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Jean Sans Terre (John Lackland). - Roi d'Angleterre, né vers 1167, mort le 19 octobre 1216. Dernier fils de Henri Il et d'Aliénor d'Aquitaine, il reçut dans son enfance le surnom de Lackland ou Sans Terre parce que Henri Il avait partagé tous ses domaines entre ses aînés. Son père le préférait cependant à tous les autres. Le 28 septembre 1176, William, comte de Gloucester, lui donna en mariage sa fille Avice. En mai 1177, à Oxford, il fut nommé roi d'Irlande. Après avoir guerroyé, de concert avec son frère Geoffroi de Bretagne, contre son frère Richard d'Aquitaine, il fut fait chevalier, à Windsor (31 mars 1175). En Irlande, où il se rendit ensuite, son insolence le fit détester; il s'amusait, dit-on, à tirer les longues barbes des Irlandais. Pendant l'année 1187, il coopéra avec son père et son frère Richard, en Normandie, en Berry, à la campagne contre Philippe-Auguste. Richard, jaloux de la préférence de leur père pour Jean, s'entendit avec le roi de France; et Henri II mourut, dit-on, de la douleur qu'il eut d'apprendre que le fils auquel il avait tout sacrifié le trahissait aussi pour se reconcilier avec son aîné (6 juillet 1189). Richard, devenu roi, donna à Jean le comté de Mortain en Normandie, celui de Derby en Angleterre, et différents domaines. Le mariage depuis longtemps convenu entre le jeune prince et Avice de Gloucester eut lieu à Marlborough le 29 août. En octobre, Richard lui conféra encore les comtés de Dorset, Somerset, Devon et Cornwall; c'était lui constituer dans l'Ouest de l'Angleterre une sorte de principauté et une grande autorité, dangereuse en l'absence du roi. Jean dirigea, en effet, l'opposition des barons contre Guillaume Longchamp, évêque d'Ely, le chancelier du royaume, qu'il réussit à expulser. Quand Jean Sans Terre apprit la captivité de Richard Coeur de Lion, il descendit en Normandie, sur l'invitation de Philippe-Auguste, et fit hommage à ce prince des domaines continentaux de la couronne d'Angleterre (février 1193). Mais il répandit en vain le bruit de la mort du héros; on ne le crut pas; il trouva, en Angleterre même, des résistances. Quand Philippe-Auguste l'avertit que « le diable était déchaîné », il n'osa l'attendre de pied ferme, et s'enfuit à la cour de France. Le 31 mars 1194, Richard, de retour, et maître de tous les châteaux de Jean en Angleterre, le condamna, s'il ne comparaissait pas dans les quarante jours, à perdre ses droits à la couronne et tous ses fiefs anglais. Au mois de mai, cependant, l'intervention de la reine mère procura une réconciliation entre les deux frères. Afin de rentrer en grâce, Jean guerroya en Normandie contre les Français (prise d'Evreux, déroute de Vaudreuil). Il obtint en récompense la restitution des comtés de Mortain et de Gloucester, et une pension de 8000 livres angevines. En 1196, il prit Gamaches, captura l'évêque de Beauvais; en 1198, il brûla le Neubourg. On dit qu'à son lit de mort Richard Coeur de Lion, touché par ces services et sa soumission, le désigna comme son successeur (avril 1199). A son avènement, Jean sans Terre était âgé de trente et un ans. Il s'était déjà fait connaître comme un personnage sans foi, cruel, vindicatif, comme un tyran extravagant et comme un lâche. Ses débauches dépassaient la mesure commune. Il fut reconnu sans difficulté en Normandie, mais les anciens domaines des Plantagenets(Anjou, Maine, Touraine) se déclarèrent pour Arthur, son neveu. Après avoir châtié les habitants du Mans (mai), il fut couronné à Westminster. Le 24 juin, il conclut avec Philippe-Auguste une trêve jusqu'au mois d'août; en septembre, les Français furent obligés d'évacuer le Maine, et Guillaume des Roches livra Arthur et sa mère Constance au roi Jean. A la conférence des Andelys (janvier 1200), Jean et Philippe se mirent d'accord, moyennant le mariage de Louis de France avec Blanche de Castille, nièce de Jean. Blanche de Castille aurait comme dot Evreux et tous les châteaux de Normandie que les Français possédaient au moment de la mort de Richard, plus 3000 marcs. Par le traité du Goulet (22 mai) Philippe-Auguste reconnut de son côté Jean comme roi d'Angleterre, duc de Normandie et suzerain de Bretagne; celui-ci renonçait à l'alliance du comte de Flandre et de l'empereur Othon. En paix avec la France, Jean Sans Terre, qui n'avait pas eu d'enfants de sa femme Avice obtint de divorcer avec elle, pour cause de consanguinité; elle se remaria plus tard avec Geoffroi de Mandeville. Le 30 juillet 1200, il épousa à Chinon Isabelle, fille d'Adhémar, comte d'Angoulême, fiancée d'Hugues le Brun, l'héritier du comte de la Marche. Ce mariage réveilla la guerre : Hugues le Brun, pendant un voyage du roi en Angleterre, souleva contre lui les seigneurs du Poitou; Jean, parti de Portsmouth avec une armée considérable, fut reçu honorablement, à Paris (1er juillet 1201), et, de Chinon, semonça les Poitevins à comparaître devant lui. A la requête des Poitevins, il fut invité lui-même à comparaître devant la cour de France. Il ne comparut pas; et, en punition de cette désobéissance, ses fiefs furent forfaits. Le 8 juillet 1202, Philippe-Auguste assiégea Radepont; repoussé, il s'empara de Gournay, où il accorda au jeune Arthur la main de sa fille, en même temps qu'il l'investit de toutes les possessions continentales des Plantagenets, la Normandie exceptée. Mais, le 1er août, Jean surprit l'armée qui assiégeait sa mère dans Mirebeau; et il s'empara, d'un seul coup de filet, d'Arthur, de sa soeur Aliénor de Bretagne, d'Hugues le Brun et de deux cents chevaliers français : Aliénor fut gardée jusqu'à sa mort dans la prison de Bristol; quant à Arthur, enfermé à Falaise, où, dit-on, Jean essaya vainement de le faire aveugler, puis à Rouen, il mourut le 3 avril 1203, probablement tué de la main de son oncle; son corps fut jeté à la Seine. C'est une vieille tradition que, convoqué pour ce fait devant les pairs de France, Jean fut dépouillé de ses fiefs, par contumace, à cette occasion. Louis de France, en 1216, se prévalut de cette prétendue sentence, mais il y a là une confusion Jean, condamné et dépouillé par la cour de France en 1202, pour la raison ci-dessus indiquée, tua son neveu en 1203; on s'imagina plus tard, et dès 1216, qu'il avait été frappé à cause de son crime (Voir sur ce point Ch. Bémont, dans la Revue historique, XXXII, pp. 33-74, 290-311). Cependant Philippe faisait des progrès en Normandie. On raconte que Jean sans Terre, négligent à son ordinaire, répondait à toutes les demandes de secours de ses partisans en disant : « Laissez-le faire; quoi qu'il prenne, je le reprendrai en un jour. »Le Château-Gaillard succomba le 6 mars 1204. En juillet, tout le duché était tombé aux mains des Français sans que Jean Sans Terre eût fait autre chose que de pressurer ses sujets anglais en vue d'une expédition future. L'année 1205 vit les Français s'emparer du Poitou et de Chinon (23 juin). Le 8 juillet 1206, Jean débarqua enfin à La Rochelle, et, avec l'aide du vicomte de Thouars, prit Angers; mais il consentit à conclure, le 26 octobre, une trêve par laquelle il abandonnait toutes ses anciennes provinces au Nord de la Loire. Hubert, archevêque de Canterbury, mourut le 12 juillet 1205, et cet événement jeta le roi Jean dans une querelle fatale avec le clergé anglais et avec Rome. Jean Sans Terre fit élire, contre le candidat d'une partie des électeurs, le sous-prieur Reginald, son favori. John de Grey, évêque de Norwich; mais le pape Innocent cassa ces deux élections et sanctionna celle, qu'il procura, du cardinal Etienne Langton. Jean répondit par des actes de violence, qui attirèrent l'interdit pontifical sur son royaume. Bien qu'il eût juré «-par les dents de Dieu » de couper le nez de quiconque promulguerait l'interdit, les évêques de Londres, d'Ely et de Worcester, après s'être convaincus de son obstination, publièrent la sentence du pape, le 24 mars 1208. Il céda, négocia, offrit de se soumettre, à condition que la personne de Langton lui serait épargnée. Le 12 janvier 1209, il fut menacé de l'excommunication, s'il ne cédait pas sans réserves dans les trois mois. Cette fois, il ne ménagea plus rien : il confisqua les revenus des évêques qui avaient quitté le royaume; pour s'assurer de la fidélité des barons, il exigea d'eux des otages; personne n'osa lui notifier officiellement son excommunication; en même temps, il obtenait la soumission de William, roi d'Ecosse, et il appuyait Othon IV, son neveu, contre le pape. - Pierre tombale de Jean Sans Terre (cathédrale de Worcester). Avec les dépouilles du clergé (particulièrement de l'ordre de Cîteaux), qui le dispensèrent de recourir à une taxation sur les laïques, il entreprit, au mois de juin 1210, une expédition en Irlande. Jean Sans Terre réussit à abattre la puissance de la famille de Lacy, à introduire dans l'île soeur le régime administratif en vigueur en Angleterre, et à imposer, comme gouverneur, son ami, l'évêque de Norwich. Au, retour, il arracha 66000 marcs aux Juifs, arrêtés en masse. Sa campagne de 1211 dans le Nord du pays de Galles fut également heureuse. Mais, en 1212, Innocent III, à bout de patience et de délais, se décida enfin à prendre la mesure extrême de le déposer; il confia à Philippe de France l'exécution de cet arrêt. On constate que le roi Jean déploya alors quelque activité tous ses ennemis ayant profité de l'incident pour relever la tête, et quelques-uns de ses amis pour le trahir, il infligea une nouvelle correction aux Gallois, exigea de nouveaux otages des barons, s'allia aux comtes de Boulogne et de Flandre contre Philippe, lança dans la Manche une flotte qui brûla Dieppe, et réunit une grosse armée pour repousser l'invasion. Néanmoins, il avait peur; de sinistres prophéties circulaient sur son compte, et l'on disait que, dans son entourage même, le roi de France avait des partisans. Le 15 mai 1213, à Douvres, il se soumit entre les mains du légat Pandolf, s'engageant à accueillir Langton et tous les ecclésiastiques bannis, à leur restituer leurs biens, à placer l'Angleterre et l'Irlande sous la suzeraineté du pape, enfin à payer chaque année un tribut de mille marcs au siège romain. Une assemblée se réunit à Saint-Albans le 4 août 1213 pour fixer les compensations dues aux prélats exilés. Le roi n'y assista pas : il était dans le Nord, à la poursuite des seigneurs qui avaient refusé de l'accompagner dans une expédition qu'il méditait en Poitou, mais beaucoup d'évêques, de barons, et de représentants des townships du domaine royal y figurèrent. Cette assemblée ne se contenta pas d'évaluer les pertes subies par la clergé; elle discuta des questions de politique générale. Jean Sans Terre avait promis d'observer désormais « les lois de Henri Ier »; l'archevêque lut ces lois, et les barons s'engagèrent à exiger que le texte en fût respecté. Pour échapper à l'odieuse présence des évêques, ses adversaires triomphants, et aux barons qui paraissaient résolus à lui arracher des réformes ou des garanties, Jean résolut, sur ces entrefaites, de pousser sérieusement la guerre contre Philippe-Auguste : déjà, une armée anglaise, sous Guillaume Longue-Epée, comte de Salisbury, agissait en Flandre contre les Français; il accueillit l'hommage de Raymond VI de Toulouse, banni de ses Etats, et débarqua, le 15 février 1214, à La Rochelle. Les Lusignans, le comte de la Marche, ses anciens ennemis du Poitou, se joignirent à lui. Le 17 juin, il prit Angers. Mais la bataille de Bouvines anéantit les forces combinées de Flandre, de Lorraine et d'Angleterre, d'une part; et, d'autre part, Louis de France reconquit aisément, en juillet, les places de l'Anjou. Jean fut heureux, le 14 septembre, d'obtenir une trêve de cinq ans. L'issue de la campagne de 1214 n'avait pas augmenté son prestige battu, ruiné, Jean Sans Terre se trouva en présence d'une coalition de barons qui, pendant son absence, avait décidé, dans une assemblée tenue à Saint-Edmonds, de lui arracher une « charte de libertés-». Il était au Temple de Londres quand, le 6 janvier 1215, les barons de Saint-Edmonds produisirent, en armes, leurs exigences; ils ne consentirent à lui accorder un délai (jusqu'au 26 avril) que sur la garantie formelle de l'archevêque, de l'évêque d'Ely et du comte Maréchal qu'il leur donnerait satisfaction. Ce délai, Jean le mit à profit pour se croiser et pour informer le pape du complot tramé contre lui. Le 26 avril, il refusa nettement de contre-sceller la cédule que les barons lui présentèrent; et la guerre fut déclarée. Londres, Lincoln lui échappèrent. Terrifié, il consentit à s'aboucher avec les rebelles, le 15 juin, à Runnymede, entre Stains et Windsor. Là fut scellée la Grande Charte, véritable traité de paix entre ses sujets et lui. Dès lors, le roi humilié, excité par les capitaines des mercenaires à son service, ne vécut que pour se venger et pour recouvrer la plénitude de son ancienne autorité. Le 16 août, Jean Sans Terre refusa de paraître à l'assemblée de Brackley. Il fit publier l'excommunication prononcée par le pape contre ses ennemis, fauteurs de désordres. Alors le baronnage se divisa en deux partis : l'un se rapprocha de lui; l'autre, décidément révolutionnaire, le déposa, et élut Louis de France, fils de Philippe-Auguste, en sa place. Le 30 octobre, Jean s'empara du château de Rochester, l'une des principales forteresses de ses adversaires; en mars 1216, de Colchester, le légat Guala interdit à Louis de répondre à l'appel des barons excommuniés. Mais Louis (Louis VIII, roi de France) n'obéit pas : le 21 mai 1216, il débarqua à Stonor, près de Sandwich. Winchester se rendit à lui le 14 juin, et les désertions se multiplièrent dès lors dans le camp opposé. Au cours de la campagne, Jean, saisi de la dysenterie, mourut à Newark, peut-être empoisonné. Il fut enterré dans la cathédrale de Worcester. De sa femme Isabelle, dont Mathieu de Paris dit qu'il fut obligé de pendre les galants au-dessus de son lit, et qu'il fit enfermer, à partir de 1214, à Gloucester, il eut cinq enfants : Henri III, Richard de Cornouailles, Jeanne, reine d'Ecosse (morte en 1238), Isabelle, femme de l'empereur Frédéric II (morte en 1241), Aliénor, qui épousa successivement Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, et Simon de Montfort, comte de Leicester (morte à Montargis en 1274). (L.). |
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