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Fustel de Coulanges

Numa Denys Fustel de Coulanges est un historien français, né à Paris le 18 mars 1830, d'une famille d'origine bretonne, mort à Massy (Essonne) le 12 septembre 1889. Après avoir fait ses études au lycée Charlemagne et à l'institution Massin, il entra à l'Ecole normale en 1850, déjà passionné pour l'histoire. La Civilisation en France, de Guizot, lui avait, dès le lycée, révélé sa vocation. A l'Ecole normale, il passa la meilleure partie de son temps dans la bibliothèque. Sauf de Chéruel, il n'avait pas gardé un bon souvenir de ses maîtres, fort arriérés et terrorisés en ces funestes années qui précédèrent et suivirent le coup d'Etat de 1851. 
« Ses camarades étaient frappés de son originalité; rarement il voyait les choses comme tout le monde; il était paradoxal et systématique à outrance; si les plus malveillants le taxaient d'esprit faux, d'autres, plus équitables, avaient déjà une haute opinion de son talent. » (P. Guiraud).
En novembre 1853, il fut nommé membre de l'Ecole française d'Athènes; durant son séjour en Grèce, il recueillit les matériaux d'un rapport sur l'histoire de l'île de Chio (Archives des missions scientifiques, 1re série, t. V). Professeur de seconde au lycée d'Amiens (1856), il fut reçu agrégé des lettres en 1857. Le 10 avril 1858, il soutint devant la Faculté des lettres de Paris ses thèses de doctorat; la thèse latine : Quid Vestae cultus in institutis veterum privatis publicisque valuerit est comme le germe de la Cité antique; la thèse française, Etude sur Polybe, a pour objet de montrer comment, au IIe siècle av. J.-C., « le coeur d'un Grec était disposé à se laisser conquérir et comment Rome faisait ses conquêtes ». 

Fustel de Coulanges était alors sous l'influence de Montesquieu; son style, qui devait gagner en ampleur et en force, était déjà d'une parfaite et simple élégance, âpre et sans images. Appelé au lycée Saint-Louis, à Paris, en août 1858, il y resta deux ans; mais il n'aimait pas l'enseignement secondaire, et il ne s'entendait guère à maintenir la discipline dans ses classes. Il fut très heureux d'être nommé, en octobre 1860, professeur à la faculté des lettres de Strasbourg. Là, il obtint un vif succès; sa parole excita, suivant ses propres expressions, un véritable «-engouement », un « enthousiasme naïf »; il retint autour de sa chaire, où il se proposait d' « embrasser l'histoire entière », plus d'une centaine d'auditeurs, phénomène rare dans une faculté « aux trois quarts morte ». C'est en octobre 1864 qu'il publia à ses frais, chez le libraire Durand, son livre sur la Cité antique, rédigé en six mois, avec les notes d'un cours professé pendant l'année scolaire 1862-1863, qui n'obtint pas d'abord, auprès des académies et des savants, l'accueil favorable qu'il reçut immédiatement du public. 
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Fustel de Coulanges.
Numa Fustel du Coulanges (1830-1889).

Cependant il n'avait, à Strasbourg, que des auditeurs; il n'avait pas d'élèves, et il finit par en souffrir; il n'avait pas trouvé non plus de « compagnons d'étude et de pensée ». Heureusement, la conférence d'histoire ancienne à l'Ecole normale lui fut confiée (comme suppléant de Geffroy) en février 1870; et, le 7 août 1872, il en devint titulaire. Dans l'intervalle, et dès son arrivée à Paris, il avait été invité, sur les indications de Duruy, à donner des leçons d'histoire à l'impératrice; la déclaration de guerre interrompit brusquement ces entretiens, commencés en juin 1870. A l'Ecole normale, il enseigna l'histoire ancienne, bien que son Histoire des institutions de la France (dont le 1er vol. fut publié en 1874) fût, dès lors, en préparation, suivant une méthode qu'il a lui-même définie en ces termes :

« Nulle généralisation, nulle fausse philosophie, pas on peu de vues d'ensemble; pas ou peu de cadres, mais quelques sujets étudiés dans le plus grand détail et sur les textes.-» 
En décembre 1875, il entra à la Sorbonne comme suppléant de Geffroy, mais il ne changea pas ses procédés d'exposition : 
« Vous venez chercher ici, disait-il à ses auditeurs, non une distraction ou un pur plaisir d'esprit, mais un véritable enseignement. Il ne s'agit, dans cette maison, ni de leçons attrayantes, ni de beau langage. Un succès de parole serait pour nous un échec. »
 Quelques mois auparavant, il avait été nommé membre de l'Académie des sciences morales en remplacement de Guizot (15 mai 1875). La faculté des lettres de Paris ne se fatigua pas de demander dès lors, chaque année, la création d'une chaire d'histoire du Moyen âge en sa faveur, car il voulait se consacrer désormais tout entier à l'histoire des origines de la France. Mais le crédit nécessaire ne fut voté par les Chambres qu'en 1878; chose bizarre, Fustel de Coulanges, d'un esprit très indépendant, passait pour clérical, parce qu'il avait écrit un livre sur les institutions religieuses des Anciens; des amis éclairèrent à cet égard Gambetta, président de la commission du budget, et l'historien de la Cité antique devint enfin titulaire le 1er janvier 1879. Un an après (17 février 1880), il succédait à Bersot comme directeur de l'Ecole normale; il n'accepta cet honneur qu'avec répugnance et par dévouement, car c'était sacrifier, il le savait, pour plusieurs années, une partie de son activité scientifique à des besognes administratives qui lui plaisaient médiocrement. Comme il était très consciencieux, les devoirs de sa charge l'absorbèrent, en effet, presque tout entier; et les soucis d'une responsabilité qu'il s'exagérait ne tardèrent pas à le ronger. Il tomba malade et offrit sa démission en 1882; il la renouvela et refusa, cette fois, de la retirer, en octobre 1883.
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Comment naissent les institutions

« Au premier regard qu'on jette sur les anciennes institutions, elles paraissent singulières, anormales, violentes partout et tyranniques. Parce qu'elles sont en dehors de nos moeurs et de nos habitudes d'esprit, on est d'abord porté à croire qu'elles étaient en dehors de tout droit et de toute raison, en dehors de la ligne régulière qu'il semble que les peuples devraient suivre, en dehors, pour ainsi dire, des lois ordinaires de l'humanité. Aussi juge-t-on volontiers qu'il n'y a que la force brutale qui ait pu les établir et qu'il a fallu pour les produire au jour un immense bouleversement.

L'observation des documents de chaque époque nous a amené peu à peu à un autre sentiment. Il nous a paru que ces institutions s'étaient formées d'une manière lente, graduelle, régulière, et qu'il s'en fallait beaucoup qu'elles pussent avoir été le fruit d'un accident fortuit ou d'un brusque coup de force. Il nous a semblé aussi qu'elles ne laissaient pas d'être conformes à la nature humaine : car elles étaient d'accord avec les moeurs, avec les lois civiles, avec les intérêts matériels, avec la manière de penser et le tour d'esprit des générations d'hommes qu'elles régissaient. C'est même de tout cela qu'elles sont nées, et la violence a contribué pour peu de chose à les fonder.

Les institutions politiques ne sont jamais l'oeuvre de la volonté d'un homme : la volonté même de tout un peuple ne suffit pas à les créer. Les faits humains qui les engendrent ne sont pas de ceux que le caprice d'une génération puisse changer. Les peuples ne sont pas gouvernés suivant qu'il leur plaît de l'être, mais suivant que l'ensemble de leurs intérêts et le fond de leurs opinions exigent qu'ils le soient. C'est sans doute pour ce motif qu'il faut plusieurs âges d'hommes pour fonder un régime politique et plusieurs autres âges d'hommes pour l'abattre.

De là vient aussi la nécessité pour l'historien d'étendre ses recherches sur un vaste espace de temps. Celui qui bornerait son étude à une seule époque s'exposerait, sur cette époque même, à de graves erreurs. Le siècle où une institution apparaît au grand jour, brillante, puissante, maîtresse, n'est presque jamais celui où elle s'est formée et où elle a pris sa force. Les causes auxquelles elle doit sa naissance, les circonstances où elle a puisé sa vigueur et sa sève, appartiennent souvent à un siècle fort antérieur. Cela est surtout vrai de la féodalité, qui est peut-être, de tous les régimes politiques, celui qui a eu ses racines au plus profond de la nature humaine. »
 

(N. Fustel de Coulanges, Les Institutions politiques de l'ancienne France).

Il remonta dans sa chaire de la Sorbonne avec une joie très vive; il retourna à ses livres, à la science, qu'il avait délaissée malgré lui. En dépit d'une santé chancelante, il s'imposa, durant les années suivantes, un travail incessant qui fut très fécond. En 1883, il n'avait encore d'autre bagage que ses thèses, la Cité antique et quelques articles publiés dans la Revue des Deux Mondes (1870), dans les Travaux de l'Académie des sciences morales (t. CII et CIII, CV, CVI) et dans la Revue historique (t. II, III, XXII, XXIII). Les six dernières années de sa vie virent paraître trois ouvrages considérables, les Recherches sur quelques problèmes d'histoire (1885), la Monarchie franque (1888) et l'Alleu et le Domaine rural pendant la période mérovingienne (1889), sans parler de mémoires très importants, dont l'un, intitulé le Problème des origines de la propriété foncière (paru dans la Revue des questions historiques, avril 1889), a été traduit en anglais par Ashley (Londres, 1891). 

En outre, c'est pendant ces six années que Fustel de Coulanges, en pleine possession de son érudition et de son talent, accumula les matériaux et rédigea la plus grande partie des nombreux ouvrages posthumes que les mains pieuses de ses disciples ont publiés, comme le plus bel hommage à sa mémoire. Par les soins de  Camille Jullian ont été publiés, après la mort et d'après les papiers de Fustel, sans parler de deux recueils d'opuscales et articles (Questions historiques; - Nouvelles Recherches sur quelques problèmes d'histoire), quatre volumes considérables : les Origines du système féodal : le Bénéfice et le Patronat pendant l'époque mérovingienne; - la Gaule romaine; - l'Invasion, germanique et la fin de l'Empire; - les Transformations de la royauté pendant l'époque carolingienne. Ces quatre volumes, joints à la Monarchie franque et à l'Alleu, forment en quelque sorte une refonte complète du premier volume de l'Histoire des institutions de la France, publié en 1874, qui, pour employer les expressions de Monod, est « une des oeuvres les plus puissantes, les plus compréhensives, les plus profondes, dont l'époque franque ait été l'objet, la plus puissante et la plus profonde peut-être, et dont l'influence se fera longtemps sentir dans les études sur les origines de la société européenne du Moyen âge ».  Ces livres, d'une science très solide, d'une forme impeccable, ont été vivement loués et non moins vivement critiqués. 

Fustel de Coulanges, dont l'esprit était aussi systématique que vigoureux, y attaque sans ménagements (il n'en croyait pas devoir garder pour ce qu'il qualifiait d'erreur) des théories défendues par Maurer, Waitz, Lamprecht, Glasson, Viollet, Laveleye, Monod, Arbois de Jubainville, sur la question des origines de la propriété individuelle et sur celle de l'influence germanique dans la formation des Etats nés de la décomposition de l'Empire romain. Les répliques que ces attaques valurent à Fustel de Coulanges l'irritèrent au plus haut degré. Ses adversaires louaient sans réserves son érudition et son incomparable talent d'écrivain, mais ils mettaient en doute la rectitude et la largeur de ses jugements. Or Fustel souffrait des éloges accordés à son talent, et il souffrait de voir que ses rigoureuses argumentations logiques n'étaient ni admises, ni même, à son avis, sérieusement discutées.

« Il se plaignait de n'avoir jamais rencontré que des contradictions sans discussions et sans preuves, alors que tout son désir eût été de voir les théories discutées dans le détail et contredites avec des preuves. »
Il taxait, en conséquence, ses adversaires de mauvaise foi et même d'hostilité personnelle à son égard. Cette appréciation n'était pas juste : d'une part, les adversaires des doctrines de Fustel de Coulanges n'ont pas dédaigné de les réfuter (cf. Revue historique, t. XLIV, p. 345); d'autre part, ils l'ont combattu avec respect et même avec admiration. Mais l'irritabilité de Fustel, en présence de la contradiction, ne provenait pas d'un orgueil excessif; elle avait malheureusement une cause toute physique, le déplorable état de sa santé. Son corps, qui n'avait jamais été vigoureux, s'était émacié à la suite d'un labeur sédentaire le huit ou dix heures par jour, continué pendant des années. 

Au commencement de l'hiver de 1887, il dut interrompre ses cours ; il séjourna dans le Midi pendant deux hivers consécutifs, sans espoir de guérison. Il mourut le 12 septembre 1889, dans sa maison de campagne de Massy, épuisé par le travail, avec la résignation philosophique d'un sage. Il a laissé des élèves qui aimaient et vénéraient sa mémoire, Guiraud, Jullian, Seignobos, pour ne citer que ceux-là. Durkheim lui a consacré une thèse. (Ch.-V. Langlois).

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