| Térence (P. Terentius Afer) est un poète comique latin, né probablement à Carthage vers 200 av. J.-C., c'est-à dire vers le temps où mourait Plaute. Sa courte existence fut marquée par les vicissitudes les plus diverses. Enlevé dans son enfance par des pirates numides qui le vendirent à des marchands romains, il fut acheté par le sénateur Terentius Lucanus; celui-ci, frappé par ses talents, le rendit à la liberté et lui donna son nom. Ses goûts l'inclinant vers la poésie, il débuta par sa comédie de l'Andrienne, un de ses chefs-d'oeuvre; les édiles, à qui il présenta cette pièce, ne consentirent à l'acheter que moyennant approbation du poète Coecilius Statius, l'auteur dramatique le plus distingué de cette époque. Térence, un peu ému, se présente chez le vieux poète; celui-ci était à table; il se contente d'indiquer au jeune homme un modeste siège, et lui ordonne de lire son travail. A peine a-t-il entendu la première scène, qu'il témoigne une sincère admiration, invite Térence à souper avec lui; puis, après le repas, écoute le reste de la pièce. Sous un tel protecteur, le nouveau poète acquit bientôt une immense réputation, surtout parmi la noblesse romaine, mieux faite que le peuple pour apprécier ce génie fin et délicat. Il vécut même dans l'intimité de Scipion Émilien et de Lélius (Loelius), tous deux épris de l'amour des belles-lettres. Les envieux prirent occasion de cette honorable amitié pour accuser le poète de n'avoir d'autre mérite que celui de travailler sous ces illustres maîtres : calomnie absolument dénuée de vraisemblance. Le désir d'étendre ses connaissances et de s'enrichir de nouveaux modèles en étudiant la littérature des Grecs, porta Térence à visiter la Grèce; il y séjourna quelques mois, et traduisit, dit-on, jusqu'à cent huit pièces de théâtre. Se trouvant à Patras, il apprit le naufrage du bâtiment qui emportait ses manuscrits. Telle fut la douleur causée au poète par cette perte, qu'il en mourut peu après à Leucade, en Arcadie, âgé seulement de 25 ans (ou de 35 ans selon d'autres sources). On place sa mort à l'an 159 av. J.-C. On a de Térence six comédies; la plupart sont imitées de Ménandre. • L'Andrienne, ainsi nommée de l'héroïne de la pièce, Glycère d'Andros, dite l'Andrienne. Baron a imité l'Andrienne. • L'Eunuque, que La Fontaine a traduit et auquel Molière a fait d'intelligents emprunts. • L'Héautontimorouménos, ou l'Homme qui se punit lui-même, comédie remarquable par la clarté de l'exposition, par le fini de certains détails, par des traits où se révèle l'art de écrivain dans toute sa maîtrise. On y trouve ce beau vers qui souleva les applaudissements de tout l'amphithéâtre : Homo sum : humani nil a me alienum puto (Je suis un humain : rien d'humain ne m'est étranger!). • Les Adelphes, pièce dans laquelle deux frères, de caractères tout opposés, se chargent, l'un de l'éducation de son fils, l'autre de celle de son neveu. Chacun tombe dans l'excès contraire : indulgence coupable et sévérité extrême ; ils sont également trompés par leurs élèves, avec cette différence que l'un agit ouvertement, tandis que l'autre se pare des dehors de la vertu, par crainte des châtiments. Le précepteur sévère joue sans cesse le rôle de dupe; c'est là le comique de la pièce. Molière s'est inspiré des Adelphes dans l'École des maris. • L'Hécyre, ou la Belle-mère, que Térence vit échouer deux fois : les spectateurs avaient quitté le théâtre pour courir à des farces d'acrobates et à des combats de gladiateurs; elle ne réussit qu'à la troisième représentation. • Le Phormion, nom du parasite, personnage principal de cette comédie. Molière en a reproduit plusieurs scènes dans les Fourberies de Scapin; mais, au dire de tous les critiques, Térence dépasse le poète français par l'ensemble de l'action et la vivacité du dialogue. Imitation de l'atticisme grec. Térence, à l'exemple de Plaute, s'est inspiré du théâtre grec, et surtout de Ménandre; épris de ses modèles, il se fait gloire de leur imitation et se vante quelque part d'avoir donné des pièces toutes grecques. L'originalité de ce poète ne consiste donc pas, comme celle de son devancier, à rendre, sous des noms et sous des costumes grecs, la vie et le caractère de la Rome contemporaine; il ne sympathise pas avec le peuple, ne descend jamais à ces bouffonneries que Plaute a si largement prodiguées, à ces peintures prises au sein de la foule qu'il dédaigne. Ce qui le distingue et le rend vraiment original, c'est d'avoir rencontré dans la comédie cet atticisme, cette pureté de langage, cette distinction de manières qui l'a toujours fait regarder comme le poète de la bonne société. Les procédés dramatiques de Térence. Ce sont les mêmes que ceux de Plaute; il met en scène des personnages analogues aux siens, à la différence qu'il les laisse grecs, et ne mêle pas Rome et Athènes. Il a comme lui recours aux prologues, mais avec plus de goût et moins de familiarité à l'égard de la foule. « Toutes les bienséances théâtrales, dit La Harpe, sont observées dans le plan et la conduite de ses pièces. Une seule chose lui a manqué, à savoir plus de force et d'invention dans l'intrigue, plus de comique dans les caractères. » De fait, souvent l'intrigue en est presque nulle, et on trouve rarement chez Térence ce mouvement, cette gaieté, qui constituent le vis comica. C'est ce que César exprime dans des vers souvent cités. « Demi-Ménandre, s'écrie-t-il, toi aussi tu es mis au nombre des plus grands poètes, et avec raison, pour la pureté de ton style; et plût aux dieux que la douceur de ton langage fût accompagnée de la force qui convient à la comédie, afin que ton mérite fût égal â celui des Grecs! Mais c'est ce qui te manque, Térence, et c'est ce qui fait ma douleur! » Il est certain que, sous le rapport de la force comique, Térence est bien inférieur à Plaute; il ignore la gaieté bouffonne, et se contente de provoquer le sourire. N'est-ce pas, d'ailleurs, pour lui une assez grande gloire d'avoir fixé la langue latine, de l'avoir polie, élaborée, et d'avoir ainsi préparé les triomphes littéraires de l`âge suivant? Perfection du style. Le style de Térence est en effet d'une perfection remarquable. Térence est pour la comédie ce que Virgile est dans l'épopée et la poésie didactique : le modèle et le désespoir de ceux qui veulent atteindre à cette délicatesse de tons, à ce naturel exquis et sans apprêt, dont toutes ses oeuvres sont empreintes. Cicéron, qui sentait vivement les beautés du langage, a laissé dans une pièce de vers cet éloge de son comique préféré : « Et vous aussi, Térence, dont le style est si poli et si plein de charmes, vous nous traduisez et nous rendez parfaitement Ménandre, et lui faites parler avec une grâce infinie le langage des Romains, en faisant un choix très juste de tout ce qu'elle peut avoir de plus délicat et de plus doux. » Montaigne, parmi les modernes, ne s'en montre pas moins enthousiaste : « Quant au bon Térence, la mignardise et les grâces du langage latin, écrit-il, je ne le puis lire si souvent que je n'y trouve quelque beauté et grâce nouvelle. » Et, blâmant les anciens d'avoir mis sur le même pied Plaute et Térence : « Cettuy-ci, dit-il, sent bien mieux son gentilhomme. » Les principales éditions classiques de Térence sont celles de Venise, 1471; des Juntes, Florence, 1505; des Aldes, Ven., 1507; de Rob. Etienne, Paris, 1541; l'édit, Ad usum Delphini, Paris, 1675; celles de Bentley, Cambridge, 1726; de Bothe, Berlin, 1816: de Westerhovius, Zeune et Bruns, Halle, 1801; de Perlet, Leipzig, 1821; de N. E. Lemaire (dans les Classiques latins, 1828, 3 vol. in-8). (JMJA). | |