|
. |
|
Les épidémies et les pestes |
|
|||||||
Maladie typhique,
contagieuse, caractérisée par des bubons, des charbons et
des pétéchies, et par la présence dans le sang et
le pus d'un bacille caractéristique (bacille de Yersin), la peste
n'est pas une maladie propre au Moyen âge
et toutes les épidémies qui ont frappé les humains
à cette période n'étaient pas de peste. Il n'en est
pas moins vrai que les immenses ravages occasionnés par cette maladie
ont inscrit tout au long du Moyen âge de profondes ornières.
Le XIVe
siècle qui est sûrement le
temps qui fut le plus éprouvé par les calamités, voit
ainsi à la peste noire, s'ajouter aussi quantité d'autres
maux : des hivers rigoureux, des chaleurs excessives, des invasions
d'insectes, de sauterelles, des tremblements de terre, des guerres,
qui concourent à tous à la famine et à la maladie,
sans que la mortalité causée par l'une ou l'autre ne puisse
être dissociées. Et, si la peste continua à sévir
au cours des siècles suivants, ce fut d'une façon moins meurtrière.
Déjà, au XVe
siècle, l'évidence de la contagion de la peste
avait conseillé quelques mesures de prophylaxie publique.
- Masque porté au Moyen âge par les médecins lors des épidémies. Le "bec" contenait des herbes aromatiques supposées protéger de l'air pestilentiel. © Photo : Serge Jodra, 2012. La première manifestation importante de la peste date du milieu du VIe siècle : cette peste, dite de Justinien vint désoler le monde connu de 531 à 580. Partie de Péluse, elle gagna Alexandrie, le Nord de l'Afrique, la Palestine, la Syrie, Constantinople, l'Italie, la Gaule, la Germanie. En résumé, dans la deuxième moitié du VIe siècle, elle avait parcouru le monde occidental. Dans certaines parties de l'Europe, la dépopulation fut telle que des villes importantes devinrent des déserts. Une autre peste sous Constantin Copronyme fut beaucoup moins désastreuse et ne dura que vingt ans. Entre le VIIe et le XIVe siècle apparurent plusieurs épidémies de peste relativement bénignes. Puis vint la grande peste du XIVe siècle, la peste noire, la mort dense, qui vint du fond de l'Asie, de la Chine, dit-on, où il mourut 13 millions de personnes! Après avoir parcouru l'Asie Mineure, l'Arabie, l'Afrique, l'Égypte, elle passa en Grèce, en Italie, en Sicile, en France, puis en Espagne, en Angleterre, en Norvège, etc. Les pays les plus éprouvés par la peste noire perdirent au delà du tiers de leurs habitants : Bagdad aurait perdu 500 000 individus en trois mois, le Caire 10 00 habitants en un seul jour; Chypre fut dépeuplée. Cette grande irruption s'accomplit entre 1346 et 1353 ; l'Europe perdit, semble-t-il, 24 millions d'habitants, le quart de sa population probable et l'Asie plausiblement bien davantage. La mortalité fut donc énorme; et d'autant plus que les maladies ne tardent pas à frapper des organismes affaiblis. Comme le remarque un historien lorrain en 1503, la « famine estrange » est toujours la compagne de « grande pestilence, car l'une est comme le levain de l'autre ». Ces épidémies, mal soignées, trouvant un terrain favorable à leur évolution, s'étendent, se multiplient nécessairement. En effet, partout des marais stagnants; des cités et des châteaux entourés de hautes murailles, bordées de fossés profonds aux eaux croupissantes. A l'intérieur, rues étroites, maisons basses, malsaines; cimetières près des lieux habités; inhumations faites sans souci de l'hygiène, sous les dalles des églises; populations entassées surtout en temps de guerre. Outre la mortalité effrayante, ces épidémies eurent une influence énorme sur la société, et sur les moeurs. Car au premier rang des grands phénomènes psychologiques provoqués par l'irruption de la peste, il faut noter, la peur, la frayeur, la terreur, allant jusqu'à l'affolement, jusqu'à l'extinction de toute lueur de bon sens : mal qui en produit d'autres plus grands et plus nombreux souvent que les désastres de la peste même. La peste de Justinien offrit le spectacle d'une société affolée par les superstitions de l'époque et tourmentée de l'idée de persécution par les démons. Au XIVe siècle, la peste noire passa pour tous comme une punition des méfaits des humains. |
|||||||
Le
fléau des fléaux
La liste des épidémies
au Moyen âge est impressionnante. L'Angleterre paye son tribut; on
cite les pestes de 1198,
1315;
1366,
1407.
Les armées ne restent pas indemnes. La dysenterie épidémique
décime les Croisés assiégeant
Antioche (1098);
des affections contagieuses atteignent les troupes de Frédéric
Barberousse, marchant sur Rome (1167).
La peste disperse les soldats de Henri VI
devant Naples (1193)
et ceux de Beaudourn en Syrie (1202).
Le scorbut exerce d'affreux ravages au siège de Damiette (1218).
Trois fois saint Louis (Louis IX)
ne peut empêcher la contagion d'attaquer ses compagnons d'armes :
lorsqu'il marche contre Henri III
d'Angleterre (1242-1243),
en Égypte (1250),
près de Tunis (1270)
; il succombe alors lui-même. En Italie, les troupes du duc d'Anjou
(1384),
de Charles VIII (1496)
éprouvent de ce fait de grandes pertes. De 1400
à 1510,
Raguse (auj. Dubrovnik) se
voit envahie onze fois par le fléau apporté avec les ballots
de marchandise venant de l'Égypte, de l'Asie mineure, de la Sicile.
La peste visite Florence dix-sept fois de
1315 à
1495.
On compte à Nîmes trente et une
épidémies de 1348
à 1649.
Le Bourgeois de Paris dont le journal s'étend
de 1405
à 1449
parle dix fois au moins de : « très grant mortalité
»; de bote (petite vérole), d'espydimie, de toux. Les
parties de l'Europe atteintes le plus gravement auront été
la Germanie, la France méridionale, l'Italie et surtout les villes
qui font un commerce régulier avec l'Orient : Marseille,
Venise, Rome, etc.
Saint Louis et les pestiférés de Carthage, par Lethière. On le voit, toutes ces maladies épidémiques, contagieuses et infectieuses ne correspondent pas toujours à la peste proprement dite. A côté des pestes à bubons, il y a les fièvres catarrhales, les fièvres miliaires, le typhus, les dysenteries, le scorbut, et il faudrait aussi y ajouter les fréquentes épizooties, qui, au total, aboutissent au même résultat : dépeupler le pays. Mais on comprend que sous la plume des chroniqueurs médiévaux toutes ces maladies reçoivent indistinctement le nom de peste, puisque ce mot signifie originellement fléau. Il y eut néanmoins trois de ces fléaux qui se distingueront des autres par la netteté de leur caractère ou leur violence et qui méritent bien le nom de pestes. Il s'agit du feu sacré, de la peste noire, puis, la suette anglaise : Le feu sacré.
« multo sacro igne interiora consumente, computrescentes exesis membris instar carbonum nigrescentibus, aut miserabiliter moriuntur; aut manibus et pedibus putrefactis truncati, miserabiliori vitae reservantur; multi vero nervorum contractione distorti tormentantur. »Sous une peau livide, ce mal ronge les chairs; les patients, sont d'abord enveloppés d'un froid glacial que rien ne peut combattre, puis surviennent des chaleurs intolérables. Cette affection paraît sans remèdes humains et quelques auteurs y voient le châtiment de dérèglements honteux. Maintenant faut-il, comme les commissaires de la société Royale de chirurgie (1776), distinguer le feu sacré, de ces pestes inguinales connues sous le nom de mal des ardents? Les opinions sont partagées à ce sujet. -
La peste noire.
« Par analogie, écrivait au XIXe siècle le Dr Eraud, on serait amené à considérer le « feu sacré » comme étant la syphilis.Le Dr Marchand a combattu vivement ces conclusions; pour lui : « il reste avéré que sous les noms divers de feu sacré, feu saint-Antoine, mal des ardents, les chroniqueurs ont entendu décrire la même maladie, caractérisée par les mêmes symptômes. »Les travaux de culture interrompus, le cours de la ,justice suspendu, témoignent de l'intensité du mal. A leur tour, l'Allemagne, la Pologne, la Hongrie, le Danemark, la Suède sont décimés par l'épidémie. Quant à l'Islande que les glaces protègent insuffisamment elle est dépeuplée (1350-1351). Dans l'île-de-France, au témoignage de du Breul, la peste règne durant l'espace de trois ans environ. Elle reparaît en Italie 1361-1363. Milan ne réussit plus cette fois à échapper à la contagion. Des littérateurs, des historiens (Boccace, Villani, Guillaume de Nangis), des médecins (Guy de Chauliac) retracent la marche, l'étendue, la gravité de la maladie; certains symptômes généraux la caractérisent : taches charbonneuses (papulae nigrae). bubons, prostration des forces. Des complications particulières, insidieuses, l'accompagnent selon les régions. En Angleterre, les crachements de sang prédominent, en Allemagne, les taches noires, en Italie, les tumeurs et les éruptions. A Constantinople, le mal s'attaque de préférence aux poumons, il les enflamme et cause des douleurs excessives. Partout l'épidémie est contagieuse; selon l'expression de Boccace, elle se propage comme le feu dans du bois sec. Dès qu'une maison est atteinte, à peine échappe-t-il un habitant. Ceux qui soignent les malades, les prêtres assistant les mourants, sont victimes de leur zèle. Les liens sociaux se trouvent pour ainsi dire rompus; l'épouvante des populations est à son comble, d'autant mieux qu'à cette lugubre époque la guerre est presque universelle et que les années 1346,1347 se signalent par leurs mauvaises récoltes. Les fruits s'offrent abondants, il est vrai, en France, l'année suivante (1348), mais personne ne songe à les recueillir, et dans « On sentait, dit Boccace, naître sur les différentes parties du corps des tumeurs qui insensiblement devenaient aussi grosses que des oeufs, et quelquefois davantage, suivant les tempéraments. Peu de temps après, ces tumeurs gagnaient de proche en proche et dès ce moment il n'y avait plus de ressources, on voyait aussi le mal se produire par des taches noires ou blanchâtres tantôt larges et rares, tantôt petites et en grand nombre - macchie nere o livide [...] a cui grandi e rade ed a cui minute e spesse... »Nombre de régions les bestiaux abandonnés à eux-mêmes périssent. « Vit-on jamais, s'écrie Pétrarque, de semblables désastres? En croira-t-on les tristes annales? Les villes abandonnées, les maisons désertes, les champs incultes, les voies publiques couvertes de cadavres, partout une vaste et affreuse solitude. »C'est la Peste noire, la peste de la mortalité, la mort dense. Les lettres de Philippe, roi de France (juin 1349), qui autorisent les mayeurs Amiénois à ouvrir de nouveaux cimetières disent : « Les gens se y moeurent si soubtainement comme du soir au lendemain et bien souvent plus tost assés » (Rec. des monuments du tiers état, I, p. 544).On l'appelle aussi la grande peste parce qu'elle envahit, ou peu s'en faut, tout le monde connu et que les contemporains n'en ont jamais vu de semblable. La suette anglaise.
Lors de sa première apparition le mal atteint exclusivement l'Angleterre, aussi lui donne-t-on le nom de suette anglaise, « sudor anglicius». La convalescence est longue, accompagnée de dysenterie. Contrairement aux autres épidémies, la suette attaque, dit-on, de préférence les individus robustes, bien portants, jeunes, et délaisse les faibles, les enfants, les vieillards.
|
. |
|
|
||||||||
|