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Histoire de la Gaule

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La Gaule romaine
La Gaule mérovingienne L'Empire carolingien*
Les auteurs romains  ont donné le nom de Gaule à la partie occidentale de la vaste région que les Grecs  appelaient Keltiké, pays des Celtes, et qui s'étendait de l'océan Atlantique à la mer Noire. La Gaule propre avait pour limites l'Océan Atlantique, les Pyrénées, la mer Méditerranée, les Alpes et le Rhin

Ce pays était divisé en plusieurs grandes régions : l'Aquitaine, située entre les Pyrénées et la Garonne et habitée par les Ibères; la Celtique, située entre la Garonne, la Seine et la Marne et habitée par les Celtes; la Belgique, située au Nord de la Seine et de la Marne et habitée par un mélange de Celtes et d'immigrants germains. Quant au Sud-Est de la Gaule, habité par des Celtes et des Ligures, il avait été  intégré aux grandes civilisations de la Méditerranée bien avant le temps de la conquête de César.

La Gaule des Celtes

Dès le commencement du VIe siècle av. J.-C., les Grecs de Phocée vinrent fonder Massilia (Marseille) sur le littoral méditerranéen. Marseille devint très vite une république importante, fit peut-être connaître aux Gaulois l'usage de l'alphabet et de la monnaie et même sous la domination romaine resta une ville grecque et garda son autonomie. Autour d'elles s'élevaient des colonies qu'elle avait fondées ou adoptées, telle qu'Agathè Tychè (Agde), Nicaea (Nice), Antipolis (Antibes), Arles, etc. 

Dès 154, Marseille appela les Romains à son aide contre les Ligures qui l'inquiétaient et entravaient le développement de son commerce. Après plusieurs campagnes, les Romains établirent une garnison à Aix-en-Provence et finalement réduisirent sous leur domination toute la région comprise entre la Méditernanée, les Pyrénées, la Gimone, le Tarn, les Cévennes, le cours moyen du Rhône et une ligne à peu près droite allant de Genève au Var. Ce fut la Province Narbonnaise ou simplement la Province (Provence). La capitale en fut Narbonne, où une colonie fut envoyée en 118. Les villes gauloises de Toulouse, Nîmes, Avignon, Orange, Vienne, Genève, etc., devinrent de florissantes cités romaines. Le reste de la Gaule conserva encore son indépendance pendant soixante ans. 

Guerres des Gaulois. 
On sait quelles aventureuses expéditions les Gaulois firent hors de leur pays. Bien des siècles avant la fondation de Rome, ils descendirent en Italie et par des migrations successives peuplèrent la plaine du Pô. En 390, ils prirent Rome et ne cessèrent de menacer la puissante république qu'après des luttes acharnées, qui se terminèrent en 191 par la réduction de la Gaule Cisalpine en province romaine. Après la mort d'Alexandre le Grand, des bandes de Gaulois envahirent la Grèce, puis l'Asie Mineure et y fondèrent même un Etat ( Galatie). Il est bien vraisemblable que l'esprit d'aventures ne fut pas la seule cause de ces migrations, même si les témoignages des anciens auteurs sur les Gaulois, insistent sur leur impétuosité : 

« A la moindre excitation ils courent au combat, mais cela ouvertement et sans aucune circonspection, de sorte que la ruse et l'habileté militaire viennent aisément à bout de leurs efforts. » (Strabon).
Civilisation.
La vie matérielle.
La simplicité de la vie était grande, et ne devait pas beaucoup différer de celle de l'Italie romaine. On cultivait la terre, on élevait du bétail. On se nourrissait surtout de pain, de lait, de poisson et de viande de porc. Les villes n'étaient guère que des bourgades; certaines étaient construites sur des hauteurs ou placées dans des endroits d'accès difficile; on y transportait les blés et les diverses richesses. Il y avait déjà des routes et des ponts, une navigation fluviale assez active; les Vénètes et les Santons avaient de nombreux vaisseaux. Les objets de commerce étaient les métaux, qu'on savait extraire des mines et travailler, les poteries, les étoffes; on s'appliquait parfois à reproduire tant bien que mal les modèles grecs. La civilisation gauloise était déjà bien affirmée au moment où, par l'effet de la conquête, elle s'anéantit pour faire place à la civilisation des vainqueurs.

La religion gauloise.
On connaît très mal la religion des Celtes. Et ce qu'en disent les auteurs latins n'est pas nécessairement fiable. Il semble qu'ils avaient des dieux généraux, par exemple les dieux solaires comme Belen et les dieux infernaux comme Teutatès et une foule innombrable de divinités locales; bien longtemps après la diffusion du christianisme, les paysans voueront encore un culte à des rochers, des sources, des arbres
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Epona.
La déeese gallo-romaine Epona.
(Fouilles d'Alésia).

L'organisation sociale.
Ce que nous savons sur les autres peuples anciens de l'ensemble indo-européen concorde avec les textes des Commentaires pour nous faire croire que la base de cette société gauloise était le régime patriarcal. Un certain nombre de familles établies dans le pays depuis des temps très reculés possédaient le sol et les richesses; les membres de ces familles étaient sans doute les nobles dont nous parle César. Avec les druides et les bardes, ils composaient la classe privilégiée. Ceux qui pour quelque motif avaient abandonné leur famille, les émigrants, les endettés, les prisonniers de guerre, formaient la foule innombrable des esclaves et des plébéiens, qui se confondaient sous le joug : « La plèbe est à peu près une classe servile », dit César. 

Le plus grand nombre de ces misérables cultivaient la terre au profit des nobles; d'autres, plus heureux, se groupaient autour de quelque chef puissant pour faire la guerre avec lui : c'étaient les ambactes. Un jour l'Helvète Orgétorix réunit pour sa défense personnelle une véritable armée, composée de ses ambactes, de ses débiteurs et de ses esclaves. Les noms de nobles gaulois, terminés par le suffixe rix sont nombreux; ce suffixe signifie roi, comme le latin rex. C'était à ces nobles et aux druides qu'appartenait l'exercice du pouvoir judiciaire. Les druides jugeaient les questions de limites et un grand nombre de différends publics.et privés; pour châtier les rebelles, ils usaient d'une sorte d'excommunication. Les nobles jugeaient souvent les membres de leur famille et de leur clan. La législation, qui était fort sévère, avait pour sources les prescriptions religieuses et la coutume patriarcale.

Les conséquences politiques d'une telle organisation sociale étaient nécessairement le morcellement, la toute-puissance de l'aristocratie et la guerre civile constante. Il n'y avait en Gaule ni roi suprême, ni assemblée générale régulière. César dit qu'il y avait un certain nombre de civitates, divisées en pagi et en vici; on n'est pas d'accord sur le nombre de ces civitates; il y en avait peut-être une centaine; chacune formait une nation, une unité politique distincte, où le gouvernement appartenait soit à un sénat de nobles, soit à un vergobret nommé pour un an, soit à un roi qu'on avait élu ou qui devait son pouvoir à la violence. Chaque chef puissant était un dictateur en germe, et deux chefs également forts dans la même civitas étaient des ennemis nés. Aux guerres intestines s'ajoutaient les guerres entre peuples et entre confédérations de peuples. C'est d'ailleurs grâce aux luttes de la confédération des Eduens contre celle des Arvernes que les Romains avaient conquis la Narbonnaise

Les premières invasions germaniques. 
Les tribus germaniques, qui habitaient les pays de la rive droite du Rhin jusqu'à l'Elbe et jusqu'au Danube, s'éveillèrent dès le IIIe siècle avant notre ère; elles envahirent fréquemment la Gaule, à la recherche de terres plus fertiles que les leurs, qui n'étaient alors que forêts épaisses et marécages. Les Romains disaient des Germains qu'ils faisaient la guerre « pour le butin». 

Deux de ces tribus, les Cimbres et les Teutons, poussèrent jusque dans le sud de la Gaule, franchirent les Pyrénées et bataillèrent contre les Celtibères avant de revenir sur le Rhône. Rome eut le temps d'envoyer sa meilleure armée, avec le consul Marius, au secours des Gaulois de Provence, sujets de Rome. Les Teutons furent entièrement exterminés dans les plaines d'Aix-en-Provence et les Cimbres à Verceil. Les migrations d'outre-Rhin continuèrent. A aucun moment, cependant, la Gaule, toujours partagée entre différents peuples ou Etats, ne devait s'unir s'opposer à ce qui aurait pu apparaître comme une ennemi commun : la Gaule sera une invention romaine. 
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Cavallier gaulois.
Cavalier gaulois, dans l'iconographie du XIXe siècle.

La Gaule romaine

La conquête de la Gaule.
On sait comment Jules César, appelé par les Gaulois pour les délivrer des bandes d'une puissante tribu germanique, les Suèves, conduits par le roi Arioviste, en 58 av. J.-C., conquit toute la Gaule en huit ans. Il eut d'abord à lutter contre la confédération des Belges; mais, dès le début, les Rèmes avaient embrassé la cause romaine. Les Ibères attendirent pour prendre les armes qu'on vint les attaquer chez eux.

Lorsque Vercingétorix fomenta le formidable soulèvement de l'an 52, il ne réussit pas à entraîner tous les peuples. Dans cette dernière période, ce fut surtout la plèbe, maladroitement opprimée par les légions et les négociants italiens, qui soutint la cause de l'indépendance; l'aristocratie, maintenue dans le devoir par Vercingétorix à force de supplices, se soumit dès que le héros fut vaincu. Après la capitulation d'Alésia, la lutte cessa ainsi d'être générale. Les Bituriges et les Carnutes se soumirent assez vite; les Bellovaques résistèrent plus longtemps. Les derniers soumis furent les Cadurques, dont les chefs s'étaient jetés dans l'oppidum d'Uxellodunum. La prise de cette place, après un siège de plusieurs mois, en 51, est le dernier épisode des longues campagnes de César. A ce moment, la Gaule était définitivement conquise.

Pendant toute la guerre, César eut avec lui des membres du parti aristocratique qui préféraient la domination romaine au triomphe de la démagogie déchaînée. Rome, qui avait vaincu les Gaulois grâce à leurs divisions, allait se les assimiler par la sagesse apparente de son gouvernement et l'éclat séduisant de sa civilisation. Un jour viendra où ils se plaindront du poids des impôts; mais ils ne songeront pas à regretter le temps de leur prétendue indépendance, qui avait été pour la majorité un temps d'écrasante oppression.

L'époque gallo-romaine.
On appelle période gallo-romaine celle où les Gaulois furent administrés par les Romains, puis, après la chute de Rome, continuèrent la tradition de leurs vainqueurs jusqu'au moment où ils achevèrent leur fusion avec les Francs.

A peine la conquête des Gaules par Jules César eut-elle été achevée, que ces provinces nouvelles adoptèrent avec la civilisation romaine. La langue latine se répandit avec une incroyable rapidité, comme en témoignent les milliers d'inscriptions latines déjà trouvées en Gaule. Les dieux gaulois se confondirent avec les dieux romains

Rome, à part quelques soulèvements, comme celui des Bagaudes, produit par la misère ou les accaparements de céréales, n'eut pas de plus fidèles sujets que les peuples de la Gaule. De son côté, dès le temps de Jules César, elle ouvrit le sénat à des nobles gaulois, et Claude créa même des sénateurs originaires de la Gaule chevelue. Les empereurs résidèrent souvent à Lutèce, à Lyon, à Trèves
 

La division administrative de la Gaule romaine

Les Romains vainqueurs conservèrent d'abord la division tripartite en Aquitaine, Celtique et Belgique. Mais, sous Auguste, les limites respectives de ces régions furent remaniées de façon que chacune d'elles eut une superficie à peu près égale. 

L'Aquitaine s'étendit jusqu'à la Loire; la Belgique s'accrut du pays des Séquanes et des Helvètes. En revanche, elle perdit une longue et étroite bande de terre sur la rive gauche du Rhin, laquelle forma deux commandements militaires : Germanie supérieure et Germanie inférieure. La Celtique, ainsi réduite, fut appelée Lyonnaise, du nom de la capitale des trois Gaules, Lyon (Lugdunum). Enfin, il faut distinguer de l'ancienne Provincia, appelée depuis Narbonnaise, du nom de sa capitale, Narbonne, trois petits Etats montagneux : Alpes-Maritimes, Alpes-Cottiennes, Alpes-Pennines.

Pendant trois siècles, la Gaule resta divisée entre ces neuf circonscriptions. Mais, aux IVe et Ve siècles, le nombre des provinces s'éleva à dix-sept, partagées en deux diocèses :

I. Diocèse des Gaules :
1. Belgique Ire (ch.-l. Trèves); 2. Belgique IIe (Reims); 3. Germanie Ire (.Mayence); 4. Germanie IIe, (Cologne); 5. Grande Séquanaise (Besançon); 6. Lyonnaise Ire (Lyon 7. Lyonnaise Ile (Rouen); 8. Lyonnaise IIIe (Tours); 9. Lyonnaise IV, ou Sénonaise (Sens) ; 10. Alpes-Grées et Pennines (Moutiers). 

II. Diocèse de Vienne ou des Sept provinces : 
11. Viennoise ( Vienne); 12. Narbonnaise lre (Narbonne); 13. Narbonnaise IIe (Aix-en-Provence); 14. Novempopulanic (Eauze et plus tard Auch); 15. Aquitaine Ire (Bourges); 16. Aquitaine IIe (Bordeaux); 17. Alpes-Maritimes (Embrun). 

Du Ier au Ve siècle, chaque cité des trois Gaules envoyait un délégué à Lyon, à l'autel où était célébré, le 1er août, le culte de Rome et de l'empereur Les délégués de la Provincia se réunissaient à Narbonne, dans le même but. Les deux grandes assemblées de notables jouirent d'une certaine influence politique. Elles communiquaient directement avec l'empereur, lui soumettant les voeux de la Gaule, se plaignant des gouverneurs romains, ou les complimentant auprès du maître.

Administrée, comme toutes les possessions romaines, par des préfets, des sous-préfets et des gouverneurs; partagée en provinces, en cantons, en cités, avec Lyon comme capitale politique et siège de l'autel impérial, la Gaule présenta le même spectacle que l'Italie ou l'Afrique : magnifique réseau de routes, villes luxueuses - Lyon, Bordeaux, Autun - dont l'art gréco-romain inspire tous les monuments, commerce actif, agriculture savante. Le régime de la très grande propriété domine, et ainsi se prépare déjà la féodalité.

L'instruction publique est très florissante. Toulouse, Autun, Bordeaux sont des centres
intellectuels. La Gaule fournit à Rome autant de brillants avocats et de rhéteurs illustres que de rudes soldats. Ausone, Paulin de Nole, Claudien, Eumène, Rutilius Namatianus, Sulpice-Sévère, Sidoine Apollinaire, et avec eux une foule d'autres poètes, orateurs, ou apologistes chrétiens, soutiennent la gloire littéraire de la langue latine. 

Dès la fin du IIIe siècle, quand Rome est incapable de se défendre, c'est la Gaule qui veille à sa frontière : Trèves et Arles sont les avant-postes de Milan et de Rome. Et, quand Rome a péri, la civilisation romaine poursuit ses progrès en Gaule, s'impose même en partie aux Barbares francs, et c'est dans la Gaule, qu'au VIIIe siècle, se réveillera le nom romain, par le retour aux lettres latines et la restauration de l'Empire romain.

Les invasions barbares.
Prospère pendant quatre siècles, la Gaule romaine tombe en décadence, comme tout l'empire, au cours du IVe siècle. Au Ve, elle est occupée par les Barbares, d'abord simples auxiliaires de l'Empire, que la force des choses rendit maîtres de la situation. 

Les Burgondes s'établissent dans la vallée du Rhône, les Goths dans la vallée de la Garonne. Mais ils ne semblent pas avoir formé des groupes compacts. Au contraire, la Gaule fut entamée sérieusement à ses frontières par des peuples nouveaux, qui refoulèrent ou assujettirent les indigènes. Au sud-ouest, les Vascons, venus de la vallée supérieure de l'Ebre, s'installèrent entre les Pyrénées et l'Adour, importèrent leur langue (le basque) en cet angle du territoire et donnèrent même leur nom, la Gascogne, à tout le territoire de l'ancienne Aquitaine situé entre les Pyrénées et la Garonne : néanmoins, ils ne purent faire triompher leur langue ni leur culture dans la partie située entre l'Adour et la Garonne. Au nord-est, les Bretons insulaires, fuyant les invasions irlandaises et saxonnes, occupèrent l'extrémité de la péninsule armoricaine, où ils importèrent leur langue. 

A l'est et au nord, les Germains s'installèrent à demeure les Souabes dans la vallée de l'Ill (Alsace) et la majeure partie de l'Helvétie; les Francs dans le cours intérieur de la Moselle et de la Meuse, ainsi que dans l'angle compris entre, le Rhin, la forêt Charbonnière, la Canche et la mer du Nord. Ces derniers réussirent, en outre, à la fin du Ve et au cours du VIe siècle, par faire reconnaître leur autorité par les Romains restés indépendants, les Goths, les Bretons, les Burgondes et les Alamans. Ils fondent ainsi un grand Etat, le royaume des Francs. 
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Carte de la Gaule avant Clovis.
Carte de la Gaule avant Clovis.

La Gaule Franque

Le royaume franc.
Les derniers venus des peuples germaniques étaient les Francs. Ils campaient, depuis le IVe siècle, aux deux bords du Rhin, à cheval sur le fleuve. Une province allemande porte encore leur nom (Franconie). Ils allaient le donner à la Gaule. Leurs premiers chefs, Clodion le Chevelu, Mérovée, « fils de la mer », d'après qui s'appellera la première dynastie, Childéric lui-même, dont on a trouvé le tombeau, appartiennent plus à la légende qu'à l'histoire.
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Epée de Childéric.
Épée de Childéric Ier et objets divers trouvés dans son tombeau, à Tournai, en 1665, et offerts à Louis XIV par l'archevêque électeur de Mayence. Cette épée, dont la lame n'existe plus, était, semble-t-il, de petites dimensions. Une lamelle d'or recouvre la poignée de bois. C'est le plus précieux objet pour l'histoire de l'orfèvrerie cloisonnée. 

Clovis.
Les Francs étaient avides de conquêtes. Leurs établissements de Belgique et de Picardie ne leur suffirent pas. Sous le règne de Clovis, ils poussèrent d'abord jusqu'à la Seine et à la Loire, renversant l'État gallo-romain. Ils obligèrent ensuite les Burgondes à leur payer tribut, chassèrent les Wisigoths en Espagne et s'emparèrent de la rive gauche du Rhin. Ils devinrent ainsi les maîtres de tout le pays entre Rhin, Océan Atlantique et Pyrénées. 

Dès le moment où le dernier empereur avait abdiqué (476), les hommes d'Eglise avaient jugé possible et nécessaire de s'allier avec des chefs barbares et de leur confier le pouvoir temporel laissé en déshérence. Or les Wisigoths et les Burgondes avaient été convertis par des missionnaires ariens; les Francs étaient encore fidèles à la religion germanique

Clovis comprit peut-être que le clergé et les Gallo-Romains préféreraient à des rois hérétiques un adorateur d'Odin, un orthodoxe en espérance; en tout cas il ménagea dès sa première campagne l'Eglise catholique. On sait que c'est plus par opportunisme politique que par conviction religieuse qu'il se convertit en 496 avec 3000 de ses guerriers et quels avantages son baptême lui procura. Le clergé indigène, instruit, riche, avide de pouvoir et manoeuvrier, aida fort les Francs à triompher des autres peuples germaniques, païens ou chrétiens dissidents, et à obtenir la soumission des habitants chrétiens. Comme la plupart des Gallo-Romains étaient déjà convertis, les Francs s'assurèrent facilement une emprise sur eux. Ils leur laissèrent leurs terres, au contraire de ce qui s'était passé dans les pays occupés par les Burgondes et les Wisigoths.L'alliance de la royauté et de l'Eglise, qui allait durer en France jusqu'à la fin de l'Ancien régime, était dès lors conclue. 

Au moment où Clovis mourut, en 511, il avait soumis les Wisigoths, sauf ceux qui habitaient la Septimanie, entre les Cévennes, le Rhône et la mer; il s'était emparé aussi des divers royaumes francs qui s'étaient fondés dans la Gaule du Nord. Il était le chef respecté des guerriers francs, qu'il avait enrichis, et des Gallo-Romains, qui ne demandaient qu'à être gouvernés.  Les Francs avaient un code qu'on appelle, du nom de la tribu de Clovis, la loi salique. La loi romaine persista à côté des lois barbares. Clovis nommait les évêques; il se revendiquait comme le bienfaiteur et le « maître » du clergé catholique; il ne lui manquait même pas le pouvoir théorique, puisque l'empereur d'Orient lui avait accordé le titre de patrice. La dynastie mérovingienne était fondée. 

Les Mérovingiens.
La dynastie mérovingienne domina la Gaule depuis la fin du Ve siècle jusqu'au milieu du VIIIe siècle. Nous n'avons pas à reprendre ici l'histoire des rois mérovingiens (V. principalement Thierry Ier, Clodomir, Childebert Ier, Clotaire Ier et Il, Gontran, Chilpéric Ier, Sigebert, Frédégonde, Brunehaut, Dagobert Ier). 

Rappelons que les faits saillants de cette histoire jusqu'à la mort de Dagobert sont de deux ordres :

• D'une part les campagnes guerrières ont eu pour conséquence l'achèvement de la conquête de la Gaule et l'asservissement d'une partie de la Germanie. Le roi Clotaire conquit le pays des Burgondes et une partie de la Germanie à l'est du Rhin. Le roi Dagobert guerroya en Germanie et en Espagne. 

• D'autre part, des tragédies farouches ensanglantèrent les règnes de rois mérovingiens. La lutte des deux reines Brunehaut et Frédégonde, femmes de deux petits-fils de Clovis qui s'étaient partagé le royaume, est le sujet d'un fameux récit du premier historien des Francs, Grégoire de Tours. Clotaire Il s'étant emparé de Brunehaut, la fit attacher à la queue d'un cheval lancé au galop.

Les premiers Mérovingiens se partagèrent l'héritage de Clovis comme une propriété privée, selon la coutume des Francs Saliens. Comme ils n'étaient pas encore corrompus, ils surent agrandir cet héritage, conquérir la Burgondie et la Septimanie que Clovis n'avait pu soumettre, imposer tribut aux Frisons, aux Saxons, aux Bavarois et aux Thuringiens, et même aller ramasser du butin au delà des Alpes et des Pyrénées. Le dernier des Mérovingiens conquérants, Dagobert, reçut la soumission du duc des Bretons (Bretagne) et étendit sa domination jusqu'au Weser et jusqu'à la Bohème

Les Mérovingiens eurent la prétention d'organiser leur empire, et dans cette oeuvre ils échouèrent. Nous aurons tout à l'heure à rechercher pour quelles raisons. Deux de ces motifs nous sont déjà fournis par l'histoire même de la dynastie. D'abord, l'unité du royaume franc était à chaque instant brisée par des partages; de plus, le pouvoir était instable, la vie des princes incertaine : les enfants de Clodomir, Sigebert, Chilpéric, Brunehaut et bien d'autres périrent de mort violente. Comment les Mérovingiens auraient-ils ressuscité l'Empire? Les premiers d'entre eux, une fois en possession de leur part d'héritage, cherchèrent surtout à déposséder leur voisin; les derniers allaient vivre dans l'ombre, faibles et nuls.

Rois fainéants et maires du palais.
Après la mort de Dagobert en 639, les Mérovingiens règnent et ne gouvernent plus. C'est la période dite des rois fainéants.  Pendant qu'ils s'enfermaient dans leurs gynécées ou se promenaient dans des chars traînés par des boeufs, leurs ministres, ou maires du palais, gouvernaient et faisaient la guerre. La puissance et la richesse de l'Eglise s'accrurent considérablement. Les couvents se multiplièrent. Il se forma une aristocratie ecclésiastique à côté de la noblesse franque et gallo-romaine.

Les maires du palais, officiers domestiques étaient devenus rapidement des sortes de vice-rois. Désormais, la question est de savoir si les maires d'Austrasie l'emporteront sur ceux de Neustrie et rétabliront l'unité de la Gaule à leur profit. L'Austrasie, la France orientale, avait conservé la vigueur barbare; c'est elle qui supporta le poids de la conquête et de la christianisation des pays d'outre-Rhin; c'est en elle que résidait la force germanique, en elle que le clergé plaçait son espoir. Là grandit la famille des Pippinides, issue de deux familles puissantes, celles d'Arnulf et du maire du palais Pépin le Vieux. La dignité de maire du palais devint bientôt comme héréditaire.

En 681, Pépin d'Héristal fut vainqueur du maire neustrien, Berthaire, à Testry-sur-Omignon, et gouverna comme maire du palais tous les royaumes francs. Sous son fils Charles-Martel, rude et infatigable guerrier, le triomphe des Germains d'Austrasie sur la population plus civilisée de Neustrie fut définitif; par là même la destinée des Pippinides était assurée. 

A partir de 737, Charles laissa vacant le trône mérovingien; il avait le titre de princeps et rien ne lui manquait pour avoir celui de roi, non pas même l'appui du pape qui l'appelait contre les Lombards. En 754, son fils, Pépin le Bref, déposa le dernier Mérovingien (Childéric III), se fit proclamer roi par ses soldats. Le pape Etienne II vint, en 754, le sacrer à Saint-Denis, moyennant la promesse d'une expédition en Italie. Ainsi l'Eglise renversait de sa propre main la dynastie mérovingienne qu'elle avait contribué à fonder. Son alliance avec la dynastie nouvelle allait s'achever sous le règne de Charlemagne.

Les transformations de la Gaule.
Essayons maintenant d'embrasser d'un coup d'oeil les transformations de la Gaule pendant la royauté franque. Le droit public et privé, la condition des personnes et des terres, tels qu'ils étaient réglés sous l'Empire romain, devaient nécessairement être profondément troublés et modifiés par l'immigration germanique. Cette immigration n'a pas eu, comme le soutenait Boulainvilliers, le caractère d'une conquête violente; les historiens allemands Waitz, Roth et Sohm, et de son côté Fustel de Coulanges ont démontré, il y a déjà longtemps, qu'elle s'était produite sous forme d'infiltration lente. Les Wisigoths, les Burgondes, les Francs de Clovis n'étaient pas très nombreux quand ils arrivèrent en Gaule. Au Nord-Est, l'immigration fut plus importante, mais elle se fit peu à peu, et non par masses compactes. La plupart des guerriers barbares furent dotés de terres vacantes, et Clovis n'eut pas besoin, pour récompenser ses fidèles, de recourir à des dépossessions violentes. Ni le fond de la population ni la langue ne changèrent en Gaule. Cependant, à la longue, l'invasion produisit des effets considérables. Les Francs surtout, arrivés en dernier, apportèrent dans cette société en décomposition de puissants éléments de transformation : le dédain des choses de l'esprit, le goût de la vie au grand air et de la guerre, l'habitude de l'association libre, l'absence d'administration, d'impôts, de lois générales.

Transportés au milieu de la société gallo-romaine, qui saluait en eux les continuateurs des empereurs, les rois mérovingiens oublièrent vite leur origine et s'endimanchèrent dans les habits impériaux. Chilpéric se décerna l'épithète de divin et Dagobert se fit fabriquer un diadème, un sceptre et un trône. Tous les hommes libres, Gallo-Romains et Germains, furent considérés, en théorie, comme des sujets; on prétendit même les forcer à payer les impôts anciens. Mais les cadres de l'administration et du fisc étaient maintenant brisés; l'on ne pouvait pas reconstituer d'un seul coup cette oeuvre de tant de siècles; les Mérovingiens durent se contenter de revêtir deux ou trois titres pompeux et de percevoir par-ci par-là quelques revenus directs, des droits d'octroi, des péages. 

Ils utilisèrent tant bien que mal les débris du passé, n'étant pas assez habiles pour faire du nouveau. Leur oeuvre ressemble aux basiliques de ce temps, où les architectes ont placé, pour soutenir la toiture, des colonnes et des frises empruntées aux beaux monuments de l'Antiquité; telle colonne était trop petite, on l'a exhaussée avec un socle; telle autre trop grande, on l'a raccourcie sans souci des proportions, et l'on a cru faire du beau et du solide. Les basiliques primitives n'ont pas été respectées par le temps; la maison où les Mérovingiens se logèrent était aussi un édifice mal bâti et peu durable. 

La Gaule, composante de l'Empire carolingien. 
Les Carolingiens ont eu vite raison de la dynastie mérovingienne, qui n'avait demandé à l'ancienne Rome que des leçons de tyrannie et des procédés d'oppression. Ce qui caractérise  la dynastie carolingienne, malgré les failles qui la lézardent dès la mort de Charlemagne, fut l'intelligence profonde qu'elle eut de son temps. 

L'oeuvre de cette famille pippinide et carolingienne a été la restauration d'un grand empire occidental. A la mort de Pépin d'Héristal, les ducs de Bavière et de Souabe avaient repris leur indépendance; les Saxons avaient envahi la Thuringe; les Frisons s'étaient soulevés; Eudes s'était proclamé roi d'Aquitaine; enfin, les Arabes, depuis 712, faisaient des incursions en Gaule et occupaient une partie de la Septimanie. Charles-Martel, Pépin le Bref et Charlemagne passèrent leur vie à guerroyer.

Si ce n'est pas à l'effroi qu'ils inspiraient, mais aux guerres religieuses entre Arabes et Berbères que le recul de l'invasion musulmane doit être attribué, ce sont bien, en revanche, ces trois conquérants qui ont, par leur propre activité guerrière, soumis les Aquitains, conquis l'Italie, dompté et converti les païens de Germanie jusqu'à l'Elbe. A cette époque, l'histoire de ce qui va devenir la France se confond avec celle de l'Italie et de l'Allemagne

Charlemagne.
Charlemagne (ou Charles Ier le Grand), à l'origine de la dynastie carolingienne, est une des grandes figures du Moyen âge. Il n'a pas été l'homme de la légende. Mais il a été de ces hommes à qui la légende s'accroche. Des portraits modernes (la mosaïque du Latran) le représentent avec une longue moustache. La légende lui a mis la "grande barbe florie".

Avec Charlemagne, l'idée d'Etat reparut avec force, comme en témoignent ces lois qu'il édicta et connues sous le nom  Capitulaires. Il s'agit plus de 600 articles de législation civile, pénale et religieuse, qui se veulent rédigés dans la perspective du « salut de la patrie » et du « profit du peuple ». Charlemagne avait un modèle en tête, le même que celui auquel pensaient les Mérovingiens : L'Empire romain. Mais, lui ne songeait pas seulement puiser en lui prestige et legitimité, il voyait plus loin. 

Le grand Etat s'était scindé, dans ses derniers temps, en deux morceaux : l'Empire d'Occident avec sa capitale à Rome, l'Empire d'Orient avec sa capitale dans l'ancienne Byzance, nommée Constantinople depuis l'empereur Constantin. L'Empire d'Occident s'était écroulé, sous les coups des Barbares, en 476. Charlemagne voulait le relever à son profit et l'Eglise y trouvait aussi son intérêt. 

Depuis qu'Odoacre avait renvoyé les insignes de l'empereur d'Occident au basileus de Constantinople, c'était celui-ci qui, en théorie, gouvernait l'héritage de Théodose. Mais personne ne trouvait utile de soutenir la valeur d'une telle théorie. Le pape, au contraire, avait intérêt à reconstituer l'empire d'Occident au profit d'un allié sûr. Etant revenu à Rome vingt-cinq ans après sa guerre contre les Lombards, à la Noël de 800, Charlemagne se fit proclamer empereur romain (Imperator Augustus) par son armée et couronner par le pape Léon III. Au moment où le nouvel empereur priait dans la basilique de Saint-Pierre de Rome, le pape lui mit une couronne sur la tête, et tous les assistants s'écrièrent : 

« A Charles Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! » 
L'union du sacerdoce et de l'Empire était consommée.

Le Saint-Empire romain germanique, ainsi qu'il s'appellera - sans être ni romain ni saint - dura à travers tout le Moyen âge et les Temps modernes jusqu'à Napoléon, qui le trouva réduit à l'Allemagneet à l'Autriche, et en effaça le nom de la carte. A l'époque de sa plus grande étendue, sous Charlemagne, il comprenait la Gaule franque, la Germanie jusqu'à l'Oder et à la Save, l'Italie jusqu'au Bénévent et le nord de l'Espagne. Il avait deux capitales : Rome et Aix-la-Chapelle. Mais Charlemagne avait compris qu'il ne pouvait restaurer l'édifice impérial qu'à la condition d'en changer les fondements mêmes. Il savait apprécier la civilisation romaine dont les gens d'Eglise lui vantaient la grandeur, mais la nature même de son esprit et de ses goûts le portait à respecter les effets des invasions germaniques. 

Roi guerrier, il ne porta que deux fois le costume des anciens empereurs, et encore ne voulut-il pas se séparer de son épée. Il réunit très régulièrement les assemblées générales, où il délibérait avec l'aristocratie et soumettait ses capitulaires à l'approbation des hommes libres. Il abandonna définitivement le système fiscal romain et se contenta de ses revenus privés; il n'eut beaucoup de ressources que parce qu'il était le plus grand propriétaire foncier de l'Empire et qu'il sut administrer ses biens avec sagesse. 
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Monnaies de Charlemagne.
Monnaies du règne de Charlemagne.

Un certain nombre d'institutions nouvelles établirent une centralisation qui n'avait rien de commun avec celle du Bas-Empire. Tous les hommes libres firent le serment personnel au souverain ; les fonctionnaires du palais et ceux qui administraient la Gaule, la Germanie, l'Italie étaient étroitement surveillés; les missi dominici faisaient des tournées pour corriger les abus commis par les comtes et même les évêques; les ducs n'avaient plus qu'un pouvoir militaire.

L'exercice de la justice locale, au temps des Mérovingiens, appartenait aux hommes libres de chaque circonscription (Rachimbourgs); elle est maintenant entre les mains des scabins, qui sont de véritables fonctionnaires, et des centeniers, qui sont devenus des agents du pouvoir central. Le droit de battre monnaie fut exclusivement réservé aux ateliers impériaux. Enfin, Charlemagne, ne pouvant avoir d'armée permanente, réglementa du moins l'obligation du service militaire en temps de guerre.

De par sa place dans l'histoire, Charlemagne n'appartient ni à l'Allemagne ni à la France : il est un Rhénan. Au contraire des Mérovingiens qui ont leurs capitales préférées sur la Seine et sur la Loire, il réside le plus volontiers à Aix-la-Chapelle, la nouvelle Rome. Il a fait du Rhin l'artère principale, l'axe de l'Empire dont il a reculé les limites orientales à l'Elbe et au Danube.

De toutes les entreprises étonnantes qui remplissent son règne, celle dont il a eu le plus constamment le dessein, ce fut l'union sous un seul maître de la Gaule et de la Germanie ancestrale, devenue la conquête de la Gaule franque. Cependant il avait conçu l'Empire autrement que les grandes monarchies orientales, d'un Attila ou d'un Tamerlan; sa conception, on l'a dit, fut romaine par le souci de l'ordre et de la règle et par la constante tendance à subordonner l'individu au système.

Quand il mourut à Aix-la-Chapelle, âgé de plus de soixante-dix ans, il fut placé dans un sarcophage antique qu'on voit encore et qui porte cette inscription : 

" Ici repose le corps de Charlemagne, grand et orthodoxe empereur qui accrut largement le royaume des Francs et le gouverna heureusement pendant quarante-six ans. »
L'héritage de Charlemagne.
Les premiers Carolingiens avaient fondé un empire puissant où l'on pouvait travailler et penser. Cette habile restauration du pouvoir monarchique ne retarda cependant que d'un demi-siècle le morcellement politique et la formation du régime féodal. Sans doute, l'immense empire était-il  trop vaste. Trop de pays déjà différents par les moeurs et par le degré de culture, trop de peuples d'origines diverses qui ne se connaissent pas les uns les autres, avaient été agglomérés dans l'unité factice et purement nominale de l'Empire des Francs. Mais ce n'est pas la seule explication.

Depuis les invasions, il s'était produit des phénomènes sociaux qui préparaient invinciblement une organisation nouvelle. D'abord, les villes avaient perdu tout ou partie de leurs habitants. On n'a que très peu de renseignements sur la vie urbaine à cette époque, même pour le Midi, où une certaine activité s'était conservée dans les anciens grands centres d'industrie et de commerce. C'est à la campagne que vivent en immense majorité les hommes libres, les gens d'Eglise, les non-libres. Dans cette population, l'origine n'a pas grande importance et ne se manifeste guère que dans les différences de wergeld; en revanche, les distinctions de classes sont nettes. Il n'y a pas de noblesse; mais les hommes libres ou leudes vivent, en somme, noblement, comme l'on dira plus tard; ils portent les armes et se nourrissent du produit de leurs terres, cultivées par des non-libres. Parmi les leudes se distinguent en haut ceux qui ont pris un engagement spécial envers le roi et forment sa truste , et en bas ceux qui, impuissants à se défendre, ont dû solliciter ou accepter la protection d'un puissant voisin. Ces contrats personnels n'entraînent pas d'abord forcément des concessions de biens; mais, au VIIe siècle, il y a déjà beaucoup de bénéfices accordés par le roi à ses antrustions et par le seigneur à ses recommandés ou vassaux, à charge de certains services. Quand la concession viagère sera devenue perpétuelle, la féodalité existera.

Un autre caractère du Moyen âge sera qu'il n'y aura entre le roi et le grand propriétaire qu'un lien personnel, et que celui-ci sera le maître chez lui; or, dès les temps mérovingiens, les rois accordaient l'immunité, qui fermaient à leurs fonctionnaires l'entrée du domaine de l'immunitaire.

A côté de cette espèce de noblesse à laquelle il manque encore des titres héréditaires, se dresse l'Eglise. C'était alors une très grande puissance. Les Mérovingiens l'avait comblée de dons, et elle avait l'immunité pour ses domaines, de jour en jour plus considérables. Puis elle eut la dîme. Elle se fit la protectrice des misérables et usa en leur faveur du droit d'asile et de l'excommunication; elle proclama l'égalité de tous devant Dieu; elle rappela aux Barbares qu'ils avaient une âme; elle justifia ses richesses par ses services. Mais, en même temps, ses richesses firent d'elle une aristocratie territoriale; non seulement maints évêques et maints abbés laissèrent tomber leur crosse dans la boue et dans le sang, mais encore, chose plus grave pour la marche de l'histoire, les plus pieux comme les moins recommandables devinrent des seigneurs, entrèrent dans la truste du roi, eurent des fidèles; l'Eglise adopta les cadres du régime nouveau. De profonds changements eurent lieu aussi dans les classes non libres. Les Barbares, après leur entrée en Gaule, avaient adopté tout d'abord l'esclavage à la manière romaine, qui était inconnu en Germanie, où l'esclave était une sorte de colon. Mais l'esclavage personnel romain, la familia urbana, la valetaille qui encombrait les palais des villes, devait forcément disparaître, maintenant que les rois eux-mêmes vivaient à la campagne; les esclaves vinrent donc tous travailler dans les villae. La condition des colons empira; on ne se fit pas scrupule de les vendre, et ils se confondirent à peu près avec les esclaves. Ainsi naquit le servage.
 

De la Gaule à la France

Si on continue de désigner sous le nom de Gaule, la partie occidentale de l'Empire carolingien, force est de reconnaître que cette Gaule, dont le concept était proprement romain, a disparu à la fin de la période gallo-romaine, au moment de la formation du Royaume franc. 

Seule l'organisation ecclésiastique en conserve le souvenir. Lors de l'introduction du christianisme en Gaule, au IVe siècle, l'organisation ecclésiastique avait suivi l'administration laïque. Chaque civitas avait reçu un évêque, chaque province un métropolitain. La géographie de la Gaule romaine se refléta donc, longtemps encore, dans la hiérarchie épiscopale, mais sous une influence ecclésiastique et érudite. 

Quand les écrivains du haut Moyen âge parlent de Galli et de Gallia, c'est un archaïsme, un jeu d'érudit. Grégoire de Tours applique le nom de Gaule au pays que les Francs occupent entre le Rhin et les Pyrénées. Dans la tradition populaire, tout souvenir de la Gaule avait disparu. Mais le nom de Francia (Francie, puis France) va encore tarder jusqu'au IXe siècle avant d'apparaître.

Dans l'intervalle, soit vers le VIIe siècle probablement, et à coup sûr au VIIIe, lors de l'avènement des Carolingiens, tous les habitants de la contrée située entre la Loire et le Rhin, quelles que fussent leur origine et leur langue, se considèrent comme Francs; ceux de la vallée de la Saône et du Rhône, comme Bourguignons; les Goths, ce sont les habitants du pays entre les Cévennes, le Rhône, la Méditerranée et les Pyrénées. Les Gascons et les Bretons sont deux nationalités bien tranchées. 

Entre la Loire, la Garonne et les Cévennes, les Aquitains (Romains ou Francs d'origine, peu importe) prétendent, eux aussi, se distinguer des Francs de France et aspirent à former une nation à part. L'unité de l'antique Gaule est brisée. La monarchie capétienne, la première à pouvoir se définir comme entièrement "française", essayera de la rétablir à son profit et n'y réussira qu'imparfaitement.

Charlemagne avait fondé la seule monarchie possible en un temps ou les idées romaines d'imperium, de droit public, d'administration étaient devenues des abstractions incompréhensibles. Il n'avait nullement cherché à contrarier le développement de la vassalité, qui rattachait les uns aux autres les sujets de son immense empire; ses officiers avaient plus d'autorité sur les hommes libres, quand ceux-ci étaient leurs vassaux. Mais le jour n'était pas éloigné où ces officiers allaient devenir des souverains. La force de cette royauté sans armée permanente et sans finances régulières résidait dans le génie personnel de son fondateur. Sous les successeurs incapables de Charlemagne, l'Empire tomba en dissolution. 

La dissolution de l'Empire carolingien.
Ce fut d'abord le prestige du titre impérial qui fut anéanti, pendant le règne déplorable de Louis Ier,  le Pieux (ou le Débonnaire). Après l'unité morale, l'unité territoriale fut détruite (pour les limites de l'empire de Charlemagne. Le fils aîné de Louis le Pieux, Lothaire, voulut obliger ses frères à reconnaître son autorité, mais il fut battu le 25 juin 841 à Fontenoy-en-Puisaye et, après de longues négociations, les trois frères conclurent le traité de Verdun (août 843) (Louis le Germanique, Charles le Chauve). Ils eurent beau déclarer par la suite qu'ils entendaient maintenir l'unité impériale, ils l'avaient détruite en 843. 
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Sceau et monnaie de Charles le Chauve.
Sceau et monnaie de Charles le Chauve.

Ce n'est pas sans raison que l'on a insisté sur l'importance de ces événements, mais on en a souvent dénaturé le caractère; les luttes fratricides des fils de Louis le Pieux n'ont pas eu pour cause fatale l'antagonisme de prétendues nationalités naissantes; ce sont ces luttes, au contraire, qui ont été la cause lointaine de la naissance des nationalités et de leur antagonisme. Le traité par lequel a pris fin cette pure querelle de succession créait, en effet, trois royaumes, l'Italie, l'Allemagne et la France, et leur assignait des frontières qui ne pouvaient se justifier ni par l'ethnographie, ni par la linguistique, ni par la géographie, ni par la tradition. Pour ne parler que du royaume de Charles le Chauve, il avait pour limites à l'Est l'Escaut, la moyenne et la haute Meuse, la Saône et le Rhône (moins quelques enclaves, telles que Lyon, laissées dans la part de Lothaire). C'est dans ce pays que s'élaborera le concept de nation française; de bonne heure, les rois de ce pays songeront à briser le traité de Verdun, et le but classique de la politique des Capétiens sera l'acquisition des « frontières naturelles de la Gaule », telles que les décrivait César. A l'époque de la Première Guerre mondiale (1914-1918), cette question n'était pas encore réglée. Le partage de 843 a donc été dans l'histoire de la France et de l'Allemagne d'une importance causale extraordinaire.

Il est difficile de s'orienter dans la lamentable et confuse histoire de la dissolution de l'Empire carolingien. Mais si l'on s'en tient à une vue générale du sujet, on voit qu'un seul fait domine et résume le règne de Charles le Chauve et de ses successeurs (Louis Il, Louis III, Carloman, Charles le Gros). Ce fait est l'émiettement du pouvoir monarchique. La théorie même de ce pouvoir est très obscure pour les hommes de ce temps; l'Empire a été partagé, mais son unité mystique subsiste; Charles le Chauve joint à sa couronne de roi la couronne de Charlemagne, et Charles le Gros réunit un instant tout l'héritage impérial. Ainsi, la France n'a pas encore un roi qui daigne se soucier spécialement d'elle; les noms de royaumes de France et d'Allemagne n'existent même pas encore : Charles le Chauve et son frère, Louis le Germanique, portent tous deux le titre de roi des Francs. A supposer que Charles le Chauve eût eu conscience du véritable caractère de l'événement de 843 et eût deviné la meilleure politique à suivre, il n'aurait sans doute pas réussi à établir fortement son pouvoir. 

Les Vikings.
Une autre cause hâtait, en effet, la formation de la féodalité. A la fin du IXe siècle, une nouvelle vague d'invasions se rua de toutes parts sur l'Empire carolingien. Les Magyars, venus des steppes de la mer Caspienne, envahirent la vallée du Danube. Les Slaves (Wendes et Tchèques) s'abattirent sur la vallée de l'Elbe. Les Sarrasins ravagèrent la Provence. Surtout, et cela depuis la fin du règne de Charlemagne, des pirates scandinaves, les Vikings ou Normands (c'est-à-dire hommes du Nord), infestèrent l'Atlantique et la mer du Nord. Sur leurs longues barques légères, à la proue ornée d'une tête de dragon, ils pénétraient aussi dans les terres par les fleuves. Ils ne firent d'abord que piller, incendier, tuer, emmener les habitants prisonniers. En 886, ils assiégèrent Paris pendant dix mois, et Charles le Gros acheta honteusement leur retraite. 

Déjà Charlemagne lui-même s'était montré inquiet de l'apparition de ces hardis pirates; l'incapacité de ses successeurs ne créa pas le danger viking, mais elle le laissa grandir. Finalement, ils traitèrent (en 911) avec le roi Charles le Simple, comme ils avaient fait déjà avec le roi d'Angleterre, Alfred le Grand. Le roi leur abandonna la province  qui s'étend, voisine de la mer, aux deux bords de la Seine et qui s'appela, d'après eux, Normandie.

Leur chef Rollon reçut le baptême des mains de l'archevêque, prit le titre de duc des Normands, donna à ses nouveaux sujets des lois sages et ne tarda pas à faire du pays qu'il avait mis à feu et à sang, avant d'en être le maître, une terre prospère et riche. Dès la seconde génération, les Normands adoptèrent la langue française. Ils allaient devenir les propagateurs actifs de la civilisation et des idées de leur pays d'adoption. L'un des descendants du duc Rollon, Guillaume le Bâtard (ou Guillaume le Conquérant), fortement appuyé par l'Eglise de Rome, passa la Manche, débarqua en Angleterre, y défit les Anglo-Saxons à la bataille de Hastings (1066) et devint roi de tout le pays jusqu'à l'Ecosse. D'autres Normands avaient conquis l'Islande, la Sicile, où ils fondèrent un royaume, et, sous le nom de Varègues, la Russie, dont ils firent un empire.

Naissance de la féodalité.
Puisque les rois étaient impuissants à assurer la sécurité de leurs sujets, il était naturel que les sujets apprissent à se passer des rois et que, dans chaque comté, dans chaque petit pays, les faibles se missent sous la protection et la dépendance des forts. Ainsi, l'invasion viking précipita l'organisation d'un régime nouveau d'association, fondé non pas sur la religion et les liens de parenté, mais sur l'utilité et le contrat personnel. Dès 847, l'édit royal de Mersen légalise l'habitude de la recommandation en prescrivant à tout homme libre de se choisir un seigneur. Les plus puissants de ces seigneurs sont les comtes et les autres détenteurs de l'autorité publique; comme ils rendent des services et qu'ils sont de plus en plus honorés et puissants, les rois les laissent se perpétuer dans leurs charges; la transmission héréditaire des fonctions est tolérée, et le capitulaire de Quiersy-sur-Oise l'établit même officiellement en faveur des fils des comtes qui mourraient pendant la campagne d'Italie de 877. Ainsi, les officiers carolingiens deviennent peu à peu des seigneurs, vassaux du roi, mais propriétaires souverains des territoires qu'autrefois ils administraient au nom de l'empereur.

Cette aristocratie triompha définitivement lorsque l'Empire carolingien se disloqua de nouveau après la déposition de Charles le Gros (887). La couronne devint élective dans les divers royaumes qui se fondèrent. Par la création du royaume de Lorraine, qui fut annexé en 900 à l'Allemagne, et des royaumes de Provence et de Bourgogne, qui ne furent réunis à l'Allemagne qu'en 1034, la France fut ramenée aux limites de 843, qui avaient été modifiées en 870 par le traité de Mersen. En attendant qu'un peuple conscient de lui-même et qu'une dynastie nationale se constituassent dans ces cadres, naquit le monde féodal, préparé dès l'époque mérovingienne. (Ch. Petit-Dutaillis / J. Reinach / NLI).

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Dictionnaire Territoires et lieux d'Histoire
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