| Oedipe roi. - L'ouverture et l'exposition du sujet sont d'un grand effet dans cette tragédie. Thèbes est désolée par la peste; OEdipe lui-même paraît sur la place publique et vient gémir sur le sort de ses malheureux sujets. L'oracle de Delphes, consulté sur la cause de ce fléau, ordonne de rechercher et de punir le meurtrier de Laïus, qui seul attire la colère du ciel. Oedipe promet de le faire, et prononce à l'avance contre le coupable les plus terribles imprécations, sans se douter que ces funestes voeux retombent sur lui-même. Cependant le devin Tirésias, forcé par le roi d'expliquer plus au long le sens de l'oracle, se voit forcé de lui révéler en partie la terrible vérité. Bientôt arrive un messager de Corinthe apportant la nouvelle de la mort du roi Polybe, qu'OEdipe croit être son père. Cruellement détrompé par cet étranger, ainsi que par les récits d'un ancien serviteur du roi Laïus, Oedipe voit malgré lui se lever peu à peu le voile qui couvre l'affreuse réalité; chaque mot est un pas de plus vers la révélation complète. Se reconnaissant tout à coup parricide et inceste, il se crève les yeux de désespoir, tandis que Jocaste se donne la mort. Les touchants adieux qu'il adresse à ses jeunes enfants en s'éloignant de Thèbes terminent cette pièce. Le pathétique des situations, l'intérêt habilement ménagé de scène en scène, la surprenante beauté du style, ont toujours fait regarder cette tragédie comme le chef-d'oeuvre de Sophocle. Oedipe offre dans son caractère un mélange de qualités et de défauts qui le mettent vraiment au niveau de l'humanité, et qui nous attachent d'autant plus à son sort. Victime du Destin, il en subit les lois et demeure abattu mais non vaincu, sous le poids de crimes involontaires. Sénèque, Corneille, Voltaire, et Jules Lacroix, ont essayé de reproduire l'OEdipe-Roi, mais n'ont pu égaler leur modèle, que Racine déclarait inimitable. | |
| L'OEdipe à Colone fait suite à l'Oedipe roi. Sophocle fait reposer l'action tout entière de cette pièce sur l'oracle qui a annoncé à Oedipe sa mort prochaine et promis que son tombeau assurerait la victoire au peuple qui le posséderait. L'ouverture est imposante et pittoresque : la scène représente un bois sacré près d'un temple, une ville se montre dans l'éloignement. Un vieillard aveugle apparaît, conduit par une jeune fille : c'est Oedipe et sa fidèle Antigone; Polynice a banni de Thèbes ce roi détrôné et l'a réduit à mendier pour soutenir sa triste existence. Il arrive en ce moment à Colone, bourg voisin d'Athènes; là doit se terminer par un mystérieux trépas sa longue chaîne de malheurs. Ismène rejoint son père et sa soeur; elle leur apprend que la guerre est déclarée entre ses frères et que chacun réclame la présence d'OEdipe pour assurer sa victoire. Créon, leur oncle, vient lui-même solliciter l'illustre exilé en faveur d'Étéocle; pour vaincre la résistance du vieillard, il ne craint pas de faire enlever ses deux filles, que protège heureusement Thésée, roi d'Attique. Polynice est annoncé; l'attitude d'Oedipe en présence de ce fils parricide ne lui laisse aucun espoir de pardon : assis sur une pierre, les yeux baissés, le vieillard garde un morne silence. En vain Polynice pleure et supplie... Oedipe n'ouvre la bouche qu'à la prière de ses filles et du choeur, qui lui en font un devoir; alors il maudit solennellement les deux rebelles, dont il annonce la triste fin. Polynice, éperdu, se retire, tandis qu'Oedipe, appelé par une voix divine, n'ayant pour témoin que le seul Thésée, disparaît au milieu des éclairs et des tonnerres. Antigone et Ismène, après avoir exprimé leur profonde douleur, obtiennent de Thésée d'être conduites à Thèbes, où leur dévouement pourra peut-être conjurer les maux qui menacent leurs malheureux frères. Oedipe purifié par la souffrance, n'a plus a craindre le courroux des dieux. Il sait d'ailleurs et il s'en exprime ouvertement, que, coupable aux yeux des humains, il est innocent devant sa conscience, qui n'a en rien participé au crime. La philosophie de Sophocle respecte donc la liberté humaine; mais elle ne voit encore, dans le gouvernement du monde, que la fatalité et l'inflexible Destin. Cette pièce, tout athénienne, dut flatter d'autant mieux l'orgueil national, qu'au moment où elle fut représentée pour la première fois, Athènes, en guerre avec les Thébains, y rencontrait des gages assurés de victoire. (JMJA). Récit de la mort d'Oedipe « Un tonnerre souterrain tout à coup se fit entendre, et à ce bruit qui les glaçait d'effroi les deux jeunes filles tombèrent aux genoux de leur père, ne cessant de pleurer, de gémir, de frapper leur poitrine. Et lui cependant les avait entourées de ses bras et leur disait : - Mes enfants ! c'en est fait. Dès aujourd'hui vous n'avez plus de père; il ne vous reste plus rien de lui. Vous voilà quittes du soin de pourvoir à ma nourriture; soin pénible, je le sais, mes enfants; mais quelque chose en allégeait l'ennui, c'est que personne jamais ne vous aima autant que celui qui va vous quitter, et sans qui vous achèverez heureusement, je l'espère, le reste de votre vie. Longtemps ils se tinrent embrassés, pleurant, sanglotant ensemble: à la fin leur douleur se fatigua, leurs plaintes cessèrent, ce ne fut plus qu'un grand silence. Soudain éclate je ne sais quelle voix dont le son terrible nous fait à tous dresser les cheveux. Cette voix divine appelait Oedipe sans relâche : - OEdipe! OEdipe! criait-elle, pourquoi ces délais? Tu te fais bien attendre. Ainsi pressé par le dieu, Oedipe prie notre roi Thésée de s'approcher, et puis il lui dit : - Cher prince, donne-moi ta main en signe de l'inviolable foi que tu garderas à mes filles; les vôtres aussi, mes enfants! Engage-toi, prince, à ne jamais les abandonner volontairement; à faire toujours pour elles, dans ta bienveillance, ce que tu leur jugeras utile. Il le jura, mais sans faiblesse, en hôte généreux. Oedipe alors, pressant de nouveau ses filles entre ses bras tremblants : Ô mes filles, leur dit-il, c'est maintenant que, cédant à la nécessité, il vous faut avec courage vous éloigner de ce lieu, sans demander à voir, à entendre ce qui vous est interdit. Allez donc, et au plus vite. Le roi seul, Thésée, doit être témoin de ce qui va se passer. Nous avons tous compris ces paroles, et, fondant en larmes, gémissant comme les jeunes filles, nous nous sommes retirés avec elles. A quelques pas de là, et au bout de quelques moments, nous nous sommes retournés et n'avons plus vu Oedipe, mais seulement Thésée, la main devant ses yeux, comme pour s'épargner la vue d'un spectacle effrayant; nous l'avons vu bientôt après qui, se prosternant, adorait et la terre et l'Olympe, séjour des dieux. » (Sophocle, OEdipe à Colone). | |