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Le Judaïsme

La religion juive ou judaïsme, pareille en cela à la plupart des religions très anciennes, consiste bien plutôt en un ensemble de pratiques qu'en un système de dogmes bien définis. Sa grande originalité, son titre principal devant l'histoire, consiste d'une part, à avoir incorporé les lois morales au code des pratiques cérémonielles sanctifiées et imposées par la religion, puis d'avoir élaboré le monothéisme. En revanche, il n'y a jamais eu de credo juif. Les treize articles de foi, rédigés par Maïmonide et adoptés par la plupart des synagogues, n'ont pas de caractère officiel; un philosophe, Crescas, les a réduits à huit; un autre, Allbo, à trois (existence de Dieu, révélation divine, peines et récompenses de la vie future); un penseur du XIXe siècle, James Darmesteter, n'en admettait que deux : unité divine et messianisme, qui s'appellent dans la langue moderne unité de forces et croyance au progrès.

Au fond, le dogme de l'unité divine est seul irréductible; la doctrine de l'immortalité de l'âmeet des peines et récompenses de l'autre vie est entièrement post-biblique, la croyance au Messie a valu aux Juifs tant de déceptions et d'avanies, tantôt pour l'avoir cru arrivé, tantôt au contraire pour avoir refusé de le reconnaître, qu'ils ont fini par la reléguer au second plan ou lui substituer une conception philosophique plus large.

Le Décalogue résume la morale juive. Les pratiques cérémonielles ont les unes leur fondement direct dans la Bible, d'autres sont d'introduction plus récente ou sont nées d'une exégèse subtile des préceptes bibliques : telle est la pratique des tefillin ou phylactères portatifs, de la mezouza appliquée aux portes des maisons, etc. Beaucoup de pratiques bibliques semblent d'origine païenne ou sont de simples conseils d'hygiène, d'une valeur toute relative, convertis arbitrairement en préceptes religieux : telles sont la plupart des lois alimentaires et des lois de pureté. Ces dernières, liées au culte du Temple, sont presque toutes tombées en désuétude; les premières sont encore observées par un grand nombre de Juifs et entraînent une organisation spéciale de l'abattage et du commerce de la boucherie (viande Kasher). La plus importante des pratiques est la circoncision : c'est une erreur cependant de croire que son omission retranche un Juif de la communauté.
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Paris : Synagogue de la rue de la Victoire (Tables de la loi).
Les Tables de la loi, sur le faîte de la synagogue de la rue de la Victoire, à Paris.
© Photo : Serge Jodra, 2011.

Le rituel des prières est abondant. Le Juif pieux prie trois fois par jour. La prière principale est le Schema, composé de trois fragments du Pentateuque. Le Schemoné Ezréh (18 bénédictions) est récité également tous les jours. Certaines prières sont particulières à certaines fêtes ou aux néoménies; d'autres se récitent avant et après les repas, aux enterrements, en souvenir des morts (Kaddisch), etc. Pratiques et prières individuelles constituent le culte privé. Le culte public, longtemps moins important, consiste essentiellement dans la prière en commun et dans l'observation des fêtes. Les synagogues sont les locaux où l'on se réunit pour prier ensemble; il faut dix personnes mâles pour que la prière ait le caractère d'un office public. Outre les prières proprement dites, cet office comprend des cantiques, des psaumes dont le choix diffère d'un rite à l'autre. Dans les synagogues, les deux sexes sont rigoureusement séparés et les hommes ont la tête couverte; les dévots revêtent le taled (manteau).

La principale fête est le Sabbat, qui revient tous les samedis; elle est surtout caractérisée par l'abstention complète de tout travail et un service divin plus solennel à la synagogue : à cette réunion, on lit publiquement, d'après le «rouleau sacré», une des cinquante divisions hebdomadaires (paraschôt) établies dans le Pentateuque, - cette lecture est faite par sept fidèles appelés à tour de rôle; - on termine par un chapitre correspondant des prophètes (aftara). Le Sabbat, comme les autres fêtes, commence et finit le soir, au coucher du Soleil, ou plutôt «à l'heure de la nuit close» (Les Jours et les nuits).

Les autres fêtes d'origine biblique, dont plusieurs ont été adoptées par l'Église chrétienne, sont : 

1° Pâque (Pesakh, ou Pessah), qui dure huit jours et commence le 15 Nisan (septième mois) : La Pâque est l'ancienne fête du printemps, rattachée au souvenir de la sortie d'Égypte; pendant toute sa durée, on mange du pain sans levain;

2° Pentecôte (Schebouoth, c.-à-d. Semaines), cinquante jours après Pâques, la Pentecôte est l'ancienne fête des prémices;

3° Nouvel an (Rosch-ha-Schana), le premier Tisri, annoncé par le son du cor (schofar);

4° Jour des Expiations (Yom Kippour), dix jours après le nouvel an, consacré au jeûne, à l'inaction et aux pénitences;

5° Fête des Cabanes ou tabernacles (Soukkoth), cinq jours après Kippour; elle dure sept jours; c'est l'ancienne fête de la récolte des fruits et des vendanges : de là, l'usage des tentes dressées en plein air, l'offrande du cédrat et du loulab (palme).

Des fêtes plus récentes sont Pourim (14 Adar) et Hanoukka (25 Kislev). Il y a encore cinq jours de jeûne peu rigoureux qui commémorent divers événements désastreux de l'histoire israélite. 
Pourim. - Fête commémorative d'une délivrance merveilleuse, à laquelle sont mêlés les personnages d'un certain Mardochée et de la reine Esther, épouse d'Assuérus. Ce nom, d'origine persane, signifierait les sorts, parce que les en Remis des Juifs avaient déterminé par le sort le jour fixé pour l'extermination des descendants de Jacob domiciliés dans l'étendue de l'empire d'Assuérus. On a conjecturé que cette fête avait pu être instituée à l'imitation de quelque peuple étranger et, plus tard, ramenée par les théologiens juifs à une origine, qui ne fût pas de nature à provoquer des scrupules. 
Hanoukka - Fête de la Dédicace ou de l'Inauguration, appelée encore par l'historien Josèphe fête des Lumières, se célèbre, chez les Juifs, le 25 du mois de Kislev (décembre). Elle a été instituée en souvenir des victoires remportées sur Antiochus Epiphane par Juda Macchabée, et surtout de la restauration du culte dans le temple de Jérusalem et spécialement de la reconstruction de l'autel. Elle dure huit jours et consiste en des illuminations faites à la synagogue et dans les maisons. D'après le Talmud, qui ne savait plus rien, pour ainsi dire, des événements, ces illuminations se rattacheraient à un épisode fabuleux : lors de la restauration du culte, les prêtres cherchèrent dans le temple de l'huile sainte non souillée par les païens. Ils finirent par trouver une fiole portant intact le cachet du grand prêtre. Cette huile, à peine suffisante pour l'éclairage d'un seul jour, brûla miraculeusement pendant huit jours. On a voulu mettre en relation cette fête avec celle du solstice d'hiver (Grünbaum, Zeitschrift d. deutsch. morgenl. Gesellschaft, 1877, XXXI). Rappelons, pour mémoire, que d'après Paulus Cassel, les lumières de l'arbre de Noël seraient une imitation de l'usage juif. Les textes qui relatent les premiers cette fête sont : I Macchabées, IV, 52; II Macch., X, 5; Josèphe, Antiquités, XII, VII, 7; Meguillat Taanit, ch. x, 23; Talmud, Sabbat, 21 b.
Les ministres du culte ne sont plus, comme autrefois, les prêtres et les lévites, mais les rabbins ou docteurs, assistés par les officiants (chantres ou hazan, opérateurs, etc.). Le mode de recrutement des rabbins varie suivant les pays. En France (en 1900), ils sortent du séminaire de Paris (jadis à Metz) et sont nommés par le gouvernement sur la proposition du Consistoire central. Le territoire français est divisé en 12 circonscriptions dirigées chacune par un consistoire qui se compose d'un «grand rabbin», de 2 rabbins et de 3 membres laïcs élus au suffrage universel des fidèles. A la tête de la hiérarchie est le grand rabbin de France. Les rabbins sont salariés par l'État; les autres institutions religieuses (écoles, oeuvres de charité et de patronage, etc.) sont entretenues par des souscriptions privées; dans certains pays, la taxe des funérailles et la taxe de la boucherie fournissent d'importantes ressources. En Prusse (toujours à la même époque), les Juifs sont légalement contraints de contribuer aux dépenses des communautés. En dehors des fêtes et des alliées, les rabbins assistent encore aux mariages, aux obsèques et y prononcent des bénédictions ou des prières. Ils s'abstiennent de bénir les mariages mixtes, mais ceux-ci n'entraînent aucune déchéance, aucun anathème; l'excommunication (herem) n'est d'ailleurs plus guère usitée qu'en Palestine.
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Juifs, Israélites, Hébreux...

On appelle proprement Juifs les personnes qui professent la religion juive, judaïque ou mosaïque. A l'origine, ce terme (hébreu Yehoudim, arabe Yahoûd, grec Ioudaoi, latin Judaei, ancien français Juis; italien Giudei, espagnol Judios, allemand Juden, hollandais Joden, anglais Jews, turc Tchifout, etc.) désignait uniquement les membres de la tribu de Juda, l'une des principales tribus israélites ou hébraïques, qui donna son nom à l'un des deux royaumes nés du démembrement de l'empire de David et de Salomon (vers 975 av. JC).

Les « Judéens », déportés par Nabuchodonosor sur les bords de l'Euphrate (588 av. J.-C.), profitèrent partiellement de la permission que leur donna Cyrus de rentrer dans leur ancien pays (536) qui prit bientôt le nom de Judée. Pendant la durée du second Temple, la communauté, puis l'État groupé autour de Jérusalem s'intitula officiellement « association des Juifs » (Kheber ha-Yehoudim); par extension on appela aussi Juifs les peuples voisins convertis de gré ou de force à la religion mosaïque et les nombreux prosélytes, de peuples divers, que le judaïsme fit dans tout le bassin de la méditerranée.

Après la chute définitive de Jérusalem (70 et 135 ap. JC.), le sens politique du mot Juifs disparut, le mot n'eut plus qu'un double sens ethnique et religieux qu'atteste au IIIe siècle Dion Cassius (Hist. rom., XXXVII, 17). En effet, les idées de nationalité et de religion étaient si étroitement unies dans les habitudes d'esprit des Anciens, que les Juifs même dispersés, même mêlés de nombreux éléments étrangers, continuèrent à se considérer comme une nation et à être traités comme telle. Cette conception et cette désignation ont prévalu pendant tout le Moyen âge et pendant une partie des temps modernes; elle a subsisté plus durablement dans les pays musulmans; mais dans les pays où les lois discriminatoires dont ont été victimes pendant des siècles les Juifs ont disparu (ce que l'on a appelé au XIXe siècle l'émancipation des Juifs), le nom de Juifs ne désigne plus qu'une confession religieuse, fortifiée par une communauté d'origine réelle ou fictive.

La flambée de l'antisémitisme apparue vers 1880, et dont le paroxysme aura été l'assassinat méthodique perpétré à partir de 1941 par les Nazis de 5 à 6 millions de Juifs, avait conduit ceux-ci à s'intituler volontiers Israélites, un terme qui renvoit au concept de "nation d'Israël", forgé dès le XIIIe s. av. J.-C.), et qui n'avait pas la signification fâcheuse attachée par les préjugés au nom de Juifs : en France, le nom « Israélite » s'est même imposé dans le langage officiel. Ailleurs (Roumanie, Russie, Grèce, Italie), on se sert concurremment avec le nom Juifs du terme Hébreux qui a le défaut d'éveiller une idée purement ethnique et linguistique, car il n'y a pas de « religion hébraïque ». Le terme correspond au nom d'un peuple initialement nomade, les Hébreux, qui vivaient à la périphérie de l'empire babylonien au deuxième millénaire avant notre ère (avant de s'installer en Palestine vers le XVIIIe s. av. J. C), qui parlait une langue sémitique, l'hébreu, proche de celles de Babylone (l'akkadien) ou d'autres populations comme celle des Phéniciens.

Au Moyen âge, le culte juif avait surtout un caractère domestique, qui ne manquait pas d'une certaine poésie touchante; aujourd'hui que l'observance des pratiques a perdu beaucoup de terrain, le judaïsme a éprouvé le besoin de rehausser l'éclat et l'intérêt de son culte public. De là l'introduction de l'orgue dans les synagogues, le développement de la prédication rabbinique, la cérémonie de la confirmation ou initiation religieuse, etc. Certaines communautés dites réformées (à Berlin, Francfort, New York, etc.) ont opéré des changements bien plus radicaux : les sexes prient réunis, les hommes ont la tête découverte; la lecture de la Bible, les principales prières se font dans la langue du pays; parfois même le service du Sabbat est transféré au dimanche : ce Judaïsme réformé diffère peu du protestantisme libéral. A l'opposé des réformés sont les «orthodoxes» qui rejettent toutes les innovations dans le culte et s'en tiennent strictement aux vieilles traditions. La lutte a surtout été vive en Allemagne, où les opinions radicales étaient représentées par Geiger et HoIdheim, le conservatisme à outrance par S.-R. Hirsch et Hildesheimer, le «juste milieu» par Jacobsen, Frankel et Sachs. L'absence de toute autorité centrale dans le judaïsme n'a pas permis de réaliser l'uniformité dans le culte. Les synodes rabbiniques n'ont abouti à aucun résultat.

Outre les synagogues réformées, qui sont encore en petit nombre, le judaïsme n'a guère produit qu'une hérésie importante : le Karaïsme, né en Babylonie au VIIIe, siècle, et qui rejette l'autorité du Talmud. Cette secte, sorte de protestantisme juif, autrefois fort répandue, et qui a produit une vaste littérature, ne compte plus que 5 ou 6 000 adhérents, presque tous en Crimée, en Galicie (Haliez) et en Lituanie : ils ne se marient qu'entre eux. Les anciennes hérésies des Sabbatiens, Crypto-Sabbatiens, Zoharistes n'existent plus; quant aux hassidim ou dévots, assez répandus en Russie, ce sont des Juifs rabbanites qui se distinguent par l'exaltation de leur piété, leur mysticisme et la joie bruyante qu'ils apportent dans les cérémonies religieuses. Cette secte, qu'on peut comparer assez exactement à l'Armée du Salut, a pris naissance à la fin du siècle dernier avec Israël Baal Schem et Dob Beer; ses rebben exercent encore une grande influence. Les Samaritains de Naplouse (Palestine), réduits à quelques centaines, descendent d'un mélange d'Hébreux et de colons assyriens établis sur le territoire de Samarie. Le Pentateuque samaritain, seule autorité religieuse qu'ils reconnaissent, diffère par endroits du texte reçu. Le Judaïsme des Falachas d'Abyssinie, des Beni Israël de l'Inde, des Juifs de Chine, est vague et rudimentaire plutôt que sectaire.

Il ne faut pas confondre les rites avec les sectes. Dans les cadres mêmes du,Judaïsme rabbinique, il y a des variantes dans l'interprétation de certaines pratiques, dans les détails de l'office divin, etc. : ces variantes constituent les rites. Les deux principaux sont le rite allemand ou askenazi (Allemagne, Autriche, Russie, France du Nord) et le rite portugais ou sefardi dont les rites italien et levantin sont des variantes. On cite encore les rites comtadin, romain, grec, oranais. Les rites diffèrent aussi par le rituel des prières et la manière de prononcer l'hébreu. (M. Vernes, c. 1900).

Histoire littéraire et religieuse
Le judaïsme n'a pas connu de véritable Moyen âge dans le sens de stagnation intellectuelle qu'on attache d'ordinaire à ce mot. Il en a été préservé grâce au caractère particulier qu'avait pris sa religion à la suite du retour de Babylone et plus encore après la ruine du Temple de Jérusalem. L'observation et par conséquent l'étude de la loi divine faisaient le fond de cette religion; le Credo, le culte public ne venaient qu'en seconde ligne, et dès l'époque asmonéenne les docteurs de la loi, les savants étaient plus considérés que les prêtres. Avec la chute du Temple disparut le seul endroit où légalement le culte divin pouvait être pratiqué: le sentiment religieux se rejeta avec d'autant plus d'ardeur vers la Loi, devenu le vrai sanctuaire du judaïsme déraciné, le palladium de la nationalité errante, l'unique héritage d'un cher et glorieux passé. La récitation, l'étude de la Loi tinrent lieu de cérémonies religieuses : de là le nom d'école (Schule) donné en Allemagne et en France aux lieux de prière. On s'efforça de préciser, de développer la Loi non seulement dans ses dispositions restées d'un usage pratique, comme le droit civil et pénal, les fêtes, les observances privées, mais encore dans celles qui, liées au culte du Temple, n'avaient plus qu'un intérêt rétrospectif. Cette occupation, poursuivie avec ardeur pendant plusieurs siècles, parlait à la fois à la raison et au sentiment; on peut dire qu'entre les docteurs ou rabbins et la masse des fidèles, il n'y a jamais eu qu'une question de degré : tout Juif instruit étant plus ou moins rabbin. L'étude approfondie de la Torah et de la "loi orale", bientôt codifiée à son tour, conduisit aux recherches de grammaire, de philosophie religieuse, d'histoire, de sciences exactes et naturelles; la poésie et l'homilétique naquirent au service du culte transformé; ainsi fut reconstitué par et pour la religion tout le cycle des genres littéraires.

Naturellement toutes ces branches de la littérature n'ont pas été cultivées partout ni toujours avec la même ardeur et le même succès; le centre actif de la littérature des Juifs s'est plusieurs fois déplacé, comme le foyer de leur civilisation; on peut dire, en gros, que là où les Juifs ont été le plus libres et le plus heureux, leur littérature a eu le plus d'éclat et de variété. Presque partout les persécutions ont entraîné la décadence des écoles, la migration des rabbins célèbres, l'affaiblissement rapide de la production scientifique. Jusqu'au Xe siècle, le siège des études est encore en Orient : d'abord en Palestine, puis, à partir du IIIe siècle, en Babylonie. Là s'élaborent la Mischna, les deux Talmuds, les commentaires et les consultations des gaonim. Puis la civilisation et la science juives émigrent vers l'Occident: en Égypte (école du Caire), dans l'Afrique du Nord (école de Kairouan), en Espagne (écoles de Cordoue, Lucena, Tolède, Barcelone), en Italie, dans le midi de la France (Narbonne, Lunel, Posquières, Montpellier, etc.).

De là le goût des études rabbiniques se propage dans la France du Nord et dans les pays rhénans : les écoles de Mayence et de Champagne (Troyes, Ramerupt) jettent un vif éclat au XIe et au XIIe siècle : le nom de Raschi (R. Salomon ben Isaac, de Troyes, 1040-1105), est justement célèbre. Dans ces régions, la littérature rabbinique est purement juridique et exégétique; en Espagne, au contraire, et dans le Languedoc, à l'étude de la Bible et du droit canonique juif se joignent celles de la grammaire, de la poésie, de la philosophie religieuse; la littérature juive est ici étroitement associée à la littérature arabe, dont elle imite tous les genres, s'approprie tous les progrès. Au reste, la littérature rabbinique a toujours eu un caractère international : les oeuvres écrites en arabe ne tardent pas à être traduites en hébreu, et plusieurs rabbins illustres mènent une existence nomade, leur vie se partage entre divers pays, diverses parties du monde; l'hospitalité des mécènes a joué un grand rôle dans la production littéraire des Juifs. Maïmonide (R. Moïse ben Maimon, 1135 -1204), né à Cordoue, mort en Égypte, est le plus grand nom du judaïsme médiéval, qu'il domine par son génie d'organisation scientifique, son rationalisme à la fois hardi et sensé. La décadence commence dans la France du Nord avec la condamnation du Talmud (1240) et l'expulsion de 1306, dans la France du Midi avec l'expulsion de 1394, en Espagne avec les persécutions de 1391 et 1412. A la fin du XVe siècle, les rabbins espagnols émigrent en Italie, en Crète, en Turquie, en Palestine (école de Safed), ou s'élaborent des oeuvres importantes. En Allemagne, la littérature juive, comme le judaïsme lui-même, a toujours en quelque chose de sombre et d'étriqué. La Pologne et les pays voisins deviennent, à partir de la fin du XVIe siècle, le foyer de la population juive et des études juridiques qui y sont cultivées avec plus d'ardeur et de subtilité que de bon sens jusqu'à nos jours.

Genres et auteurs.
- Une histoire détaillée de la littérature rabbinique dépasserait le cadre de ce travail; des articles spéciaux sont ou seront d'ailleurs consacrés dans ce site à ses principales branches (Talmud, Midrasch, Cabale) et à ses représentants les plus autorisés. Nous nous bornerons donc à énumérer et à caractériser rapidement les différents genres entre lesquels se divise cette littérature, en citant sous chaque rubrique les noms et les ouvrages vraiment typiques.

1° Halakha (droit canon juif).  Si considérable que fût le corps de lois civiles et religieuses contenues dans le Pentateuque (on y comptait 613 prescriptions), il n'était ni assez clair, ni assez complet pour satisfaire à tous les besoins pratiques et à toutes les curiosités. La «loi orale», commentaire et complément de la loi écrite, se greffa donc sur celle-ci, le plus souvent pour la préciser, quelquefois pour en atténuer la rigueur par une interprétation subtile, plus souvent pour l'aggraver et élever une nouvelle haie de préceptes et d'observances autour de la foi juive. Ce travail, tout à fait analogue à celui des jurisconsultes et préteurs romains, occupait déjà les soferim de l'époque du second Temple; après la ruine du Temple, il fut poursuivi avec encore plus d'ardeur par les docteurs de Palestine, et notamment de Galilée, les tannaïm (Yohanan ben Zaccaï, Gamaliel, Akiba, Siméon ben Yokhai, Meïr). Leurs travaux furent coordonnés et rédigés sous forme d'un code très concis à la fin du IIe siècle par R. Juda le Saint : ce fut la Mischna ou «Répétition», «deuxième loi», divisée en six ordres ou sedarirn. La Tosefta est un recueil du même, genre, qui est comme le complément de la Mischna. A son tour, la Mischna, revêtue d'un caractère sacré, devint la base des études et des discussions juridiques dans les écoles de Palestine (Tibériade, etc.) et dans celles de Babylonie (Sora, Poumbadita, Nahardea); celles-ci furent fondées vers 220 par des docteurs originaires de Palestine, Rab (Abba Arekha) et Samuel. Les docteurs de cette nouvelle période (les plus célèbres sont Rabba et ses élèves Abaï et Râba) portent le nom d'amoraïm; leur oeuvre collective - ou plutôt le recueil des procès-verbaux de leurs discussions est la Guemara dont il existe deux rédactions : l'une, celle de Jérusalem, arrêtée par R. Yohanan à la fin du IIIe siècle; l'autre, celle de Babylone, due à Aschi et Rahina à la fin du VIe. La Guemara (complément ou tradition?) suit pas à pas les paragraphes de la Mischna; réunis, texte et commentaire forment le Talmud

Le Talmud de Babylone est le plus considérable des deux et celui qui a eu la fortune la plus brillante; il est devenu le véritable code ou plutôt le Digeste du judaïsme médiéval, le répertoire du droit canonique juif. Après les obscurs et insignifiants sebouraïm (VIe-VIIIe siècle), les chefs des académies babyloniennes au IXe et au Xe siècle ou gaonim (Saadia, Scherira, Haï) répandent la connaissance du Talmud par leurs consultations, recherchées jusque dans les communautés les plus éloignées. Le livre lui-même arrive, on ne sait trop par quelles voies, en Occident, où il est étudié avec passion. A Rome, R. Nathan en dresse un lexique, l'Aruch, resté classique (XIe siècle). En France, après Gerschom de Mayence (mort en 1028), Raschi compose sur le Talmud un commentaire d'une science étonnante, devenu inséparable du texte. D'autres docteurs s'efforcent de grouper sous une forme commode et systématique les innombrables décisions, souvent contradictoires, éparses dans la mer du Talmud; de ce besoin sont nés des codes talmudiques, dont quatre seulement ont survécu : les Halakhot d'Isaac de Fès (AIfassi) au XIe siècle, la Mischné Tara de Maïmonide au XIIe, les Tourim de Jacob ben Ascher, rabbin allemand du XIVe siècle, enfin le Schulkhan Aruch de Joseph Caro, rabbin espagnol fixé à Safed (1567); ce dernier code, très chargé, qui a fini par supplanter tous les autres, est devenu à son tour l'objet d'innombrables commentaires; il a servi de texte à la subtile casuistique des rabbins de Bohème et de Pologne (Jacob Polak, Moïse Isserles, Salomon Louria), créateurs de la méthode du Pilpoul (= grains de poivre). A côté de ces travaux d'ensemble sur le Talmud, le judaïsme rabbinique a encore produit des commentaires spéciaux de la Mischna (Maimonide, Obadia di Bertinoro) et de nombreux recueils de consultations légales (les gaonim, les rabbins français, Nachmanide et Salomon ben Adret au XIIIe siècle, nombreux rabbins allemands et polonais).

2° Haggada ou Agada. La halakha ne représente qu'une face du Talmud; l'autre est la haggada, terme intraduisible sous lequel on comprend toutes les digressions philosophiques, scientifiques, historiques, anecdotiques et surtout légendaires dont les discussions légales ont fourni l'occasion ou le prétexte; c'est, en somme, une littérature édifiante. Dans le Talmud, halakha et haggada, casuistique et homilétique, sont mêlées de la façon la plus intime : la controverse soulevée par un cas juridique particulier conduit aux développements les plus inattendus sur les sujets de morale, de légende, d'astronomie, de médecine, de botanique; c'est la pensée juive du IIe au VIe siècle elle-même, fixée toute vivante dans son mélange pittoresque de science et d'ignorance, de bon sens et de superstition, de sagacité pratique et de subtilité vaine, d'exquise morale et de fanatisme étroit. Les mêmes caractères se retrouvent dans d'autres ouvrages haggadiques portant la nom générique de Midraschim, qui forment toute une bibliothèque dont les dernières productions touchent à l'époque contemporaine; le trop célèbre Toledoth Yeschou (Vie légendaire de Jésus) n'est qu'un Midrasch existant en plusieurs rédactions. On peut encore rattacher à ce genre les ouvrages de morale populaire dont les plus célèbres sont le Livre des pieux (Sefer Hassidim) et le Grand Livre des préceptes (Sefer miçwot gadol) de Moïse de Coucy (XIIIe siècle).

3° Exégèse biblique. Au Moyen âge, la Bible est éclipsée chez les Juifs par le Talmud, mais elle n'est pas pour cela négligée. Un minutieux travail de statistique verbale (la Massora), terminé vers le IXe siècle, préserve le texte sacré de toute altération nouvelle. La série des glossateurs s'ouvre par de très anciens commentaires sur les parties législatives du Pentateuque (Mekhilta sur l'Exode, Sifra sur le Lévitique, Sifré sur le Deutéronome), ouvrages anonymes, d'un caractère midraschique. Le gaon Saadia, natif de Fayoun (892-942), traduit la Bible en arabe et accompagne sa traduction d'un commentaire très hardi pour l'époque, qui fait quelque usage de l'allégorie. Les gloses de Raschi et de ses disciples les tossafistes (Joseph Kara, Samuel ben Meïr, etc.) sur le Pentateuque sont restées à juste titre populaires; par Nicolas de Lyra, elles ont exercé leur influence jusque sur l'exégèse de Luther. L'école espagnole eut au XIe siècle des exégètes remarquables, parfois d'une hardiesse singulière, comme Ibn Yaschousch (Yitshaki), de Tolède (982-1057), Aboul-Walid et Moïse ibn Gikatilla, de Cordoue. Citons encore les commentaires sur diverses parties de la Bible par Abraham ibn Ezra, rabbin nomade et cerveau encyclopédique (1089-1167), Nachmanide (Moïse ben Nahman de Girone) (1195-1270), l'Italien Menahem Recanate et Isaac Abravanel (mort en 1506). Tous ces commentaires, plus savants que critiques, se meuvent encore dans les méthodes traditionnelles; un rabbin de Mantoue, Azaria de' Rossi (1514-1577), peut être considéré comme le véritable fondateur de la critique historique parmi les Juifs.

4° Controverse, apologétique, etc. Pendant tout le Moyen âge, le judaïsme a entretenu une polémique active, souvent très libre, avec le christianisme et le mahométisme. Cette polémique prenait la forme tantôt de colloques oraux, parfois réunis par écrit (les Nizzachon, le livre de Joseph le Zélateur), tantôt de pamphlets ou de réponses, parmi lesquels on peut signaler ceux de Jacob ben Ruben (1170) et de Simon Duran (XIVe s.). D'autres auteurs ont donné à des ouvrages apologétiques la forme du dialogue (tel le Cozari du Castillan Juda Halévi, 1086-1146) ou d'un exposé des principes généraux de la religion juive : tels l'Or Adonaï d'un penseur génial, Hasdaï Créscas (environ 1340-1410), et les Ikkarim (Principes) de Joseph Albo (1380-1444). Le traité plus ancien de Bakhya ibn Pakuda (vers 1050), intitulé Devoirs du coeur, est surtout un exposé transcendant de la morale juive, avec une forte tendance ascétique. Le genre apologétique a encore trouvé des représentants éloquents en Hollande (Orobie de Castro, Manassé ben Israël). On peut rattacher à cette branche presque toute la littérature des Juifs karaïtes qui, en rejetant le Talmud, ont dit préciser les pratiques, le rituel, les croyances de leur secte, tant contre les rabbanites que contre les chrétiens. Leurs principaux écrivains, Benjamin de Néhavend, Josué Aboul-Faradj (Xe s.), Aron ben Josef (XIIIe s.), Aron de Nicomédie (XIVe s.), Isaac Troki (XVIe s.) ont été appréciés ailleurs (Caraïtes).

5° Philosophie religieuse. La philosophie juive au Moyen âge, comme la philosophie arabe dont elle est née et la scolastique chrétienne qu'elle a influencée, se propose surtout de concilier la vérité philosophique, c.-à-d. Aristote, avec la vérité révélée : par là, elle se rattache à l'exégèse biblique et doit forcément faire un large usage des explications allégoriques et rationalistes. Saadia peut être considéré comme le père de la scolastique,juive par son livre Emounôt we deôt (Croyances et opinions). Celui de Salomon ibn Gabirol de Malaga, plus connu sous le nom d'Avicébron (1021-70), Fons Vitae, a, de bonne heure, été traduit en latin; c'est une des sources de la scolastique chrétienne. Au XIIe siècle, Abraham ibn Daoud, de Cordoue (mort en 1180), présente dans sa Foi supérieure un classement rationnel des devoirs religieux; Maimonide, dans son fameux Moré Neboukhim (Guidé des Egarés), se montre disciple original d'Aristote et des Arabes, rationaliste et allégoristé ingénieux, ennemi des fausses sciences du Moyen âge (magie, astrologie, etc.). Ce chef-d'oeuvre, écrit en arabe, mais bientôt traduit en hébreu, devint le point dedépart de toute une littérature rationaliste dont les représentants les plus hardis, en Provence, retrouvaient tout Aristote dans la Bible et inclinaient à en exclure le surnaturel (Lévi de Villéfranche). Ces tendances dangereuses jetèrent l'alarme parmi les orthodoxes et provoquèrent une réaction contre les études philosophiques; dès 1232, Salomon de Montpellier excommunie les auteurs du Moré et dénonce le livre à l'Inquisition; en 1305, le synode rabbinique de Barcelone, présidé par Salomon bén Adret, à la requête d'Abba Mari de Lunél, prononce l'excommunication (herem) contre l'étude prématurée des ouvrages scientifiques et contre les commentaires philosophiques de l'Écriture. Le goût des études philosophiques n'en persista pas moins parmi les rabbins de Provence, groupés autour de la famille des Ibn Tibbon; au XIVe siècle, Moïse de Narbonne, Joseph Caspi commentent le Moré, Lévi ben Gérson de Bagnoles (Gérsonide) écrit un traité de métaphysique sous le titre Milkhamot Adonaï (Combats du Seigneur). Plus tard, les études philosophiques se transplantent en Crète et en Italie, où le judaïsme subit l'influence des idées platoniciennes remises en honneur à la Renaissance; Élie del Medigo, l'un des maîtres de Pic de la Mirandole, compose l'Examen de la loi; Léon l'Hébreu, fils d'Abravanél, les Dialogues d'amour, traduits aussitôt en français.

6° Cabale. La Cabbala (= tradition) est en quelque sorte l'antithèse de la philosophie rationaliste : autant celle-ci tend à diminuer la part du surnaturel, antithèse celle-là tend à l'exagérer, à en scruter les profondeurs et à l'introduire partout, même dans la pratique journalière. Les origines lointaines de cette théosophie mystique se relient en philosophie aux spéculations de l'école d'Alexandrie; dans la Bible elle a pour points d'attache le tableau de la création - et la vision d'Ezéchiel (Merkaba). Le livre de la création (Sefer Yezira) existait déjà au temps de Saadia; on connut aussi de bonne heure la Cabbale notarique, fondée sur la manipulation des caractères hébraïques et l'équivalence de mots ayant la même valeur numérique (gematria). La nouvelle Cabbale prend naissance au XIIIe siècle dans le midi de la France (autour d'Abraham de Posquières) par réaction contre les tendances ultra-rationalistes; de là elle gagne l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, etc. Son bréviaire est le Zohar, ouvrage faussement attribué à un ancien tana (Siméon ben Yokhaï), et qui fut lancé dans le public rabbinique par le charlatan Moïse de Léon. Le goût de la Cabale se répand non seulement parmi les plus doctes rabbins, mais parmi les savants chrétiens eux-mêmes (Pic de la Mirandole, Reuchlin). Au XVIe siècle, les études cabalistiques ont leur siège principal en Palestine (école de Safed) où Isaac Louria, Moïse Cordovéro, Hayim Vital dépassent les divagations du Zohar. Au XVIIe, la Porte du ciel du marrane Alonso de Herrera (mort en 1639) vulgarise «les sottises de ces charlatans» suivant l'expression de Spinoza, et le mouvement messianique de Sabbataï Zevi est imprégné d'idées cabalistiques. Au XVIIIe siècle, l'hérésiarque Frank, en Pologne, veut substituer le Zohar au Talmud comme code du judaïsme (vers 1756); les zoharistes furent protégés par le clergé catholique et un synode de rabbins polonais dut interdire l'étude des livres cabalistiques avant l'âge de trente ans.

7° Grammaire. L'origine des études grammaticales parmi les Juifs se rattache aux traductions de la Bible en diverses langues (Targoum) et aux travaux des Massorètes qui pourvoient le texte biblique de points-voyelles et d'accents destinés à fixer la prononciation et l'intonation. Ces études se développèrent au contact des grammairiens arabes, et la connaissance de l'arabe, très répandue parmi les Juifs, donna naissance à des recherches de grammaire comparée. Ici encore Saadia est un initiateur. Après les travaux méritoires de Dounasch de Fès et de Ménahem ibn Sarouk (Xe siècle), les études grammaticales sont portées à un haut degré de perfection par Hayyoudj de Fès et surtout par Aboul-Walid ou Ibn Djanah (mort vers 1050). Les découvertes des grammairiens espagnols furent vulgarisées en Italie et en France par les traductions et les paraphrases d'Abraham ibn Ezra, David Kimhi, etc., dont les publications commodes ont longtemps éclipsé les écrits originaux de leurs devanciers.

8° Poésie. Comme la grammaire et la philosophie, la poésie néo-hébraïque se développe au contact de la littérature syriaque et arabe dont elle s'approprie les procédés de versification (acrostiche, mètres, rime), et l'ingéniosité souvent affectée. Dès le VIe siècle, les Juifs de Médine ont un poète, Samuel ben Addiya, l'ami d'Imroulqaïs. Parmi les poètes (païtanim) dont les compositions liturgiques (pioutim) constituent le fond du rituel des prières (siddour), le plus célèbre, et peut-être le plus ancien, est Eléazar Hakkalir, qui paraît avoir vécu au commencement du VIIIe siècle en Italie (d'après Derenbourg, il s'appelait Celer et était natif de Portus, près de Rome).  En Espagne, la poésie jette un vif éclat avec Salomon ibn Gabirol, Juda Halévi (les Sionides), Moïse ibn Ezra. Le Languedoc peut nommer Yedaia Penini de Béziers (XIVe siècle). Les genres les plus divers sont cultivés depuis l'hymne et l'élégie religieuses jusqu'aux simples jeux d'esprit. AI Harizi (XIIIe siècle) imite dans son Tahkemoni les fameuses Seances de l'Arabe Hariri; en Italie, Emmanuel Romi, l'ami de Dante, poète plein de verve, compose une sorte de Divine Comédie juive. Parmi les auteurs plus récents, le plus remarquable est l'Italien M. H. Luzzatto (XVIIIe siècle). Plusieurs poètes Juifs s'essayèrent aussi, même au Moyen âge, dans la langue du pays qu'ils habitaient : tels furent, sans parler des nombreux poètes judeo-arabes, le Minnesinger allemand Süsskind de Trimberg (XIIIe siècle), le troubadour espagnol Santob de Carion (vers 1330), et l'auteur anonyme de la belle élégie romane sur les martyrs de Troyes (1288).

9° Sciences historiques, voyages.  Les Juifs n'ont guère cultivé l'histoire au Moyen âge; le peu qu'en renferme le Talmud est si bien enveloppé d'une pétrification de légende qu'on a peine à l'en dégager. Citons cependant la courte chronique du Seder Olam, l'intéressante consultation de Scherira (vers 1000) sur l'histoire des écoles de Babylonie, l'Ordre de la tradition d'Abraham ibn Daoud (1161), puis des Memorbücher ou martyrologes des communautés allemandes, le journal de Joselmann de Rosheim. A l'époque de la Renaissance, Juda ibn Verga et Joseph Cohen traitent l'histoire des persécutions sous forme de chroniques; Samuel Usque présente le même sujet sous forme d'une apologie (Consolacion a las tribulaçoens, 1553); Abraham de Porteleone, Azaria de Rossi, Abraham Farissol, Estor Farhi cultivent l'histoire ancienne, la géographie et l'archéologie. Au XVIIe siècle, Léon de Modène compose en italien sur les Cérémonies des Juifs un petit livre classique, bientôt traduit en français par Richard Simon. Citons encore les chroniqueurs David Gans, de Prague (XVIIe siècle), et Yekhiel Heilperin (XVIIIe), polonais.

Plus intéressants que les travaux historiques des rabbins sont les récits des voyageurs; le Moyen âge,juif en compte un grand nombre, grâce à la dispersion des juifs et à l'hospitalité des communautés : les plus célèbres sont ceux de Benjamin de Tudèle et de Pétahia de Ratisbonne, tous deux de la fin du XIIe siècle. On ne doit pas confondre ces relations, en somme véridiques, avec des romans charlatanesques, comme le fameux Voyage d'Eldad le Danite chez les descendants des Dix-Tribus (IXe siècle?).

10° Sciences exactes et naturelles. Parmi les sciences, seules l'astronomie et la médecine ont été cultivées par les Juifs avec un véritable succès. L'astronomie, née du besoin de régler le calendrier, est en honneur dès l'époque talmudique (Gamaliel, Samuel); la rédaction du calendrier religieux par le patriarche Hillel II (330) atteste des observations et des calculs prolongés. Plus tard, le judaïsme fournit aux rois chrétiens des astrologues, mais aussi des astronomes sérieux, comme Isaac ibn Sid, qui travailla à la rédaction des Tables alphonsines (1252-84), José de Viseu et Abraham Zacuto, qui sont au service des rois de Portugal Jean II et Emmanuel. Les ouvrages astronomiques et mathématiques de Maimonide, d'Abraham ibn Ezra, et surtout de Lévi ben Gerson ont joui d'une grande réputation : une partie de ces derniers a même été traduite en latin par ordre du pape Clément VI.

La médecine fut au Moyen âge une véritable spécialité des Juifs, qui s'explique en partie par leur réputation de magiciens; malgré les prohibitions canoniques, les rois chrétiens et musulmans n'ont cessé de prendre des médecins juifs, dont plusieurs étaient des rabbins célèbres; les Juifs ont contribué avec les Arabes à la fondation de l'école de Montpellier, à la prospérité de celle de Salerne. La littérature médicale juive, presque tout entière inédite, est considérable : citons seulement les travaux d'Isaac Israéli (Xesiècle), qui furent traduits de l'arabe en latin, et les aphorismes médicaux de Maïmonide.

11° Traducteurs juifs. A côté de ces productions originales, il faut enfin faire une mention spéciale des traducteurs juifs, qui ont joué un rôle important, mais obscur, comme intermédiaires intellectuels pendant tout le Moyen âge. Leur nombre est légion à partir du XIIIe siècle. Les uns, comme les familles des Kimhi à Narbonne, et des Ibn Tibbon à Lunel, se sont surtout attachés à traduire en hébreu les grandes oeuvres des Juifs espagnols, presque toutes composées en arabe, ou même les oeuvres de la scolastique chrétienne; d'autres ont traduit en arabe des ouvrages grecs (ainsi Hasdaï au Xe siècle pour Dioscoride), ou en hébreu des ouvrages arabes et syriaques qui eux-mêmes reproduisaient souvent des originaux grecs; les versions hébraïques ont été ensuite traduites à leur tour en latin, et c'est par cette voie qu'une partie des ouvrages d'Aristote, d'Avicenne, d'Averroès, plusieurs auteurs techniques de l'Antiquité, paraissent être parvenus à la connaissance de l'Europe occidentale. Parmi les traducteurs qui ont collaboré à ce travail, il faut citer Jacob Anatoli, qui fut au service de l'empereur Frédéric II, et le Provençal Calonymos, satiriste d'esprit, qu'employa Robert d'Anjou, roi de Naples. (M. Vernes, ca. 1900).



Simon Schwarzfuchs, Rachi de Troyes, Albin Michel, 2005.

« Et que dit Rachi ? » Cette question rituelle rythme aujourd'hui encore l'étude traditionnelle de la Bible et du Talmud. Rachi est l'acronyme de Rabbi Salomon ben Isaac de Troyes (1040-1105), maître champenois qui, le premier, écrivit un commentaire exhaustif sur l'ensemble des textes sacrés du judaïsme. 

Après lui, plus personne n'entreprit une telle tâche, tant son oeuvre semblait parfaite. Il fut le professeur direct ou indirect de presque tous les sages d'Europe du Nord et son génie fut même reconnu dans le monde chrétien. A ce jour, des centaines de commentaires ont été écrits sur son oeuvre et les linguistes trouvent chez lui un témoin précieux de l'ancien français. L'auteur nous expose ici la vie, l'oeuvre et l'influence de Rachi tout en dressant un portrait vivant de la vie juive dans la France du Moyen Âge. (couv.).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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