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Allusion
Une allusion est une comparaison qui se fait dans l'esprit et par laquelle on dit une chose qui a du rapport à une autre, sans faire une mention expresse de celle-ci. Elle se tire de l'histoire, de la mythologie, des coutumes, des moeurs, de quelque parole ou maxime célèbre, de certaines circonstances de la vie privée, etc. On a fait de fréquentes allusions au noeud gordien tranché d'un coup d'épée par Alexandre, et au fameux cercle dans lequel Popilius Loenas enferma Antiochus IV, roi de Syrie, pour le sommer de répondre sur-le-champ s'il acceptait les conditions que le sénat romain lui imposait. Cicéron, dans ses discours contre Verrès, fait souvent allusion à l'animal dont son adversaire porte le nom (verres, porc); il le peint " se vautrant dans le bourbier des passions", libidinum lute immersum, et, par une double allusion au nom du personnage et au breuvage de Circé qui changeait les hommes en pourceaux, il dit :
"Tout à coup, comme par quelque breuvage de Circé, d'homme il devient verrat (Verrès)." 
Comme il insinuait qu'Hortensius, défenseur de Verrès, avait reçu en présent quelques-uns des vols de ce préteur : 
"Je ne comprends pas vos énigmes, dit Hortensius. 
- Vous avez cependant chez vous le sphinx", répliqua Cicéron (C'était une statue d'argent volée par Verrès, et qu'il avait donnée à Hortensius). 
Horace, pour se consoler des rigueurs de la fortune, s'enveloppe dans sa vertu, par allusion au manteau des philosophes.

Mlle de Scudéry, visitant le donjon de Vincennes, prison du prince de Condé pendant la Fronde, et voyant une pierre où le prince avait fait planter des oeillets, qu'il prit plaisir à arroser lui-même tant que dura sa captivité, écrivit sur cette pierre l'impromptu suivant, qui renferme une louange fine et délicate :

En voyant ces oeillets qu'un illustre guerrier 
Arrosa de la main qui gagna des batailles, 
Souviens-toi qu'Apollon bâtissait des murailles,
Et ne t'étonne pas si mars est jardinier.
La Bruyère dit d'un fleuriste qui ne peut quitter son jardin : 
" il a pris racine au milieu de ses tulipes. " 
Un jour que Boileau avait l'air de blâmer quelques personnes qui jouaient aux cartes : " II vaut mieux jouer que médire ", dit l'un des joueurs en faisant une allusion piquante aux médisances que renferment les poésies du satirique. 

Voiture jouait au proverbe avec des dames; il en fit un qui ne plut pas : 

" Celui-là ne vaut rien, dit une dame, percez-nous-en d'un autre. "
Elle faisait une allusion malicieuse à la profession du père de Voiture, qui était marchand de vin.

Dans ces vers du Britannicus de Racine (IV, 4), où Narcisse révèle à Néron ce qu'on ose dire de lui à sa cour.

Pour toute ambition, pour vertu singulière,
Il excelle à conduire un char dans la carrière, 
A disputer des prix indignes de ses mains, 
A se donner lui-même en spectacle aux Romains.
Louis XIV, dit-on, vit une allusion à l'habitude qu'il avait prise, dans les premières années de son règne, de figurer dans les ballets, fêtes et carrousels qu'il donnait à la cour, et il y renonça. 

La tragédie d'Esther était tout entière une allusion : on fit des rapprochements entre Esther et Mme de Maintenon, Vasti et Mme de Montespan, Aman et Louvois, Assuérus et Louis XIV, les filles de Sion et les orphelines de Saint-Cyr, la proscription des Juifs et la révocation de l'édit de Nantes. Au reste, les oeuvres dramatiques ont été; de tout temps, surtout les comédies, remplies d'allusions à des faits contemporains. 

C'est par allusion qu'un avocat consciencieux a été nommé Monsieur Phénix; un notaire fripon, Monsieur Scrupule; une précieuse, Mademoiselle de Lépine; un huissier. Grappin; un intendant, Monsieur Râfle; un vieux procureur, Renard; une prêteuse sur gages, Madame la Ressource; un spadassin, Brettenville; un marchand de vin, Mélange, etc. 

Dans la tragédie de Caïus Gracchus, par M. -J. Chénier, représentée sous la Terreur, ces mots du tribun romain : Des lois, et non du sang! furent saisis comme une allusion courageuse. 

L'allusion tient à la fois de l'allégorie et de l'énigme; de l'allégorie, en ce qu'elle dit une chose pour en faire entendre une autre; de l'énigme, en ce qu'elle doit être devinée; mais elle diffère de l'énigme, en ce que celle-ci est essentiellement obscure, au lieu que l'allusion doit pouvoir être saisie à l'instant même. L'allusion s'appelait ainigma (sens couvert) chez les Grecs, qui donnaient plutôt le nom de griphos à ce que nous appelons énigme. (P.).

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