| Nul n'a mieux exposé que d'Arbois de Jubainville les difficultés que présente l'étude de la religion et de la mythologie celtique : « Les monuments dit-il, ont peu de valeur. Ils se divisent en deux catégories. La première catégorie comprend les plus anciens, dont la presque totalité date de la domination romaine et concerne les régions celtiques qui ont été soumises à cette domination. La seconde catégorie comprend des documents plus récents : de ces documents les plus vieux datent du Moyen âge; ils sont comme un lointain écho des croyances religieuses de la culture celtique dans la littérature de l'Irlande et dans celle du pays de galles. On peut y joindre quelques pratiques superstitieuses, qui ont persisté soit au Moyen âge, soit jusqu'à une époque plus rapprochée de nous, et qui semblent remonter aux temps antiques. Les documents de ces deux catégories ne peuvent être utilisés qu'avec une grande réserve et beaucoup de précautions. » (Revue de l'histoire des Religions, t. XXII, p. 27). En effet, les textes des auteurs grecs et latins, en particulier de César, de Strabon et de Tacite, relatifs à la religion des Gaulois et des Bretons, les inscriptions et les monuments figurés de l'époque impériale, qui attestent l'existence d'une religion particulière aux peuples celtiques sous la domination de Rome, nous renseignent sur la mythologie gallo-romaine et non sur la mythologie celtique proprement dite. Ils nous apprennent : d'une part, que le plus grand nombre des divinités gauloises avaient été rangées sous les cinq vocables : Mercure, Apollon, Mars, Jupiter et Minerve, accompagnés chacun d'épithètes variées et abondantes (d'Arbois de Jubainville a relevé 28 épithètes différentes du Mars gaulois); d'autre part, que les Gallo-Romains célébraient des cultes locaux en l'honneur des forêts, des montagnes, des rivières, des lacs, etc., par exemple de la Dea Arduina (l'Ardenne), du dieu Vosego (les Vosges), de la Dea Sequana (la seine). Mais ni les uns ni les autres ne contiennent la moindre indication sur la mythologie celtique pure. Tout au plus nous révèlent ils quelques noms particuliers, comme ceux de la déesse Epona, qui présidait, selon toute apparence, à l'élevage des chevaux et à l'équitation en général; de la déesse Rosmerta, parèdre de Mercure; des déesses Damona et Sirona, parèdres d'Apollon, et comme lui, sans doute, protectrices de la santé; du dieu Camulas, représenté sous les traits et avec les attributs de Mars; du dieu Cernunnos, du dieu Tarvos Tricaranos, dont l'image est sculptée en relief sur le fameux autel des Nautes de Lutèce; de quelques autres encore. Parmi les noms des dieux des Celtes, on trouve ainsi aussi : Kirk était le vent le plus terrible; Tarann, l'esprit du tonnerre; Bel, le dieu du soleil; Pennin, le génie des Alpes; Hésus, était le génie de la guerre (?); Teutatès, celui du commerce et l'inventeur des arts; Ogmius, le dieu de la poésie et de l'éloquence, qui était représenté avec des chaînes d'or, sortant de sa bouche pour aller saisir et entraîner ceux qui l'écoutaient. Ces renseignements sont trop épars et trop secs pour que nous puissions en reconstituer la mythologie gauloise. Le cycle mythologique irlandais est une source plus abondante; d'Arbois de Jubainville et, après lui, Rhys en ont fait une étude approfondie. Ils en ont tiré des conclusions différentes, et l'objection commune qui leur a été faite, c'est que dans leurs deux systèmes l'élément subjectif tient une place beaucoup trop considérable. La mythologie celtique n'est pas encore scientifiquement déterminée, et d'Arbois de Jubainville nous en donne la principale raison : « Certains savants, dit-il, paraissent attendre des études celtiques la détermination précise des attributions spéciales à chaque divinité et semblent croire qu'un jour on pourra donner sur chacune d'elles un ensemble net et précis de légendes analogue à celui que la mythologie grecque a groupé sous le nom de chacun de ses principaux dieux. C'est une illusion. La littérature irlandaise la plus ancienne nous offre les conceptions mythologiques des Celtes dans une période où la civilisation était très primitive. Alors on n'avait pas encore donné aux créations de la mythologie des contours précis [...]. On n'y voit pas chaque dieu se présenter avec ce caractère nettement dessiné, longuement suivi, qui, toujours stable et un dans les circonstances les plus variées, est une création propre au génie littéraire de la Grèce. En Irlande, les traits qui pourraient caractériser la figure de chacun des personnages qu'un nom divin désigne restent souvent indécis et vagues; tantôt tels et tels personnages sont distincts les uns des autres; tantôt ils se confondent les uns avec les autres et ne font qu'un. » (Le Cycle mythologique irlandais, pp. 367-69). (A19). Les cultes. La fête de Teutatès se célébrait la première nuit de l'année nouvelle, dans les forêts, à la lueur des flambeaux. Cette nuit-là, suivant des traditions contestées aujourd'hui, le chef des prêtres, cueillait avec une faucille d'or le gui, plante parasite qui naît sur les branches de certains arbres et qui jouait un grand rôle dans les cérémonies religieuses et la médecine des Celtes; mais ils ne recherchaient que celui qui poussait sur le chêne, leur arbre sacré. A Hésus, ils vouaient souvent, avant la bataille, les dépouilles de l'ennemi, et, après la victoire, ils lui sacrifiaient ce qui leur restait du bétail qu'ils avaient enlevé. « Le surplus du butin, dit César, est placé dans un dépôt public; et on peut voir, dans beaucoup de villes, de ces monceaux de dépouilles entassées dans des lieux consacrés. Il arrive rarement qu'au mépris de la religion un Gaulois ose s'approprier clandestinement ce qu'il a pris à la guerre, ou ravir quelque chose de ces dépôts. Leplus cruel supplice et la torture sont réservés pour ce larcin. » Les druides. Les prêtres des Gaulois, les druides ou hommes des chênes, avaient des croyances apparemment élevées; ils croyaient aux peines et aux récompenses dans la vie à venir. Mais des sacrifices humains, ensanglantaient les autels qu'ils élevaient au fond des forêts séculaires ou au milieu des landes sauvages. « Tous les Gaulois, dit César, sont très superstitieux : aussi ceux qui sont attaqués de maladies graves, comme ceux qui vivent au milieu de la guerre et des dangers, immolent des victimes humaines ou font voeu d'en immoler, et ont recours, pour ces sacrifices, au ministère des druides. Ils pensent que la vie d'un homme est nécessaire pour racheter celle d'un autre homme, et que les dieux immortels ne peuvent être apaisés qu'à ce prix; ils ont même institué des sacrifices publics de ce genre. Ils ont quelquefois des mannequins d'une grandeur immense et tissus en osier, dont ils remplissent l'intérieur d'hommes vivants; ils y mettent le feu et font expirer leurs victimes dans les flammes, ils pensent que le supplice de ceux qui sont convaincus de vol, de brigandage ou de quelque autre délit, est plus agréable aux dieux immortels ; mais quand ces hommes leur manquent, ils prennent des innocents. » Tous les druides n'avaient qu'un seul chef dont l'autorité était sans bornes. A sa mort, le plus éminent en dignité lui succède; ou si plusieurs ont des titres égaux, l'élection a lieu par le suffrage des druides, et la place est quelquefois disputée par les armes. A une certaine époque de l'année, ils s'assemblent dans un lieu consacré sur la frontière du pays des Carnutes, qui passe pour le point central de toute la Gaule. Là se rendent de toutes parts ceux qui ont des différends, et ils obéissent aux jugements et aux décisions des druides. On croit que leur doctrine a pris naissance dans la Bretagne, et qu'elle fut de là transportée dans la Gaule; aujourd'hui ceux qui veulent en avoir une connaissance plus approfondie se rendent ordinairement dans cette île pour s'y instruire. « Les druides ne vont pas à la guerre et ne payent aucun des tributs imposés aux autres Gaulois. Séduits par de si grands privilèges, beaucoup de Gaulois s'efforcent d'entrer dans cet ordre; mais il faut, pour cela, apprendre un grandnombre de vers, et il en est qui passent vingt années dans ce noviciat. Il n'est pas permis de confier ces vers à l'écriture, tandis que, dans la plupart des autres affaires publiques et privées, on se sert des lettres grecques. Il y a, ce me semble, deux raisons de cet usage : l'une est d'empêcher que la science des druides ne se répande dans le vulgaire; et l'autre, que leurs disciples, se reposant sur l'écriture, ne négligent leur mémoire. Une croyance qu'ils cherchent surtout à établir, c'est que les âmes ne périssent point, et qu'après la mort elles passent d'un corps dans un autre, croyance qui leur parait singulièrement propre à inspirer le courage, en éloignant la crainte de la mort. Le mouvement des astres, l'immensité de l'univers, la grandeur de la terre, la nature des choses, la force et le pouvoir des dieux immortels, tels sont, en outre, les sujets de leurs discussions; ils les transmettent à la jeunesse. » Voici quelques-uns de leurs aphorismes : « Il faut avoir grand soin de l'éducation des enfants. L'argent prêté dans cette vie sera rendu dans l'autre. Les amis qui se donnent la mort pour accompagner leurs amis, les retrouveront dans l'autre monde. Tous les pères de famille sont rois dans leurs maisons. » Bardes, devins et prophétesses. On trouve affiliés à l'ordre des druides, des bardes, des devins et des prophétesses. Celles-ci, magiciennes redoutées, aimaient à vivre sur des écueils sauvages, battus par une mer orageuse. Les neuf druidesses de l'île de Sein, à la pointe occidentale de la Bretagne, passaient pour connaître l'avenir, et leurs paroles apaisaient, croyait-on, ou soulevaient les tempêtes. D'autres, qui habitaient un îlot à l'embouchure de la Loire, devaient, à une certaine époque de l'année, abattre et reconstruire en un' même jour la demeure de leur dieu. Dès que brillait le premier rayon de soleil, le toit s'écroulait sous leurs coups redoublés, et un autre temple s'élevait rapidement. Mais malheur à celle qui laissait tomber un seul des matériaux du nouvel édifice! elle était aussitôt déchirée par les mains de ses soeurs, rendues furieuses, et ses chairs sanglantes étaient dispersées autour de l'édifice sacré. Les vates ou devins étaient chargés de toute la partie matérielle du culte. C'étaient eux qui cherchaient la révélation de l'avenir dans les entrailles de la victime et en consultant le vol des oiseaux. Un Celte n'accomplissait aucun acte important sans recourir à la science divinatoire du vate. Tant que le pouvoir des druides fut incontesté, les bardes furent les poètes sacrés appelés à toutes les cérémonies religieuses. Après que les chefs militaires se furent affranchis de la domination des prêtres, les bardes célébrèrent les puissants et les riches. De chantres des dieux et des héros, ils se firent les courtisans des humains. On les voyait à la table des grands payer, par leurs vers, le droit de s'y asseoir. Un d'eux arrive trop tard, quand Luern, le roi des Arvernes, remontait sur son char; le barde suit le char qui s'éloigne en déplorant sur une modulation grave et triste le sort du poète que l'heure a trompé. Luern charmé lui jette une poignée d'or. Aussitôt la rote s'anime, ses cordes vibrent avec un son joyeux, et le barde chante : « Ô roi, l'or germe sous les roues de ton char, la fortune et le bonheur tombent de tes mains. » Gouvernement. Les druides, ministres d'un culte sanguinaire et seuls dépositaires de toute science, régnèrent longtemps par la parole dont ils étaient les détenteurs suprêmes et par la terreur. Trois siècles environ avant notre ère, les chefs des tribus et les nobles brisèrent, au milieu d'affreuses convulsions, le joug de la caste sacerdotale. Mais l'aristocratie militaire, après sa victoire, trouva deux ennemis : quelques-uns des siens, plus habiles ou plus braves, réunirent plusieurs tribus et se firent rois; sur d'autres points, les classes inférieures, surtout les habitants des villes, se soulevèrent. Les druides s'unirent aux rebelles contre les nobles qui les avaient dépossédés, et dans la plupart des cités le gouvernement aristocratique et royal fut aboli et remplacé par un gouvernement démocratique plus ou moins mêlé d'éléments anciens. Ainsi, dans une cité, c'étaient les notables et les prêtres qui, constitués en sénat, nommaient un vergobret, ou juge annuel, et au besoin un chef de guerre; dans une autre, le peuple lui-même instituait un sénat ou des magistrats, quelquefois même un roi qui restait dans la dépendance de l'assemblée générale et dans celle des prêtres. Aussi un ancien disait-ilque les rois de la Gaule, sur leurs sièges dorés, au milieu de toutes les pompes de leur magnificence, n'étaient que les ministres et les serviteurs de leurs prêtres. | Thierry Bordas, La mythologie des Celtes et des Vikings, Molière, 2004. - Les Celtes ont marqué de leur empreinte toute l'Europe. Les cultes des Vikings et les traditions danubiennes liées à l'épopée des Nibelungen ont les mêmes origines que les traditions gauloises ou irlandaises. La mythologie celte repose essentiellement sur les cultes liés à la vénération de la nature et de ses éléments. Divi Kervella et Erwan Seure-Le Bihan, Légendaire celtique, découvrez les personnages fantastiques des Bretons et des Celtes, Coop Breizh, 2001. - Nicole Jufer et Thierry Luginbühl, Répertoire des dieux gaulois, les noms des divinités celtiques connus par l'épigraphie, les textes antiques et la toponymie, Errance, 2001. - Jean Markale, Nouveau dictionnaire de la mythologie celtique, Pygmalion, 2001. - Du même, Halloween, histoire et traditions, Imago, 2000. D. Besançon, M. Tréguer, Y. Brekilien, L'imaginaire celtique, Mira, 1999. - Collectif, Emblèmes et symboles des bretons et des celtes, Paris-Bibliothèques, 1999. - Laurent Donatien, La Nuit celtique, Terre de Brume, 1997. - Joseph Vendryes, La religion des Celtes, Coop Breizh, 1997. - Pierre-Marie Duval, Monnaies gauloises et mythes celtiques, Hermann, 1997. - Richard Boudet, Rituels celtes d'Aquitaine, Errance, 1997. - Yann Brekilien, La mythologie celtique, Le Rocher, 1996. - Miranda Jane Green, Mythes celtiques, Le Seuil, 1995. - Christian Guyonvarc'h, Magie, médecine et divination chez les Celtes, Payot, 1997. - Du même, Fêtes celtiques, Ouest-France / Edilarge, 1995. - Robert Graves, Les mythes celtes, Le Rocher, 1995. Marie Des Bois, Forêt celtique, forêt sorcière, Le cercle Beltane, 2002. - Jean Markale, Contes populaires de Bretagne, Ouest-France / Edilarge, 2000. - Du même, Contes et légendes des pays celtes, Ouest-France / Edilarge, 2000. - Vladimir Hulpach et Tomas Rizek, Légendes celtes, Gründ, 2000. Pour les plus jeunes : Michèle Mira Pons, La mythologie celte, Actes Sud Junior, 2003. - Christian Leourier, Contes et légendes de la mythologie celtique, Nathan, 2000. - Ella Young, Récits de la mythologie celtique, Triades . | | |