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Les colonies romaines |
La colonisation romaine diffère profondément de la colonisation grecque; tout d'abord parce que ce fut une oeuvre politique, exécutée pendant des siècles en vertu d'un plan méthodique qui assura la puissance de Rome. Tandis que les colonies grecques furent fondées par des émigrants appartenant à des tribus différentes, souvent hostiles, qu'elles furent dès l'origine des Etats autonomes, ne conservant avec la métropole que des liens fort lâches, les colonies romaines furent établies par une cité, à son profit; elles lui restèrent toujours étroitement subordonnées et ressemblent aux clérouchies athéniennes. Dans l'histoire de la colonisation romaine nous distinguerons trois périodes :
Colonies du VIe au IIe siècleL'idée d'asseoir solidement sa domination dans une contrée en y plaçant une colonie, sorte de garnison permanente, n'est pas propre aux Romains; les autres peuples italiens l'eurent, mais aucun n'en fit un aussi redoutable usage. On a soutenu que les trente villes latines étaient des colonies d'Albe, Rome la première, mais il semble que ceci soit erroné; on a voulu exprimer par cette affirmation l'hégémonie exercée par Albe sur une fédération de cités de même origine. La première colonie romaine est Ostie, fondée, dit-on, par le roi Ancus Martius pour garder l'embouchure du Tibre. Les rois suivants imitèrent son exemple, mais comme ils étaient chefs de la confédération latine, ces colonies sont considérées comme colonies latines. Exception faite pour Ostie, et peut-être pour Labici, fondée en 416, on peut dire que jusqu'à la guerre qui mit aux prises Rome et les Latins, et fit de ses anciens alliés de véritables sujets, il n'y eut pas de colonie exclusivement romaine. Les colonies fondées par les rois (Signia et Circeii par Tarquin le Superbe), et par la république au détriment des Volsques, des Rutules, des Etrusques, ennemis communs de Rome et des Latins, paraissent l'avoir été d'accord entre ceux-ci. Les Romains eurent le rôle directeur; les nouvelles cités étaient assimilées aux autres villes du Latium; elles concouraient à assurer la prépondérance de Rome sur les anciens Latins. Lorsque la prise de Rome par les Gaulois faillit amener sa ruine, et amena la dissolution de la confédération latine, presque toutes ces colonies lui restèrent fidèles (Signia, Circeii, Cora, Norba, Ardea, Setia, Sutrium, Nepete), et la sauvèrent. Dans le courant du IVe siècle, l'attitude de Rome, les discussions relatives aux droits respectifs des citoyens de Rome, des cités voisines, des Latins, etc., provoquèrent une crise. La guerre éclata entre Rome et les Latins auxquels se joignirent plusieurs colonies, en particulier Signia et Setia. Rome triompha et régla à son gré la condition civile et politique des vaincus.Les anciennes colonies conservèrent le droit latin; mais à partir de ce moment on en fonda d'autres, exclusivement composées de citoyens romains, dont la condition fut plus favorable; on continua à côté de celles-ci de créer de nouvelles colonies latines (coloniae nominis Latini). Celles-ci étaient peuplées d'alliés, fournissaient aux armées romaines des contingents nombreux. On s'attachait les Latins en leur faisant des distributions de terres, et on consolidait la domination romaine, sans affaiblir la population de la ville. La création d'une colonie latine était ordonnée par un sénatus-consulte, réglée par une loi, exécutée par des curateurs spéciaux, élus à Rome dans les comices, et investis de l'imperium par loi curiate. La loi (formula coloniae) déterminait le chiffre des colons latins; de 2 à 6000 en général. Leur lot de terre était considérable; à Thurium, 20 jugères (1 jugère = 25 ares environ) par fantassin, 40 par cavalier; à Aquilée, 50 par fantassin, 140 par cavalier. Des citoyens romains pouvaient prendre part à ces assignations en renonçant à leur droit de cité romaine; le fait se produisait pour des plébéiens pauvres. Plus tard, on concéda fictivement le titre de colonie latine à des villes auxquelles on donnait ainsi le droit latin, mais c'est une autre question purement juridique qui n'a pas sa place ici. La colonie latine était au point de vue politique un état allié, plus exactement vassal de Rome, dans la condition de fédéré. Son contingent militaire était fixé par la loi de fondation, et si la colonie était trop affaiblie, on la renforçait par l'envoi de nouveaux colons (à Venouse, Narnia, Cosa, Plaisance, Crémone, Aquilée). Le sénat romain conservait une haute juridiction sur ces villes. Elles se gouvernaient elles-mêmes, ayant leur sénat, leurs magistrats, duovirs et autres, leurs censeurs. La condition civile des habitants sera étudiée ailleurs, comme nous venons de le dire. Douze de ces colonies (Ardea, Nepete, Sutrium, Alba, Carseoli, Cora, Suessa, Circeii, Setia, Cales, Narnia, Interamna) refusèrent en 209 de fournir leur contingent pour la continuation de la seconde Guerre punique qui les épuisait; elles furent punies en 204 par la perte d'une partie de leurs privilèges. Les dix-huit autres colonies restèrent fidèles à Rome, et lui permirent de résister victorieusement à Hannibal; sans la ceinture de forteresses et de petites cités alliées formée par ces colonies, les Romains eussent certainement succombé. Plus tard, le nombre des colons fut accru, jusqu'à 3000 en certains cas, et leur lot étendu jusqu'à dix jugères, une fois même en 180 pour Luna, jusqu'à 51,5. Les colons étaient recrutés par voie d'engagement volontaire; s'il ne s'en présentait pas assez, on procédait à une conscription comme pour le service militaire. L'établissement de la colonie sur le sol a été décrit par les agronomes et Rudorff en a donné un tableau complet qui s'applique aussi bien aux colonies politiques qu'aux colonies militaires de la période suivante (Rudorff, Roemische Feldmesser, éd. 1854). Nous le résumons ici. La loi indiquait le nom de la colonie, son territoire, le nombre des colons, la nature et la grandeur des lots à leur assigner, le mode de délimitation, la qualité et le nombre des magistrats, employés, etc., chargés de ce travail. Les curateurs investis de l'autorité militaire administrative et judiciaire pour un temps défini faisaient mesurer le sol par des arpenteurs assistés d'augures et se servant de leur instrument appelé groma. On traçait sur le sol un temple, selon les rites, relevant avec soin les quatre points cardinaux, tirant du Nord au Sud l'axe (cardo maximus), de l'Est à l'Ouest une autre ligne (decumanus maximus) qui coupait la première au centre. On cherchait à placer le forum de la ville au centre, les quatre portes et les voies principales de la ville étant orientées selon les deux axes; la ville ressemblait ainsi à un camp. Elle était entourée de remparts; lorsqu'on établissait la colonie dans une ville déjà existante, on s'en accommodait; parfois même les anciens habitants n'étaient dépouillés que d'une partie de leur territoire. La délimitation des champs se faisait selon les principes que nous venons d'indiquer. On ne comprenait dans les mesures ni les forêts, ni les carrières, ni les pièces d'eau, ni les terrains non cultivables ou trop infertiles; quand ceux-ci étaient mêlés aux autres, on divisait les bonnes terres en bandes, laissant en dehors les mauvaises terres. S'il arrivait aussi que dans le sol arpenté il y eût des lots en excédent, ils restaient vacants (subcesiva) réservés au domaine public, affermés ou concédés à la communauté comme pâturages. Dans les colonies militaires dont il sera question plus bas, les habitants demeuraient comme fermiers sur les lots attribués à d'autres. Le travail de délimitation une fois achevé, on posait aux limites de grandes bornes (termini territoriales); on traçait des lignes parallèles aux deux axes et numérotées à partir d'eux, qui divisaient l'aire en carrés égaux appelés centuries; à chaque angle de ces petits carrés on posait une borne portant le numéro du cardo et celui du decumanus. Ces bornes étaient sur un modèle uniforme, spécial à chaque colonie et déterminé par le fondateur. On distinguait plus tard celles des Gracques, d'Auguste, des divers empereurs, etc. C'étaient les agrimensores qui établissaient ces bornes de pierre (quelquefois de bois). Le long des lignes de limite on traçait des routes d'exploitation, d'après des règles fixes. Chaque cinquième ligne (limes) à partir du maximus cardo et sans le compter s'appelait actuarius, les intermédiaires linearii ou subruncivi; la route du decumanus maximus avait 40 pieds de large, celle du cardo maximus 20 pieds, les actuarii en moyenne 12 pieds; c'étaient encore généralement des chemins publics; les subruncivi, pour l'usage des propriétaires riverains, avaient 8 pieds, ou 5 au moins. On ne sait si la largeur des chemins était ou non comprise dans l'étendue des territoires à partager. Lorsque les travaux de délimitation étaient achevés on faisait l'inauguration solennelle de la colonie, le triumvir, curateur (ou plus tard le légat du général fondateur), la toge relevée à la mode de Gabies, faisait avancer devant lui une charrue attelée d'un taureau à droite, d'une vache à gauche. Il suivait les limites, rejetait en dedans la terre du sillon, soulevant le soc au passage des portes. On dressait un plan cadastré de la colonie dont un exemplaire gravé sur pierre ou bronze demeurait sur place. On peut encore, dans certaines contrées de la haute Italie, voir des surfaces où fut une colonie romaine et dont les champs sont encore divisés comme ils le furent par les arpenteurs romains il y a plus de deux mille ans. La condition des habitants d'une colonie romaine proprement dite était fort simple; ils conservaient entièrement le droit de cité tel qu'ils en jouissaient, avant de partir; ils exerçaient leurs droits politiques quand ils se trouvaient à Rome. Les colonies maritimes furent d'abord exemptées du service militaire, mais elles ne purent faire maintenir ce privilège lors de la seconde guerre punique (sauf Ostie et Antium). La colonie formait un petit Etat avec sénat dans lequel on élisait les magistrats municipaux, préteurs revêtus de la robe prétexte, édiles, questeurs, pontifes, augures, flamines, etc.; il n'y avait pas de censeurs, puisque les colons continuaient de figurer sur les rôles des censeurs romains. A côté d'eux, il y avait dans la colonie l'ancienne population dont les droits étaient moindres (droit de cité sans suffrage, sans connubium?) mais qui finirent par se confondre avec eux. Nous reproduisons ci-dessous, d'après l'excellent Manuel des institutions romaines de Bouché-Leclercq, un tableau des colonies latines et romaines (en italiques) antérieures auIer siècle. On remarquera qu'il comprend toutes celles qui furent créées jusqu'aux lois Julia et Plautia Papiria, même celles des Gracques dont nous ne parlerons que plus loin.
Ajoutons que Signia fut fondée à nouveau en 495 et Circeii en 393; qu'en 338 Colonies agraires et militairesLorsque la conquête de l'Italie fut achevée, on n'eut plus à fonder des colonies comme celles qui avaient ouvert un débouché à la population romaine, placé des garnisons de citoyens sur les points stratégiques et donné à une cité une puissance militaire et un nombre de citoyens incomparable dans l'Antiquité. Mais on songea alors à utiliser la procédure suivie pour ces fondations de colonies, assignations de terres dans des régions éloignées pour améliorer la condition économique de plus en plus déplorable d'une fraction considérable du peuple romain. Cela était d'autant plus légitime que les guerres lointaines rendaient plus onéreux le service militaire; le soldat libéré était trop souvent sans ressource. Dès l'époque précédente, des lois agraires avaient été votées assignant une partie du domaine public (ager publicus) aux pauvres; quelquefois on avait utilisé des fondations de colonies pour atteindre le même but et satisfaire ou éloigner des mécontents. Caïus Gracchus proposa de généraliser le système en fondant de grandes colonies. Il voulait relever ainsi les anciennes rivales de Rome, Tarente, Carthage même; on dit que dans celle-ci il voulait placer soixante mille colons romains; ces lois, spécialement la loi Rubria, votée en 122 sur l'initiative du tribun Rubrius, furent rédigées sur le modèle des anciennes lois coloniales. Elles étaient populaires, car le rival de Caïus Gracchus, Livius Drusus, fit voter à son tour une loi Livia instituant douze colonies (pour trente-six mille colons) en Italie. Après la ruine de Gracchus ses colonies furent supprimées (loi Minneia); quant à la question de savoir si celles de Drusus furent exécutées, elle est controversée. Cette agitation fut plus tard reprise par Saturninus qui voulait caser les vétérans de Marius et fit voter des lois pour la fondation de colonies en Afrique, en Sicile, en Achaïe, en Macédoine (100); chaque vétéran devait recevoir 100 jugères; ces lois furent cassées après la mort de Saturninus. Livius Drusus ne put faire accepter une loi analogue, reproduisant peut-être telle de son père ou de Caïus Gracchus, mais visant surtout l'établissement, des prolétaires romains. En revanche, quand Sylla eut terminé la guerre civile et conquis la dictature, il fit à ses vétérans des distributions de terres, par lesquelles il leur donna une grande partie des terres des municipes italiens qui l'avaient combattu. Cette colonisation militaire échoua; la plupart des soldats ne se mirent pas au travail; ils ne purent remplacer les anciens propriétaires, vendirent ou abandonnèrent leurs lots qui grossirent les latifundia, revinrent à Rome et formèrent les bandes de Catilina. La condition de ces colonies militaires fut celle des colonies romaines dont il a été parlé. Il en est de même de celles que plus tard fondèrent les triumvirs, puis Octave, à l'imitation de Sylla, pour doter leurs soldats.Nous reproduisons la liste à peu près complète de toutes ces colonies fondées en Italie, d'après Bouché-Leclercq. Elle s'étend jusqu'à Vespasien, et on remarquera que des noms y figurent plusieurs fois, des colonies ayant été établies plusieurs fois sur le même emplacement : 1° Colonies fondées par Sylla ou avant la mort de César (libera respublica) : Abella, Abellinum, Aesis, Alsium, Antium, Ardea, Arretium, Asculum, Auximum, Buxentum, Calatia (Capua), Casilinum, Castrum Novum Piceni, Croto, Dertona, Eporedia, Faesulae, Fregenae, Gravisae, Grumentum, Hadria, Interamna Praetut., Liternum, Luna, Minturnae, Mutina, Nola, Ostia, Paestum, Parma, Pisaurum, Pompeii, Potentia Piceni, Praeneste, Puteoli, Pyrgi, Salernum, Saturnia, Scylacium, Sena Gallica, Sinuessa, Sipontum, Tarentum, Tarracina, Telesia, Tempsa, Volturnum, Urbana; Colonies de l'époque impérialeA l'époque impériale, il ne fut plus fondé que des colonies romaines proprement dites; en général, des colonies militaires analogues à celles d'Auguste. Nous avons déjà parlé de celles d'Italie. Dans les provinces, on commença à étendre la colonisation romaine, reprenant le plan de Caïus Gracchus et de Jules César. Auguste lui-même créa des colonies romaines dans la Gaule narbonnaise, en Espagne, en Afrique, en Sicile, en Macédoine, en Achaïe, en Syrie, en Pisidie; le domaine public dut fournir les terres; sur celles de Patras, par exemple, on put placer les vétérans de deux légions et il en resta pour les Grecs du voisinage. Cette politique fut suivie par les empereurs qui dotaient ainsi les soldats à l'expiration de leur temps de service. Il faut toutefois remarquer que cette colonisation d'un grand nombre de provinces par les vétérans romains se fit sous plusieurs formes. On créa de moins en moins de colonies proprement dites; deux seulement dans la Dacie, qui fut repeuplée par Trajan (Colonia Ulpia ou Sarmizegethusa et Zerna); beaucoup d'assignations de terres eurent lieu sans qu'on groupât les colons en colonie; on les plaçait dans des cités où quelquefois ils formaient un collège spécial, ou dans une cité déjà existante. Souvent les colonies ne prospérèrent pas, en raison du peu d'aptitude des soldats pour cette vie agricole ou du manque de solidarité entre des hommes originaires de pays différents; il fallut renouveler les colonies, plusieurs disparurent.Nous citerons ici les plus importantes : Colonia Agrippinensis (Cologne) et Camulodunum, fondées par Claude; Oelia Capitolina (Jérusalem), par Hadrien. En fait, le grand travail de colonisation romaine qui fonda tant de villes jusque dans le sud de l'Allemagne, en Grande-Bretagne, latinisa la Gaule et l'Espagne, se fit sourdement; les colonies officielles, colonies militaires, n'y eurent pas la plus grande part. (A.-M. B.). |
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