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Moyen Age > [ Europe latine / Arabes ] |
Les Croisades |
On donne le nom
de Croisades aux expéditions entreprises du XIeau
XIIIe siècle,
à l'instigation de la papauté (Le
Christianisme), pour la délivrance
des lieux saints, pour reprendre les termes utilisés par les Chrétiens,
occupés par les musulmans. On compte généralement
huit croisades, dont quatre ont eu pour objectif la Palestine même,
deux l'Égypte, une Constantinople,
une enfin l'Afrique du Nord. Avant de raconter la première de ces
expéditions, il convient d'exposer brièvement comment l'idée
même de croisade a pris naissance.
La découverte des supposées reliques de la Passion par sainte Hélène, mère de Constantin, en 326, avait créé un grand courant de pèlerinage vers la Terre sainte. Au IVe siècle, au Ve encore, ce pays est un centre puissant d'activité religieuse; saint Jérôme vient y vivre et y mourir, et son exemple est suivi par une foule de prêtres et de femmes. L'occupation momentanée de Jérusalem par Chosroès (614), la conquête de la Palestine par Omar (638) apportent quelques entraves à ces pèlerinages. Toutefois, la domination des premiers califes était assez tolérante pour permettre le pélerinage aux hommes pieux que n'effrayait pas la longueur de la route. Au VIIe siècle Arculfe, au VIIIe siècle Willibald, pour ne citer que les plus célèbres, parcourent librement la Judée et la Syrie. Charlemagne profite de ses relations amicales avec Haroun al-Rachid pour rendre moins précaire la situation des églises de Jérusalem; ses successeurs suivent cet exemple : dès le IXe siècle, les princes francs exercent sur les lieux saints une sorte de protectorat qui plus tard ne fera que se consolider et dont a hérité la France moderne. Au IXe siècle donc, au Xe encore il n'est point question de croisade. L'accès des lieux saints est toujours ouvert aux fidèles. Mais la situation change au XIe. Un calife nommé Hakem-Biamrillah, fait en 1010 détruire le temple du Saint-Sépulcre; l'église est bientôt reconstruite, mais le coup était porté, l'impression produite. Vers le même temps, les invasions musulmanes, arrêtées au VIIIe siècle devant Constantinople par Léon l'Isaurien (717-718), redeviennent un danger pour l'Europe chrétienne. En Espagne, les Almoravides d'Afrique viennent fortifier l'empire arabe en décadence; la plupart des îles de la Méditerranée sont au pouvoir des ennemis de la foi chrétienne; enfin un nouveau peuple entre en scène, les Turcomans (Turkmènes). Descendues des confins de la mer d'Aral et de la Caspienne, ces hordes se présentent d'abord comme auxiliaires des derniers califes de Bagdad, et une de leurs tribus, les Seldjoukides, règne sous le nom de ces princes. La guerre sainte reprend. Les Grecs qui ont réoccupé la Syrie septentrionale, les Arméniens devenus indépendants, sont vigoureusement pressés par les envahisseurs. L'empereur Romain Diogène est battu
à Mansikert par Alp-Arslan (1071),
l'Asie Mineure tombe aux mains des Turks
osmanlis (Les
Ottomans) qui se la partagent et le sultanat des Seldjoukides ou d'Iconium
devient pour la capitale de l'empire une menace permanente. Alexis
Comnène, vainqueur des Petchénègues sur le Danube
et en Thrace, doit ensuite défendre ses provinces occidentales contre
les attaques de Robert Guiscard, et, à
la mort de celui-ci (1085), l'empire
est trop affaibli pour profiter de cette rémission. Les Turks cependant
ont enlevé la Syrie et Jérusalem
au calife fatimite d'Égypte, et leurs
insultes, leurs cruautés, racontées par les rares pèlerins
qui ont pu pénétrer jusqu'au tombeau de Jésus,
sèment en Occident la terreur et l'indignation.
L'Europe chrétienne, profondément affaiblie par l'anarchie féodale, était incapable d'une coalition politique. Seul le sentiment religieux pouvait déterminer les princes et les barons à une action commune. Aussi l'idée de croisade naquit-elle dans l'esprit des papes, chefs reconnus du monde catholique. Sans tenir compte des projets faussement attribués par quelques érudits à Sylvestre II (Gerbert) et à Sergius IV (1011), on peut admettre que Grégoire VII le premier conçut le projet d'une expédition armée contre les musulmans. En 1074 et 1075, il fait appel aux princes chrétiens, à tous les fidèles; il parle d'une expédition à tenter pour secourir les chrétiens d'Orient et avant tout l'empire grec, menacé par les infidèles. Les querelles de la cour de Rome avec le roi de Germanie et avec les Normands de Calabre font avorter ces vastes projets. Cependant les récits des pèlerins, les exhortations des moines et des prédicateurs vagabonds excitent le sentiment chrétien. L'Europe à ce moment est pleine de personnages entreprenants que les aventures lointaines séduisent; une opinion théologique déjà ancienne, répandue partout par les missionnaires, affirme que les combattants tombés sous les coups des infidèles obtiennent par là seul les joies du paradis; les républiques italiennes, menacées dans leur existence, entravées dans leur commerce par les Sarrasins, s'associent à ce mouvement complexe. L'empire grec enfin a plus d'une fois réclamé les secours de l'Occident. L'idée d'une expédition armée se forme, l'Europe entière est prête à se soulever au premier signal du souverain pontife. Tous ceux qui prendront part à ces expéditions porteront sur leurs vêtements une croix rouge : d'où le nom de Croisés. |
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On compte généralement
8 croisades :
Les premières croisades (1096 - 1204) La première croisade eut lieu de 1096 à 1100, sous le pontificat d'Urbain II : prêchée par Pierre l'Ermite, puis par Urbain lui-même, elle eut pour chefs Godefroy de Bouillon (Les Enfances de Godefroi de Bouillon), Eustache et Baudouin, ses frères; Hugues de Vermandois, Robert II, duc de Normandie, Boémond, prince de Tarente, Tancrède, son neveu, et Raymond de Toulouse. Les faits les plus importants de l'expédition sont la bataille de Dorylée (1097), où les Musulmans furent entièrement défaits; la prise de Nicée, d'Edesse (1097), d'Antioche (1098) et celle de Jérusalem (1099). Les Croisés formèrent à Jérusalem un royaume chrétien, dont ils déférèrent la couronne à Godefroy de Bouillon; et dans les villes voisines plusieurs principautés, où régnèrent les autres chefs des croisés. La deuxième croisade,
de 1147 à 1149,
entreprise sous le pontificat d'Eugène III, et prêchée
par Saint Bernard, eut pour chefs Louis
VII, roi de France, et Conrad, empereur d'Allemagne (1147).
Ces deux princes n'éprouvèrent que des revers. Ils étaient
cependant sur le point de prendre Damas (1148),
lorsque la discorde se mit entre les seigneurs de leurs armées,
et les contraignit à revenir en Europe
La quatrième croisade, de
1202 à 1204,
prêchée par Foulques de Neuilly sous le pontificat d'Innocent
III, fut dirigée par Baudouin IX,
comte de Flandre, Villehardouin, sénéchal
de Champagne Boniface II, marquis de Montferrat,
et Enrico Dandolo, doge de Venise.
L'armée des chrétiens n'alla pas plus loin que Constantinople.
Elle en chassa d'abord l'usurpateur Alexis l'Ange (1203),
et plaça sur le trône Alexis le Jeune; l'année suivante,
elle reprit Constantinople sur un nouvel usurpateur, Ducas Murtzuphle,
mais cette fois ses chefs se partagèrent l'empire grec : Baudouin
eut le titre d'empereur; les Vénitiens s'emparèrent des plus
belles stations maritimes.
L'Europe et la Méditerranée en 1270. Cliquez sur la carte pour l'agrandir. Les dernières croisades (1217 - 1270) La cinquième croisade, entreprise sous le pontificat d'Honorius III (1217-1221), eut pour chefs Jean de Brienne, roi titulaire de Jérusalem, et André, roi de Hongrie. André fut rappelé dans ses États par la révolte de ses magnais; Jean de Brienne prit Damiette, qu'il fut bientôt forcé de rendre La sixième croisade, de 1228 à 1229, fut accomplie sous le pontificat de Grégoire IX, par l'empereur Frédéric II. Le sultan Mélédin lui céda Jérusalem sans combat. Les deux dernières croisades furent entreprises par Saint Louis, roi de France : l'une, de 1248 à 1254, sous le pontificat d'Innocent IV; l'autre, de 1268 à 1270, sous le pontificat de Clément IV : La septième croisade fut dirigée contre l'Égypte : le roi de France prit Damiette, et remporta même un avantage à la Massoure (1250); mais, la peste s'étant mise dans son armée, il fut contraint de reculer devant l'ennemi, et fut lui-même fait prisonnier. Il racheta chèrement sa liberté, passa 4 ans en Palestine, occupé à fortifier quelques places, et revint en France en 1254, après la mort de la reine Blanche, sa mère, qu'il avait instituée régente Dans la huitième croisade (1270), Saint Louis était accompagné de ses 3 fils et du prince Edouard d'Angleterre; il se dirigea sur Tunis, espérant, disent quelques historiens, convertir le maître de cette ville, Mohammed Mostanser; mais, à peine arrivé sous les murs de Tunis, il fut enlevé par une maladie contagieuse. Charles d'Anjou, son frère, qui était venu le rejoindre, se mit à la tête des troupes, remporta quelques avantages et revint en France après avoir forcé Mohammed à payer les frais de la guerre. Après cette dernière expédition, les colonies chrétiennes qui avaient été établies en Orient par les Croisés ne tardèrent pas à être détruites, et la Palestine retomba tout entière sous la domination musulmane. Les arrière-croisades La prise de Saint-Jean-d'Acre avait ému l'Europe chrétienne, et le pape Nicolas IV put croire un instant que les temps de Godefroy de Bouillon allaient renaître. Mais lui et ses successeurs durent bientôt revenir de cette illusion et reconnaître que le zèle religieux n'était pas assez fort pour décider le clergé à de nouveaux sacrifices d'argent et les princes chrétiens à l'oubli de leurs rivalités politiques. En attendant, les faiseurs de projets composent maint traité sur les moyens de reconquérir la Terre sainte, les uns préconisent la voie de terre, d'autres celle de mer : on discute les moyens de ruiner le commerce de l'Égypte, d'interdire aux Gênois la traite des esclaves qui fournit aux musulmans leur meilleurs soldats. Les auteurs de ces traités, dont la plupart paraissent assez bien au courant des affaires orientales, supputent les forces de l'ennemi, calculent ce qu'il faudrait de chevaliers et de galères pour l'exterminer, indiquent les ports d'attache de chaque escadre, les points à choisir pour le débarquement. D'autres rêvent la réunion de tous les ordres militaires en un seul, dont ils détaillent avec complaisance la future organisation. Tous ces projets sont soumis aux délibérations des papes et des rois chrétiens, qui dissertent gravement sur les avantages et les inconvénients de chacun d'eux. A intervalles réguliers, on lève de fortes sommes, des décimes sur le clergé chrétien ; cet argent se fond, sert à payer les dépenses les plus diverses, et cependant les Turks continuent leurs progrès, et les expéditions de la chevalerie occidentale ne réussissent pas à retarder d'un seul jour leur marche en avant. De ces expéditions, en effet, les unes sont de simples coups de main, dont le succès ou l'insuccès reste forcément sans influence sur la suite des événements; les autres mal conduites, échouent et aboutissent à d'abominables massacres, comme celui de Nicopolis. La première en date est celle de Charles de Valois, frère de Philippe le Bel. Elle a pour objectif l'empire de Constantinople, que ce prince réclame du chef de sa femme, Catherine de Courtenay; il a pour lui l'alliance effective de Venise, la promesse d'une flottille sicilienne; elle aboutit à quelques courses dans l'Archipel (1308-1309). Philippe le Bel reprend les projets de croisade; ses ministres, Pierre Du Bois et Philippe de Nogaret rédigent de curieux mémoires sur la marche à suivre; mais ce prince meurt sans avoir tenté rien d'effectif, et ses fils ne sont pas plus heureux; l'un d'eux, Charles IV le Bel, essaye, sans y réussir, d'entrer en relations avec le Caire. Philippe de Valois déploie le même zèle ; il s'entend avec Venise et prend la croix (1332); Gui de Vigevano, médecin de la reine, et le dominicain Brocard rédigent à l'intention de ce prince de Iongs et curieux mémoires; en 1335, la croisade semble sur le point d'aboutir. L'ouverture des hostilités entre la France et l'Angleterre remet tout en question. Le saint-siège a cependant formé une ligue entre Venise, Gênes et les chevaliers de Rhodes (Les ordres religieux militaires). La flotte alliée occupe Smyrne en Asie Mineure (1343); le dauphin de Viennois, Humbert, est nommé en 1345 chef suprême de l'expédition; il obtient quelques petits succès dans l'Archipel, mais battu par les Génois, qui ont fait défection, il revient piteusement en Europe, ruiné et dégoûté. La ligue est dissoute, et tout cet effort n'aboutit qu'à la conquête de Smyrne sur les Turks et de quelques lies de la mer Egée sur les Grecs. Pierre Ier, roi de Chypre, entre alors en scène. Il s'allie avec le royaume d'Arménie, réduit aux dernières extrémités par les Turks, et de 1361 à 1367, renforcé par des contingents d'Europe qu'il est allé solliciter lui-même, il fait des incursions sur les côtes de Syrie et d'Égypte; il croit pouvoir compter sur l'appui de Jean le Bon, qui a pris la croix, du roi de Danemark et de la noblesse française, mais, pour brillantes qu'elles soient, ces expéditions ne sont que des coups de main; en 1365, il enlève Alexandrie, mais ne peut s'y maintenir plus d'un jour, et partout il obtient les mêmes succès, sans plus de résultat. En 1368, il est réduit à conclure une trêve avec l'Égypte. Amédée VI, comte de Savoie, le remplace. Il trouve de l'argent en engageant ses revenus et en se faisant concéder par la papauté le produit des décimes ecclésiastiques (1366), et va attaquer Gallipoli, car il s'agit pour lui de secourir l'empire d'Orient; le plus grand ennemi des Paléologues n'est pas à ce moment les Turcs, mais le roi des Bulgares, Sisman, qui a fait prisonnier l'empereur grec. Une rude campagne sur les bords de la mer Noire, du côté de Varna, oblige Sisman à accepter la paix et à relâcher son prisonnier. Amédée, qui n'a plus d'argent, revient ensuite en Occident (juin 1367). Pendant plus de vingt ans, il n'est plus question de croisade en France; la guerre contre les Anglais absorbe toutes les forces du pays. Les plus zélés, ne pouvant prendre les armes contre l'infidèle, s'imposent de longs pèlerinages vers les lieux saints; nombre de pèlerins illustres vont alors, au prix de mille dangers, de fatigues inouïes, visiter Jérusalem. Citons seulement le comte d'Eu, Philippe d'Artois, et le célèbre Jean le Meingre, dit Boucicaut (1388-1389). Conclure une nouvelle ligue contre l'ennemi commun serait impossible; chacun, Grecs, Génois, Vénitiens, cherche à traiter avec lui, et la papauté, affaiblie par le grand schisme, est impuissante à entraver ces négociations. L'expédition de Barbarie, tentée en 1390 à la demande des Génois, dont le commerce souffre des attaques des corsaires musulmans, peut à peine être appelée croisade; c'est plutôt une expédition chevaleresque, destinée à occuper les nobles français que ne réclame plus la guerre contre les Anglais. Charles VI donné pour chef à l'expédition le "bon" duc Louis de Bourbon, son oncle maternel. Elle aborde en Barbarie, près de la ville d'Africa (juillet 1390), assiège la place par mer et par terre, livre à l'armée de secours de brillants combats, mais doit remettre à la voile à la fin de septembre sans avoir obtenu aucun résultat décisif. Il fallait au surplus bien mal connaître l'état du monde musulman pour croire que la défaite d'un émir de Barbarie porterait un coup funeste à la puissance des sultans d'Égypte ou des Turcs Ottomans. C'est contre ces derniers que quelques années plus tard toute l'Europe chrétienne part en guerre, vers la plaine du Danube. Les avis des gens expérimentés ne lui ont pas manqué; Philippe de Mézières, ancien chancelier de Chypre, a montré combien sont vaines et dangereuses toutes ces expéditions mal préparées, mal conduites; il a expliqué la nécessité de créer une milice spéciale dont il a exposé la future organisation, l'ordre de la Passion. Mais il n'est pas compris, et ses exhortations n'aboutissent qu'à augmenter le nombre des jeunes nobles qui vont se faire massacrer à Nicopolis. Cette fois c'est contre Bajazet I (ou Bayézid I), sultan des Ottomans (Les Ottomans, d'Osman à Bayézid II), qui, maître de la Macédoine, bloque Constantinople et menace la Hongrie d'une invasion, que l'expédition est dirigée. A l'appel de Sigismond, roi de Hongrie, des chevaliers français partent dès 1391, d'autres les suivent bientôt et parmi eux la fleur de la noblesse bourguignonne, avec le fils aîné du duc, Jean sans Peur, Boucicaut et une foule de princes et de seigneurs de haut lignage. L'armée chrétienne et l'armée turque ont à peu près le même effectif, cent à cent vingt mille hommes. Le choc a lieu près de Nicopolis, le 25 septembre 1396; on sait quel en fut le résultat; par sa témérité, la chevalerie française s'attira, en dépit de prodiges de courage, un affreux désastre, suivi d'un massacre épouvantable. La plupart des grandes familles françaises y perdirent quelques-uns des leurs; un petit nombre, dont le comte de Nevers, Jean sans Peur et Boucicaut, furent épargnés et rachetés à prix d'argent. Philippe de Mézières essaye encore une fois de consoler les vaincus, les invite à de nouveaux efforts, mais sa voix n'est guère écoutée, et sans la défaite d'Ancyre (Ankara), infligée six ans plus tard aux vainqueurs de Nicopolis par les armées de Tamerlan, l'Italie et la Hongrie voyaient peut-être une nouvelle invasion de barbares. En 1397, Boucicaut avait, il est vrai, occupé un instant Constantinople, un instant débloqué cette ville et pillé les côtes de la mer Noire et de la mer Egée; mais ce n'étaient là que coups de main heureux; la défaite d'Ancyre, en affaiblissant l'empire turc, fut plus efficace; l'empire grec y gagna cinquante ans d'existence. Les expéditions de Boucicaut, devenu gouverneur de Gênes en 1401, en Syrie et dans la mer Égée, n'étaient pas de nature à retarder les progrès des musulmans. Elles sont d'ailleurs rendues vaines par la rivalité des Génois et des Vénitiens : Boucicaut est obligé de combattre ces derniers en bataille rangée et la paix n'est rétablie entre les deux républiques (1406) qu'après de longues et laborieuses négociations. L'idée de croisade était morte à Nicopolis, et l'Europe, tout occupée de guerres et d'intrigues politiques, n'a plus de goût pour ces expéditions lointaines. De 1453, date de la prise de Constantinople par Mehmet II (D'Osman à Bayézid II), à 1683 (Le Siècle de Soliman), date du siège de Vienne par les Turcs, ceux-ci ne cessent de faire des progrès incessants. Ils chassent les Vénitiens et les Génois de leurs derniers comptoirs, prennent Rhodes, malgré la vaillance des chevaliers de Saint-Jean, couvrent la Méditerranée de corsaires, envahissent périodiquement la Hongrie. La dernière croisade est prêchée contre eux par le saint-siège en 1683, date de l'arrêt définitif des progrès de ces barbares. Depuis lors, l'Europe n'a cessé de faire reculer la puissance musulmane, jusqu'au jour peut-être prochain où les Turcs, campés depuis cinq cents ans en Europe, l'abandonneront sans retour. Mais depuis le XVIe siècle la religion n'est plus en jeu; du jour oùFrançois Ier a fait alliance avec les maîtres de Stamboul (Les Capitulations), la question d'Orient est devenue question politique, et la Turquie est entrée dans le concert européen (La Question d'Orient au XIXe siècle). L'armée de la première croisade renfermait des combattants de tous les pays de l'Europe, de la Scandinavie à l'Espagne, mais la grande majorité étaient Français, Allemand ou Italiens. La deuxième est faite principalement par des Français et des Allemands, la troisième par des Allemands, des Anglais et des Français; les quatrième, sixième, septième et huitième par des barons français. En fait, c'est la France qui a certainement fourni à ces expéditions le plus de soldats, c'est elle aussi qui en a recueilli le plus d'avantages; la plupart des seigneuries fondées en Palestine au XIIe siècle, dans l'empire grec au XIIIe siècle, se trouvèrent aux mains de barons français, leur langue fut la seule admise dans les tribunaux d'Orient et elle servit seule pour la rédaction des textes législatifs. A l'origine, sauf peut-être un petit nombre de serviteurs plus spécialement attachés à la personne de tel ou tel prince, les pèlerins ne reçoivent aucune solde, ils partent par enthousiasme religieux ou par goût des aventures. Aussi dans ces premières bandes devait-on trouver, à côté d'exaltés et de fanatiques, beaucoup d'aventuriers et de pillards, sans doute aussi beaucoup de criminels. Mais les grands désastres du XIIe siècle refroidissent sensiblement le zèle religieux; le premier, Frédéric Barberousse, essaya de créer une armée de la croisade. Il n'y admit que des soudoyers à pied et à cheval, payés régulièrement et bien encadrés; sans la mort de son chef, cette armée régulière, à laquelle l'enthousiasme religieux ne faisait pas défaut, eût sans doute porté un rude coup à la puissance de Salah-eddin. Cet exemple fut suivi au XIIIe siècle; et dans la plupart des expéditions en Orient figurent à côté des simples pèlerins des guerriers nobles ou autres, payés par les princes de l'Europe. Beaucoup de ces derniers rachètent ainsi un voeu téméraire et entretiennent en Palestine une petite troupe d'hommes d'armes. Ajoutons à ces contingents réguliers et irréguliers les chevaliers du Temple, de l'Hôpital et de l'ordre teutonique, les flottes italiennes, les troupes grecques, les auxiliaires sarrasins, et nous aurons un aperçu des forces que purent mettre en ligne les chrétiens d'Orient, forces dont au surplus il est à peu près impossible de déterminer exactement l'effectif. Les princes laïques n'étaient pas assez riches pour entretenir ces armées; il fallait de l'argent pour payer les soudovers pour noliser les vaisseaux pisans, génois ou vénitiens qui les transportaient en Orient ; prenait-on la route de terre, il fallait encore acheter le passage au roi de Hongrie et payer les vivres en pays ami. Aussi, à la fin du XIIe siècle, les papes se décident-ils à lever sur le clergé séculier et régulier des impôts spéciaux qu'on appela décimes, et, une fois cet expédient inventé, on employa l'argent ainsi obtenu aux objets les plus divers; croisades (ou du moins campagnes désignées ainsi) contre les Albigeois, contre les Hohenstaufen ou contre l'Aragon, guerres entre princes d'Europe, etc. Le clergé protesta plus d'une fois et avec énergie, mais il dut se soumettre et contribuer de ses deniers aux nouvelles charges que ses prédications avaient imposées à la société laïque. Au XIIIe siècle, on affecte encore d'autres recettes aux frais de la croisade : rachat des voeux de pèlerinage, restitution des usures, argent provenant de legs faits aux églises et restés sans emploi, etc. Saint Louis et Alfonse de Poitiers perçurent de ce chef des sommes importantes, qui couvrirent en partie les frais des croisades de 1242 et de 1270. Enfin les papes attachèrent au titre de croisé des privilèges judiciaires assez importants. Les croisés furent placés avec leurs biens sous la protection directe du saint-siège, soustraits à la juridiction ordinaire, sauf pour les actions criminelles, exemptés des tailles et collectes; des répits leur furent accordés pour le payement de leurs dettes, etc. Tous ces privilèges étaient excessifs et furent invoqués surtout par les débiteurs de mauvaise foi. Aussi les actes privés du XIIIe et du XIVe siècle contiennent-ils presque toujours une renonciation spéciale au privilège de croix prise ou à prendre. Les croisés, en effet, du fait même de leur exemption, trouvaient peu de crédit chez les banquiers, et la plupart étaient obligés pour s'équiper de recourir à l'emprunt. Cette législation des croisades n'en est pas moins fort curieuse. L'organisation, militaire des premières armées de pèlerins devait être aussi rudimentaire que possible; chaque bande marchait au hasard et ne reconnaissait que les chefs choisis par elle; de là les premiers désastres. Plus tard, on adopte un système plus rationnel; on tâche de grouper chaque effectif, mais à la cohue des pèlerins succède la cohue féodale, et jamais les chrétiens ne paraissent avoir mieux en Orient qu'en Occident observé les règles les plus élémentaires de la tactique. Seuls les ordres militaires, soumis à une discipline exacte, avec une hiérarchie savante de hauts et de bas officiers, surent faire une guerre vraiment savante. Aussi étaient-ils d'ordinaire placés à l'avant-garde et servaient-ils de guides et d'éclaireurs, rôle difficile, étant donné la bouillante ardeur et l'outrecuidance de la chevalerie féodale. Rarement leurs conseils furent écoutés. Par contre, les aptitudes militaires des chevaliers du moyen âge étaient telles que rarement, une fois atteints par eux, les Turcs pouvaient résister à leur choc invincible; Bibars lui-même, le plus redoutable ennemi des chrétiens, était obligé de le reconnaître : ces vaillants hommes de guerre n'avaient jamais succombe qu'au nombre et à la fatigue. Il ne semble pas au surplus que les croisés
aient emprunté grand-chose à leurs adversaires en matière
de guerre et de tactique. Les belles fortifications dont les restes couvrent
la Palestine sont conçues d'après le système occidental,
et les Turcs, une fois maîtres du Krak et des autres places fortes,
n'ont même pas su les entretenir. Enfin c'est par erreur qu'on a
souvent attribué aux Orientaux l'invention de l'arbalète,
cette arme terrible que les Sarrasins eux-mêmes redoutaient. Employée
dès l'époque romaine, elle était encore connue au
Xe siècle,
et fut remise en honneur à la fin du XIIe.
L'Église l'avait proscrite dans les guerres entre chrétiens,
comme trop meurtrière, défense toute platonique, car, dès
le XIIIe siècle,
les rois de France ont des corps d'arbalétriers; d'ordinaire des
mercenaires génois. En revanche, les chrétiens apprirent
des Turcs à mieux manier l'arc, à en rendre la portée
plus grande et le tir plus sûr (Quicherat, Histoire du costume,
p. 218).
Conclusions En tant qu'entreprises militaires, les croisades ont avorté. Engagées pour chasser les musulmans de la Terre sainte, elles se terminent pour les Chrétiens par d'effroyables désastres. Est-ce à dire que ces grandes expéditions n'aient produit aucun résultat? Le cas serait unique en histoire. Les résultats matériels n'ont pas été les plus notables. Le luxe et le bien-être, personne n'en saurait douter, se sont développés en Occident à la suite des croisades; on prit le goût des étoffes, des formes de l'Orient et beaucoup de mots devenus aujourd'hui européens rappellent des usages empruntés à la Syrie par les Croisés. Mais à vrai dire, il ne faut pas trop grossir la liste des emprunts faits à l'Orient. Beaucoup d'auteurs ont cru, par exemple, que l'architecture gothique procède de l'imitation de l'art arabe; théorie séduisante, mais aujourd'hui totalement abandonnée. D'autre part, on a fait dater des croisades l'acclimatation en Europe de plantes et de fruits d'Orient; mais l'histoire des végétaux est encore peu certaine, et une céréale tout au moins, le maïs, doit être effacée de la liste, l'acte qui le nomme en 1204 étant certainement supposé. Ces résultats matériels sont donc à tout prendre assez faibles ; un peuple peut être grand et civilisé sans connaître les prunes de Damas ou la culture du safran. C'est sans doute dans le domaine culturel
que l'Europe a le plus bénéficié de toutes ces entreprises.
Le chevalier européen, le petit noble, à plus forte raison
le bourgeois et l'ouvrier croupissaient au XIe
siècle dans une ignorance grossière du monde extérieur.
Si quelques-uns, en petit nombre, avaient le goût des voyages et
des aventures, la plupart restaient attachés à leur village
natal, sans jamais souhaiter s'en éloigner. Le mouvement des croisades
arracha le monde à cette stagnation, et dès lors ce mouvement
n'a plus cessé. Celui qui revenait des Croisades, revenait nécessairement
changé. Il avait vu de nouveaux pays, parcouru de vastes contrées,
dont jusqu'alors il avait ignoré l'existence, il avait appris à
connaître les moeurs, la façon de combattre des Turcs, admiré
de riches monuments. Sans doute il lui eût été difficile
d'exprimer ses sentiments nouveaux, mais ils sommeillaient en lui et devaient
donner bientôt leurs fruits.
Développement du commerce et du bien-être en Occident, affaiblissement du fanatisme, voilà déjà des résultats importants, achetés, il est vrai; un peu cher. Au point de vue politique, les conséquences des croisades n'ont pas été moins sensibles. Les principautés et les royaumes fondés en Orient par les Latins n'ont eu qu'une durée éphémère, mais le souvenir n'en a pas disparu. Sous les Francs de Syrie, les ports de la côte avaient joui d'une prospérité qu'ils n'ont plus retrouvée; partout on voit les restes des villes, des châteaux construits par eux. (A. Molinier).
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