mystiques
prennent naissance et troublent les communautés. L'histoire ultérieure
des Juifs de Pologne, partagés entre la Russie, la Prusse
et l'Autriche ,
sort du cadre chronologique adopté ici; rappelons seulement que l'attachement
des Juifs à la cause polonaise s'est manifesté en 1795
et en 1830
: le colonel juif Berek
fut un des héros de Kocziusko.
Les pogroms
Les pogroms étaient
des attaques violentes et organisées contre des communautés juives, principalement
en Europe de l'Est et en Russie, mais également dans d'autres régions.
Ces attaques étaient généralement perpétrées par des foules en colère,
parfois encouragées ou tolérées par les autorités locales ou même
soutenues par l'État.
Les pogroms étaient
généralement déclenchés par des rumeurs ou des accusations infondées
contre les Juifs, comme des allégations de meurtres rituels, de profanation
d'hosties ou de conspirations pour contrôler l'économie. Ces incidents
pouvaient entraîner des violences physiques, des viols, des pillages,
des incendies criminels et même des meurtres de masse.
Les pogroms étaient
fréquents à différentes époques de l'histoire européenne, mais ils
ont été particulièrement répandus à la fin du XIXe
et au début du XXe siècle, en particulier
dans l'Empire russe et dans les territoires sous son influence. Ils ont
souvent eu des conséquences dévastatrices pour les communautés juives,
entraînant la mort, la blessure et le déplacement de milliers de personnes.
Les pogroms ont également
contribué à la montée de l'antisémitisme en Europe et ont joué un
rôle dans l'émigration massive des Juifs vers l'Europe occidentale et
l'Amérique du Nord à la fin du XIXe et
au début du XXe siècle. |
Aux
Pays-Bas et dans les Etats scandinaves
Pour achever le tour
du judaïsme européen, il ne nous reste qu'à mentionner les Juifs
des Pays-Bas et leurs colonies. Au Moyen âge
les Pays-Bas comptaient quelques communautés juives : celle de Bruxelles
fut massacrée pendant la peste noire.
Sous la domination espagnole, les Juifs furent exclus de ces contrées
(1550) : ils ne reparurent en Belgique
que sous le gouvernement autrichien (XVIIIe
siècle); mais la Hollande, affranchie au XVIe
siècle du joug espagnol et devenue l'asile de la liberté de
conscience, offrit un refuge aux marranes espagnols et portugais
fuyant devant les rigueurs de l'Inquisition
: parvenus sur un sol libre, ils s'empressèrent de reprendre leurs anciennes
observantes. En 1593, une communauté
fut fondée à Amsterdam; elle progressa rapidement sous une législation
tolérante qui se bornait à défendre aux Juifs les mariages mixtes et
l'accès des emplois publics. En 1636
se forme une communauté allemande; bientôt les Juifs se répandent sur
tout le territoire hollandais. Les Juifs de hollande s'adonnèrent au trafic
d'outre-mer et contribuèrent au succès du commerce néerlandais, notamment
par leurs relations avec les marranes des deux Indes .
Des écoles, des synagogues
magnifiques valurent à la communauté d'Amsterdam le nom de Nouvelle Jérusalem;
les études talmudiques y furent peu cultivées, mais l'orthodoxie jalouse
des rabbins multiplia les excommunications et fit deux victimes célèbres
: Uriel da Costa, qui se tua en 1640,
et l'illustre Spinoza, qui rompit avec la synagogue
en 1636. Le judaïsme hollandais fut
bientôt assez fort pour essaimer au dehors et fonder des colonies prospères
à Hambourg (1612), à Londres
(1664), en Danemark, au Surinam, au
Brésil (notamment à Pernambouc / Recife).
Cette dernière disparut cependant après la reconquête du Brésil par
les Portugais. Quant aux Juifs danois, dont l'admission est due aux efforts
d'un riche Juif de Hambourg, Texeira, ils ne purent obtenir l'accès des
autres pays scandinaves; les Juifs ne s'établirent à Stockholm et dans
trois autres villes de Suède qu'en 1776;
la Norvège leur est restée interdite jusqu'au XXe
siècle.
Hors
d'Europe
Dans
les pays musulmans
L'histoire des Juifs dans les pays musulmans
est monotone et imparfaitement connue. Mohammed ,
après s'être instruit à l'école des Juifs, et avoir été repoussé
par eux, les combattit avec acharnement par la parole (sourate de la
Vache )
et l'épée. Il obligea la plupart de leurs tribus à se retirer en Syrie
et en Mésopotamie. Omar acheva l'oeuvre d'expulsion par l'exil des Juifs
de Khaïbar; il renouvela également l'interdiction du séjour de Jérusalem
aux Israélites et éleva une mosquée
sur l'emplacement du Temple. La situation légale des Juifs ou plutôt
de tous les infidèles dans les Etats musulmans fut réglée par le fameux
pacte d'Omar (Kanouni raya), avec les Juifs et les chrétiens, qui
est resté théoriquement en vigueur dans tout l'islam
et s'appliquait encore au XIXe
siècle dans certains pays (Iran ,
Maroc ).
D'après ce document, les infidèles jouissent de la protection de la loi,
dans leurs personnes, leurs biens et leurs croyances (le musulman qui maltraite
un infidèle est puni d'une amende), mais ils doivent occuper une situation
subordonnée, humiliée, et être rigoureusement séparés des musulmans.
De là une série de dispositions dont plusieurs présentent une analogie
frappante avec celles du droit romain ou
canonique.
Les Juifs ne doivent pas édifier de nouvelles
synagogues ,
ni même réparer celles qui s'écroulent. Ils ne doivent pas accueillir
les espions étrangers, mais les dénoncer aux autorités musulmanes. Ils
ne doivent pas s'opposer aux conversions à l'islam. Ordre de se comporter
toujours respectueusement envers les musulmans (principe général, qui
entraîne les applications les plus variées). Les Juifs ne peuvent exercer
aucune fonction administrative ni judiciaire, ni même porter témoignage
contre les musulmans. Ils ne doivent pas graver leurs noms sur des sceaux,
ni apprendre l'arabe littéraire, ni monter en public un cheval sellé,
ni porter un sabre ou d'autres armes, ni se vêtir d'une large ceinture.
Leurs vêtements, leurs chaussures doivent les distinguer des musulmans
: dans certains pays on leur interdit les couleurs réservées à ceux-ci
(blanc, rouge), dans d'autres on leur impose pour leurs habits ou leurs
turbans une couleur speciale (jaune en Égypte ,
noir en Afrique, bleu au Yémen), ou un signe particulier : chiffon, breloque,
grelot. La rouelle du concile de Latran est d'origine musulmane. Enfin
les Juifs ne doivent pas enfreindre publiquement les principes de la religion
musulmane (par exemple, ils ne doivent pas vendre du vin, ni laisser croître
leurs cheveux), ni pratiquer leur culte en dehors des locaux consacrés
: ainsi défense de porter leurs livres religieux hors de leurs maisons,
de prier pour les morts ou de chanter leurs cantiques autrement qu'Ã mi-voix.
Ajoutons que, en principe, Juifs et chrétiens sont exclus ou dispensés
du service militaire à charge de payer un impôt représentatif (kharadj).
Ces dispositions canoniques n'ont pas toujours
été observées avec une égale rigueur. Les Juifs de l'Irak (Babylonie ),
nombreux et florissants à l'époque de la conquête mahométane, ont été
protégés d'abord par le gouverneur Khalid, ensuite par les premiers califes
abbassides, héritiers de la brillante civilisation perse .
L'exilarchat reprit son ancienne autorité, les écoles refleurirent sous
des chers respectés (gaonim). Les persécutions commencent avec
le khalife Mottawakkel (850) et s'aggravent
avec la décadence du califat : un gaon, Scherira, est emprisonné par
le calife; avec son fils Haï (1038)
disparaît le gaonat. L'exilarchat subsiste, mais amoindri, encore au temps
de Benjamin de Tudèle (XIIe
siècle). Les violences du calife Nasser (1225),
les luttes des dynasties, les invasions mongoles(1238)
achèvent la ruine du judaïsme babylonien, qui fournit encore un ministre
des finances très influent, Saad oud Daoulet de Bagdad ,
au grand khan mongol Arghoun
(1288). Le judaïsme palestinien, très
éprouvé pendant les croisades, ne s'est
un peu relevé qu'avec la domination ottomane.
En Égypte ,
les Juifs ont joui longtemps d'une tolérance relative. Isaac Israéli
fut médecin du fondateur de la dynastie des Fatimides (Xesiècle);
plus tard les communautés juives ont à leur tête des «princes » ou
nasi, dont l'un fut le célèbre
Maïmonide.
Dans les Etats barbaresques ,
malgré l'éclat temporaire des écoles de Kairouan et de Fès,
la situation des Juifs a toujours été misérable, et ils y ont éprouvé
(sous Edriz, sous les Almohades) de terribles persécutions. Le judaïsme,
très diminué dans ces régions, y fut renforcé par l'effet des expulsions
espagnoles et portugaises .
Au XVIIesiècle,
Muley Archey se montra favorable aux Israélites. Quant aux deys d'Alger,
ils opprimèrent les Juifs, tout en les employant comme banquiers et diplomates.
L'empire ottoman, dès sa constitution,
a laissé aux Juifs une large autonomie, à la faveur de laquelle les communautés
se sont rapidement développées. L'exil des Juifs d'Espagne - mesure raillée,
dit-on, par Bajazet - accrut et enrichit
le judaïsme ottoman; L'élément espagnol devint prépondérant dans les
juiveries de Constantinople (Istanbul),
d'Andrinople
(Edirne), de Salonique; chacune de ces agglomérations se divisait en plusieurs
communautés distinctes d'après leur origine et leur idiome. Au XVIe
siècle, les Juifs de Turquie s'adonnent avec succès à l'industrie,
au commerce; ils sont employés à la fabrication des monnaies; ils fournissent
aux sultans des médecins, des agents diplomatiques et financiers, des
favorites (Esther Kiéra sous Mourad III).
Sous Sélim Il deux Juifs atteignirent une haute
situation : le médecin Salomon Askenazi et le marrane Juan Miquez, qui,
sous le nom de don Joseph Nasci, devint duc de Naxos
et des îles voisines et protégea activement ses coreligionnaires; il
mourut en 1579.
Un dernier trait caractéristique de l'histoire
des Juifs en pays musulman est l'apparition assez fréquente de faux messies;
les plus célèbres sont David Alroï, en Iran ,
au XIIe siècle,
et Sabbataï Zevi de Smyrne ,
au XVIIIe,
qui, après avoir soulevé dans tout le Monde juif des espérances fantastiques
et une agitation profonde, finit par se convertir à l'islam (1666).
Autres
pays : Inde, Chine, Amérique
Nous serons encore plus bref sur l'histoire,
très fragmentaire, du judaïsme dans les pays non musulmans d'Asie et
d'Afrique, en Amérique
et en Océanie.
Les Juifs de l'Inde paraissent
être venus, pour la plupart, à l'époque de la grande expansion arabe
: on les mentionne à Ceylan (Sri Lanka) dès le IXe,
siècle, et c'est à la même époque que les Beni-Israël de
Bombay
font remonter leur ancêtre, David Rebabia, de Bagdad .
Il n'est pas impossible, toutefois, que quelques Juifs soient déjà arrivés
de Perse
à la fin du Ve
siècle. Dans le Malabar et à Cochin ,
on distingue rigoureusement les Juifs noirs, probablement d'origine indigène,
et les juifs blancs, d'origine occidentale, renforcés, à partir de 1511,
par l'arrivée des marranes portugais .
L'existence des Juifs de Chine
n'est signalée qu'au début du XVIIe
siècle ils sont concentrés à Kaïfoung, capitale du Honan.
La légende qui les fait arriver dès le
Ier
siècle
de l'ère chrétienne, sous l'empereur Ming-ti (dynastie
des Han orientaux), ne mérite aucune créance; leur
établissement date probablement de l'époque mongole. Les Chinois les
confondent avec les Musulmans. Entre eux ils appellent leur religion Tiao-kin-kiao
(extirpation des nerfs), et leur synagogue
Li-pai-sé (lieu des
cérémonies). Ils possèdent d'anciens exemplaires de quelques livres
bibliques, mais ne savent pas l'hébreu.
L'origine des Juifs d'Ethiopie
(Falashas) est obscure; on les fait venir ordinairement
du Yémen. Pendant longtemps, ils ont joui dans les parties montagneuses
du pays d'une demi-indépendance.
En Amérique, les Juifs sont venus à la
suite ou en compagnie des conquérants et des colons européens. On en
a signalé quelques-uns dans les équipages de Christophe
Colomb : quelques rêveurs s'imaginaient retrouver dans les indigènes
d'Amérique les descendants des Dix-Tribus! Au XVIe
siècle, d'assez nombreux marranes portugais
furent déportés au Brésil. Au XVIIe
siècle, sous la domination hollandaise (1624-54),
ils jetèrent le masque et se grossirent de nouveaux immigrants. Quand
le Brésil fut retombé au pouvoir des Portugais, les uns reprirent un
catholicisme apparent, d'autres émigrèrent à Cayenne
et dans les Antilles françaises; expulsés de là , ils s'établissent
à Curaçao, dans la Guyane hollandaise (Surinam), où Paramaribo
accueillit une communauté importante, à la Jamaïque (1650).
Enfin, dans l'Amérique du Nord ,
à la Nouvelle Amsterdam (New York)
et à Newport, d'où ils essaimèrent dans les autres Etats de la Nouvelle-Angleterre
( États-Unis).
Au XVIIIe siècle,
ils pénétrèrent en Pennsylvanie (Philadelphie) et en Georgie (Savannah);
ils prirent une part honorable à la guerre de l'Indépendance comme soldats
et comme banquiers (Aaron Lopez, Haym Salomon). Au XIXe
siècle, les immigrants allemands et polonais submergent aux
États-Unis l'élément espagnol.
L'Australie a été ouverte aux Juifs par
la colonisation anglaise. Dans quelques archipels océaniens; leur présence
est plus ancienne et remonte à l'époque portugaise et hollandaise : déjÃ
Jean II de Portugal déporta des Juifs dans les îles Mariannes.
(Th. Reinach). |
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