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Littérature > La France > Le Moyen âge > Des origines à la majorité de saint Louis |
Le cycle de la Table ronde Les romans arthuriens |
Le cycle de la Table ronde est une vaste ensemble de textes médiévaux qui s'articulent autour des romans d'Arthur, du Graal, de Merlin et de Lancelot. On parle aussi de cycle arthurien, de cycle breton, de cycle armoricain ou encore de cycle du Graal. Le nom de Table ronde provient de ce que les chevaliers réunis autour d'Arthur s'assemblaient autour d'une table qui avait cette forme, pour signifier qu'il n'y avait pas de préséance entre eux. Le titre de cycle breton ou armoricain, « matière de Bretagne » disait-on au Moyen âge, rappelle l'origine de la légende née dans la Grande-Bretagne (plus exactement chez les Gallois) ou dans l'Armorique (on verra plus loin que la localisation précise de cette origine a donné lieu à deux opinions différentes). Enfin on dit cycle arthurien parce qu'Arthur est le centre autour duquel se déroulent les événements des divers récits, bien qu'il n'y joue en général par lui-même qu'un rôle peu important. Vers la fin du Ve siècle, Arthur, chef d'un clan des Bretons (Wala, d'où Waleis, Gallois) refoulés par la conquête saxonne dans le Sud-Ouest de la Grande-Bretagne (pays de Galles), s'était acquis une grande renommée dans la lutte contre les envahisseurs qu'il avait vaincus plusieurs fois, entre autres sur le mont Badon près de Bath, Il devint bientôt le héros principal de chants populaires épiques dont l'existence est attestée, bien qu'il n'en soit resté aucun monument authentique. Les principaux éléments de sa légende furent réunis au IXe siècle dans la chronique latine, Historia Britonum, attribuée à Nennius; au XIIe siècle, Gaufrei de Monmouth inséra dans son Historia Regum Britanniae quelques-uns des contes gallois sur Arthur et contribua ainsi à leur diffusion dans le monde des clercs. Par le temps, les premiers récits sur le glorieux adversaire des Saxons s'étaient d'ailleurs transformés en élargissant singulièrement le cadre de ses exploits. Vainqueur des Saxons, non seulement il les avait chassés de l'île, mais il avait soumis les Pictes et les Calédoniens, et conquis l'Irlande; puis abordant en Scandinavie, il avait subjugué le pays et avait finalement établi sa suprématie sur la Gaule elle-même. Il allait s'emparer de Rome quand il fut rappelé en Bretagne par la trahison de son neveu Modred qui, laissé là comme régent, avait fait courir le bruit de sa mort, s'était proclamé roi et avait épousé sa femme Guanhumara (Guenièvre). Grièvement blessé dans un combat livré contre les rebelles, Arthur avait été emmené sur une barque enchantée dans l'île d'Avalon, pays fortuné où les héros morts jouissent d'un bonheur constant en compagnie des fées et d'où plusieurs sont revenus vivants. Arthur devait lui aussi reparaître quelque jour et rendre aux Bretons l'empire qu'ils avaient perdu. Ces légendes se propagèrent en Armorique par les Bretons qui s'y étaient réfugiés pour conserver leur indépendance. Ce n'est cependant pas par l'Historia Regum Britanniae, ni par la Prophetia Merlin, ni par la Vita Merlini du même Gaufrei qui, dans ces deux dernières oeuvres, associait Merlin à Arthur, que les contes relatifs à ce dernier pénétrèrent dans la société du Moyen âge, perdant d'ailleurs de plus en plus de leur caractère primitif au fur et à mesure qu'ils s'étendaient davantage. Gaufrei ne parle pas de la table ronde; la première mention nous en est donnée par Wace dans les vers suivants de son Por les nobles barons qu'il ot (eût)D'après le Lancelot en prose, Arthur avait reçu la Table ronde de Léodegan, roi du pays de Carmélide, comme dot de Guenièvre. Robert de Boron dit, de son côté, que Merlin l'avait établie pour Uter Pendragon à Carduel en Galles, où Arthur s'installa plus tard. Dans cette tradition plus primitive que celle du Lancelot, la Table a 50 sièges dont un vide réservé au chevalier qui conquerra le Graal; dans Lancelot elle a tantôt 150, tantôt 100 places. Avant Wace, en 1137, le troubadour Marcabrun dit de lui-même qu'il est « perdu comme Arthur » (Paul Meyer, Marcabrun, dans la Romania, VI, 123). Dès les premières années même du XIIe siècle on trouve en Italie dans des chartes des noms comme Artusius et Walwanus (Gauvain), qui attestent l'étonnante rapidité de la diffusion des contes arthuriens (Pio Rajna, Contributi a la Storia dell'epopea, dans la Romania, XVII, 355 et suiv.). Comment s'était opérée cette diffusion? Ici les avis diffèrent et deux écoles les représentent l'une, celle de Gaston Paris et de presque tous les romanistes et celtistes français et anglais; l'autre à la tête de laquelle se sont trouvés, quoique pas en communauté complète d'idées, Zimmer et W. Foerster, suivis par une partie des romanistes et celtistes allemands. D'après la première école, à laquelle nous nous rallions, la « matière de Bretagne » est d'origine insulaire; suivant la seconde, le nom de Bretagne désignerait l'Armorique. Jusqu'à la fin du XIe siècle les relations entre les Bretons d'Armorique et la Gaule romanisée et francisée avaient été à peu près nulles, au moins pacifiquement. Au contraire, l'établissement des Normands en Angleterre (1066, amena - nous résumons une partie des arguments e Gaston Paris, J. Loth, F. Lot et Alf. Nutt. - entre le monde roman et ce qui restait du monde celtique un contact plus intime qu'il ne l'avait été jusque-là. Dans la culture des Gallois, la musique et la poésie tenaient une place considérable et, déjà à l'époque de l'heptarchie anglo-saxonne comme plus tard sous la domination danoise, les musiciens gallois franchissaient les limites de leur pays d'origine pour venir exécuter chez les Anglo-Saxons et les Norrois eux-mêmes, ces lais, qui eurent depuis un si grand charme pour le public français. Chez les nouveaux maîtres de l'Angleterre, les chanteurs et musiciens bretons trouvèrent un accueil empressé; ils ne tardèrent pas à passer la mer et de nombreux témoignages qui ne dépassent guère à la fin du XIIe siècle, nous les montrent à cette époque exécutant avec grand succès leurs lais dans toutes les grandes ou petites cours du Nord de la France. Nous n'avons pas à revenir ici sur les lais qui ont été étudiés dans un article spécial. Rappelons seulement qu'ils se rattachent étroitement au cycle breton, et que plusieurs d'entre eux ont été développés plus tard de manière à donner de vrais romans (lai du Frêne de Marie de France et Galeran, Eliduc par la même et Ille et Galeron par Gautier d'Arras; mais ces romans n'ont pas été reliés par leurs auteurs au cycle de la Table ronde). D'autres lais, consacrés à un même héros, ont été soudés ensemble pour lui composer une sorte de biographie poétique; c'est ce qui semble s'être produit pour Tristan, complètement étranger à l'origine au cycle d'Arthur. Si la musique jouait le rôle principal dans l'exécution des lais bretons, les paroles avaient leur importance; il fallut les traduire; on les mit en vers français et ils devinrent sous cette forme de petits poèmes narratifs auxquels la communauté d'origine conserva un caractère commun dans leur genre nouveau. Ce ne fut pas seulement par les lais que les traditions ou les fictions celtiques pénétrèrent dans la société polie d'Angleterre et de France et y suscitèrent une poésie nouvelle. Gaston Paris (Histoire littéraire de la France, t. XXX, pp. 9 à 12), a réuni un grand nombre de témoignages montrant les conteurs de la fin du XIe et du commencement du XIIe siècle brodant à qui mieux mieux sur le fond des aventures de la Table ronde dans lesquelles le caractère historique ou simplement légendaire au point de vue gallois d'Arthur s'efface de plus en plus. Le nom d'un de ces conteurs, un Gallois nommé Bléri ou Bréri, nous a même été conservé (Romania, VIII, 425, et Tristan, t. II, p. 40, édit. Francisque-Michel). D'Angleterre, la matière de Bretagne passa en France soit directement par les chanteurs et conteurs bretons, soit par l'intermédiaire des conteurs anglo-normands, soit déjà mise en vers dans les lais et poèmes anglo-normands. |
Pour Zimmer, il ne peut être question de transmission des thèmes arthuriens par la voie anglo-normande, encore moins par la voie anglo-saxonne. D'après lui la haine xénophobe - dont il a rassemblé divers témoignages - s'opposait à un commerce intellectuel entre les populations celtique et leurs maîtres germains et norrois. Il a essayé en même temps de démontrer que la nature même des légendes celtiques, telles qu'elles nous ont été conservées, s'accommoderait beaucoup mieux d'une origine armoricaine que d'une provenance galloise (forêt de Broceliant, noms de localités, etc.). Autre argument important, le nom de breton, mentionné dans tant de textes et adapté à tant de destinations, n'aurait jamais voulu dire que Breton d'Armorique et ce ne serait qu'à une date récente et abusivement qu'on l'aurait étendu aux Celtes insulaires. Dans ses premières études sur la questions, Foerster ne prétendait laisser à Arthur d'autre passé, dans la légende, que la vague mention de l'Historia Britonum et mettait sur le compte de Gaufrei toute la célébrité du personnage. Après les travaux de Zimmer, il dut abandonner une partie de ses conclusions qui ne tendaient à rien moins qu'à faire admettre la non-celticité de tout le cycle breton; mais comme Zimmer, il localise la légende en Armorique d'où elle aurait passé en Normandie, puis dans le reste de la France. Enfin, secondé par Golther, il dénie aux romans en vers tout caractère traditionnel et ne veut retrouver le héros gallois que dans les romans en prose. Nous devons borner ici cet exposé de la question. Disons seulement que le système de Zimmer, reproduit un peu plus tard par Brugger, au sujet du sens du mot breton dont l'importance est visible, a été ruiné par F. Lot dans ses Etudes et Nouveaux En passant par la bouche des conteurs, les légendes arthuriennes perdirent rapidement leur caractère national. Les merveilleuses conquêtes du chef breton sont inconnues à nos poèmes; ses guerres contre les Saxons eux-mêmes disparaissent aussi bien que la catastrophe finale qui emporte Arthur; c'est à peine si l'on voit dans ces poèmes quelque allusion au retour futur du héros parmi les siens. Le plus célèbre et le plus habile de ceux qui en France recueillirent les récits des conteurs et les mirent en vers, Chrétien de Troyes, continuant la transformation commencée en Angleterre et dénaturant entièrement la tradition, fit de ces récits « les représentants par excellence de l'idéal de la haute société du XIIe siècle » (G. Paris, Littérature française au Moyen âge, p. 96). Chrétien et ses successeurs, prenant simplement le nom d'Arthur, incarnèrent en ce roi le type de la parfaite courtoisie; ils lui donnèrent une cour brillante, une escorte de chevaliers parfaits dont les types une fois créés se retrouvent partout avec le même caractère (sauf toutefois la reine Guenièvre qui est représentée tantôt comme une excellente épouse, tantôt comme une femme fort légère, tantôt comme entièrement vouée à l'amour de Lancelot). Dans tous les romans, un jeune chevalier inconnu, le plus souvent même sans parents, vient d'arriver à la cour d'Arthur quand une aventure quelconque, regardée par tous comme impraticable, sollicite son courage; il quitte la cour, accomplit l'aventure et ensuite beaucoup d'autres, et finit par épouser une jeune fille qui s'y trouve mêlée et qui lui apporte en dot un royaume (G. Paris). Il existe bien en français quelques romans plus rapprochés des sources bretonnes (Ider, etc.), mais c'est seulement dans les Mabinogion (excepté trois qui sont traduits du français) qu'on peut apprécier l'esprit gallois. Galaad, par G.F. Watts. Les romans en vers sont tous écrits en vers de huit syllabes rimant deux à deux; ils sont destinés à être lus et non à être chantés comme les chansons de geste. Ils eurent un grand succès à l'étranger où ils furent introduits sous la forme de traductions délayées parmi lesquelles on ne rencontre que rarement une oeuvre ayant quelque valeur propre. Certains de nos poèmes ont été perdus sous la forme française et on ne les retrouve que dans ces traductions. (Am. Salmon). Les romans de la table ronde sont, suivant la classification de Gaston Paris, ou biographiques ou épisodiques. Les premiers racontent la vie, ou, du moins, une partie de la vie d'un héros; d'abord assez courts pour être lus en trois ou quatre séances (ceux de Chrétien de Troyes ont environ 6000 vers), ils atteignirent bientôt, comme les chansons de geste, des proportions énormes (de 20000 à 30000 vers). Les seconds sont consacrés à un seul épisode de la vie d'un héros, qui est presque toujours Gauvain, considéré comme type de la courtoisie et de la vaillance; ils sont naturellement beaucoup plus courts. A la première catégorie appartiennent Meraugis de Portlesguez, par Raoul de Houdan, le plus habile des imitateurs de Chrétien de Troyes; Rigomer, par un certain Jean; le Bel Inconnu, par Renaut de Beaujeu; Fergus, par Guillaume Le Clerc; Escanor et Méliacin, par Girart d'Amiens. D'autres sont anonymes, comme Ider, Gliglois, Brun de la Montagne, le Chevalier aux deux épées, Florian et Florette, Durmart le Gallois. Presque tous ceux de la seconde catégorie sont anonymes; les principaux sont : l'Âtre (cimetière) périlleux; le Chevalier à l'épée; Gauvain et Humbaut; la Vengeance de Raguidel, par un certain Raoul; la Mule sans frein, par Païen de Mézières. Beaucoup d'autres, perdus en français, sont conservés dans des traductions étrangères. Le dernier des romans en vers est l'immense et insipide Méliador, de Froissart (vers 1380). Les romans en prose sont un peu postérieurs à ceux en vers; les plus anciens ne sont du reste que des poèmes "dérimés". C'est dans les romans en prose que s'accomplit la fusion des légendes arthuriennes et des récits mystiques sur le Graal. La plupart des romans en prose ont été finalement incorporés dans une vaste compilation (antérieure à la fin du XIIIe s.), qui comprend six parties : le Grand Saint-Graal, Merlin, la Suite de Merlin (ou le Livre d'Arthur), Lancelot, la Quête du Graal, la Mort d'Arthur. Il nous est impossible de donner ici une analyse, même sommaire, des romans de la Table ronde. Nous devons nous borner à les énumérer, renvoyant pour certain d'entre eux aux brèves notices qui leurs sont consacrées dans le site; nous le ferons, avec quelques additions et modifications, suivant l'ordre (Tristan, poèmes de Chrétien de Troyes, romans épisodiques, romans biographiques) que leur a assigné Gaston Paris, qui leur a consacré presque la moitié du tome XXX de l'Histoire littéraire de la France, et en ajoutant l'indication des publications dont ils sont l'objet, ainsi que Beaudous, non étudié dans l'Histoire littéraire, et Escanor étudié seulement dans le tome XXXI. Nous donnerons les mêmes indications sur les romans en prose et nous réunirons dans la bibliographie l'indication des principaux travaux sur la matière :
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