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Histoire de l'Europe > La France |
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La Gaule mérovingienne | L'Empire carolingien* |
Les
auteurs romains ont donné le
nom de Gaule à la partie occidentale de la vaste région que les
Grecs appelaient Keltiké,
pays des Celtes, et qui s'étendait de l'océan
Atlantique
à la mer Noire.
La Gaule propre avait pour limites l'Océan Atlantique, les Pyrénées,
la mer Méditerranée,
les Alpes
et le Rhin.
Ce pays était divisé en plusieurs grandes régions : l'Aquitaine, située entre les Pyrénées et la Garonne et habitée par les Ibères; la Celtique, située entre la Garonne, la Seine et la Marne et habitée par les Celtes; la Belgique, située au Nord de la Seine et de la Marne et habitée par un mélange de Celtes et d'immigrants germains. Quant au Sud-Est de la Gaule, habité par des Celtes et des Ligures, il avait été intégré aux grandes civilisations de la Méditerranée bien avant le temps de la conquête de César. La Gaule des CeltesDès le commencement du VIe siècle av. J.-C., les Grecs de Phocée vinrent fonder Massilia (Marseille) sur le littoral méditerranéen. Marseille devint très vite une république importante, fit peut-être connaître aux Gaulois l'usage de l'alphabet et de la monnaie et même sous la domination romaine resta une ville grecque et garda son autonomie. Autour d'elles s'élevaient des colonies qu'elle avait fondées ou adoptées, telle qu'Agathè Tychè (Agde), Nicaea (Nice), Antipolis (Antibes), Arles, etc.Dès 154, Marseille appela les Romains à son aide contre les Ligures qui l'inquiétaient et entravaient le développement de son commerce. Après plusieurs campagnes, les Romains établirent une garnison à Aix-en-Provence et finalement réduisirent sous leur domination toute la région comprise entre la Méditernanée, les Pyrénées, la Gimone, le Tarn, les Cévennes, le cours moyen du Rhône et une ligne à peu près droite allant de Genève au Var. Ce fut la Province Narbonnaise ou simplement la Province (Provence). La capitale en fut Narbonne, où une colonie fut envoyée en 118. Les villes gauloises de Toulouse, Nîmes, Avignon, Orange, Vienne, Genève, etc., devinrent de florissantes cités romaines. Le reste de la Gaule conserva encore son indépendance pendant soixante ans. Guerres
des Gaulois.
« A la moindre excitation ils courent au combat, mais cela ouvertement et sans aucune circonspection, de sorte que la ruse et l'habileté militaire viennent aisément à bout de leurs efforts. » (Strabon).Civilisation. La vie matérielle. La simplicité de la vie était grande, et ne devait pas beaucoup différer de celle de l'Italie romaine. On cultivait la terre, on élevait du bétail. On se nourrissait surtout de pain, de lait, de poisson et de viande de porc. Les villes n'étaient guère que des bourgades; certaines étaient construites sur des hauteurs ou placées dans des endroits d'accès difficile; on y transportait les blés et les diverses richesses. Il y avait déjà des routes et des ponts, une navigation fluviale assez active; les Vénètes et les Santons avaient de nombreux vaisseaux. Les objets de commerce étaient les métaux, qu'on savait extraire des mines et travailler, les poteries, les étoffes; on s'appliquait parfois à reproduire tant bien que mal les modèles grecs. La civilisation gauloise était déjà bien affirmée au moment où, par l'effet de la conquête, elle s'anéantit pour faire place à la civilisation des vainqueurs. La
religion gauloise.
La déeese gallo-romaine Epona. (Fouilles d'Alésia). L'organisation
sociale.
Le plus grand nombre de ces misérables cultivaient la terre au profit des nobles; d'autres, plus heureux, se groupaient autour de quelque chef puissant pour faire la guerre avec lui : c'étaient les ambactes. Un jour l'Helvète Orgétorix réunit pour sa défense personnelle une véritable armée, composée de ses ambactes, de ses débiteurs et de ses esclaves. Les noms de nobles gaulois, terminés par le suffixe rix sont nombreux; ce suffixe signifie roi, comme le latin rex. C'était à ces nobles et aux druides qu'appartenait l'exercice du pouvoir judiciaire. Les druides jugeaient les questions de limites et un grand nombre de différends publics.et privés; pour châtier les rebelles, ils usaient d'une sorte d'excommunication. Les nobles jugeaient souvent les membres de leur famille et de leur clan. La législation, qui était fort sévère, avait pour sources les prescriptions religieuses et la coutume patriarcale. Les conséquences politiques d'une telle organisation sociale étaient nécessairement le morcellement, la toute-puissance de l'aristocratie et la guerre civile constante. Il n'y avait en Gaule ni roi suprême, ni assemblée générale régulière. César dit qu'il y avait un certain nombre de civitates, divisées en pagi et en vici; on n'est pas d'accord sur le nombre de ces civitates; il y en avait peut-être une centaine; chacune formait une nation, une unité politique distincte, où le gouvernement appartenait soit à un sénat de nobles, soit à un vergobret nommé pour un an, soit à un roi qu'on avait élu ou qui devait son pouvoir à la violence. Chaque chef puissant était un dictateur en germe, et deux chefs également forts dans la même civitas étaient des ennemis nés. Aux guerres intestines s'ajoutaient les guerres entre peuples et entre confédérations de peuples. C'est d'ailleurs grâce aux luttes de la confédération des Eduens contre celle des Arvernes que les Romains avaient conquis la Narbonnaise. Les premières
invasions germaniques.
Deux de ces tribus,
les Cimbres et les Teutons,
poussèrent jusque dans le sud de la Gaule, franchirent les Pyrénées
et bataillèrent contre les Celtibères avant de revenir sur le Rhône.
Rome eut le temps d'envoyer sa meilleure armée, avec le consul Marius,
au secours des Gaulois de Provence, sujets
de Rome. Les Teutons furent entièrement exterminés dans les plaines d'Aix-en-Provence
et les Cimbres à Verceil. Les migrations d'outre-Rhin continuèrent. A
aucun moment, cependant, la Gaule, toujours partagée entre différents
peuples ou Etats, ne devait s'unir s'opposer à ce qui aurait pu apparaître
comme une ennemi commun : la Gaule sera une invention romaine.
Cavalier gaulois, dans l'iconographie du XIXe siècle. La Gaule romaineLa conquête de la Gaule.On sait comment Jules César, appelé par les Gaulois pour les délivrer des bandes d'une puissante tribu germanique, les Suèves, conduits par le roi Arioviste, en 58 av. J.-C., conquit toute la Gaule en huit ans. Il eut d'abord à lutter contre la confédération des Belges; mais, dès le début, les Rèmes avaient embrassé la cause romaine. Les Ibères attendirent pour prendre les armes qu'on vint les attaquer chez eux. Lorsque Vercingétorix fomenta le formidable soulèvement de l'an 52, il ne réussit pas à entraîner tous les peuples. Dans cette dernière période, ce fut surtout la plèbe, maladroitement opprimée par les légions et les négociants italiens, qui soutint la cause de l'indépendance; l'aristocratie, maintenue dans le devoir par Vercingétorix à force de supplices, se soumit dès que le héros fut vaincu. Après la capitulation d'Alésia, la lutte cessa ainsi d'être générale. Les Bituriges et les Carnutes se soumirent assez vite; les Bellovaques résistèrent plus longtemps. Les derniers soumis furent les Cadurques, dont les chefs s'étaient jetés dans l'oppidum d'Uxellodunum. La prise de cette place, après un siège de plusieurs mois, en 51, est le dernier épisode des longues campagnes de César. A ce moment, la Gaule était définitivement conquise. Pendant toute la guerre, César eut avec lui des membres du parti aristocratique qui préféraient la domination romaine au triomphe de la démagogie déchaînée. Rome, qui avait vaincu les Gaulois grâce à leurs divisions, allait se les assimiler par la sagesse apparente de son gouvernement et l'éclat séduisant de sa civilisation. Un jour viendra où ils se plaindront du poids des impôts; mais ils ne songeront pas à regretter le temps de leur prétendue indépendance, qui avait été pour la majorité un temps d'écrasante oppression. L'époque gallo-romaine.
A peine la conquête des Gaules par Jules César eut-elle été achevée, que ces provinces nouvelles adoptèrent avec la civilisation romaine. La langue latine se répandit avec une incroyable rapidité, comme en témoignent les milliers d'inscriptions latines déjà trouvées en Gaule. Les dieux gaulois se confondirent avec les dieux romains. Rome, à part quelques
soulèvements, comme celui des Bagaudes, produit par la misère ou les
accaparements de céréales, n'eut pas de plus fidèles sujets que les
peuples de la Gaule. De son côté, dès le temps de Jules César, elle
ouvrit le sénat à des nobles gaulois, et Claude
créa même des sénateurs originaires de la Gaule chevelue. Les empereurs
résidèrent souvent à Lutèce, à Lyon, Ã
Trèves.
Du Ier au Ve siècle, chaque cité des trois Gaules envoyait un délégué à Lyon, à l'autel où était célébré, le 1er août, le culte de Rome et de l'empereur Les délégués de la Provincia se réunissaient à Narbonne, dans le même but. Les deux grandes assemblées de notables jouirent d'une certaine influence politique. Elles communiquaient directement avec l'empereur, lui soumettant les voeux de la Gaule, se plaignant des gouverneurs romains, ou les complimentant auprès du maître. Administrée, comme toutes les possessions romaines, par des préfets, des sous-préfets et des gouverneurs; partagée en provinces, en cantons, en cités, avec Lyon comme capitale politique et siège de l'autel impérial, la Gaule présenta le même spectacle que l'Italie ou l'Afrique : magnifique réseau de routes, villes luxueuses - Lyon, Bordeaux, Autun - dont l'art gréco-romain inspire tous les monuments, commerce actif, agriculture savante. Le régime de la très grande propriété domine, et ainsi se prépare déjà la féodalité. L'instruction publique
est très florissante. Toulouse, Autun, Bordeaux sont des centres
Dès la fin du IIIe siècle, quand Rome est incapable de se défendre, c'est la Gaule qui veille à sa frontière : Trèves et Arles sont les avant-postes de Milan et de Rome. Et, quand Rome a péri, la civilisation romaine poursuit ses progrès en Gaule, s'impose même en partie aux Barbares francs, et c'est dans la Gaule, qu'au VIIIe siècle, se réveillera le nom romain, par le retour aux lettres latines et la restauration de l'Empire romain. Les
invasions barbares.
Les Burgondes s'établissent dans la vallée du Rhône, les Goths dans la vallée de la Garonne. Mais ils ne semblent pas avoir formé des groupes compacts. Au contraire, la Gaule fut entamée sérieusement à ses frontières par des peuples nouveaux, qui refoulèrent ou assujettirent les indigènes. Au sud-ouest, les Vascons, venus de la vallée supérieure de l'Ebre, s'installèrent entre les Pyrénées et l'Adour, importèrent leur langue (le basque) en cet angle du territoire et donnèrent même leur nom, la Gascogne, à tout le territoire de l'ancienne Aquitaine situé entre les Pyrénées et la Garonne : néanmoins, ils ne purent faire triompher leur langue ni leur culture dans la partie située entre l'Adour et la Garonne. Au nord-est, les Bretons insulaires, fuyant les invasions irlandaises et saxonnes, occupèrent l'extrémité de la péninsule armoricaine, où ils importèrent leur langue. A l'est et au nord,
les Germains s'installèrent à demeure les Souabes dans la vallée de
l'Ill (Alsace) et la majeure partie de l'Helvétie;
les Francs dans le cours intérieur de la
Moselle
et de la Meuse,
ainsi que dans l'angle compris entre, le Rhin,
la forêt Charbonnière, la Canche et la mer du Nord. Ces derniers réussirent,
en outre, Ã la fin du Ve et au cours du
VIe siècle, par faire reconnaître leur
autorité par les Romains restés indépendants, les Goths, les Bretons,
les Burgondes et les Alamans. Ils fondent
ainsi un grand Etat, le royaume des Francs.
Carte de la Gaule avant Clovis. La Gaule FranqueLe royaume franc.Les derniers venus des peuples germaniques étaient les Francs. Ils campaient, depuis le IVe siècle, aux deux bords du Rhin, à cheval sur le fleuve. Une province allemande porte encore leur nom (Franconie). Ils allaient le donner à la Gaule. Leurs premiers chefs, Clodion le Chevelu, Mérovée, « fils de la mer », d'après qui s'appellera la première dynastie, Childéric lui-même, dont on a trouvé le tombeau, appartiennent plus à la légende qu'à l'histoire. -
Clovis.
Dès le moment où le dernier empereur avait abdiqué (476), les hommes d'Eglise avaient jugé possible et nécessaire de s'allier avec des chefs barbares et de leur confier le pouvoir temporel laissé en déshérence. Or les Wisigoths et les Burgondes avaient été convertis par des missionnaires ariens; les Francs étaient encore fidèles à la religion germanique. Clovis comprit peut-être que le clergé et les Gallo-Romains préféreraient à des rois hérétiques un adorateur d'Odin, un orthodoxe en espérance; en tout cas il ménagea dès sa première campagne l'Eglise catholique. On sait que c'est plus par opportunisme politique que par conviction religieuse qu'il se convertit en 496 avec 3000 de ses guerriers et quels avantages son baptême lui procura. Le clergé indigène, instruit, riche, avide de pouvoir et manoeuvrier, aida fort les Francs à triompher des autres peuples germaniques, païens ou chrétiens dissidents, et à obtenir la soumission des habitants chrétiens. Comme la plupart des Gallo-Romains étaient déjà convertis, les Francs s'assurèrent facilement une emprise sur eux. Ils leur laissèrent leurs terres, au contraire de ce qui s'était passé dans les pays occupés par les Burgondes et les Wisigoths.L'alliance de la royauté et de l'Eglise, qui allait durer en France jusqu'à la fin de l'Ancien régime, était dès lors conclue. Au moment où Clovis mourut, en 511, il avait soumis les Wisigoths, sauf ceux qui habitaient la Septimanie, entre les Cévennes, le Rhône et la mer; il s'était emparé aussi des divers royaumes francs qui s'étaient fondés dans la Gaule du Nord. Il était le chef respecté des guerriers francs, qu'il avait enrichis, et des Gallo-Romains, qui ne demandaient qu'à être gouvernés. Les Francs avaient un code qu'on appelle, du nom de la tribu de Clovis, la loi salique. La loi romaine persista à côté des lois barbares. Clovis nommait les évêques; il se revendiquait comme le bienfaiteur et le « maître » du clergé catholique; il ne lui manquait même pas le pouvoir théorique, puisque l'empereur d'Orient lui avait accordé le titre de patrice. La dynastie mérovingienne était fondée. Les
Mérovingiens.
Rappelons que les faits saillants de cette histoire jusqu'à la mort de Dagobert sont de deux ordres : • D'une part les campagnes guerrières ont eu pour conséquence l'achèvement de la conquête de la Gaule et l'asservissement d'une partie de la Germanie. Le roi Clotaire conquit le pays des Burgondes et une partie de la Germanie à l'est du Rhin. Le roi Dagobert guerroya en Germanie et en Espagne.Les premiers Mérovingiens se partagèrent l'héritage de Clovis comme une propriété privée, selon la coutume des Francs Saliens. Comme ils n'étaient pas encore corrompus, ils surent agrandir cet héritage, conquérir la Burgondie et la Septimanie que Clovis n'avait pu soumettre, imposer tribut aux Frisons, aux Saxons, aux Bavarois et aux Thuringiens, et même aller ramasser du butin au delà des Alpes et des Pyrénées. Le dernier des Mérovingiens conquérants, Dagobert, reçut la soumission du duc des Bretons (Bretagne) et étendit sa domination jusqu'au Weser et jusqu'à la Bohème. Les Mérovingiens eurent la prétention d'organiser leur empire, et dans cette oeuvre ils échouèrent. Nous aurons tout à l'heure à rechercher pour quelles raisons. Deux de ces motifs nous sont déjà fournis par l'histoire même de la dynastie. D'abord, l'unité du royaume franc était à chaque instant brisée par des partages; de plus, le pouvoir était instable, la vie des princes incertaine : les enfants de Clodomir, Sigebert, Chilpéric, Brunehaut et bien d'autres périrent de mort violente. Comment les Mérovingiens auraient-ils ressuscité l'Empire? Les premiers d'entre eux, une fois en possession de leur part d'héritage, cherchèrent surtout à déposséder leur voisin; les derniers allaient vivre dans l'ombre, faibles et nuls. Rois
fainéants et maires du palais.
Les maires du
palais, officiers domestiques étaient devenus rapidement des sortes
de vice-rois. Désormais, la question est de savoir si les maires d'Austrasie
l'emporteront sur ceux de Neustrie et rétabliront
l'unité de la Gaule à leur profit. L'Austrasie, la France orientale,
avait conservé la vigueur barbare; c'est elle qui supporta le poids de
la conquête et de la christianisation des pays d'outre-Rhin; c'est en
elle que résidait la force germanique, en elle que le clergé plaçait
son espoir. LÃ grandit la famille des Pippinides, issue de deux familles
puissantes, celles d'Arnulf et du maire du palais Pépin
le Vieux. La dignité de maire du palais devint
bientôt comme héréditaire.
A partir de 737, Charles laissa vacant le trône mérovingien; il avait le titre de princeps et rien ne lui manquait pour avoir celui de roi, non pas même l'appui du pape qui l'appelait contre les Lombards. En 754, son fils, Pépin le Bref, déposa le dernier Mérovingien (Childéric III), se fit proclamer roi par ses soldats. Le pape Etienne II vint, en 754, le sacrer à Saint-Denis, moyennant la promesse d'une expédition en Italie. Ainsi l'Eglise renversait de sa propre main la dynastie mérovingienne qu'elle avait contribué à fonder. Son alliance avec la dynastie nouvelle allait s'achever sous le règne de Charlemagne. Les
transformations de la Gaule.
Ils utilisèrent tant bien que mal les débris du passé, n'étant pas assez habiles pour faire du nouveau. Leur oeuvre ressemble aux basiliques de ce temps, où les architectes ont placé, pour soutenir la toiture, des colonnes et des frises empruntées aux beaux monuments de l'Antiquité; telle colonne était trop petite, on l'a exhaussée avec un socle; telle autre trop grande, on l'a raccourcie sans souci des proportions, et l'on a cru faire du beau et du solide. Les basiliques primitives n'ont pas été respectées par le temps; la maison où les Mérovingiens se logèrent était aussi un édifice mal bâti et peu durable. La Gaule, composante
de l'Empire carolingien.
L'oeuvre de cette famille pippinide et carolingienne a été la restauration d'un grand empire occidental. A la mort de Pépin d'Héristal, les ducs de Bavière et de Souabe avaient repris leur indépendance; les Saxons avaient envahi la Thuringe; les Frisons s'étaient soulevés; Eudes s'était proclamé roi d'Aquitaine; enfin, les Arabes, depuis 712, faisaient des incursions en Gaule et occupaient une partie de la Septimanie. Charles-Martel, Pépin le Bref et Charlemagne passèrent leur vie à guerroyer. Si ce n'est pas à l'effroi qu'ils inspiraient, mais aux guerres religieuses entre Arabes et Berbères que le recul de l'invasion musulmane doit être attribué, ce sont bien, en revanche, ces trois conquérants qui ont, par leur propre activité guerrière, soumis les Aquitains, conquis l'Italie, dompté et converti les païens de Germanie jusqu'à l'Elbe. A cette époque, l'histoire de ce qui va devenir la France se confond avec celle de l'Italie et de l'Allemagne. Charlemagne.
Avec Charlemagne, l'idée d'Etat reparut avec force, comme en témoignent ces lois qu'il édicta et connues sous le nom Capitulaires. Il s'agit plus de 600 articles de législation civile, pénale et religieuse, qui se veulent rédigés dans la perspective du « salut de la patrie » et du « profit du peuple ». Charlemagne avait un modèle en tête, le même que celui auquel pensaient les Mérovingiens : L'Empire romain. Mais, lui ne songeait pas seulement puiser en lui prestige et legitimité, il voyait plus loin. Le grand Etat s'était scindé, dans ses derniers temps, en deux morceaux : l'Empire d'Occident avec sa capitale à Rome, l'Empire d'Orient avec sa capitale dans l'ancienne Byzance, nommée Constantinople depuis l'empereur Constantin. L'Empire d'Occident s'était écroulé, sous les coups des Barbares, en 476. Charlemagne voulait le relever à son profit et l'Eglise y trouvait aussi son intérêt. Depuis qu'Odoacre avait renvoyé les insignes de l'empereur d'Occident au basileus de Constantinople, c'était celui-ci qui, en théorie, gouvernait l'héritage de Théodose. Mais personne ne trouvait utile de soutenir la valeur d'une telle théorie. Le pape, au contraire, avait intérêt à reconstituer l'empire d'Occident au profit d'un allié sûr. Etant revenu à Rome vingt-cinq ans après sa guerre contre les Lombards, à la Noël de 800, Charlemagne se fit proclamer empereur romain (Imperator Augustus) par son armée et couronner par le pape Léon III. Au moment où le nouvel empereur priait dans la basilique de Saint-Pierre de Rome, le pape lui mit une couronne sur la tête, et tous les assistants s'écrièrent : « A Charles Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »L'union du sacerdoce et de l'Empire était consommée. Le Saint-Empire romain germanique, ainsi qu'il s'appellera - sans être ni romain ni saint - dura à travers tout le Moyen âge et les Temps modernes jusqu'à Napoléon, qui le trouva réduit à l'Allemagneet à l'Autriche, et en effaça le nom de la carte. A l'époque de sa plus grande étendue, sous Charlemagne, il comprenait la Gaule franque, la Germanie jusqu'à l'Oder et à la Save, l'Italie jusqu'au Bénévent et le nord de l'Espagne. Il avait deux capitales : Rome et Aix-la-Chapelle. Mais Charlemagne avait compris qu'il ne pouvait restaurer l'édifice impérial qu'à la condition d'en changer les fondements mêmes. Il savait apprécier la civilisation romaine dont les gens d'Eglise lui vantaient la grandeur, mais la nature même de son esprit et de ses goûts le portait à respecter les effets des invasions germaniques. Roi guerrier, il ne porta que deux fois
le costume des anciens empereurs, et encore ne voulut-il pas se séparer
de son épée. Il réunit très régulièrement les assemblées générales,
où il délibérait avec l'aristocratie et soumettait ses capitulaires
à l'approbation des hommes libres. Il abandonna définitivement le système
fiscal romain et se contenta de ses revenus privés; il n'eut beaucoup
de ressources que parce qu'il était le plus grand propriétaire foncier
de l'Empire et qu'il sut administrer ses biens avec sagesse.
Monnaies du règne de Charlemagne. Un certain nombre d'institutions nouvelles établirent une centralisation qui n'avait rien de commun avec celle du Bas-Empire. Tous les hommes libres firent le serment personnel au souverain ; les fonctionnaires du palais et ceux qui administraient la Gaule, la Germanie, l'Italie étaient étroitement surveillés; les missi dominici faisaient des tournées pour corriger les abus commis par les comtes et même les évêques; les ducs n'avaient plus qu'un pouvoir militaire. L'exercice de la justice locale, au temps des Mérovingiens, appartenait aux hommes libres de chaque circonscription (Rachimbourgs); elle est maintenant entre les mains des scabins, qui sont de véritables fonctionnaires, et des centeniers, qui sont devenus des agents du pouvoir central. Le droit de battre monnaie fut exclusivement réservé aux ateliers impériaux. Enfin, Charlemagne, ne pouvant avoir d'armée permanente, réglementa du moins l'obligation du service militaire en temps de guerre. De par sa place dans l'histoire, Charlemagne n'appartient ni à l'Allemagne ni à la France : il est un Rhénan. Au contraire des Mérovingiens qui ont leurs capitales préférées sur la Seine et sur la Loire, il réside le plus volontiers à Aix-la-Chapelle, la nouvelle Rome. Il a fait du Rhin l'artère principale, l'axe de l'Empire dont il a reculé les limites orientales à l'Elbe et au Danube. De toutes les entreprises étonnantes qui remplissent son règne, celle dont il a eu le plus constamment le dessein, ce fut l'union sous un seul maître de la Gaule et de la Germanie ancestrale, devenue la conquête de la Gaule franque. Cependant il avait conçu l'Empire autrement que les grandes monarchies orientales, d'un Attila ou d'un Tamerlan; sa conception, on l'a dit, fut romaine par le souci de l'ordre et de la règle et par la constante tendance à subordonner l'individu au système. Quand il mourut à Aix-la-Chapelle, âgé de plus de soixante-dix ans, il fut placé dans un sarcophage antique qu'on voit encore et qui porte cette inscription : " Ici repose le corps de Charlemagne, grand et orthodoxe empereur qui accrut largement le royaume des Francs et le gouverna heureusement pendant quarante-six ans. »L'héritage de Charlemagne. Les premiers Carolingiens avaient fondé un empire puissant où l'on pouvait travailler et penser. Cette habile restauration du pouvoir monarchique ne retarda cependant que d'un demi-siècle le morcellement politique et la formation du régime féodal. Sans doute, l'immense empire était-il trop vaste. Trop de pays déjà différents par les moeurs et par le degré de culture, trop de peuples d'origines diverses qui ne se connaissent pas les uns les autres, avaient été agglomérés dans l'unité factice et purement nominale de l'Empire des Francs. Mais ce n'est pas la seule explication. Depuis les invasions, il s'était produit des phénomènes sociaux qui préparaient invinciblement une organisation nouvelle. D'abord, les villes avaient perdu tout ou partie de leurs habitants. On n'a que très peu de renseignements sur la vie urbaine à cette époque, même pour le Midi, où une certaine activité s'était conservée dans les anciens grands centres d'industrie et de commerce. C'est à la campagne que vivent en immense majorité les hommes libres, les gens d'Eglise, les non-libres. Dans cette population, l'origine n'a pas grande importance et ne se manifeste guère que dans les différences de wergeld; en revanche, les distinctions de classes sont nettes. Il n'y a pas de noblesse; mais les hommes libres ou leudes vivent, en somme, noblement, comme l'on dira plus tard; ils portent les armes et se nourrissent du produit de leurs terres, cultivées par des non-libres. Parmi les leudes se distinguent en haut ceux qui ont pris un engagement spécial envers le roi et forment sa truste , et en bas ceux qui, impuissants à se défendre, ont dû solliciter ou accepter la protection d'un puissant voisin. Ces contrats personnels n'entraînent pas d'abord forcément des concessions de biens; mais, au VIIe siècle, il y a déjà beaucoup de bénéfices accordés par le roi à ses antrustions et par le seigneur à ses recommandés ou vassaux, à charge de certains services. Quand la concession viagère sera devenue perpétuelle, la féodalité existera. Un autre caractère du Moyen âge sera qu'il n'y aura entre le roi et le grand propriétaire qu'un lien personnel, et que celui-ci sera le maître chez lui; or, dès les temps mérovingiens, les rois accordaient l'immunité, qui fermaient à leurs fonctionnaires l'entrée du domaine de l'immunitaire. A côté de cette espèce de noblesse Ã
laquelle il manque encore des titres héréditaires, se dresse l'Eglise.
C'était alors une très grande puissance. Les Mérovingiens l'avait comblée
de dons, et elle avait l'immunité pour ses domaines, de jour en jour plus
considérables. Puis elle eut la dîme. Elle se fit la protectrice des
misérables et usa en leur faveur du droit d'asile et de l'excommunication;
elle proclama l'égalité de tous devant Dieu;
elle rappela aux Barbares qu'ils avaient une âme; elle justifia ses richesses
par ses services. Mais, en même temps, ses richesses firent d'elle une
aristocratie territoriale; non seulement maints évêques et maints abbés
laissèrent tomber leur crosse dans la boue et dans le sang, mais encore,
chose plus grave pour la marche de l'histoire, les plus pieux comme les
moins recommandables devinrent des seigneurs, entrèrent dans la truste
du roi, eurent des fidèles; l'Eglise adopta les cadres du régime nouveau.
De profonds changements eurent lieu aussi dans les classes non libres.
Les Barbares, après leur entrée en Gaule,
avaient adopté tout d'abord l'esclavage à la manière romaine, qui était
inconnu en Germanie, où l'esclave était une sorte de colon. Mais l'esclavage
personnel romain, la familia urbana, la valetaille qui encombrait
les palais des villes, devait forcément disparaître, maintenant que les
rois eux-mêmes vivaient à la campagne; les esclaves vinrent donc tous
travailler dans les villae. La condition des colons empira; on ne se fit
pas scrupule de les vendre, et ils se confondirent à peu près avec les
esclaves. Ainsi naquit le servage.
Charlemagne avait fondé la seule monarchie possible en un temps ou les idées romaines d'imperium, de droit public, d'administration étaient devenues des abstractions incompréhensibles. Il n'avait nullement cherché à contrarier le développement de la vassalité, qui rattachait les uns aux autres les sujets de son immense empire; ses officiers avaient plus d'autorité sur les hommes libres, quand ceux-ci étaient leurs vassaux. Mais le jour n'était pas éloigné où ces officiers allaient devenir des souverains. La force de cette royauté sans armée permanente et sans finances régulières résidait dans le génie personnel de son fondateur. Sous les successeurs incapables de Charlemagne, l'Empire tomba en dissolution. La
dissolution de l'Empire carolingien.
Sceau et monnaie de Charles le Chauve. Ce n'est pas sans raison que l'on a insisté sur l'importance de ces événements, mais on en a souvent dénaturé le caractère; les luttes fratricides des fils de Louis le Pieux n'ont pas eu pour cause fatale l'antagonisme de prétendues nationalités naissantes; ce sont ces luttes, au contraire, qui ont été la cause lointaine de la naissance des nationalités et de leur antagonisme. Le traité par lequel a pris fin cette pure querelle de succession créait, en effet, trois royaumes, l'Italie, l'Allemagne et la France, et leur assignait des frontières qui ne pouvaient se justifier ni par l'ethnographie, ni par la linguistique, ni par la géographie, ni par la tradition. Pour ne parler que du royaume de Charles le Chauve, il avait pour limites à l'Est l'Escaut, la moyenne et la haute Meuse, la Saône et le Rhône (moins quelques enclaves, telles que Lyon, laissées dans la part de Lothaire). C'est dans ce pays que s'élaborera le concept de nation française; de bonne heure, les rois de ce pays songeront à briser le traité de Verdun, et le but classique de la politique des Capétiens sera l'acquisition des « frontières naturelles de la Gaule », telles que les décrivait César. A l'époque de la Première Guerre mondiale (1914-1918), cette question n'était pas encore réglée. Le partage de 843 a donc été dans l'histoire de la France et de l'Allemagne d'une importance causale extraordinaire. Il est difficile de s'orienter dans la lamentable et confuse histoire de la dissolution de l'Empire carolingien. Mais si l'on s'en tient à une vue générale du sujet, on voit qu'un seul fait domine et résume le règne de Charles le Chauve et de ses successeurs (Louis Il, Louis III, Carloman, Charles le Gros). Ce fait est l'émiettement du pouvoir monarchique. La théorie même de ce pouvoir est très obscure pour les hommes de ce temps; l'Empire a été partagé, mais son unité mystique subsiste; Charles le Chauve joint à sa couronne de roi la couronne de Charlemagne, et Charles le Gros réunit un instant tout l'héritage impérial. Ainsi, la France n'a pas encore un roi qui daigne se soucier spécialement d'elle; les noms de royaumes de France et d'Allemagne n'existent même pas encore : Charles le Chauve et son frère, Louis le Germanique, portent tous deux le titre de roi des Francs. A supposer que Charles le Chauve eût eu conscience du véritable caractère de l'événement de 843 et eût deviné la meilleure politique à suivre, il n'aurait sans doute pas réussi à établir fortement son pouvoir. Les
Vikings.
Déjà Charlemagne lui-même s'était montré inquiet de l'apparition de ces hardis pirates; l'incapacité de ses successeurs ne créa pas le danger viking, mais elle le laissa grandir. Finalement, ils traitèrent (en 911) avec le roi Charles le Simple, comme ils avaient fait déjà avec le roi d'Angleterre, Alfred le Grand. Le roi leur abandonna la province qui s'étend, voisine de la mer, aux deux bords de la Seine et qui s'appela, d'après eux, Normandie. Leur chef Rollon reçut le baptême des mains de l'archevêque, prit le titre de duc des Normands, donna à ses nouveaux sujets des lois sages et ne tarda pas à faire du pays qu'il avait mis à feu et à sang, avant d'en être le maître, une terre prospère et riche. Dès la seconde génération, les Normands adoptèrent la langue française. Ils allaient devenir les propagateurs actifs de la civilisation et des idées de leur pays d'adoption. L'un des descendants du duc Rollon, Guillaume le Bâtard (ou Guillaume le Conquérant), fortement appuyé par l'Eglise de Rome, passa la Manche, débarqua en Angleterre, y défit les Anglo-Saxons à la bataille de Hastings (1066) et devint roi de tout le pays jusqu'à l'Ecosse. D'autres Normands avaient conquis l'Islande, la Sicile, où ils fondèrent un royaume, et, sous le nom de Varègues, la Russie, dont ils firent un empire. Naissance
de la féodalité.
Cette aristocratie triompha définitivement lorsque l'Empire carolingien se disloqua de nouveau après la déposition de Charles le Gros (887). La couronne devint élective dans les divers royaumes qui se fondèrent. Par la création du royaume de Lorraine, qui fut annexé en 900 à l'Allemagne, et des royaumes de Provence et de Bourgogne, qui ne furent réunis à l'Allemagne qu'en 1034, la France fut ramenée aux limites de 843, qui avaient été modifiées en 870 par le traité de Mersen. En attendant qu'un peuple conscient de lui-même et qu'une dynastie nationale se constituassent dans ces cadres, naquit le monde féodal, préparé dès l'époque mérovingienne. (Ch. Petit-Dutaillis / J. Reinach / NLI). |
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