| Quelques auteurs font dériver le mot fanatique du grec phanè (flambeau porté dans les cérémonies sacrées): la plupart, de fanum (lieu consacré, temple). Nous ne l'avons pas trouvé chez les classiques grec; chez les classiques latins, il désigne tantôt un individu inspiré, exalté par l'enthousiasme, tantôt un individu en délire, extravagant ou furieux, tantôt et tout simplement un superstitieux. Chez Tite Live, carmen fanaticum signifie un poème inspiré; chez Horace, error fanaticus, le délire. On dit aussi que les Anciens appelaient spécialement fanatici des zélateurs qui se tenaient habituellement auprès des temples, parlant au nom de la divinité, qui s'était révélée à eux par des visions, des inspirations ou d'autres manifestations caractéristiques; ils s'efforçaient de surexciter les sentiments religieux du peuple. Il semble bien que la plupart de ces éléments sont entrés dans la formation de l'état mental que les modernes appellent fanatisme : aberration produite ordinairement par la fréquentation ou le voisinage du temple, c.-à-d. par l'obsession de telle ou telle idée empruntée à une religion ou inspirée par elle, et compliquée tantôt d'illumination ou d'enthousiasme, tantôt de haine ou de fureur. Les aspects du fanatisme varient avec le tempérament des personnes qui en sont atteintes, les temps et les lieux; mais chez tous les humains, dans tous les temps et dans tous les lieux, il présente certains caractères constants. Tout fanatique est sincère, sinon il faudrait lui donner un autre nom; mais d'une sincérité singulièrement trouble. Il subordonne tout à la prévalence de la conviction qui le possède; comme il y reconnaît l'expression de la volonté divine, il n'admet pas que rien ne puisse y faire légitimement obstacle : ni les lois de la nature, ni les droits de la vérité ou de la justice. On a dit avec raison que toutes les religions et toutes les sectes ont eu leurs fanatiques; on aussi ajouté parfois qu'il y a des religions plus ou moins fanatisantes. Cela paraît abusif. Il y a sans doute une corrélation incontestable entre les croyances professées dans une religion et le fanatisme qui se développe chez ses fidèles. Il convient cependant de noter que cela ne revient pas à dire qu'il y a des religions qui en soi seraient plus fanatisantes que d'autres, mais bien plutôt qu'il y a des manière plus ou moins fanatisantes d'aborder telle ou telle religion. D'autre part, une inclination fort naturelle porte à appeler fanatisme chez les autres ce qu'on estime vertu ou sainteté chez soi. Les historiens de l'Église appellent fanatiques les païens qui s'ameutaient pour demander que les chrétiens fussent jetés aux bêtes, les accusant de tous les crimes et montrant dans les malheurs publics les signes de la colère des dieux irrités par l'impunité de ses impies; l'Église catholique romaine appelle sainte l'Inquisition qui livrait les hérétiques aux tortures et aux bûchers. Les magistrats romains devaient juger fanatiques ceux qui aimaient mieux mourir que de rendre aux dieux de l'Empire et à l'empereur le culte prescrit par les lois; les chrétiens les vénèrent comme des martyrs; mais les catholiques attribuent au fanatisme la constance des hérétiques qui ont préféré la mort au reniement de leur foi. Ils flétrissent du même nom, dans les religions de l'Orient, les austérités, les annihilation, les tourments volontaires, mais ils canonisent chez eux la claustration, la macération, la mortification, le cilice et la flagellation. Quoique fort différents par l'objet et par les motifs, le fanatisme politique, le fanatisme philosophique, le fanatisme littéraire, le fanatisme artistique présentent à peu près les mêmes caractères que le fanatisme religieux. Ils troublent pareillement le jugement et la conscience, en attribuant à l'idée qui domine le fanatique une valeur excessive et un droit souverain, et en méconnaissant la valeur et le droit qui appartiennent à des idées ou à des choses autres. (É.-H. Vollet). | |