.
-

Pulci

Pulci (Luigi), poète né à Florence le 15 août 1432, mort probablement à Padoue en 1484. Associé de son frère Luca, il dut, à la suite de la faillite de celui-ci, quitter Florence; il voyagea beaucoup, probablement pour raisons d'affaires; il fut, en outre, chargé de missions auprès de divers princes d'Italie par Laurent de Médicis, qui l'avait admis dans son intimité (et à qui il a écrit des lettres enjouées et familières). 

Son principal ouvrage est le Morgante Maggiore, commencé, dit-on, vers 1460-70, à la prière de Lucrezia Tornabuoni, mère de Laurent de Médicis. C'est un poème chevaleresque en octaves, dont l'intrigue est formée par les aventures de Roland et de Renaud et leurs luttes contre la famille des Mayençais, surtout contre son plus redoutable représentant, Gano ou Ganelon, qui ne cesse de calomnier les paladins auprès de l'empereur et les fait charger par celui-ci des missions les plus périlleuses. Dans la première partie, Pulci a suivi d'assez près, mais en en modifiant de plus en plus le style à mesure qu'il avançait, un poème anonyme composé vers 1380 par un chanteur de place publique (Rajna a retrouvé à la fin du XIXe siècle ce poème et en a montré les relations avec l'oeuvre de Pulci); à partir du chant XXIII, il s'est servi d'un poème plus ancien encore sur les expéditions de Charlemagne en Espagne (La Spagna, ch. XXVIII et suiv.). Ces deux parties sont assez mal rattachées entre elles : la première est un tissu d'aventures merveilleuses qui promènent les héros principaux de France en Perse ou dans un vague Orient et retour; le seconde se compose essentiellement du récit de la bataille de Roncevaux, où périssent Roland et Ganelon. Les incohérences tiennent à ce que Pulci a fidèlement suivi des modèles contradictoires entre eux : il n'y a en effet que deux épisodes où il soit tout à fait original, ceux du géant Margutte et du démon Astarotte. La nouveauté du Morgante consiste en ce que 

« pour la première fois la personnalité du poète devient prédominante dans son oeuvre et que le style est traité avec un art qui a conscience de lui-même. » (G. Paris). 
Jusque-là le roman chevaleresque était le résumé de traditions séculaires remaniées par l'imagination de plusieurs générations de jongleurs; le premier, Pulci en fait le miroir de ses sentiments personnels. Ce miroir est du reste, il le faut avouer, quelque peu troublé : aussi a-t-on longuement disserté sur le sens et la portée de l'oeuvre. Dans les années 1850, la critique était unanime à y voir une parodie, le pendant exact du Don Quichotte. Mais l'épopée italienne étant alors à peine née, Pulci ne pouvait avoir l'idée de la parodier; comment, de plus, le protégé des Médicis eût-il songé à ridiculiser cette vie chevaleresque que les Médicis tentaient alors de faire revivre à Florence? Assez rapidement, presque tout le monde s'est donc mis d'accord pour reconnaître que, malgré la gaieté qui déborde dans tout le poème, l'intention n'en est pas satirique. Sans doute quelques-uns des personnages, notamment Margutte, le géant débauché et glouton, et Morgante, avec sa force massive et sa joviale brutalité, sont souvent purement comiques; mais cet élément grotesque se trouvait déjà dans les poèmes des Cantastorie et dans les chansons de geste elles-mêmes : c'est un élément du genre, où il n'entre aucune intention de parodie. 

Quant aux personnages nobles, comme Charlemagne, Roland, Renaud, etc., ils sont eux-mêmes bien déchus de la majesté épique, bien « embourgeoisés »; mais c'est que Pulci en empruntait l'imagé à des poètes bourgeois, qui ne pouvaient pas se les représenter  autrement. Enfin il faut ajouter que Pulci, écrivant pour les joyeuses réunions qui se tenaient chez les Médicis (on dit que son poème était lu à leur table, au fur et à mesure de sa composition) a évidemment cherché à l'égayer de scènes et, de traits comiques, mais sans croire pour cela manquer au respect de son sujet. C'est à peu près de la même façon que Laurent de Médicis traitait la poésie populaire, dont il remaniait les thèmes dans ses Canti carnascialeschi, la Nencia di Barberino, etc.
« Ici, comme dans tout ce qui a été fait sous l'inspiration des Médicis, dit A. d'Ancona, il y a quelque chose du plébéien qui se hausse à la noblesse ou du noble mâtiné de plébéien.-» 
On a beaucoup discuté aussi sur la signification du personnage d'Astarotte, diable bon enfant, qui disserte longuement sur la théologie et se fait le respectueux interprète des mystères de la foi. Il n'y a certainement pas là une profanation volontaire (bien que l'apologiste de la religion soit singulièrement choisi), mais il est évident d'autre part que ce mélange des choses sacrées et des plus folâtres imaginations ne témoigne pas d'un esprit bien religieux : Pulci avait été touché par la molle et souriante indifférence alors si fréquente en Italie.

Au point de vue de la forme, le Morgante n'a pas la suprême élégance du Roland furieux; il s'y trouve encore des longueurs et des lourdeurs; néanmoins, comparé au poème dont il était le remaniement, il réalisait un immense progrès, plus considérable peut-être que celui qu'il laissait à faire après lui. Son importance consiste en ce qu'il a déterminé la direction de l'épopée italienne : c'est Pulci qui en a fixé les principaux traits; ses successeurs ne feront guère que développer, avec plus de grâce et de talent, les indications qu'il leur avait fournies. 

Outre le Morgante, Pulci a composé un petit poème pastoral, la Beca di Dicomano, des Strambotti, une Confessione en terzines où la plaisanterie se mêle singulièrement à des élans de dévotion, et une correspondance en sonnets facétieux avec Matteo Franco. En prose, il a laissé une nouvelle adressée à Hippolyte Sforza, femme d'Alphonse II de Naples, et des Lettres à Laurent de Médicis.

La première édition du Morgante (contenant seulement 23 chants) est de 1481; la première édition complète (en 28 chants) de 1483; les éditions modernes sont nombreuses; une des plus prisée des collectionneurs est celle de Le Monnier (Florence, 1855). La correspondance avec Matteo Franco a été publiée (sans lieu) en 1759; les lettres à Laurent de Médicis, par L.-P. Bongi (Lucques, 1886); les Strambotti e Rispelti d'amore par A. Zenatti (Florence, 1888 et 1895). (A. Jeanroy).

.


Dictionnaire biographique
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2005. - Reproduction interdite.