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Charles V,
dit Charles-Quint. - Empereur d'Allemagne ,
roi d'Espagne
(sous le nom de Charles Ier) et
des Deux-Siciles ,
né le 24 février 1500 à Gand , mort au monastère de Yuste (Estrémadure),
le 21 septembre 1558. Il était fils de Philippe
le Beau, archiduc d'Autriche ,
fils lui-même de l'empereur Maximilien,
et de Jeanne la Folle, fille de Ferdinand
et d'Isabelle et héritière de Castille .
La mort de Ferdinand, en 1516, fit de ce
prince l'héritier de la couronne d'Espagne, avec ses nombreuses dépendances;
celle de Maximilien, en 1519, lui donna la couronne impériale. Il est
vrai que la dignité d'empereur, dans le sSaint-Empire
romain germanique, n'était pas héréditaire : elle était conférée
par l'élection; mais il arrivait fréquemment que les princes-électeurs
la transmissent de père en fils ou petit-fils. Le concurrent malheureux
de Charles-Quint était le roi de France ,
François Ier.
Il éclata alors, entre les deux monarques, une longue série de guerres.
Par sa double qualité d'empereur d'Allemagne
et de roi d'Espagne ,
Charles-Quint enserrait la France de tous les côtés : sur le Rhin
et dans les Pays-Bas ,
du côté des Alpes
et du côté des Pyrénées .
C'est donc pour briser cet anneau de fer que François Ier
luttait, bien plus que pour devenir lui-même empereur d'Allemagne.
La rivalité de François Ier
et de Charles-Quint dura trente ans, interrompue à intervalles plus ou
moins longs par des périodes de paix ou de trêve. Voici quelles en furent
les principales péripéties : en 1521, l'empereur, provoqué par son rival,
tente deux invasions infructueuses, en Guyenne
et dans la principauté de Bouillon ;
la guerre se transporte en Italie ,
et Charles-Quint gagne les batailles de la Bicoque (1522), de Biagrasso
(1524), et de Pavie (1525), où François Ier
est fait prisonnier. Pour échapper à sa captivité, le roi de France
signe le traité humiliant de Madrid (1526);
mais il le rompt bientôt après et la guerre recommence, marquée par
des batailles en Italie et par la prise de Rome
par le connétable de Bourbon, allié
de l'empereur, et l'expédition de Lautrec dans le royaume
de Naples
(1528); on signe de nouveau la paix à Cambrai
(1529). En 1535, Charles-Quint reprit les armes, pour secourir son allié,
le duc de Savoie ,
attaqué par François Ier, et vint assiéger
Marseille, où son armée est décimée
par la famine, puis la Picardie ;
on conclut à Nice (1538) une trêve de dix
ans.
En 1539, Charles-Quint obtint du trop confiant
François Ier
la permission de traverser la France
pour aller réprimer la révolte des Gantois et fut reçu à Paris
avec magnificence. Il n'en recommença pas moins la guerre trois ans après
mais son armée fut défaite à Cérisoles
par le duc d'Enghien. Charles-Quint envahit ensuite
la Champagne, mais il conclut bientôt le traité de Crespy ( = Crépy-en-Laonnais,
1544), par lequel les deux souverains se font des concessions réciproques.
En 1547, François Ier, meurt, mais la
rivalité reprend sous son successeur, Henri Il;
elle est marquée surtout par le siège de Metz,
défendu par le duc de Guise; enfin, en 1552, la
trêve de Vaucelle met fin à ce long conflit, laissant les choses en l'état
où elles étaient avant.
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Charles-Quint,
par Rubens (d'après Titien).
En Allemagne ,
Charles-Quint éprouva de grandes difficultés à régler la question religieuse,
car c'est sous son règne que se produisit la Réforme. Il fit tous ses
efforts défit à Mühlberg les Protestants
confédérés. La Diète de Worms (1521) avait condamné les nouvelles
doctrines religieuses. Cependant, en 1552, Maurice de Saxe contraignit
l'empereur à signer le traité de Passau, qui reconnaissait aux Réformés
la liberté de conscience. Sur un autre théâtre, Charles-Quint fit la
guerre contre les Turcs, en 1532, et les
empêcha de dépasser la Hongrie .
Charles-Quint fit aussi plusieurs expéditions en Afrique
: il défit Barberousse en 1535 et prit Tunis,
mais il échoua contre Alger (1541). Comme
roi d'Espagne, il affermit l'autorité royale contre les prétentions de
la noblesse, mais il n'était pas aimé, car on le considérait comme un
étranger.
Affaibli par la vieillesse et les maladies,
aigri par les revers, cet empereur abdiqua en 1556 et céda l'empire
à Ferdinand son frère. Déjà depuis plusieurs mois il avait placé la
couronne d'Espagne
(avec ses colonies américaines, les Pays-Bas
et l'Italie )
sur la tête de Philippe II, son fils.
Il se retira dans le monastère de St-Just
ou Yuste en Estramadure
et y mourut en 1558. On a dit, mais à tort, qu'il regretta le pouvoir
dont il s'était démis. En réalité, il en conserva toujours en sous-main
un droit de regard sur les affaires de son empire.
La figure de Charles-Quint a été retracée
mainte fois par le ciseau et le burin; on sait que son peintre favori,
Titien, dont un jour, dit-on, il ramassa le pinceau,
l'a peint à plusieurs reprises depuis 1530; mais dans les tableaux de
ce maître qui sont aux musées de Madrid
et de Munich, le grand artiste semble avoir
singulièrement embelli et idéalisé son modèle. On accorde plus de valeur,
au point de vue de l'exactitude, Ã un tableau de Berlin,
peint par Amberger, ou encore à diverses estampes qui se trouvent dans
l'oeuvre gravé de Titien ou dans de nombreux livres publiés en Allemagne ,
aux Pays-Bas ,
en Italie ,
en Espagne ,
de 1519 Ã 1560. Presque tous ceux-ci nous donnent un Charles-Quint d'une
figure vraiment laide et repoussante. Au surplus, le portrait que l'ambassadeur
vénitien, Frédéric Badoer, écrit de Charles-Quint en 1550, n'est pas
plus flatteur :
« La taille
de l'empereur est moyenne et son aspect grave; il a le front large, les
yeux bleus et d'une expression énergique; le nez aquilin et un peu de
travers, la mâchoire inférieure longue et large, ce qui l'empêche de
joindre les dents et fait qu'on n'entend pas bien la fin de ses paroles.
Ses dents de devant sont peu nombreuses et cariées; son teint est beau,
sa barbe courte, hérissée et blanche; sa complexion flegmatique et naturellement
mélancolique. »
La constitution de l'empereur n'était pas
des plus saines; jeune il avait quasi des attaques d'épilepsie, qui disparurent
après son mariage, en 1526; à trente ans il eut la goutte et en souffrit
beaucoup. Il mangeait et buvait avec peu de modération et ni l'âge ni
la maladie, ni les instructions des médecins, ni les exhortations des
confesseurs ne le changèrent sur ce point. Il aimait violemment les femmes
et « s'en procurait partout où il se trouvait, de grande et aussi de
petite condition ». Les plus connues de ses maîtresses furent la belle
Marguerite Van Ghest, de Gand, et Ursolina de
la Peña, de Pérouse, appelée la Penina.
Pour enfants légitimes il laissait en mourant : Philippe
II, Marie, reine de Bohème
et Jeanne, veuve du roi du Portugal .
On lui connaît au moins trois enfants naturels, Marguerite d'Autriche ,
qui épousa Alexandre de Médicis et en secondes
noces Octave Farnèse; Tadea de la Peña, et Juan d'Autriche, de l'éducation
duquel il ne s'occupa que tardivement; on lui attribue aussi comme enfants
naturels un Piramo Conrad d'Autriche et une Jeanne d'Autriche, qui serait
morte à l'âge de sept ans, en 1530.
On a dit qu'au moral, Charles-Quint tenait
à la fois de tous ses ancêtres, de Ferdinand
pour l'astuce, de la reine Isabelle
pour la grandeur des desseins, de son aïeul Charles
le Téméraire, auquel il ressemblait par le visage, pour la valeur
chevaleresque, de Maximilien pour le goût des beaux-arts et de la mécanique,
de sa mère pour la mélancolie. II semble bien, malgré les écrits laissés
par les courtisans et dont l'histoire a accueilli avec trop de confiance
les panégyriques et les flatteries, il semble bien que Charles-Quint devait
être assez peu sympathique. II se montra ingrat envers Jiménez,
impitoyable envers les Comuneros, François
Ier, les
Gantois, les protestants d'Allemagne ,
plein de duplicité dans ses rapports avec la cour de Rome ;
en dépit de ces défauts graves, il savait se concilier les esprits de
ceux qui l'approchaient par des manières habiles, d'un vrai politique.
Il était agréable aux Flamands et aux Bourguignons,
selon le témoignage de l'ambassadeur vénitien Marino Cavalli, par sa
bienveillance et sa familiarité, aux Italiens par son esprit et sa prudence,
aux Espagnols par l'éclat de sa gloire
et sa sévérité. Il avait la connaissance des hommes et attachait Ã
son service les plus dignes; aussi rencontra-t-il autour de lui de généreux
dévouements. A ces qualités d'administrateur il en joignait d'autres
pour la guerre : dans sa jeunesse il avait été un brillant chevalier;
à l'âge mûr, à Tunis comme à Alger,
il donna l'exemple du courage, de la patience et de la résignation. Joignez
à cela une volonté puissante et une prodigieuse faculté de travail,
et on comprend que la figure du grand empereur ait fortement frappé l'imagination
des contemporains.
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Charles-Quint,
sur une médaille.
Comme souverain il échoua dans presque
toutes ses grandes entreprises; il ne put réprimer la Réforme, ne vainquit
pas les Barbaresques, n'entama pas le royaume de France ;
il laissa l'Espagne
affaiblie, mêlée sans raison aux querelles de l'Europe ,
ruinée durablement, dépourvue de vie nationale et de toute liberté.
Peut-être la tâche qu'il avait assumée était-elle au-dessus de toutes
les forces du plus grand génie; il avait à peine commencé l'exécution
d'un dessein que d'autres circonstances l'appelaient ailleurs; dans son
discours solennel d'abdication à Bruxelles,
il put dire qu'il était allé neuf fois en Allemagne ,
six fois en Espagne, sept fois en Italie, qu'il était venu dix fois en
Flandre, était entré quatre fois en France, qu'il avait passé deux fois
en Angleterre
et deux fois en Afrique .
Cette mobilité incessante, cette multiplicité d'Etats différents et
éloignés à gouverner, la gravité particulière des conjonctures, expliquent
bien comment le rêve de domination universelle qui avait hanté l'esprit
de Charles-Quint devait fatalement s'évanouir, et comment l'effort surnaturel
tenté par l'Espagne devait laisser ce pays affaissé pour longtemps. Aussi,
la plupart des historiens de la péninsule, tout en rappelant avec orgueil
la puissance et les hauts faits du fondateur de la maison d'Autriche, déplorent-ils
l'avènement de cette famille au trône d'Espagne. (E. Cat
/ NLI / A19).
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Charles-Quint,
par Titien.
Représentations
de Charles-Quint.
Les portraits que
l'on possède de Charles-Quint sont très nombreux. Le plus ancien est
l'ouvrage d'un graveur allemand ; il porte la date de 1519 et l'inscription
: Carolus, rex Hispaniae. Titien a fait de l'empereur d'Allemagne
différents portraits que possèdent les musées de Madrid, de Munich et
du palais de Schleissheim. Mais on est tenté de croire que le Titien
ne plut tant à Charles-Quint que parce qu'il eut le talent d'embellir
la figure de ce prince. Les peintres
allemands, qui ne savaient pas transiger avec la vérité,ont reproduit
cette figure avec un réalisme dont nous devons leur savoir gré. Deux
portraits, par Amherger, figurent au musée de Berlin et dans la galerie
de l'Institut des beaux-arts, Ã Sienne. Parmi les autres portraits de
Charles-Quint, rappelons : un charmant petit tableau attribué à Clouet,
au musée de Cluny; une excellente peinture de Holbein
le jeune au musée d'Amsterdam: un portrait en pied, par Juan Panteja de
La Cruz, au musée de Madrid; un portrait en buste, par le même, à l'Escurial.
Les actions du puissant
empereur d'Allemagne ont été souvent retracées par la peinture. Hamman
a représenté l'Education de Charles-Quint; Leys, l'Archiduc
Charles prêtant serment entre les mains du bourgmestre et des échevins
d'Anvers, en 1515; Erasme Quellyn le jeune,
le Couronnement de Charles-Quint à Bologne (musée du Belvédère,
à Vienne); Sebastiano Ricci, le même sujet (palais Ridolfi, à Vérone);
Ajez, Charles-Quint ramassant le pinceau du Titien (galerie Peloso,
à Gênes); Revoil, Charles-Quint refusant de reprendre son anneau Ã
la duchesse d'Etampes (1810); J.-C. Vermeyen, Charles-Quint, vainqueur
des Maures, aux environs de Carthage (palais de Schoenbrunn); Aenea
Vico, Charles-Quint passant l'Elbe à Mühlberg (composition ovale
très curieuse, dont quelques iconographes attribuent le dessin au Titien);
Jérôme Francken, Abdication de Charles-Quint
(Amsterdam); Solimena, le même sujet; J. Francken, Charles-Quint
prenant l'habit religieux (Lille) ; Robert-Fleury, Charles-Quint
au monastère de Yuste recevant les ambassadeurs de Philippe II; etc.
Les compositions
allégoriques relatives à Charles-Quint ne sont pas moins nombreuses.
Nous citerons, entre autres : l'Apothéose de Charles-Quint, par
le Titien; Charles-Quint couronné par la Gloire et foulant aux pieds
un Silène (personnification de l'Ivrognerie), tableau de Rubens,
à Munich; la Naissance de Charles-Quint (la Renommée et Mars assistent
à l'accouchement de Jeanne la Folle), belle peinture de Carlo Caliari,
au musée royal de Madrid (il y en a une répétition à l'Escurial); etc.
Un portrait équestre
de Charles-Quint, par Van Dyck, est au musée
des Offices, à Florence. Ce portrait, qui fut exécuté, dit-on, d'après
Titien, offre de notables différences avec celui qui est au musée du
Prado, Ã Madrid. (NLI).
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J.-P.
Soisson, Charles Quint, Le livre de Poche, 2004. |
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