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dans divers pays |
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Voici brièvement
résumées les destinées de la diaspora juive
dans les différents pays du monde principalement à partir du Moyen
âge.
« Cette histoire, dit I. Loeb, est presque partout la même : situation satisfaisante à l'origine, puis plus tard vexations, mauvais traitements, confiscations, pillages, expulsions.-»En Europe En Espagne et au Portugal En Espagne, où les Juifs étaient déjà nombreux au temps des Wisigoths, ils se multiplièrent après la conquête arabe (711), probablement par l'effet d'une immigration venue d'Afrique à la suite des conquérants. Sous les émirs, puis califes de Cordoue (à partir de 912), dans les royaumes mauresques nés du démembrement du califat (1013), la situation des Juifs fut longtemps florissante. Ils avaient adopté la langue, le costume, les moeurs arabes, rivalisaient d'activité industrielle et littéraire avec leurs maîtres. Intermédiaires diplomatiques entre les musulmans et les chrétiens, ils combattirent vaillamment dans les armées des deux partis : à la bataille de Zalaca (1086) la lutte fut ajournée du samedi au dimanche pour leur permettre d'y prendre part. L'administration des finances, la perception des impôts leur étaient confiées de préférence, sans souci du « pacte d'Omar » et des prescriptions canoniques. Plusieurs trésoriers (almoxarif) juifs furent renommés par leurs talents ou leur munificence; plusieurs aussi eurent une fin tragique. Citons seulement à Cordoue, auprès d'Abd er-Rahmân III, Hasdaï ibn Chaprout, qui correspondit avec le roi des Khazares (Xe siècle); à Grenade, Samuel Ibn Nagrela et son fils Joseph (XIe siècle); en Castille, R. Juda sous Alphonse VI, Çag sous Alphonse X le Savant, Joseph d'Ecija sous Alphonse XI, et le plus célèbre de tous, Samuel ha Lévi, sous Pierre le Cruel (XIVe siècle); au Portugal, Ferdinand Ier (1367-83) emploie Judas et David Negro; encore au XVIe siècle, Isaac Abravanel est successivement le ministre d'Alphonse V de Portugalet de Ferdinand d'Aragon. D'autres rois eurent des médecins, des astronomes, des musiciens juifs. Le reste des lois canoniques et gothiques n'était pas mieux observé. Les Juifs possédaient des terres, circulaient librement, exerçaient les métiers, portaient les armes; ils n'étaient astreints à aucun signe distinctif. Certains fueros les assimilaient, pour le rang social, aux hidalgos; dans les commissions d'experts, juifs et chrétiens étaient en nombre égal. Lorsque l'intolérance des Almoravides et surtout celle des Almohades (milieu du XIIe siècle) eut à peu près chassé les Juifs de l'Andalousie musulmane, leur nombre augmenta en Castille et en Aragon; à Tolède seul ils étaient 12 000, dans toute la Castille peut-être un demi-million. Les lois canoniques ne commençèrent à être remises en vigueur en Aragon que sous Jacques Ier (1213-1276), au Portugal sous Denys le Laboureur (1279-1325), en Castille après la victoire de Henri de Trastamarre (1369). L'affaiblissement des Maures dans la Péninsule
détourne alors l'esprit de croisade vers de nouveaux objets : la papauté
surveille activement les intérêts de la foi en Espagne; enfin, le réveil
économique de la nation, la jalousie de la bourgeoisie ne furent pas étrangers
aux mesures restrictives, sans cesse réclamées par les conciles
et les cortès, sans cesse retardées par la répugnance des rois et de
la noblesse. Les Juifs sont déclarés hommes ou plutôt choses du roi,
sans toutefois que l'exploitation fiscale ait jamais atteint les proportions
que l'on constate dans d'autres pays. Successivement les rabbins
sont dépouillés de leur juridiction pénale, le port obligatoire de la
barbe, la rouelle, le ghetto sont introduits, les Juifs exclus peu à peu
de tous les emplois. On les envoie de force à des serments de conversion,
on organise des controverses solennelles, Benoît
XIII leur interdit de lire le Talmud
(1414). Sur cette pente on ne s'arrête
pas; la fureur de conversion s'unit à la soif du pillage pour déchaîner
des persécutions sanglantes : celle de Navarre
en 1329, celle de Castille
en 1390, celle d'Aragon
et de Catalogne
(campagne de Fernan Martinez) en 1391.
Les efforts de Vincent Ferrier, le « docteur angélique » (1412),
amenèrent des milliers de baptêmes plus ou moins spontanés.
Le Portugal avait jusqu'alors ménagé les Juifs et leur laissait une véritable organisation politique en sept districts, ayant à leur tête un chef suprême (Arrabi Moor); mais l'exil des Juifs espagnols atteignit par contre-coup ceux du royaume voisin. Les Juifs fugitifs d'Espagne y furent d'abord réduits en servitude; puis le roi Manuel, sous la pression de Ferdinand le Catholique, interdit le territoire portugais aux Juifs (décembre 1496). Il s'arrangea de façon à empêcher l'embarquement de la plupart des proscrits et les contraignit au baptême sous le promesse, fidèlement observée, d'une large tolérance. Mais après sa mort, la foi toujours suspecte de ces néophytes amena l'introduction de l'Inquisition avec son cortège habituel de vexations et de supplices (1531); la conquête du Portugal par Philippe II (1580) exaspéra encore ses rigueurs. Aussi dans le courant du XVIe siècle des milliers de marranes portugais s'échappèrent-ils secrètement aux Indes ou vers des pays plus hospitaliers (Italie, Turquie, Bordeaux, Hollande), où ils ne tardèrent pas à reprendre ouvertement les rites de leurs ancêtres. Au Portugal même, beaucoup continuèrent à les pratiquer secrètement jusqu'au rétablissement de la liberté religieuse à la fin du XIXesiècle. Le sang juif est aussi abondant dans la noblesse portugaise que dans celle d'Espagne; on connaît le mot de Pombal (Le Portugal au XVIIIe siècle) à Joseph Ier qui voulait exclure de la cour tous les descendants des nouveaux chrétiens : « Il ne nous reste donc plus, dit-il, qu'à partir ensemble. »En France En France, au début de la dynastie capétienne, les Juifs étaient partout répandus jusque dans les villages; relativement bien vus des populations, ils ne s'étaient pas encore cantonnés dans le commerce d'argent : ils possédaient des terres, des maisons; dans le Midi on leur confiait des emplois publics. Leurs écoles talmudiques en Champagne, en Languedoc étaient florissantes; les rabbins parlaient partout le français, comme le prouvent les gloses françaises éparses dans leurs commentaires; ils portaient des noms français, francisaient même leurs noms hébraïques (Haquin pour Isaac, Josse pour Joseph, Vivant pour Haïm). Avec l'éveil du fanatisme chrétien au XIe siècle, quelques faits de persécution, quelques baptêmes forcés se produisent à Orléans, à Limoges, à Rouen; cependant la fureur de sang déchaînée par les premières croisades n'atteignit guère les Juifs de France; l'autodafé de Blois (1171), le massacre de Bray (1191) restent des faits isolés. Ils eurent surtout à souffrir de la cupidité et des caprices des rois. Louis VII les avait protégés, malgré les exhortations de Pierre de Cluny. Mais Philippe-Auguste, dès son avènement, arrête tous les Juifs de son domaine et ne les relâche que contre une rançon de 15 000 marcs d'argent; deux ans après, à la suite d'une accusation de sang (affaire de l'enfant Richard, à Pontoise), il annule leurs créances, sauf un cinquième qu'il s'approprie, et les chasse tous de son territoire qui, à la vérité, ne comprenait encore qu'un quart de la France actuelle (1182). Ils ne tardèrent pas à être rappelés; l'expulsion prononcée par saint Louis (vers 1250) ne fut également que temporaire. Au XIIIe siècle, la situation légale des Juifs de France se précise, c.-à -d. s'aggrave. Ils deviennent incapables de posséder des immeubles ruraux; leurs meubles même, en théorie, appartiennent « au baron »; leurs contrats de prêt sont l'objet d'une surveillance minutieuse et donnent lieu à des droits fiscaux élevés. Chaque feudataire a ses Juifs qu'il pressure, vend, donne, hypothèque à sa guise; car le Juif, devenu serf ne peut plus quitter les terres de son seigneur, et ceux-ci s'engagent entre eux et avec le roi à s'extrader réciproquement leurs Juifs fugitifs; en revanche, ils gardent le droit de les exiler en masse et plusieurs font usage de ce droit (Bretagne, 1240; Anjou, 1289). Dans le Midi, la croisade des Albigeois met fin à la prospérité des Juifs : au traité de 1229, comtes et barons s'engagent à ne plus leur confier des fonctions de baillis. Saint Louis, à la suite d'une controverse célèbre, fait brûler le Talmud et des charretées de livres juifs (1243); plus tard, il introduit la rouelle (1269). D'atroces accusations se répandent dans le peuple et provoquent des supplices (autodafé de Troyes, 1288; miracle de la rue des Billettes, 1290). Enfin, Philippe le Bel exile tous les Juifs du domaine royal et confisque leurs biens (22 juillet 1306). Cette mesure, qui atteignit 400 000 personnes, frappa de façon presque irrémédiable le judaïsme français. Les Juifs furent rappelés cependant en France dès le règne suivant (1345), « de commune clameur du peuple »; mais ils ne revinrent qu'en petit nombre, pour un temps limité, et en vertu d'un contrat formel. Désormais, ils ne mènent plus qu'une existence précaire, sous l'incessante menace d'un nouvel arrêt d'exil. Décimés par les massacres qui accompagnèrent la croisade des Pastoureaux et la peste de Guyenne (1320-21), chassés en 1322, rappelés en 1360 grâce à Manecier de Vesoul, au milieu des misères de la guerre de Cent ans, les Juifs furent renvoyés définitivement par Charles VI le 17 septembre 1394; dès 1349 ils avaient dû quitter le Dauphiné et la Franche-Comté. Les bannis gagnèrent pour la plupart l'Italie, l'Allemagne et les Etats français du pape. L'édit d'expulsion fut étendu aux divers grands fiefs au fur et à mesure de leur réunion à la couronne (Bretagne, 1491; Provence, 1498); il fut encore renouvelé formellement par Louis XIII en 1615. A cette époque, il y avait cependant de nouvelles communautés juives en France : à Metz par l'annexion de 1552, à Bordeaux et à Saint-Esprit (Bayonne) par l'établissement toléré, à la même époque, de « marranes chrétiens » fugitifs d'Espagne et de Portugal; à ces juiveries s'ajoutèrent bientôt celles, beaucoup plus nombreuses, de l'Alsace, devenue française en 1648. Dans cette dernière province, le gouvernement royal laissa subsister presque sans modification la législation allemande, avec le péage corporel et des taxes exorbitantes; à Metz, à la veille de la Révolution, les Juifs payaient 22 000 livres par an au roi, et 20 000 à la famille de Brancas; on y compta même un martyr, victime d'une accusation de meurtre rituel (Raphaël Lévy, 1670). Au XVIIIe siècle, il y avait encore quelques centaines de Juifs tolérés à Paris, à Marseille et dans les colonies. Le Comtat-Venaissin, possession du pape, en comptait 3000, presque tous à Carpentras. En Angleterre L'Angleterre saxonne n'avait renfermé qu'un petit nombre de Juifs; le judaïsme anglais est venu de France à la suite de Guillaume le Conquérant (1066); sa situation légale a été réglée par une charte de Henri Ier. Les Juifs anglais jouirent pendant un siècle d'une brillante prospérité, malgré l'élévation des impôts qu'ils payaient, - la taille des Juifs égalait tout le reste des contributions du royaume, - et la surveillance rigoureuse exercée sur leurs opérations commerciales par un échiquier spécial. La fameuse Chambre étoilée paraît devoir son nom aux contrats juifs (schtar) qui s'y trouvaient déposés. L'opulence des Juifs anglais, leur propagande religieuse attirèrent sur eux l'inimitié du clergé et préparèrent leur perte. A l'avènement de Richard Coeur de Lion (1189), surtout après son départ pour la troisième croisade (1190), ils subirent une sanglante persécution à Londres, Norwich, Stanford, York, etc. Les rois suivants, chargés de dettes, les exploitèrent sans pudeur, sous tous les prétextes imaginables. Jean sans Terre fit arracher toutes les dents à un Juif de Bristol jusqu'à ce qu'il eût livré ses trésors; Henri III extorqua 20 000 marcs d'argent à une sorte de parlement juif, trafiqua des Juifs du royaume et leur interdit toute propriété foncière. Quand les Juifs eurent été à peu près ruinés par ces exactions et réduits par le désespoir à des procédés frauduleux, comme la falsification des monnaies, Edouard ler, après une série de lois restrictives, prononça leur exil général (1290); ils quittèrent le royaume au nombre d'environ 16 000; cette mesure atteignit également les Juifs de Guyenne. Les Juifs ne reparurent en Angleterre que sous Cromwell, vers 1655, à la suite des actives démarches d'un rabbin d'Amsterdam, Manassé ben Israël; le statut d'Edouard Ier ne fut pas expressément abrogé, mais on ferma les yeux sur le rétablissement des Juifs à Londres. La première colonie fut originaire de Hollande et désignée officiellement sous le nom de nation portugaise; plus tard arrivèrent des Juifs allemands, que leurs coreligionnaires du rite portugais tinrent longtemps à l'écart. Au XVIIIe siècle, les Juifs anglais, quoique considérés comme étrangers, ne furent inquiétés ni dans leur culte, ni dans leur commerce. Dès 1753, le ministère Pelham proposait une loi de naturalisation en faveur des Juifs établis en Angleterre depuis trois ans; adoptée par les deux Chambres, cette loi fut abrogée l'année suivante, sous l'influence d'un grand mouvement de pétitions. En Italie En Italie, grâce au morcellement politique du pays, grâce aussi à la persistance des traditions romaines et à une certaine douceur des moeurs, les Juifs n'ont jamais éprouvé ni de grandes persécutions, ni d'expulsion générale; celle qu'ordonna l'empereur Louis II (835) resta sans effet. Chassés d'un Etat, les Juifs ne tardaient pas à y être rappelés, dans l'intérêt du commerce (c'est ce qui arriva plusieurs fois à Venise et à Gênes) ou trouvaient asile dans un Etat voisin. Outre la banque, dont ils eurent longtemps le monopole, ils prirent une part active au commerce d'outre-mer et s'associèrent même au mouvement intellectuel et littéraire des indigènes. Au Moyen âge, leurs principaux établissements étaient dans l'Apulie (des cimetières juifs y remontent à l'époque romaine), à Naples, en Sicile, où les Normand et les Hohenstaufen les protègent, à Ancône, Ferrare, Bologne, Mantoue (berceau de l'imprimerie juive), Modène, Parme, Vérone. La situation légale des Juifs s'aggrava vers la fin du XVe siècle, sous l'influence des Espagnols, désormais prépondérants dans la péninsule, et à la suite des prédications fanatiques de Bernardin de Feltre dans le Nord de l'Italie (affaire de l'enfant Simon, de Trente, Les Juifs et marranes fugitifs d'Espagne et de Portugal furent d'abord accueillis par plusieurs Etats; mais l'Inquisition y mit bientôt son ordre et la plupart de ces malheureux durent reprendre le chemin de l'exil. La Sicile fut interdite aux Juifs dès 1492, le royaume de Naples en 1541; Paul IV ferma Ancône aux marranes, au risque d'en ruiner le commerce, Pie V expulsa même les Juifs de tous les Etats pontificaux, sauf Ancône et Rome (1568). En même temps, le système du ghetto fermé fut introduit presque partout : à Venise en 1516, à Rome sous Paul IV (1555-59), à Florence en 1570, à Padoue en 1603. L'existence des Juifs de Rome devint particulièrement misérable, grâce au renforcement de toutes les lois canoniques, à la confiscation de leurs biens-fonds, à l'institution par Grégoire XIII (1579-85) des sermons de conversion auxquels ils étaient obligés d'assister. Ce régime subsista dans les Etats romains, avec de très graduels adoucissements, jusqu'à la Révolution; il en fut de même au Piémont, où les Juifs étaient d'ailleurs peu nombreux. Dans le reste de l'Italie, la législation s'humanisa au XVIIIe siècle. En 1740, les Juifs furent rappelés en Sicile; en Toscane, l'indulgent despotisme des grands-ducs mit à profit leurs capitaux pour développer le commerce de Livourne, devenue l'une de leurs principales communautés. En Allemagne et en Suisse Les Juifs en Allemagne ont été maltraités le plus souvent. L'Allemagne, politiquement divisée, comme l'Italie, n'a jamais connu d'expulsion générale des Juifs, mais leur situation y a été cependant plus misérable qu'ailleurs. Un certain pédantisme théologique, administratif, scientifique s'est allié dans ce pays avec l'avidité des gouvernements et la brutalité populaire pour faire aux Juifs une existence humiliée et précaire à laquelle qui on cherché refuge non seulement dans le repli, mais une "fermeture communautaire" extrême, un piétisme étroit et sombre, une langue et un mode vestimentaire qui leur étaient propres, la monotonie d'une littérature presque exclusivement talmudique, midrashique et cabbalistique. Les Juifs allemands (Askenazim) sont originaires les uns de Gaule, les autres d'Italie. Dès l'époque romaine, Cologne était un centre juif important. Au commencement du Moyen âge naquirent les communautés de Mayence, - où se fixa une famille distinguée de Lucques, les Calonymos, - de Worms, de Spire, de Ratisbonne, de Francfort, etc. Au XIIIe et au XIVe siècle, le judaïsme allemand reçut un nouvel afflux d'immigrants français : le yiddish ( idiome judéo-allemand) a longtemps conservé des mots d'origine française. Dans l'empire carolingien, les Juifs n'avaient acquitté que la dîme prélevée sur les marchands de toutes nations. Avec les théories juridiques qui se développèrent au XIIe siècle, leur situation changea. On prétendit que les Juifs allemands descendaient des prisonniers israélites dont Titus avait fait don au trésor impérial; ils furent déclarés «-serfs de la Chambre impériale ». L'empereur les reçut sous sa garde et mainbournie; en retour, il exigea d'eux un droit de protection spécial, puis une capitation (Opferpfennig) d'un denier d'or par tête, perçue sur chaque Israélite âgé de plus de treize ans, en souvenir de l'ancien fiscus judaicus. On alla plus loin : l'empereur, disait encore une proclamation de 1463, pouvait à son avènement disposer des Juifs, corps et biens, en toute liberté; ce qu'il leur en laissait n'était qu'un effet de sa grâce. Comme Vespasien n'avait épargné que le tiers de la nation juive, plusieurs empereurs, en montant sur le trône, imaginèrent de confisquer le tiers des biens des Juifs (Kronsteuer) d'autres, comme Wenceslas, partagèrent leurs dépouilles avec les villes ou les accablèrent, sous divers prétextes, de contributions extraordinaires. L'excès des charges fiscales provoqua, sous Rodolphe de Habsbourg, un commencement d'émigration des Juifs; on l'arrêta en emprisonnant leur grand rabbin, Méir de Rothenbourg. Dans la suite des temps, les droits fiscaux des empereurs furent usurpés par les princes territoriaux; Charles IV autorisa formellement (bulle d'or, 1355) les électeurs à « avoir des Juifs » en pleine propriété, et cette permission fut étendue à tous les détenteurs de droits régaliens (1577), et, par des concessions individuelles, à plusieurs villes libres; ailleurs, la « possession » des Juifs fut l'objet d'ignobles marchandages et de discussions continuelles. La dernière tentative de soumettre le judaïsme allemand à une organisation unitaire date des empereurs Maximilien et Charles-Quint; un pieux rabbin alsacien, Joselmann de Rosheim, eut alors le titre de gouverneur des juiveries de l'Empire et exerça quelque temps une influence bienfaisante. Le pouvoir impérial était plus jaloux de percevoir les profits attachés à son protectorat que d'en remplir les devoirs. Quoique Henri III eût prononcé une peine sévère (perte des yeux et de la main droite) contre l'homicide d'un Juif, le gouvernement assista indifférent ou impuissant aux innombrables persécutions dont ils furent les victimes depuis la fin du XIe siècle (première croisade, 1096) jusqu'au milieu du XIVe siècle. Le sang coula à flots en 1146, lors de la deuxième croisade, en 1270, quand les Judenbreter dévastèrent les communautés d'Alsace, en 1298 quand Rindfleisch saccagea celles de Franconie, en 1336 avec Armleder et ses Judenschlaeger. La peste noire fut le signal d'un épouvantable massacre (1348-50), où des communautés entières (Fribourg, Spire, Strasbourg, Worms, Francfort, Mayence, etc.), périrent par l'eau, le fer ou le feu. De cette époque datent aussi une série d'accusations de meurtre rituel et de profanation d'hosties, qui firent de nombreuses victimes et servirent de prétexte à des séditions : encore en 1510, à la suite d'une affaire de ce genre, 40 Juifs montèrent sur le bûcher dans la Marche de Brandebourg. A partir de la fin du XIVe siècle, le fanatisme religieux eut une moindre part dans la persécution que la jalousie économique, l'insatiable besoin d'argent chez les princes et les villes. La spoliation des Juifs ou la suppression de concurrents gênants sont le but, sinon le prétexte avoué des nombreuses expulsions locales qui se succèdent dans les Etats particuliers (archevêché de Mayence, 1420; Saxe, 1432 ; Bavière, 1450 et 1555; Wurzbourg, 1453; Württemberg, 1551; Brandebourg, 1573; Brunswick, 1590) et dans les villes libres (Ulm, 1380; Magdebourg, 1384; Strasbourg, 1388; Spire, 1434; Augsbourg, 1410; Nuremberg, 1499; Ratisbonne, 1519). Une persécution générale faillit être déchaînée contre les livres des Juifs et subsidiairement contre leurs personnes par les dénonciations de l'apostat Joseph Pfefferkorn; cette tentative fut déjouée par la courageuse intervention de Reuchlin (1510-6). A la fin du XVIe siècle, il n'y avait plus guère en Allemagne que trois communautés importantes : Fürth (qui avait remplacé Nuremberg en 1528), Worms, où l'on comptait, dit-on, 14 000 Juifs; et Francfort-sur-le-Main. Encore ces deux dernières villes voulurent-elles chasser leurs Juifs en 1614 et 1615, à la suite de mouvements démagogiques (émeute de Vincent Fettmilch) : il fallut l'intervention de troupes impériales pour les ramener de force. De cette époque date aussi la fondation de la communauté de Hambourg, colonie de celle d'Amsterdam (1612). Là même où les Juifs restaient tolérés, ils étaient enfermés dans leurs Judengassen, soumis au port d'un signe distinctif, écrasés par des règlements tyranniques et des contributions variées. Pour empêcher leur accroissement, le nombre annuel des mariages était strictement limité (15 par an à Francfort); mille entraves s'opposaient à leur circulation et à leur trafic : à l'entrée de chaque souveraineté - et l'on sait combien le nombre s'en était multiplié en Allemagne - on exigeait du Juif, vivant ou mort, un péage corporel (Leibzoll); pour voyager ou séjourner dans certains endroits, il leur fallait payer l'escorte d'un agent de police ou un sauf-conduit (Geleitzoll). Le règlement général des Juifs de la monarchie prussienne de 1750 - les Juifs chassés de Brandebourg en 1573 y avaient été réadmis vers 1670 - est encore un modèle de fiscalité ubuesque : un des articles impose aux juifs l'achat annuel d'une quantité de porcelaine de la manufacture de Berlin! L'état intérieur des communautés réflète cette législation humiliante. Les fortunes considérables étaient rares; le commerce de banque des Juifs avait perdu de son importance depuis que les chrétiens s'étaient mis de la partie et qu'un arrêt de la Chambre impériale limitait à 5% le taux légal de l'intérêt. Submergée par les rabbins polonais, la synagogue allemande croupissait dans la superstition, dans, l'ignorance du monde extérieur et des sciences modernes : à Berlin, un Juif fut expulsé par les anciens pour avoir été surpris lisant un livre allemand, un autre faillit avoir le même sort pour s'être rasé. Le spectacle de ce judaïsme pétrifié assurait le succès des volumineux pamphlets antijudaïques qui se succèdent au XVIIe et au XVIIIe siècle (Wagenseil, Schudt, Eisenmenger) et qui sont restés le grand réservoir de l'antisémitisme moderne. L'histoire des Juifs de Suisse se rattache étroitement à celle des Juifs d'Allemagne : là aussi ils sont massacrés pendant la peste noire, et les expulsions locales se succèdent depuis la fin du XIIIe siècle (Berne, 1288; Zurich, 1436; Genève, 1490; Bâle, 1576; Schaffhouse au XVIIe siècle). Sous l'Ancien régime, il n'y avait plus de Juifs en Suisse que dans le comté de Baden (Argovie), spécialement à Endingen et à Lengnau. En Autriche et en Hongrie Dans les divers pays appelés à former la monarchie austro-hongroise, l'histoire des Juifs présente de nombreux points de rapprochement, même avant la réunion de ces Etats sous une seule souveraineté. Les ducs d'Autriche furent autorisés à posséder des Juifs en propre dès l'an 1156. En Bohème, leur situation était alors favorable; il en était de même en Hongrie, où divers édits (privilège de Béla III, 1190, etc.) leur assuraient une pleine tolérance; les rois magyars prenaient des Juifs comme percepteurs, comme administrateurs du trésor (Comites camerae), des monnaies et des salines. A diverses reprises, la papauté intervint pour empêcher ces scandales; le royaume fut même, de ce fait, mis en interdit (1232); mais les rois, dès qu'ils n'avaient plus un pressant besoin du Saint-siège, retombaient dans leurs anciens pratiques. En 1244, le duc d'Autriche, Frédéric le Belliqueux, promulgua pour les Juifs de ses Etats une charte qui est un véritable code : à côté de restrictions sévères ou barbares, ce règlement renferme des garanties sérieuses relatives au droit de circulation des Juifs, au prêt sur gages, à l'autonomie juridique. Il fut adopté en Hongrie, avec quelques adoucissements, en 1251, étendu à la Bohème et à la Moravie en 1268 ; il fut également copié dans le duché de Kalisz. Le XIVe et le XVe siècles furent une époque néfaste pour le judaïsme de ces régions. Pendant la peste noire, les Juifs furent expulsés de Hongrie (1350), pour être rappelés dès le règne suivant, mais désormais exclus des emplois publics et astreints à porter un capuchon distinctif. Ils furent massacrés à Prague en 1386, ensuite atrocement pressurés. Les prédications du moine italien Jean de Capistrano (1452) déchaînèrent une sanglante persécution en Hongrie, en Bohème, en Moravie, en Silésie; les bûchers s'allumèrent à Breslau (Wroclow), les Juifs furent chassés de Brünn et d'Olmütz. En Autriche, leur histoire offre une succession d'exils (1420, 1496, 1556) et de rappels. Au XVIe siècle, le groupement des Etats de la monarchie de Habsbourg est achevé, mais la Hongrie passe aux mains des Turcs, et les Juifs, qui font souvent cause commune avec eux, en sont punis lors du retour de la domination autrichienne : sous Marie-Thérèse, les Juifs de Hongrie payaient 80 000 florins d'impôt annuel. La situation matérielle et morale des Juifs d'Autriche fut relevée par les efforts de Mardochée Meisel, le premier millionnaire juif d'Allemagne (mort conseiller aulique en 1601) et de Lipmann Heller, rabbin de Vienne. Quelques Juifs viennois atteignirent une situation élevée sous le titre de Hofjuden et le gouvernement battit monnaie avec les privilèges qu'il leur accordait. Longtemps encore le judaïsme autrichien eut à souffrir des caprices d'une cour bigote et facile à circonvenir : en 1670, les Juifs sont expulsés de Vienne sous prétexte d'intelligence avec les Turcs; en 1745, l'exil des Juifs de Bohème et de Moravie est prononcé au coeur de l'hiver; ils n'obtinrent leur rappel qu'avec peine et le nombre des familles fut désormais limité. En Pologne et en Russie Le judaïsme fait son apparition dans l'Europe du Nord-Est avec les Khazares, peuple turkmène établi entre la Volga et le Dnieper, dont le roi Boulan fut converti au judaïsme avec une partie de sa nation au VIIe siècle, probablement par des rabbins juifs chassés de l'empire byzantin. Les Khazares furent détruits en 970 par les Russes de Kiev; leurs débris, réfugiés en Crimée et au Caucase, entrent certainement pour une part dans la population juive actuelle de ces contrées, mais non pas dans celle de la Russie occidentale. C'est au XIe siècleque les Juifs, arrivant d'Allemagne et de Bohème, pénètrent dans cette dernière région. Quelque temps tolérés chez les Russes, ils furent chassés de leur territoire vers 1113 et ne purent jamais y remettre le pied; la secte crypto-judéenne, persécutée à la fin du XVe siècle, se composait d'orthodoxes secrètement convertis au judaïsme. Au contraire, la Pologne offrit aux Juifs une hospitalité libérale. Dès 1264, Boleslas, duc de Kalisz et de Gnesen, introduisit dans ses Etats le statut autrichien de 1244, en y joignant une liberté de commerce illimitée et quelques sages précautions : par exemple, une accusation de sang ne pouvait être accueillie que sur la déposition de trois témoins juifs et de trois chrétiens. (Des accusations de ce genre se reproduisirent fréquemment en Pologne; celle de 1407 ruina la communauté de Cracovie). En 1343, Casimir le Grand, véritable fondateur de la monarchie polonaise, confirma solennellement le code de Boleslas : mesure conforme à sa politique générale et qu'on a attribuée sans raison à l'influence de sa maîtresse juive, la belle Esterka, qu'il ne connut que bien plus tard. Les Juifs furent placés sous la surveillance du comte palatin. Pendant les deux siècles suivants, le nombre des Juifs de la Pologne et de ses annexes s'accrut considérablement par une immigration constante d'Allemagne, de Bohème, etc. Malgré les efforts des synodes et de quelques rois pour donner force de loi aux dispositions du droit canon, la situation des Juifs, protégés par la noblesse, reste très favorable. Dans ce pays de serfs et de magnats, ils suppléent en quelque sorte à l'absence d'une classe bourgeoise. Ils exploitent les terres des seigneurs, gèrent leurs biens, sont préposes à la rentrée des impôts, possèdent même des terres. La distillerie de l'alcool, le grand commerce, plusieurs métiers sont entre leurs mains; ils ne sont assujettis à aucun costume particulier, beaucoup portent l'épée. L'autonomie juridique est complète : les tribunaux rabbiniques forment une hiérarchie couronnée par une cour suprême (synode des quatre pays) qui se réunit deux fois l'an. L'étude du Talmud, d'une nécessité journalière, n'a été pratiquée nulle part avec plus d'excès : tout le monde était ou voulait être un savant; on tenait de véritables marchés de talmudistes. Cracovie, Brzesc, Lublin avaient des « académies » juives et des imprimeries célèbres. Les Juifs de Pologne, dont la civilisation
et la moralité ne s'élevaient pas au-dessus du niveau de la population
environnante, avaient pour ennemis le clergé, les négociants allemands
et surtout les Cosaques
de rite grec, opprimés par les nobles polonais, dont ils étaient les
intendants en Ukraine et dans la Petite-Russie. Aussi lors de la révolte
triomphante de l'hetman Chmielnicki (1648-56),
les Juifs furent-ils enveloppés dans la ruine de leurs patrons catholigues
: plus de 200 000 Juifs furent atrocement torturés, massacrés ou vendus
comme esclaves chez les Turcs. Le judaïsme
disparut de l'Ukraine; ailleurs il souffrit cruellement des guerres prolongées
entre Russes, Suédois et Polonais. Au XVIIIe
siècle, le judaïsme polonais appauvri rejette vers l'Occident
des milliers de rabbins mendiants; des sectes mystiques
prennent naissance et troublent les communautés. L'histoire ultérieure
des Juifs de Pologne, partagés entre la Russie, la Prusse
et l'Autriche,
sort du cadre chronologique adopté ici; rappelons seulement que l'attachement
des Juifs à la cause polonaise s'est manifesté en 1795
et en 1830
: le colonel juif Berek
fut un des héros de Kocziusko.
Aux Pays-Bas et dans les Etats scandinaves Pour achever le tour du judaïsme européen, il ne nous reste qu'à mentionner les Juifs des Pays-Bas et leurs colonies. Au Moyen âge les Pays-Bas comptaient quelques communautés juives : celle de Bruxelles fut massacrée pendant la peste noire. Sous la domination espagnole, les Juifs furent exclus de ces contrées (1550) : ils ne reparurent en Belgique que sous le gouvernement autrichien (XVIIIe siècle); mais la Hollande, affranchie au XVIe siècle du joug espagnol et devenue l'asile de la liberté de conscience, offrit un refuge aux marranes espagnols et portugais fuyant devant les rigueurs de l'Inquisition : parvenus sur un sol libre, ils s'empressèrent de reprendre leurs anciennes observantes. En 1593, une communauté fut fondée à Amsterdam; elle progressa rapidement sous une législation tolérante qui se bornait à défendre aux Juifs les mariages mixtes et l'accès des emplois publics. En 1636 se forme une communauté allemande; bientôt les Juifs se répandent sur tout le territoire hollandais. Les Juifs de hollande s'adonnèrent au trafic d'outre-mer et contribuèrent au succès du commerce néerlandais, notamment par leurs relations avec les marranes des deux Indes. Des écoles, des synagogues magnifiques valurent à la communauté d'Amsterdam le nom de Nouvelle Jérusalem; les études talmudiques y furent peu cultivées, mais l'orthodoxie jalouse des rabbins multiplia les excommunications et fit deux victimes célèbres : Uriel da Costa, qui se tua en 1640, et l'illustre Spinoza, qui rompit avec la synagogue en 1636. Le judaïsme hollandais fut bientôt assez fort pour essaimer au dehors et fonder des colonies prospères à Hambourg (1612), à Londres (1664), en Danemark, au Surinam, au Brésil (notamment à Pernambouc / Recife). Cette dernière disparut cependant après la reconquête du Brésil par les Portugais. Quant aux Juifs danois, dont l'admission est due aux efforts d'un riche Juif de Hambourg, Texeira, ils ne purent obtenir l'accès des autres pays scandinaves; les Juifs ne s'établirent à Stockholm et dans trois autres villes de Suède qu'en 1776; la Norvège leur est restée interdite jusqu'au XXe siècle. Hors d'Europe Dans les pays musulmans L'histoire des Juifs dans les pays musulmans est monotone et imparfaitement connue. Mohammed, après s'être instruit à l'école des Juifs, et avoir été repoussé par eux, les combattit avec acharnement par la parole (sourate de la Vache) et l'épée. Il obligea la plupart de leurs tribus à se retirer en Syrie et en Mésopotamie. Omar acheva l'oeuvre d'expulsion par l'exil des Juifs de Khaïbar; il renouvela également l'interdiction du séjour de Jérusalem aux Israélites et éleva une mosquée sur l'emplacement du Temple. La situation légale des Juifs ou plutôt de tous les infidèles dans les Etats musulmans fut réglée par le fameux pacte d'Omar (Kanouni raya), avec les Juifs et les chrétiens, qui est resté théoriquement en vigueur dans tout l'islam et s'appliquait encore au XIXe siècle dans certains pays (Iran, Maroc). D'après ce document, les infidèles jouissent de la protection de la loi, dans leurs personnes, leurs biens et leurs croyances (le musulman qui maltraite un infidèle est puni d'une amende), mais ils doivent occuper une situation subordonnée, humiliée, et être rigoureusement séparés des musulmans. De là une série de dispositions dont plusieurs présentent une analogie frappante avec celles du droit romain ou canonique. Les Juifs ne doivent pas édifier de nouvelles synagogues, ni même réparer celles qui s'écroulent. Ils ne doivent pas accueillir les espions étrangers, mais les dénoncer aux autorités musulmanes. Ils ne doivent pas s'opposer aux conversions à l'islam. Ordre de se comporter toujours respectueusement envers les musulmans (principe général, qui entraîne les applications les plus variées). Les Juifs ne peuvent exercer aucune fonction administrative ni judiciaire, ni même porter témoignage contre les musulmans. Ils ne doivent pas graver leurs noms sur des sceaux, ni apprendre l'arabe littéraire, ni monter en public un cheval sellé, ni porter un sabre ou d'autres armes, ni se vêtir d'une large ceinture. Leurs vêtements, leurs chaussures doivent les distinguer des musulmans : dans certains pays on leur interdit les couleurs réservées à ceux-ci (blanc, rouge), dans d'autres on leur impose pour leurs habits ou leurs turbans une couleur speciale (jaune en Égypte, noir en Afrique, bleu au Yémen), ou un signe particulier : chiffon, breloque, grelot. La rouelle du concile de Latran est d'origine musulmane. Enfin les Juifs ne doivent pas enfreindre publiquement les principes de la religion musulmane (par exemple, ils ne doivent pas vendre du vin, ni laisser croître leurs cheveux), ni pratiquer leur culte en dehors des locaux consacrés : ainsi défense de porter leurs livres religieux hors de leurs maisons, de prier pour les morts ou de chanter leurs cantiques autrement qu'à mi-voix. Ajoutons que, en principe, Juifs et chrétiens sont exclus ou dispensés du service militaire à charge de payer un impôt représentatif (kharadj). Ces dispositions canoniques n'ont pas toujours été observées avec une égale rigueur. Les Juifs de l'Irak (Babylonie), nombreux et florissants à l'époque de la conquête mahométane, ont été protégés d'abord par le gouverneur Khalid, ensuite par les premiers califes abbassides, héritiers de la brillante civilisation perse. L'exilarchat reprit son ancienne autorité, les écoles refleurirent sous des chers respectés (gaonim). Les persécutions commencent avec le khalife Mottawakkel (850) et s'aggravent avec la décadence du califat : un gaon, Scherira, est emprisonné par le calife; avec son fils Haï (1038) disparaît le gaonat. L'exilarchat subsiste, mais amoindri, encore au temps de Benjamin de Tudèle (XIIe siècle). Les violences du calife Nasser (1225), les luttes des dynasties, les invasions mongoles(1238) achèvent la ruine du judaïsme babylonien, qui fournit encore un ministre des finances très influent, Saad oud Daoulet de Bagdad, au grand khan mongol Arghoun (1288). Le judaïsme palestinien, très éprouvé pendant les croisades, ne s'est un peu relevé qu'avec la domination ottomane. En Égypte, les Juifs ont joui longtemps d'une tolérance relative. Isaac Israéli fut médecin du fondateur de la dynastie des Fatimides (Xesiècle); plus tard les communautés juives ont à leur tête des «princes » ou nasi, dont l'un fut le célèbre Maïmonide. Dans les Etats barbaresques, malgré l'éclat temporaire des écoles de Kairouan et de Fès, la situation des Juifs a toujours été misérable, et ils y ont éprouvé (sous Edriz, sous les Almohades) de terribles persécutions. Le judaïsme, très diminué dans ces régions, y fut renforcé par l'effet des expulsions espagnoles et portugaises. Au XVIIesiècle, Muley Archey se montra favorable aux Israélites. Quant aux deys d'Alger, ils opprimèrent les Juifs, tout en les employant comme banquiers et diplomates. L'empire ottoman, dès sa constitution, a laissé aux Juifs une large autonomie, à la faveur de laquelle les communautés se sont rapidement développées. L'exil des Juifs d'Espagne - mesure raillée, dit-on, par Bajazet - accrut et enrichit le judaïsme ottoman; L'élément espagnol devint prépondérant dans les juiveries de Constantinople (Istanbul), d'Andrinople (Edirne), de Salonique; chacune de ces agglomérations se divisait en plusieurs communautés distinctes d'après leur origine et leur idiome. Au XVIe siècle, les Juifs de Turquie s'adonnent avec succès à l'industrie, au commerce; ils sont employés à la fabrication des monnaies; ils fournissent aux sultans des médecins, des agents diplomatiques et financiers, des favorites (Esther Kiéra sous Mourad III). Sous Sélim Il deux Juifs atteignirent une haute situation : le médecin Salomon Askenazi et le marrane Juan Miquez, qui, sous le nom de don Joseph Nasci, devint duc de Naxos et des îles voisines et protégea activement ses coreligionnaires; il mourut en 1579. Un dernier trait caractéristique de l'histoire des Juifs en pays musulman est l'apparition assez fréquente de faux messies; les plus célèbres sont David Alroï, en Iran, au XIIe siècle, et Sabbataï Zevi de Smyrne, au XVIIIe, qui, après avoir soulevé dans tout le Monde juif des espérances fantastiques et une agitation profonde, finit par se convertir à l'islam (1666). Autres pays : Inde, Chine, Amérique Nous serons encore plus bref sur l'histoire, très fragmentaire, du judaïsme dans les pays non musulmans d'Asie et d'Afrique, en Amérique et en Océanie. Les Juifs de l'Indeparaissent être venus, pour la plupart, à l'époque de la grande expansion arabe : on les mentionne à Ceylan (Sri Lanka) dès le IXe, siècle, et c'est à la même époque que les Beni-Israël de Bombay font remonter leur ancêtre, David Rebabia, de Bagdad. Il n'est pas impossible, toutefois, que quelques Juifs soient déjà arrivés de Perse à la fin du Ve siècle. Dans le Malabar et à Cochin, on distingue rigoureusement les Juifs noirs, probablement d'origine indigène, et les juifs blancs, d'origine occidentale, renforcés, à partir de 1511, par l'arrivée des marranes portugais. L'existence des Juifs de Chine n'est signalée qu'au début du XVIIe siècle ils sont concentrés à Kaïfoung, capitale du Honan. La légende qui les fait arriver dès le Ier siècle de l'ère chrétienne, sous l'empereur Ming-ti (dynastie des Han orientaux), ne mérite aucune créance; leur établissement date probablement de l'époque mongole. Les Chinois les confondent avec les Musulmans. Entre eux ils appellent leur religion Tiao-kin-kiao (extirpation des nerfs), et leur synagogue Li-pai-sé (lieu des cérémonies). Ils possèdent d'anciens exemplaires de quelques livres bibliques, mais ne savent pas l'hébreu. L'origine des Juifs d'Ethiopie (Falashas) est obscure; on les fait venir ordinairement du Yémen. Pendant longtemps, ils ont joui dans les parties montagneuses du pays d'une demi-indépendance. En Amérique, les Juifs sont venus à la suite ou en compagnie des conquérants et des colons européens. On en a signalé quelques-uns dans les équipages de Christophe Colomb : quelques rêveurs s'imaginaient retrouver dans les indigènes d'Amérique les descendants des Dix-Tribus! Au XVIe siècle, d'assez nombreux marranes portugais furent déportés au Brésil. Au XVIIe siècle, sous la domination hollandaise (1624-54), ils jetèrent le masque et se grossirent de nouveaux immigrants. Quand le Brésil fut retombé au pouvoir des Portugais, les uns reprirent un catholicisme apparent, d'autres émigrèrent à Cayenne et dans les Antilles françaises; expulsés de là , ils s'établissent à Curaçao, dans la Guyane hollandaise (Surinam), où Paramaribo accueillit une communauté importante, à la Jamaïque (1650). Enfin, dans l'Amérique du Nord, à la Nouvelle Amsterdam (New York) et à Newport, d'où ils essaimèrent dans les autres Etats de la Nouvelle-Angleterre (États-Unis). Au XVIIIe siècle, ils pénétrèrent en Pennsylvanie (Philadelphie) et en Georgie (Savannah); ils prirent une part honorable à la guerre de l'Indépendance comme soldats et comme banquiers (Aaron Lopez, Haym Salomon). Au XIXe siècle, les immigrants allemands et polonais submergent aux États-Unis l'élément espagnol. L'Australie a été ouverte aux Juifs par la colonisation anglaise. Dans quelques archipels océaniens; leur présence est plus ancienne et remonte à l'époque portugaise et hollandaise : déjà Jean II de Portugal déporta des Juifs dans les îles Mariannes. (Th. Reinach). |
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