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La démagogie

On définit ordinairement la démagogie comme, l'exagération et l'abus de la démocratie. Cette définition qui a permis de confondre, à certains moments, le démocrate et le démagogue dans une même réprobation, n'est ni juste, ni claire. Elle n'est pas plus juste que celle qui appellerait le vol un abus du droit de propriété, et pour qu'elle fût claire, il faudrait qu'on indiquât exactement la limite qui sépare l'abus de l'usage. On peut dire, au contraire, que par les moyens qu'il emploie, les tendances qui le dirigent et le résultat qu'il obtient, le démagogue est l'ennemi le plus dangereux du démocrate.

Tandis que l'un cherche son point d'appui dans le sens pratique et dans les bons sentiments des masses; tandis qu'il veut faire du gouvernement le mandataire responsable des intérêts publics et le protecteur respectueux des intérêts individuels; tandis qu'il cherche à libérer la raison et l'intelligence des individus par l'instruction et à les éclairer, rendre intelligible leur présent, par la presse, l'autre s'adresse de préférence aux instincts matériels, aux passions (la peur, la colère...), et surprend, en flattant les masses, une délégation absolue dont il use à son profit ou pour la réalisation de son utopie; au nom de l'intérêt public dont il se dit le représentant, il étouffe l'initiative individuelle et impose silence à la presse. Pour tout résumer en un mot, le démocrate a pour idéal l'égalité dans la liberté et dans la civilisation; le démagogue se contente de l'égalité dans la servitude et dans l'ignorance.

Il est certain que parmi les démagogues qui ont paru à toutes les époques, un certain nombre était guidé par l'ambition personnelle. Dans ce cas le démagogue, ainsi que le fait remarquer Garnier-Pagès, est plutôt un aristocrate qu'un démocrate, puisqu'il se sert de l'intérêt populaire comme d'un masque et que son but réel est d'établir la domination d'un petit groupe. Mais ce démagogue n'est pas à beaucoup près le plus dangereux, bien que l'histoire nous le montre triomphant à certaines époques. Le démagogue vraiment nuisible à la démocratie, c'est celui qui n'est guidé que par une sorte de fanatisme politique et qui a plutôt l'ambition de voir réalisée son utopie que l'ambition de parvenir lui-même. Son désintéressement lui donne souvent sur les masses un ascendant irrésistible, et cet ascendant a toujours pour résultat de préparer les voies au démagogue ambitieux dont nous avons parlé d'abord. Le démagogue sectaire, en effet, admet la souveraineté du but et il ne comprend pas qu'on puisse reculer devant l'emploi de certains moyens, s'ils paraissent conduire à la réalisation de son idéal. 

Lors même que cet idéal est celui de la démocratie, lors même que son but est l'égalité dans la liberté et l'ordre par la liberté, il accepte comme une transition nécessaire les régimes les plus contraires à ses principes, et il admet volontiers la tyrannie comme le moyen le plus prompt de réaliser ses projets. Si la liberté lui paraît en principe la chose la plus désirable, il craint qu'en fait elle ne retarde son propre avènement, il s'indigne des lenteurs nécessaires du progrès et il aime mieux demander à des procédés sommaires le succès immédiat des réformes qu'il a rêvées. Aussi ne connaît-il pas d'ennemi plus détesté que le démocrate qui le combat au nom de ses propres principes. Il l'accuse d'être un modéré, un endormeur, et c'est lui surtout qu'il s'efforce de réduire à l'impuissance, quand il a saisi le pouvoir. Le respect des formes légales lui paraît puéril, et la réclamation des droits individuels qu'il sacrifie sans pitié, lui semble une révolte coupable contre l'intérêt publie qu'il invoque et qu'il croit servir.

La distinction théorique paraît suffisamment établie entre le démocrate et le démagogue, et l'on sent à quel point il serait injuste de rendre le premier solidaire des doctrines et des menées du second. Il n'est guère de grande idée dans le monde qui n'ait eu à côté de ses serviteurs intelligents, de ses propagateurs éclairés, ses sectaires intolérants. Est-il juste de rendre l'idée responsable des excès qui se commettent en son nom contre elle-même, et faudra-t-il que la démocratie soit solidaire de la démagogie?

Dans l'ancienne Grèce le mot démagogue  n'était pas toujours pris eu mauvaise part, et il désignait souvent l'orateur éloquent ou l'homme d'État habile qui exerçait de l'influence sur le peuple et qui, en quelque sorte, le conduisait. C'est dans ce sens que Périclès était un démagogue. Aristote, dans sa Politique, donne déjà au mot la signification que nous lui attribuons aujourd'hui. (Clément Duvernois).

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