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Le
mot roman n'a pas d'équivalent en grec
et en latin; il servait au Moyen âge
à désigner des ouvrages profanes de poésie
ou de prose écrits en langue populaire, la langue romane, c.-à -d. selon
la région où l'on se trouvait en langue d'oc
ou en langue d'oil, par opposition avec les
chroniques, histoires bibliques, légendes ecclésiastiques, écrites en
latin, langue de l'école et de l'église.
Le mot roman s'appliquait surtout aux compositions qui avaient un caractère
narratif. C'est ainsi que certaines grandes épopées,
véritables chansons de geste, ont porté le
nom de Roman de Thèbes,
Roman de Troie,
etc., et que des poèmes satiriques en 20
000 vers se sont appelés Roman de la Rose,
Roman de Renart,
etc. L'étude de ces romans d'une espèce toute particulière ne saurait
trouver place ici. Ce qu'il s'agit d'examiner avec attention, c'est le
roman tel que l'a fort bien défini le Dictionnaire de l'Académie,
c.-à -d. une histoire feinte, écrite en prose, où l'auteur cherche Ã
exciter l'intérêt, soit par le développement des passions,
soit par la peinture des moeurs, soit par la singularité des aventures.
Ainsi compris, le roman est un genre littéraire très particulier, tout
à fait distinct de ceux qui paraissent lui ressembler, du Conte,
de la Nouvelle et de la Fable.
Le roman peut en effet emprunter ses données à l'histoire, sauf à le dénaturer plus ou moins, comme dans la Cyropédie, dans Quentin Durward ou dans les Trois mousquetaires. Il exige un certain développement, si bien que l'on n'oserait pas appeler roman le Jeannot et Colin ou le Micromégas de Voltaire; c'est à peine si ce nom convient aux épisodes d'Atala ou de René. Enfin l'objet principal du roman n'est pas de moraliser, comme doit toujours le faire la Fable ou Apologue. De la définition qui vient d'être donnée d'après l'Académie, il résulte que l'on peut concevoir trois espèces de romans : les romans passionnels, comme on dit, les romans de moeurs et les romans d'aventure. Ajoutons qu'il faut distinguer en outre, suivant la manière dont les sujets sont traités, les romans historiques, les romans philosophiques, politiques et sociaux, qui sont en général des romans à thèses, les romans idéalistes, les romans réalistes ou naturalistes, les romans psychologiques, les romans lyriques, etc. Mais quelle que soit la forme particulière d'un roman, le fond est toujours identique; un roman, c'est toujours un récit, une narration, et toujours l'auteur se propose de nous intéresser à la destinée d'un ou de plusieurs personnages. C'est en cela que le roman se rapproche du drame; les analogies sont même si grandes que l'on voit tous les jours les romans en vogue donner naissance à des pièces de théâtre, et Diderot affirmait que tout bon drame doit pouvoir faire un excellent roman. De tous les genres littéraires, le roman est celui qui est le moins soumis à des règles précises, et cela sans doute parce qu'il n'a pour ainsi dire pas été connu de l'Antiquité classique. Aristote et ses successeurs ne l'ont donc pas codifié, et les auteurs de romans modernes ne sont pas astreints, comme les orateurs, les historiens et les poètes dramatiques, soit à marcher péniblement dans le sentier battu, soit à se frayer audacieusement des routes nouvelles. Un auteur de roman peut à son gré annoncer le dénouement dès la première page, ou suspendre l'intérêt jusqu'au dernier chapitre de son livre; il n'est pas tenu de respecter, comme le poète épique, l'unité de temps et l'unité d'action; il peut donner à son récit une allure poétique, ou adopter la façon de narrer des historiens, ou enfin présenter les événements sous forme de journal, de mémoire, de correspondance même; en un mot, il est libre et absolument indépendant. Ainsi s'explique l'énorme quantité de romans qu'ont produits, depuis la fin du XVIe siècle, toutes les littératures occidentales. Le roman existe chez tous les peuples; en Chine il date du XIIIe siècle et compte de très nombreux exemplaires sous les trois formes, historique, fantastique et bourgeoise. La littérature du roman au Japon a suivi de près l'évolution chinoise. Chez les Arabes, le roman est au moins aussi ancien que l'Islam. Le sujet en est emprunté presque exclusivement aux légendes nationales et à l'histoire religieuse ou profane. Les Iraniens ont eu une littérature de roman (en prose) singulièrement pauvre et peu originale auprès de la floraison de l'épopée. Le roman en Europe jusqu'à la fin du XIXe siècle Le roman tel que nous le connaissons est la forme très moderne d'une chose fort ancienne; la feinte qui le constitue essentiellement était l'âme de l'apologue, de l'histoire légendaire, de l'épopée, et même du drame. Que faudrait-il changer à l'Odyssée pour en faire un roman d'aventures? et ne serait-il pas bien facile de transformer en romans, à la manière de Télémaque, plusieurs des tragédies d'Euripide? Mais le roman proprement dit étant toujours une oeuvre en prose, il faut aller jusqu'au siècle de Périclès pour trouver le premier roman connu, la Cyropédie de Xénophon. L'auteur si exact de la Retraite des dix mille a pris les plus grandes libertés avec l'histoire de Cyrus; ce curieux traité d'éducation est un roman dans toute la force du terme. Le grand succès de la Cyropédie n'a pourtant pas donné lieu, comme on serait tenté de le croire, à des imitations nombreuses; durant plusieurs siècles on ne trouve pas un seul roman dans la littérature grecque. Ce n'est qu'au Ier siècle après J.-C. que le roman devint une littérature spéciale en Grèce, au temps des seconds sophistes : l'un des premiers est celui d'Antonius Diogène (les Choses incroyables qu'on voit au delà de Thulé), modèle des romans suivants, qui consistent surtout en une fable érotique traversée d'une foule d'aventures fantastiques : c'était si bien alors le genre du roman que les romanciers grecs étaient désignés sous le nom d'Érotiques (du IIe au Ve siècle après J.-C.). C'est près de cinq
cents ans après Xénophon que le roman grec renaît avec Lucien,
auteur de Lucius ou l'Ane et de l'Histoire véritable, Xénophon
d'Ephèse, Héliodore, auteur de Théagène
et Chariclée, Longus, auteur de Daphnis et Chloé,
Achille Tatios, Chariton
d'Aphrodisie,
auteur des Amours de Chaereas et Callirhoé,
etc. La plupart des romans de cette époque ne sont qu'une succession d'aventures
extravagantes accumulées sans aucun art : les amoureux sont séparés
en général par des brigands et, après mille traverses, après avoir
été réduits en esclavage
dans les pays les plus étranges, finissent par être heureusement réunis.
A l'époque byzantine;
de pareils drames (nom qu'ils portaient alors) forment le fond de
romans très nombreux, tels que le Drame d'Hysmène et d'Hysménias
d'Eustathios; la Vie d'Esope, du moine byzantin Planude, est comme
un dernier souvenir des romans grecs de l'époque impériale.
Le roman en France
D'Espagne nous vint l'Amadis, dernier écho des romans du cycle d'Arthur. Puis le goût des bergeries passa d'Italie en France à la cour de Henri IV, où il fit fureur : les moutons de l'Astrée de d'Urfé (1610) ne sont que des courtisans déguisés de l'entourage du roi; ce livre inaugure l'interminable série des grands romans du XVIIe siècle : il mit à la mode les romans à clef, qui sous des habits étrangers, des déguisements à la romaine, représentent, en réalité, au naturel, des personnages vivants connus de tous et que l'on s'amusait à retrouver sous leur costume d'emprunt : tels sont la Polexandre de Gomberville, le Grand Cyrus et la Clélie de Madeleine de Scudéry, le Faramond et le Cléopâtre de La Calprenède, et tant d'autres dont la galanterie subtilisée faisait l'admiration de Mme de Sévigné et de presque tout son siècle. Telle était la vogue de ces romans en 8 et 10 volumes qu'on en tirait aussitôt des tragédies à grand succès : la Mort de Cyrus de Quinault, et surtout le Timocrate de Thomas Corneille. En vain des auteurs de bon sens comme Charles Sorel, auteur du Berger extravagant, et Boileau, auteur du charmant Dialogue sur les héros de romans, faisaient ressortir la fadeur de ces compositions; en vain Scarron avec le Roman comique, Furetière avec le Roman bourgeois, et Mme de La Fayette avec la Princesse de Clèves et Zaïde, donnaient des modèles d'un tout autre genre : la franche gaieté, la vivacité quelque peu brutale ou l'exquise délicatesse psychologique de ces romans-là n'empêchaient pas de goûter les autres, et il en fut de mérite durant tout le règne de Louis XIV, qui vit naître en outre un roman mythologique de La Fontaine, les Amours de Psyché, et un grand roman d'éducation, le Télémaque de Fénelon. Le
XVIIIe siècle.
Le
XIXe siècle.
Le roman en Italie.
Le roman en Espagne
et au Portugal.
Quelques écrivains se sont essayés, au XVe siècle, à composer les romans de sentiments à côté des romans d'aventures ce sont : Rodriguez del Padron, avec son allégorique Siervo libre de Amor (1450); Diego de San Pedro, avec le Carcel de Amor; Aeneas Piccolomini, avec la nouvelle Eurialo y Lucrecia. Au milieu du XVIe siècle: les romans de bergeries avaient envahi l'Espagne et le Portugal. et l'on trouve à citer une oeuvre mi-bergerie mi-roman de chevalerie, d'une grande sensibilité, Menina e moça, du Portugais Bernardim Ribeiro, après laquelle vinrent l'Arcadia de Sannazzaro et la Diana de Jorge de Montemor (en portugais), qui donna naissance à une longue suite de romans galants. Après les romans de chevalerie et les bergeries, l'Espagne produisit un genre original qui lui est propre et que l'on a appelé la littérature et le style picaresques: ces romans mettant en scène avec une vie, un humour et un réalisme très particuliers, un monde de fripons et de mendiants; les oeuvres les plus célèbres de cet ordre sont : Lazarillo de Tormes de Mendoza (1553). Guzman de Alfarache de Mateo Aleman (1599), Marcos de Obregon, etc. L'art des nouvelles en Espagne est inspiré entièrement de la littérature italienne; à la fin du XVIe et au XVIIe siècle, on en trouve de très nombreux recueils, tels que les Novelas Exemplares de Cervantes (1613). Au XVIIIe et au XIXe siècle, les maîtres des romanciers espagnols ont été les romanciers français et anglais. Le roman en Angleterre.
Au XVIIe siècle, on trouve surtout des essayistes qui perfectionnent la littérature anglaise d'après les modèles français. Au XVIIIe siècle, les histoires de navigateurs reparaissent avec le Robinson Crusoë de Daniel Defoe (1719), qui inspira de nombreuses peintures de la vie de mer; une autre lignée, celle des romans sentimentaux, procède dans ce même siècle de la Pamela de Samuel Richardson (1741); réagissant contre ce genre, Fielding importa le roman humoristique d'après les Espagnols et les Français (Joseph Andrews, 1741, et Tom Jones, 1749). Smollet reprit ce genre, en y mêlant la bizarrerie et le romantisme. A la fin du XVIIIe siècle, une nouvelle tendance se manifesta avec Castle of Otranto (1765) de Walpole, roman de chevalerie avec des effets de terreur. Maria Edgeworth s'attacha à peindre les caractères nationaux, principalement ceux de l'Irlande. Au début du XIXe siècle, Walter Scott créa le roman historique : son premier livre, Waverley, date de 1814. Un autre genre national est le roman de la vie bourgeoise dont Goldsmith est le créateur avec son Vicar of Wakefield (1766) et dont Charles Dickens a été le maître : son premier roman est Oliver Twist (1838). Walter Scott et Dickens ont eu d'innombrables continuateurs dont Bulwer-Lytton et George Eliot sont les plus marquants. Le réalisme naturaliste de Zola n'a pas fait école en Angleterre, et les romanciers de cette époque s'attachent volontiers aux questions politiques, religieuses et sociales. On peut citer Looking backward de Bellamy, Robert Elesmere de Humpfrey Ward, Story of an African farm d'Olive Schreiner, et les oeuvres de Rudyard Kipling dont les idées impérialistes ont décuplé la renommée, etc. Le roman en Allemagne.
Au siècle suivant, les imitations des romans anglais, spécialement de Robinson Crusoe, sont très nombreuses (on peut citer, en particulier, Insel Felsenburg de Schnabel); Hermes, Hippel, Thummel, Nicolai, etc., s'inspirent du sentimentalisme de Richardson ou de l'humour de Fielding. Vient ensuite la grande période de la littérature romanesque allemande avec les chefs-d'oeuvre de Wieland (Agathon et Abderiten), de Goethe (Werther, Wilhelm Meister, Wahlverwandtschaften) et les romans de Klinger, Heinse, F.-H. Jacobi. Un des plus grands poètes de cette époque, Jean Paul, a pris presque constamment la forme du roman. Le romantisme allemand a produit Novalis et Tieck. La littérature contemporaine du roman en Allemagne compte de nombreux représentants dans ses formes variées sociales, imaginatives, philosophiques, historiques, bourgeoises; il suffira de citer les noms de Gutzkow, Spielhagen Freytag, G. Keller, P. Heyse, W. Alexis, Scheffel, Ebers, Auerbach, etc. Le roman dans
les pays slaves.
La Pologne a eu, au début du XIXe siècle, des romanciers célèbres; les premiers romans sont des imitations des romans historiques de Walter Scott : tels sont ceux de L-G. Niemcewicz, F. Bernatowicz et F. Skarbek. Le romancier polonais le plus fécond et le plus varié est L-l. Kraszewski et, après lui, M. Grabowski, M. Czaikowski, H. Rzewuski, Ig. Chodzko, I. Korzeniowski, Z.Kackowski, Z. Milkowski. C'est de nos jours que la littérature romanesque polonaise a produit les oeuvres les plus appréciées en Europe, dues surtout à H. Sienkiewicz dont le Quo vadis a fait le tour du monde, traduit dans toutes les langues, et E.Orzeszkowa. Enfin, parmi les auteurs dans d'autres langues slaves, les Tchèques ont eu depuis longtemps des romans historiques, tels que ceux de J.-J. Marek, P. Chocholousek, J.-K. Tyl. Plus récemment, on trouve encore des romans historiques (ceux de Janda-Eidlinsky, de V. Vlcek, I.-I. Sankowsky), et des romans sociaux intéressants dus à K. Svetla, G. PflegerMorawsky, Sv. Eech, Z. Podlipska, V. Vleek, A. Jirasek, etc. Valeur du genre romanesque (l'appréciation classique) On a souvent discuté sur la valeur morale du roman, sa supériorité ou son infériorité par rapport à l'histoire, etc. Sa raison d'être, sa nécessité même, seraient déjà suffisamment prouvés par le goût universel : mais il est aisé de voir qu'il correspond à une disposition naturelle de l'esprit humain; par cette indépendance qui, selon Bacon, constitue au témoignage de la force et de la dignité de notre être, nous aimons à nous soustraire au cours ordinaire des choses, pour nous créer un ordre imaginaire d'événements où nos facultés trouvent un plus libre exercice. C'est le penchant involontaire de toute intelligence; si simple qu'elle soit elle aime à se transporter par le rêve dans un monde idéal qui la fait échapper à la vie réelle. Le roman tient de la nature un charme universel qui opère aussi bien sur la gravité des vieillards que sur l'imagination de la jeunesse. Il doit à la fois présenter au lecteur une expression fidèle de ses passions, de ses vertus et de ses vices, et, sous l'apparence variable des moeurs, les traits inaltérables de la nature humaine : la vérité et la fiction sont les deux conditions premières du roman, comme de l'art; il doit offrir à la fois à la raison la représentation de ce qui est, et transporter l'imagination au delà des limites étroites du réel. Le roman chez les
peuples orientaux eut sans doute d'abord la forme de l'apologue
et de l'allégorie; se proposant connue
but une leçon morale, les Orientaux cherchent pourtant dans l'agrément
de la fiction le principal intérêt de leurs récits. Les Grecs
n'ont connu le roman qu'à l'époque de leur décadence : des ouvrages
destinés à distraire les heures de loisir' ne pouvaient trouver place
dans cette littérature vivante que la parole répandait dans les temples,
sur les théâtres, dans les jeux, dans les festins, à la tribune publique
et dans les écoles de philosophes et des rhéteurs. La vie, privée était
soustraite au roman qui ne pouvait s'occuper que de ces désordres que
la morale facile des Grecs tolérait, des aventures d'esclaves et de courtisanes,
répétition indéfinie de peintures sans grand intérêt. La naïveté
un peu factice de Longus, la froide élégance d'Héliodore qui charma
pourtant la jeunesse de Racine, ont à peine relevé
le caractère de ces ouvrages licencieux, par lesquels la Grèce esclave
amusait la vieillesse dissolue de l'empire romain. La littérature du Moyen
âge
fit sortir des moeurs chevaleresques une littérature plus originale et
naturelle : ses paladins, ses dames, ses enchanteurs même avaient eu plus
d'un modèle et ne manquaient pas entièrement de réalité. Malheureusement,
les romans de chevalerie ne passèrent pas en même temps que les moeurs
chevaleresques : ils se multiplièrent après eux, n'en gardant plus que
le ridicule outré et flétri. C'est alors que Cervantes
mit gaiement aux prises avec le bon sens et la facile raison les extravagances
banales de la chevalerie errante, dans ses deux figures si passionnantes
de Sancho Pança et Don Quichotte.
On ne saurait suivre le roman dans toutes les directions qu'il a prises à partir du XIXe siècle, car il s'est multiplié et répandu dans le monde entier. Quant au point de savoir si le roman doit avoir ou non une portée morale, présenter un enseignement et proposer des exemples, les avis peuvent différer : mais il faut remarquer que les romanciers les plus illustres se sont efforcés de composer des oeuvres d'art, sans se préoccuper de moraliser. (A. Gazier et Ph. B.).
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