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Littérature italienne
La littérature italienne à la Renaissance
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Le Moyen Âge
 La Renaissance  Le XVIIe s Le XVIIIe s. Le XIXe s.
Nous voici arrivés à l'époque de l'érudition. Encouragés par des princes qui, pour la plupart, cultivaient eux-mêmes les lettres, surtout par les Médicis, les savants entreprirent de faire revivre l'Antiquité : les manuscrits des Anciens furent découverts: ceux que l'on avait déjà furent expliqués. La plupart des grands hommes qui ont illustré cette période sortirent des écoles de deux grammairiens célèbres, Jean de Ravenne et le savant grec Emmanuel Chrysoloras. Guarino de Vérone, élève de Jean de Ravenne, se rendit à Constantinople uniquement pour apprendre le grec à l'école de Chrysoloras. De retour de ses voyages, où il avait recueilli des manuscrits précieux, il professa à Vérone, à Padoue, à Bologne, à Venise et à Ferrare. Ses principaux ouvrages sont des traductions latines de plusieurs Vies et de quelques oeuvres morales de Plutarque, et surtout de la Géographie de Strabon. Il écrivit aussi la vie d'Aristote, celle de Platon, et composa une grammaire grecque et une grammaire latine. Son meilleur titre de gloire est d'avoir découvert les poésies de Catulle

Jean Aurispa professa aussi dans les principales villes d'Italie, alla à Constantinople étudier le grec, en rapporta les poésies de Callimaque, de Pindare, d'Oppien, les oeuvres de Platon, de Plotin, de Xénophon, etc., les expliqua et en multiplia les copies. Ambrogio le Camaldule ne professa pas, mais, par ses relations, ses correspondances et ses travaux, il entretint le goût des bonnes études, que de célèbres professeurs, ses amis, répandaient par leurs leçons. Leonardo Bruni, élève de Jean de Ravenne, secrétaire apostolique, et plus tard chancelier de la république de Florence, a laissé un grand nombre de traductions des auteurs grecs et des Pères de l'Eglise, et une Histoire de Florence, depuis l'origine de cette ville jusqu'à à l'an 1401. II a aussi écrit des Mémoires ou Commentaires sur les événements publics de son temps, et les biographies de Dante et de Pétrarque toutes deux en italien

Poggio Bracciolino, connu en France sous le nom de Pogge, principalement  comme auteur d'un recueil de bons mots et de facéties licencieuses, fut un personnage très grave, d'une grande autorité dans les lettres, et l'un de ceux qui leur rendirent à cette époque les services les plus signalés. Il retrouva un grand nombre de manuscrits dans les monastères de France et d'Allemagne, entre autres Quintilien, Vitruve, un de Lactance, et quelques Discours de Cicéron. II a composé plusieurs traités philosophiques remarquables, Du malheur des Princes, Des vicissitudes de la Fortune, De l'hypocrisie; un dialogue Sur le malheur de la destinée humaine, une Histoire de Florence, depuis 1350 jusqu'en 1455. Poggio eut de grandes querelles avec les érudits contemporains: le plus célèbre de ses adversaires fut Filelfo, qui étudia à Constantinople, professa à Bologne et à Florence; laissa des traductions latines de la Rhétorique d'Aristote, de deux traités d'Hippocrate, de plusieurs Vies de Plutarque, de la Cyropédie de Xénophon, et plusieurs traités philosophiques, des dialogues sur le modèle du Banquet de Platon, des poésies latines qui lui valurent la couronne poétique des mains du roi de Naples, des satires et des épîtres curieuses pour l'histoire de son siècle. 

Laurent Valla succéda à Filelfo dans la réputation du plus savant professeur de son temps. On a de lui une Histoire de Ferdinand d'Aragon et quelques traités de linguistique.

Le XVe siècle vit le commencement de cette émigration  des Grecs en Italie, qui contribua si puissamment à la renaissance des lettres. Mais s'ils mirent à la mode la  science, ils inaugurèrent aussi ces disputes souvent  oiseuses qui passionnaient les esprits. Ce fut le temps des querelles sur Aristote et Platon. Deux Grecs, nommés tous deux Georges de Trébizonde, écrivirent l'un pour,  l'autre contre Platon. Après eux, le cardinal Bessarion prit parti pour Platon, et le Grec Théodore Gaza de Thessalonique pour Aristote. Cosme de Médicis fonda à Florence une Académie platonicienne, consacrée à l'explication et  à l'étude de philosophe dont elle portait, le nom. Les principaux membres furent : Marcile Ficin, qui écri vait à 23 ans ses quatre livres des Institutions platoniciennes traduisit Platon, et l'expliqua publiquement; Pic de La Mirandole, le type de l'étude et du savoir précoces, beau génie fourvoyé par les subtilités de l'école, auteur d'une thèse De omni re scibili, qui est un prodige de talent mal employé, et d'un livre, intitulé Heptapte, où la Genèse est expliquée par les allégories de Platon; Christophe Landino, qui fut le maître de Laurent de Médicis.
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Bessarion.
Bessarion.

On ne se borna pas dans ce siècle d'érudition à la recherche des anciens, à l'étude de leurs langues, à l'interprétation de leurs chefs-d'oeuvre; on y joignit la recherche des antiquités, des médailles, des monuments de toute sorte; on en formait des collections, on expliquait les inscriptions, on s'en servait pour l'intelligence des auteurs, qui aidaient à leur tour à expliquer les monuments. L'un des premiers qui employa cette méthode fut Flavio Biondo; dans deux ouvrages de Rome renouvelée et Rome triomphante, écrits en latin, il montra une érudition prodigieuse pour le temps. Pomponius Leto ou Laetus explora les antiquités de Rome avec succès; il a laissé divers traités sur les lois et les moeurs des anciens Romains, et une histoire des empereurs. Son ami Platina est surtout connu par une Histoire des Papes, écrite avec élégance et impartialité. Mais le plus célèbre historien de ce temps fut Aeneas Sylvius Piccolomini, qui devint pape sous le nom de Pie Il. Il a écrit des Commentaires en 12 livres sur les événements arrivés de son temps en Italie, divers opuscules philosophiques, des traités de grammaire et de philologie.

La littérature italienne est très riche en historiens; le morcellement du territoire a pu favoriser ces histoires particulières. Au XVe siècle, Sambellico et Bernardo Giustiniani écrivirent l'histoire de Venise; Vergerio, celle des princes de Carrare; Jean Simonetta, celle de François Sforza; Bernardino Corio, celle de Milan; Giorgio Stella, celle de Gênes. II n'y eut pas de petit prince qui n'eût son historiographe, le plus souvent partial, parce qu'il était dépendant. La plupart de ces ouvrages étaient écrits en latin. Cependant Pandolfo Collenuccio écrivit l'histoire de Naples en langue italienne.

Le débordement des poètes latins fut encore plus fort que dans le siècle précédent. II est inutile de faire l'énumération de compositions presque toutes sans talent, et complètement oubliées. C'est aussi dans ce siècle qu'apparaissent les improvisateurs-: plusieurs excitèrent l'admiration de leurs contemporains; mais il  en est des improvisateurs comme des grands acteurs, ils meurent tout entiers, laissant à peine un nom. On cultivait la poésie latine avec plus de succès à Naples que dans le reste de l'Italie : Pontano fit des vers aussi semblables pour l'élégance et la grâce à ceux du siècle d'Auguste qu'il était possible à des modernes de le faire; Beccadelli, surnommé Palermita (de Palerme), a laissé des tragédies, des élégies et autres poésies latines remarquables, mais d'une liberté par trop antique.

La poésie italienne n'était pourtant pas abandonnée. L'exemple de Laurent de Médicis devait stimuler les poètes ce prince a laissé des canzones, des églogues, des poésies morales, remarquables par l'élégance du style et la force des pensées; le premier il écrivit pour le peuple : on a de lui des cantiques, un Mystère de Saint Jean et Saint Paul, qu'il fit représenter au mariage d'un de ses enfants, enfin des chansons restées populaires, pleines d'esprit et de gaieté. Auprès de lui se place Politien, savant universel, philosophe pour obéir au goût de son temps, mais poète par nature. Dès l'âge de 15 ans, il publia des épîtres et des épigrammes. Il célébra Julien de Médicis dans un poème qu'il dédia à Laurent, composa des chants populaires ou canzoni a ballo, d'un tour spirituel et élégant, reprit et perfectionna l'ottava rima, inventée par Boccace, et donna, dans la Favola di Orfeo, le modèle de la première composition dramatique moderne. Sannazar exprima ses sentiments patriotiques dans des sonnets harmonieux. Sa pastorale de l'Arcadie, malgré la pauvreté du sujet, eut, dans le XVIe siècle seulement, 60 éditions. 

Les autres poètes italiens de l'époque sont restés bien au-dessous des précédents. Giusto da Conti imita servilement Pétrarque dans des canzones qui ont presque toutes pour sujet la belle main de sa dame. Burchiello, poète populaire, écrivit des poésies presque toujours incohérentes, mais qui ne manquent ni de verve, ni d'originalité. Les trois frères Pulci, Bernardo, Lucca et Luigi, écrivirent des élégies, des églogues et des poèmes en l'honneur de Julien et de Laurent de Médicis. Seradno Aquilano fut le plus célèbre de tous ces poètes : on l'égalait à Pétrarque; mais sa réputation ne lui survécut que d'un siècle. II est juste aussi de tirer de la foule Matteo Palmieri, dont la Città di Vità est un dernier écho de la poésie de Dante, Feo Belcari, Francesco Cei, et enfin Girolamo Benivieni; il y a dans ses poésies une clarté, un naturel et une pureté de goût, qui semblent les qualités distinctives de l'école de Florence. Les femmes ne restèrent pas en arrière dans le mouvement littéraire de ce siècle. On en vit un grand nombre écrire des vers agréables, soit en langue italienne, soit en latin et même en grec, haranguer en latin, comme la jeune Hippolyte Sforce, le pape Pie II, ou, comme Cassandra Fedele, se distinguer dans l'étude des belles lettres et de la philosophie, discuter contre les plus savants, et mériter les éloges de Politien.

Le XVIe siècle est la grande époque de la littérature italienne. Les érudits du XVe avaient préparé des matériaux immenses à la génération suivante, et les héritiers se trouvèrent dignes de recueillir la succession de leurs devanciers. 

L'épopée chevaleresque, qui a fourni plusieurs chefs-d'oeuvre, s'est inspirée de la Chronique de Charlemagne et des douze pairs, attribuée à l'archevêque Turpin. Mais, tout en se servant du nom de Turpin pour faire passer bien des histoires incroyables, chaque auteur introduit sans scrupule les inventions et les caractères que son imagination lui fournit : la famille de Charlemagne se modifie au gré de chacun, et presque toujours le naïf auteur trouve moyen de rattacher au grand empereur la famille du petit prince italien qui le protège. Tous ces poèmes ont un air de famille par l'incohérence dans le style, la profusion des détails et les mêmes formules : l'auteur commence chaque chant par une prière, et la finit en interpellant ses auditeurs, le plus souvent en vue de provoquer leur générosité. Il serait donc inutile de s'arrêter à des compositions comme Buevo d'Antona, I reali di Francia, l'Ancroïa, la Spagna, etc., qui n'ont guère fait que fournir l'idée de poèmes restés célèbres. 

Le premier qui mérite une mention particulière est celui de Pulci, intitulé : Morgante le Grand. Puis, un poète connu sous le nom de l'Aveugle de Ferrare, mais dont le nom de famille était Bello, tira aussi des vieux romans carolingiens un sujet qu'il traita d'une manière originale, et sans s'astreindre, comme le Pulci, à toutes les formes établies par les romanciers populaires. Son poème, intitulé Mambriano, a pour héros Mambrin, roi de Bithynie, qui, dans le but de venger la mort de son oncle, part pour aller défier Renaud de Montauban, fait naufrage dans l'île de la fée Canradine, et assiège Montauban, défendu par les quatre fils Aymon et leur soeur Bradamante. Ce poème n'a pas été achevé. Vinrent ensuite le Roland amoureux  du comte Bojardo, refait plus tard par le Berni, et le Roland furieux de l'Arioste, inimitable modèle de l'épopée héroï-comique. Louis Dolce composa cinq ou six romans épiques, dont le plus connu a pour sujet l'enfance de Roland et ses premiers exploits; quelques incidents de ce poème ne manquent pas d'agrément.

Citons encore l'Angélique amoureuse de Vicenzo Brusantini, et la tentative médiocrement heureuse d'une femme, Tullie Aragon, qui écrivit Il Meschino o il Guerino, dans la louable intention de remplacer par un ouvrage honnête les productions généralement jugées immorales de ses devanciers.

Après les poèmes de Charlemagne et des douze pairs, vinrent ceux tirés de sujets antiques, surtout de l'Iliade et du l'Odyssée. Tels sont la Destruction de Troie, l'Achille, l'Enea et l'Ulysse de Dolce, toutes froides imitations d'Homère. Il y eut aussi des romans de la Table ronde, Lancelot du Lac, Tristan de Léonois, connus de très bonne heure en Italie par des traductions en prose des vieux ouvrages français. Le plus célèbre des romans de cette famille fut Giron le Courtois, dont l'auteur, Luigi Alamanni, reçut le sujet de François Ier, et qui est conduit avec art. Le même auteur a laissé une Avarchide (le siège de Bourges, en latin Avaricum), calquée sur l'Iliade. On a du Trissin une Italie délivrée des Goths. Bernardo Tasso, père du Tasse, envoyé en Espagne en 1535 par Ferrante Sanseverino, prince de Salerne, y connut l'Amadis de Gaulede Montalvo, et composa sur les principaux épisodes de ce roman un poème d'Amadigi di Francia : c'est une imitation libre de l'original, sans autre modification importante que l'addition de deux personnages, Alidor, frère d'Oriane, et Mirinda, soeur d'Amadis; mais le style est très soigné, la versification pure, noble et agréable. Aussi ce poème occupe-t-il le second rang de l'épopée romanesque en Italie; il ne le cède qu'au Roland furieux.

Nous n'avons à parler ici que des moindres ouvrages de Torquato Tasso, dit le Tasse, des articles particuliers étant consacrés à la Jérusalem délivrée et à l'Aminte. Le Tasse composa à 18 ans un poème épique en 19 chants, dont le héros est Renaud, fils d'Aymon et cousin de Roland; son amour pour la belle Clarisse, ses premiers faits d'armes entrepris pour l'obtenir, les obstacles qui les séparent, et enfin leur union, en sont le sujet, le noeud et le dénomment; ce poème est peu lu, et mérite peu de l'être. Le Tasse, vers la fin de sa vie refondit la Jérusalem délivrée dans un second poème, Jérusalem conquise, qu'il préférait au premier, jugement que les gens de goût n'ont pas ratifié. Vers la même époque, son esprit étant de plus en plus tourné aux idées religieuses, il écrivit les Sept journées, poème sur la création du monde; il en prit peut-être l'idée dans un poème français pompeusement ridicule, la Semaine, de Du Bartas; c'est une oeuvre inachevée, où se trouvent néanmoins des morceaux d'une grande beauté.

La gloire du Tasse éclipsa celle de tous les autres poètes de son temps; lui seul fit l'éloge de l'Amant fidèle de Curzio Gonzaga les contemporains n'y prirent pas garde. Le Nouveau Monde de Giorgini, la Maltéide de Fratta, la Jérusalem détruite de Potenzano, l'Angeleida de Valvasone, n'ont pas vécu plus longtemps. Les Larmes de Saint Pierre par Tansillo eurent un plus grand succès. Le temps de l'épopée chevaleresque était passé, et, comme toujours, après le sérieux vint la parodie. Par une tendance déplorable du caractère italien, on vit de toutes parts paraître des railleries, de la valeur guerrière. Merlin Coccajo, pseudonyme de Teofilo Folengo, inventa le style macaronique, mélange burlesque de latin et d'italien, et écrivit dans ce style l'Orlandino, poème extravagant, où, donnant un libre essor à son caprice, il a su exprimer d'une manière vive et pittoresque toutes les folies de son cerveau. 

Antonio Grazzini, plus connu sous le nom de Lasca, écrivit des poésies badines, et fut le premier fondateur de l'Académie de la Crusca. II composa aussi un petit poème intitulé : la Guerra de' Mostri. On lui attribue un autre ouvrage du même genre, la Nanea, composé pour se moquer d'un poème de Benedetto Arrighi, intitulé : Gigantea ou Guerre des Géants. Ces inventions, la plupart plus grotesquesque spirituelIes, ne méritèrent pas d'obtenir une renommée durable. 

L'épopée héroï-comique fut créée par Tassoni, dont le poème, la Secchia rapita, raconte une guerre des habitants de Modène et de Bologne au sujet d'un seau de bois. Lalli travestit l'Enéide, et Bracciolini persifla les dieux du paganisme.

L'art dramatique se forma en Italie plus tôt que dans les autres pays de l'Europe. Dès le XIVe siècle, lorsqu'en France on en ttait encore aux Mystères et aux Confrères de la Passion, les Italiens avaient des tragédies régulières. Au XVe on citait la Catinia de Polentone, l'Amphitryon et le Joseph de Collenuccio. Au XVIe, les représentations dramatiques formèrent le principal divertissement de toutes les cours, sans en excepter celle de Rome. Léon X fit représenter à ses frais la tragédie de Sophonisbe que le Trissin lui avait dédiée. Ce poète se distingua par une imitation servile du théâtre grec; ceux qui vinrent après lui l'imitèrent à leur tour. On lui doit d'avoir affranchi le théâtre italien du joug de la rime : les vers libres qu'il employa étaient cependant mêlés avec quelques vers rimés. Sophonisbe marque un progrès sensible dans la tragédie italienne; et dénote un grand talent; aussi le succès de cette pièce fut-il général, non seulement en Italie, mais en France, où elle fut plusieurs fois traduite.

L'exemple du Trissin fut promptement suivi par le Florentin Ruccellai : pour sa première pièce, intitulée : Rosemonde, il choisit un sujet historique, et le disposa à la manière des Grecs, employant les choeurs, et les vers libres pour le dialogue. Son Oreste n'est autre chose que l'Iphigénie en Tauride, imitée et même le plus souvent traduite d'Euripide. Martelli, auteur de Tullia, prit son sujet dans Tite-Live : malgré le caractère odieux de l'héroïne et les défauts de la pièce, les Italiens ont accordé à la Tullia un des premiers rangs parmi les tragédies qui signalèrent chez eux la renaissance de l'art. 

Alamanni, qui figure déjà dans l'épopée, se distingua aussi dans la tragédie; mais il se contenta de faire passer dans sa langue les beautés de l'Antigone de Sophocle. Nous ne parlerons que pour mémoire des neuf tragédies de Giraldi Cinthio, de celles de Louis Dolce, et même de la Canace de Sperone Speroni. Le Tasse composa à deux reprises différentes une tragédie de Torismond, pièce toute d'invention et mise à la mode par Giraldi. Les Italiens la comptent au nombre des plus belles du XVIe siècle : on y remarque de nombreuses imitations de l'Oedipe roi de Sophocle. Ce chef-d'oeuvre grec fut traduit quelque temps après avec talent par Anguillara. Citons aussi comme sujets empruntés à l'Antiquité celui de Mérope, traité pour la première fois par le prince Torelli. Nous finirons cette nomenclature par une pièce où se trouve un singulier contraste entre l'auteur et le sujet, l'Horace de Pierre Arétin. Ce poète, qui ajoutait sa propre licence aux sujets les plus licencieux, traita dans toute son austérité ce grand sujet; il fut aussi fidèle à l'histoire qu'il est possible de l'être on la transportant sur le théâtre; et, dans ce qu'il ajouta au récit de Tite-Live, il fit voir beaucoup de connaissance des usages civils et religieux de l'ancienne Rome.

La comédie n'avait existé en Italie, avant le XVIe siècle, qu'à l'état de farce ou de pantomime. A cette époque de renaissance, on commença à revenir aux modèles antiques. Les comédies de Plaute et de Térence furent étudiées, et même représentées, soit traduites, soit même en latin : à cette école se forma une pléiade d'auteurs comiques, aussi remarquables par le talent que par l'immoralité. Le premier fut le cardinal Bibbiena, qui fit représenter devant Léon X sa Calandria, dont nous ne pouvons pas même indiquer le sujet. L'Arioste, dès sa plus grande jeunesse , s'exerça à écrire des comédies d'après Plaute et Térence : la Cassaria, I Suppositi, la Lena, Il Negromante et la Scolaslica, restée imparfaite. Ces pièces sont moins libres dans l'expression que la Calandria; mais, cette réserve faite, on ne peut trop louer le style de l'auteur, qui, pour l'aisance et la clarté, n'a pas d'égal dans toute la poésie italienne; peu d'écrivains ont eu au même degré que l'Arioste le don de peindre les caractères, les vices et les ridicules des humains.

Une comédie plus connue en France est la Mandragore de Machiavel, traduite par J.-B. Rousseau : rien de plus vif et de plus libre que le ton de cette comédie; Léon X voulut qu'elle fût jouée devant sa cour, ce qui semble d'autant plus étonnant que, outre la licence du sujet et des détails, elle renferme une satire violente contre le clergé et la religion chrétienne. Machiavel composa encore la Clithia, comédie imitée de la Casina de Plaute, également fort libre, et une traduction de l'Andrienne de Térence

Nommer l'Arétin, c'est assez dire à quoi l'on doit s'attendre : ses principales pièces sont : le Maréchal, la Courtisane, l'Hypocrite, la Taranta et le Philosophe; on y remarque en général assez peu d'invention, mais des détails piquants qui font connaître les moeurs du temps. Jean-Marie Cecchi fut l'un des meilleurs et le plus fécond des auteurs comiques de son siècle; on a de lui 10 comédies imprimées, qui ne sont que la moindre partie de ce qu'il avait écrit; la plupart sont tirées de Plaute et de Térence. La plus comique, mais aussi la plus libre, est l'Asiulo. Le Lasca, auteur de nouvelles dans le genre de celles de Boccace, le fut aussi de comédies moins piquantes, mais moins libres que celles de Cecchi. Louis Dolce, poète fécond et plus laborieux que brillant, écrivit cinq comédies, les unes en vers, les autres en prose; la plupart ont pour sujet des aventures contemporaines. 

Les trois pièces composées par Francesco d'Ambra sont des chefs-d'oeuvre dans le genre alors le plus en vogue, la comédie d'intrigue; l'Académie de la Crusca les compte au nombre des autorités pour la langue. Nous trouvons presque tous les noms illustres de l'époque sur la liste des auteurs comiques : Annibal Caro, le célèbre traducteur de l'Enéide; Guarini, l'auteur du drame pastoral Il Pastor fido; le Berni, Firenzuola, Caporali, Tansillo, qui marchèrent sur les traces de l'Arétin; Gelli et Beolco, dit Ruzzante, qui acquirent de la célébrité par leurs farces de carnaval. Ce fut encore Berni qui créa un genre de poésie railleuse, appelé de son nom poésie bernesque, et où il eut pour imitateurs et rivaux Caporali, Mauro, Molza, Giovanni della Casa, etc. Dans la satire savante se distinguèrent Vinciguerra et Ercole Bentivoglio. La poésie didactique, pour laquelle Virgile servit toujours de modèle, peut citer le poème de l'Agriculture par Alamanni, celui des Abeilles par Ruccellai, d'autres sur la Navigation par Baldi, sur la Chasse par Scandianese et par Valvasone. Au XVIe siècle, quelques femmes ont acquis une certaine réputation dans la poésie, telles que Vittoria Colonna, Veronica Gambara, Gaspara Stampa, Laura Terracina, etc.

Le XVIe siècle vit naître le mouvement de Luther et celle de Calvin; aucun théologien ne se crut dispensé de les connaître selon ses forces; plusieurs le firent avec grand talent; mais les plus remarquables furent les cardinaux Bellarmin et Baronius. Le premier composa des ouvrages de controverse proprement dite, et les protestants, qui ne pouvaient refuser leur admiration à ce redoutable adversaire, fondèrent des chaires dont les professeurs n'avaient point d'autre emploi que de le réfuter. Le second consacra sa laborieuse carrière à écrire les Annales ecclésiastiques, travail immense et d'un grand talent, pour lequel il a fallu des recherches vraiment prodigieuses.

Au XVIe siècle, les universités continuèrent d'être florissantes. Les princes se disputaient les savants professeurs qui, comme les deux Béroaldo, Amaseo Battista, Egnazio, élevaient la jeunesse dans l'amour des lettres. Le Droit civil et le Droit canon, études favorites du Moyen âge, n'avaient pas été délaissés : Alciat et ses successeurs les avaient tirés de la barbarie, et joignaient à la science les ornements littéraires qui avaient trop manqué à leurs devanciers. L'étude des langues anciennes était plus répandue que jamais. De magnifiques imprimeries multipliaient les chefs-d'oeuvre de l'Antiquité : les Aldes ne se contentaient pas de donner pendant trois générations leurs soins assidus aux éditions qui sortaient de leurs presses, ils annotaient eux-mêmes les textes anciens, et s'entouraient d'érudits pour les aider dans leurs travaux. Les langues orientales, surtout l'hébreu, étaient étudiées comme le grec et le latin : une imprimerie pourvue de caractères orientaux fut établie à Rome. On ne se contentait plus d'étudier les moeurs des Anciens dans les livres; les antiquités étaient consultées, les inscriptions reproduites; et de savants antiquaires, comme Sigonius, Panvinio Valeriano, interrogeaient les momnuments romains, grecs et égyptiens. Ils furent véritablement les fondateurs de cette branche de la science historique. 

La langue latine était toujours celle de l'érudition. La plupart des savants dédaignaient d'écrire en italien. Toutefois, sous ce rapport, il se fit une révolution dans les esprits : on commença à soupçonner les beautés de la langue vulgaire, et à écrire des traités pour en faire connaître la richesse et en fixer les règles. Le plus célèbre de ces ouvrages est le Prose de Bembo. Il mérite le succès universel dont il a joui. L'auteur y apprécie avec justesse la langue elle-même et les plus grands écrivains. II assaisonne toujours de réflexions utiles ses discussions et ses jugements. Les Observations de Dolce sont restées au nombre des livres utiles sur la langue italienne. Rinaldo Corso, auteur des Fondamenti del parlar toscane, se distingua dans la foule des grammairiens contemporains par son savoir et l'élégance de son style. 

La guerre que le siècle précédent avait vu s'allumer entre les philosophies d'Aristote et de Platon parut terminée par la défaite de la première. Le cardinal Bessarion et l'Académie platonicienne de Florence avaient donné tant d'autorité à Platon, qu'il semblait devoir régner seul dans les écoles; mais au XVIe siècle Aristote reprit le dessus, et cette dispute oiseuse recommença de plus belle. Parmi les aristotéliciens était Pomponace, qui professa avec grand succès à Padoue et à Bologne. Il eut pour disciple Simone Perzio, plus savant que lui dans les langues anciennes. Parmi les plus célèbres platoniciens, on trouve Jacopo Zabarelli, les deux Piccolomini, Chivio, Strozzi, Patrizzi

D'autres auteurs distingués écrivirent des traités philosophiques sans se soucier des querelles d'école; tels furent Télésio, Cardan, et le comte de Castiglione, auteur d'un traité Du Courtisan, dans lequel il trace les devoirs du courtisan honnête homme et professe la morale la plus élevée. On peut aussi ranger le Tasse parmi les philosophes-: ses Dialogues, où il prit Platon pour modèle, furent composés aux jours les plus malheureux de sa vie; il y traite les sujets les plus divers avec un rare talent, et chez lui le philosophe ne fait pas disparaître le poète. Un des charmes de ce remarquable écrit est dans les allusions qu'y fait le Tasse à ses malheurs.

Machiavel est le plus grand écrivain politique de son siècle. Mêlé aux affaires de Florence, sa patrie, envoyé, comme négociateur, en France, à César Borgia, à l'empereur d'Allemagne, il mit dans ses écrits l'expérience de sa vie. On lui a reproché, surtout dans le fameux traité du Prince, d'avoir émis des principes corrupteurs. En effet, mettant à part l'intérêt des peuples, dont il ne parle pas, Machiavel n'a pour objet que celui du prince, et ne considère encore cet intérêt que relativement à l'acquisition, à la durée et à la stabilité du pouvoir. Les conseils qu'il donne pour parvenir à ce but sont uniquement politiques, c.-à-d. plus grossièrement intéressés qu'honnêtes. Machiavel écrivit aussi une Histoire de Florence, et des discours sur l'Art de la guerre et sur Tite-Live. Après les réserves que nous avons faites, on ne peut trop admirer la profondeur des vues, le style nerveux et élégant, qui feront durer ces ouvrages autant que la langue italienne. 

La réputation de Machiavel a tellement éclipsé celle des autres écrivains politiques de son temps, qu'on connaît à peine les noms de Gianotto, de Contarini, et même du Vénitien Paruta : des Discours politiques, formant deux livres, lui assurent cependant un rang distingué parmi les publicistes italiens.

L'histoire fut un des genres les plus cultivés au XVIe siècle. Le plus connu peut-être des écrivains qui traitèrent de l'histoire générale est Paul Jove. L'Histoire de mon temps est le premier ouvrage qu'il entreprit, et le dernier qu'il publia; c'est celui qui lui a valu le plus éloges et de critiques. Tout en louant la clarté, la facilité et l'abondance de son style, on doit blâmer la partialité avec laquelle il a loué ses protecteurs et dénigré les hommes qui s'étaient montrés moins généreux à son égard. Outre son Histoire, Paul Jove écrivit les Vies d'Alphonse Ier, duc de Ferrare, de Gonzalve de Cordoue, de Léon X, du marquis de Pescaire, du cardinal Pompée Colonna; une description de la Grande-Bretagne, de la Moscovie. Tous ses ouvrages sont en latin, à l'exception d'un commentaire sur la guerre des Turcs

La même période de temps que Paul Jove avait parcourue dans sa grande histoire latine le fut en italien par Guichardin, historien qui n'a pas moins de renommée, et qui mérite plus d'estime; mais il se renferma dans les bornes de l'Italie, au lieu de s'étendre, comme Paul Jove, aux événements du monde entier. On reproche à cette histoire des harangues et des réflexions trop longues, et le style manque de clarté. L'Histoire d'Adriani, qui embrasse de 1536 à 1574, est regardée comme la suite de celle de Guichardin. 

Machiavel, par sa belle Histoire de Florence, avait appelé sur lui trop d'éclat pour n'être pas imité. Le premier qui suivit son exemple fut Jacopo Nardi, qui appartenait au parti républicain vaincu par les Médicis : son Histoire, composée dans l'exil, porte en soi le caractère de tous les ouvrages de parti, et a peut-être moins contribué à sa renommée littéraire que sa belle traduction de Tite-Live

Le sénateur Philippe Nerli écrivit des Mémoires sur ce qui s'était passé dans son pays depuis 1215 jusqu'en 1537; tout dévoué aux Médicis, il se montra partial, comme Nardi, mais dans le sens contraire.  L'Histoire de Florence de Bernardo Segni, que l'auteur s'abstint de publier de son vivant pour ne compromettre ni les intérêts de la vérité, ni sa propre sûreté, est écrite avec sagesse et impartialité. 

Varchi, littérateur, poète et même mathématicien, est auteur d'une Histoire de Florence qui va de 1527 à 1538 : malgré la diffusion du style, elle est écrite avec beaucoup d'exactitude et de sagesse. Le Vénitien Bruto écrivit en latin une Histoire de Florence, remarquable par la liberté de ses jugements sur les Médicis. Scipione Ammirato, né dans le royaume de Naples, est regardé comme plus exact que les historiens de Florence qui l'avaient précédé. Venise a eu aussi ses historiens : le cardinal Pierre Bembo, célèbre à tant de titres, fut nommé, en 1529, historiographe de cette république. Son Histoire, oeuvre de sa vieillesse, est en 12 livres, qui se terminent à l'année 1522, et ne comprennent qu'un espace de 25 ans : elle parut d'abord en latin; mais Bembo en avait fait une version italienne qui fut ensuite publiée. Le mérite de cette Histoire est plutôt dans le style que dans la manière dont les faits sont exposés et jugés. Le plus célèbre historien de Venise est Paul Paruta. Sa profonde connaissance des affaires publiques et des relations extérieures de son pays donnent à son Histoire une grande autorité et un puissant intérêt.  Paruta fut imité par J.-B. Nani. 

Paul Sarpi, génie encyclopédique, traita un sujet dont l'actualité faisait une bonne partie de l'intérêt : il écrivit l'Histoire du concile de Trente. Le cardinal Pallavicini traita le même sujet; mais s'il surpasse Sarpi par la correction du style, il est loin d'avoir sa manière originale d'exposer et de juger les faits. Catarino Davila, tout Italien qu'il était, publia une Histoire des guerres civiles de France, aussi correcte que sincère et précise. 

Le cardinal Guido Bentivoglio composa aussi une Histoire des guerres de Flandre, très supérieure par ses vues politiques à celle que publia en latin sur le même sujet le P. Strada, jésuite. Au XVIe siècle, où les lumières de l'Italie surpassaient de beaucoup celles des autres nations, les italiens se faisaient les historiographes des peuples étrangers. Appelé en France par Louis XII, Paul Emile récompensa l'hospitalité du roi en écrivant une Histoire de France qui excita l'envie et l'admiration des savants français. Polydore Virgile écrivit aussi l'Histoire d'Angleterre, Davanzati Bostichi l'Histoire du schisme d'Angleterre, et Lucie Marineo l'Histoire d'Espagne.

Dans le genre de la nouvelle, nous retrouvons encore Machiavel, dont le Belphégor est une satire des femmes en général, et de la sienne, dit-on, en particulier. Comme toutes ses oeuvres, elle est écrite d'un style vif et brillant, et avec une élégance qui l'a fait mettre au nombre des textes de la langue. Firenzuola et le Lasca écrivirent aussi des contes charmants, remarquables par l'originalité de l'invention et la pureté du style. Les nombreuses nouvelles de Straparola eurent plus de vogue, quoique avec moins d'élégance; la licence et la bizarrerie leur tiennent souvent lieu de mérite. On en peut dire autant de quelques nouvelles de l'Arétin

Cinthio Ciraldi et Sébastien Erizzo cherchèrent à modérer par leur exemple la licence de la plupart de ces conteurs; mais ils eurent peu de succès au milieu de la corruption générale. Les seules nouvelles qui fussent exemptes de cette tache étaient celles du genre tragique. De ce nombre est Roméo et Juliette de Luigi da Porta, imités et développée depuis par Bandello, et immortalisée par Shakespeare. Bandello a écrit un très grand nombre de nouvelles, dans lesquelles, à défaut de pureté et d'élégance, on retrouve les usages, les moeurs et les aventures du temps, ainsi que les caractères des personnages qui y froissaient. II faut ajouter à la louange de cet auteur que, s'il est souvent libre et grossier, il n'est jamais immoral, et prend toujours le parti de la vertu et de la religion chrétienne.

Les romans, qui sont en quelque sorte des nouvelles très étendues, furent aussi rares qu'auparavant. On remarque à peine durant cette période la Finela de Nicolas Franco. On peut également citer les inventions fantastiques de quelques auteurs, moins élégants que bizarres : tels sont les Discours des Animaux (Discorsi degli Animali) de Firenzuola, les Caprices du Tonnelier, et la Circé de J.-B. Gelli.

Presque tous les ouvrages didactiques de ce siècle furent écrits en forme de dialogue; tels sont les Asolani de Bembo, et l'Ercolano de Varchi, sur la langue vulgaire; mais plus célèbres encore furent les Dialogues de Sperone Speroni, et Le Courtisan de Castiglione. On doit à l'Arétin le premier recueil de Lettres; il en publia sur les sujets les plus divers, qu'il traita avec sa licence accoutumée. son exemple fut bientôt suivi, et l'Italie se vit inondée d'épîtres. Les plus fameux recueils sont les Lettres de Caro, de Tolomeï, de Fracastor, et surtout de Bonfadio. (E. B.).

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