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Le Moyen âge,
en tant que période de l'histoire, est d'une invention assez récente,
puisqu'elle ne date que des débuts du XIXe
siècle (auparavant, ce que nous appelons le Moyen âge
n'avait pas de nom et était compris dans l'histoire moderne), et
l'on peut faire bien des reproches à son introduction. Mais n'est-ce
pas le lot de toute périodisation que de véhiculer sa part
d'artifice? L'expression de Moyen âge, semble-t-il d'ailleurs, a
d'abord été employée, avec ce que les philologues
appelaient depuis la Renaissance la moyenne latinité (qui ne se
doit pas confondre avec le Moyen âge, puisqu'elle correspond à
la période comprise entre Sulpice Sévère et la fin
de l'Empire, fut mise à la mode et propagée par les écrivains
de l'époque romantique et bientôt consacrée en France
par les programmes d'enseignement de la Restauration.
Quoi qu'il en soit, on désigne habituellement
par Moyen âge la période chronologique comprise entre la fin
de l'Antiquité et la Renaissance, époque où l'on fait
commencer les Temps modernes. Conventionnellement, et pour plus de commodité,
les historiens ont généralement adopté des dates plus
précises : comme terme initial, soit le partage de l'empire romain
en empire d'Occident et empire d'Orient en 395,
soit, plus communément, la fin de l'empire romain en 475;
comme terme final, la chute de l'empire d'Orient et la prise de Constantinople
par les Turcs Ottomans en 1453
(L'empire
ottoman, d'Osman à Bayézid II). Une autre limite est
également souvent choisie, c'est 1492.
Cette date est à la fois celle de la prise de Grenade
par les Chrétiens, faisant ainsi tomber le dernier bastion musulman
en Europe occidentale, et celle de la "découverte" de l'Amérique
par Christophe Colomb, et marque le signal d'un
soudain décloisonnement du monde.
Au XIXe
siècle, certains historiens ont voulu faire remonter
le Moyen âge jusqu'à la naissance de Jésus
et le commencement de l'ère chrétienne; d'autres en ont reculé
le début jusqu'à l'avènement de Charlemagne;
mais ces dates ne correspondent pas à la réalité :
le christianisme
n'a eu d'importance sociale qu'à partir du moment où il s'est
substitué à la religion de l'Empire (dans la classe au pouvoir),
ce qui marque bien le commencement du Moyen âge, mais coïncide
avec l'époque indiquée plus haut, et, d'autre part, le règne
de Charlemagne - et avec lui, ce que l'on a appelé parfois abusivement
la "renaissance carolingienne" - loin d'être le point de départ
d'un âge nouveau, n'a été qu'un retour éphémère
et superficiel à l'ancienne conception romaine.
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C'est avec le démembrement de l'Empire,
la ruine progressive du paganisme, les invasions, l'établissement
des royaumes barbares, la propagation du christianisme qu'est véritablement
né un ordre social nouveau, dont l'évolution, caractérisée
par la formation des nations occidentales, le développement des
institutions ecclésiastiques, l'établissement du régime
féodal, a duré jusqu'au moment où l'esprit de réforme,
le retour à une valorisation de l'Antiquité, les grandes
inventions et découvertes, ont provoqué vers le XVe
siècle, à travers toute l'Europe, le grand mouvement
appelé Renaissance, qui marque le début des temps nouveaux.
Ce millier d'années constitue ainsi
pour l'Europe une période historique assez distincte à la
fois de l'Antiquité et des Temps modernes, une époque de
ce point de vue "intermédiaire", et à laquelle convient finalement
assez bien le nom de Moyen âge qui lui a été attribué.
Pendant cette époque, divisée en royaumes qui devinrent peu
à peu des nations, la chrétienté s'organisa en une
hiérarchie puissante qui engloba à la fois les personnes
et les terres, l'ordre laïque et l'ordre ecclésiastique, et
dans laquelle durent trouver place tous les organismes du corps social.
Ce fut le régime féodal. Ce milieu donna naissance à
des institutions, à des moeurs, à des idées, à
une littérature et à un art très particuliers et d'un
développement très original, dont l'ensemble constitue la
civilisation médiévale.
Mais on peut bien sûr déjà
faire deux critiques à cette façon de voir. Il est patent,
pour commencer que cette période n'a pas d'unité : sur ce
millénaire qu'on attribue au Moyen âge, au mieux il n'y a
pas un mais plusieurs moyen âges, distincts selon les époques
et les lieux. Quels points communs existe-t-il par exemple entre l'obscur
Xe
siècle et le temps flamboyant des cathédrales?
Et comment comparer la situation de l'Empire
Byzantin, qui n'a jamais rompu le cordon ombilical avec l'Antiquité
classique, et celle de de l'Europe du Nord, qui jaillit pour ainsi dire
de la Préhistoire? Par ailleurs, on l'a déjà noté,
cette période ne concerne et n'a de sens que pour l'Occident. L'Orient
n'a pas connu à proprement parler de Moyen âge. Et si 1492
marque bien une rupture dans l'histoire de l'Amérique, les époques
qui l'on précédées ne peuvent en rien être qualifiées
de "médiévales". Cet Occident, il est vrai, ne peut se restreindre
à la seule Europe chrétienne. Les événements
de 1453 et de 1492,
l'expriment assez clairement, l'histoire du monde arabo-musulman (puis
turco-musulman) lui est inséparable. Par son histoire politique,
mais aussi et surtout par sa littérature, par sa philosophie, par
se religion, par ses sciences, la civilisation arabo-musulmane est une
composante de la civilisation occidentale. Au Moyen âge, du moins
entre les VIIIeet
XIIe
siècles, elle en aura même été la
plus brillante. (A. G.). |
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