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Frédéric Barberousse est un empereur d'Allemagne (1152-1190), fils de Frédéric le Borgne, duc de Souabe, né vers 1123, noyé dans lune rivière d'Asie Mineure le 10 juin 1190. Il obtint la couronne en 1152, à la mort de Conrad III, son oncle. Il commença par pacifier l'Allemagne en se réconciliant avec Henri le Lion avec lequel du reste il ne tarda pas à se brouiller de nouveau, et replaça sous la domination impériale les royaumes d'Arles, de Pologne et du Danemark. La plus grande partie de son règne fut employée, tantôt à conquérir des duchés en Italie, tantôt à y réprimer des révoltes. - Frédéric Barberousse (1121-1152). Sans cesse en guerre avec Alexandre III, qui avait pris en main la défense des cités guelfes, il fut excommunié en 1160 par ce pape, et fut obligé, après avoir été défait à Legnano par les Milanais (1176), de venir baiser les pieds du pontife, qui ne lui pardonna qu'à ce prix. En 1183, le traité de Constance rendit la paix et l'indépendance à l'Italie. Roi chevaleresque, Frédéric prit la croix (Les Croisades) en 1189, à la voix de Guillaume de Tyr : il remporta quelques avantages sur les Turcs; mais son armée, forte de 100 000 hommes, fut presque entièrement détruite par les maladies, et lui-même il se noya dans la petite rivière Sélef (l'anc. Calycadnus, auj. Göksu). Son fils Henri VI, pour lequel il avait obtenu la main de Constance, héritière de la Sicile, lui succéda. La famille, c'est compliquéFrédéric Barberouse était fils du duc de Souabe, Frédéric II, frère de l'empereur Conrad III, et de Judith, de la famille des Welfs (Guelfes), fille d'Henri le Noir et soeur de Henri le Superbe. Il appartenait donc à la fois aux deux plus puissantes familles de l'Allemagne, les Hohenstaufen et les Welfs, qui se disputaient alors la prépondérance. L'histoire de l'Allemagne au XIIe et au XIIIe siècle a été dominée par ces parentés; nous les exposerons sommairement, car, si on les ignore, bien des faits cessent d'être intelligibles.Frédéric Ier, duc de Souabe (mort en 1105), épousa Agnès, fille de l'empereur Henri IV; celle-ci lui donna deux fils, Frédéric II, duc de Souabe (mort en 1147), et Conrad III, empereur (mort en 1152); puis elle se remaria avec Léopold III d'Autriche (mort en 1136) et en eut Léopold IV d'Autriche (mort en 1141), Otto, évêque de Freisingen, historien (mort après 1190) et Henri Jasomirgott (mort en 1177), père de Léopold V (mort en 1194), lui-même père de Léopold VI (mort en 1230), tous ducs d'Autriche. Le fils de Conrad III fut Frédéric VI de Bothenburg, duc de Souabe (mort en 1167). Frédéric II de Souabe eut de Judith, fille de Henri le Superbe, Frédéric Ier Barberousse, empereur (mort en 1190), et Conrad, comte palatin du Rhin (mort en 1195); ce dernier fut le père d'Agnès, mariée plus tard au fils de Henri le Lion. Frédéric Barberousse épousa Béatrice de Bourgogne et en eut : Henri VI, empereur (mort en 1197), Frédéric V, duc de Souabe (mort en 1191), Conrad, duc de Souabe (mort en 1196), Otton de Bourgogne (mort en 1200), Philippe de Souabe, empereur (mort en 1208). Du mariage de Henri VI et de Constance de Naples naquit Frédéric II, empereur (mort en 1250); celui-ci eut pour fils : Henri, roi des Romains (mort en 1242); Conrad IV, empereur (mort en 1254), père de Conradin (mort en 1268); Marguerite, épouse d'Albert de Thuringe (morte en 1270); Enzio; Manfred (mort en 1265) dont la fille, Constance, épousa Pierre III, roi d'Aragon; Frédéric d'Antioche (mort en 1258). Philippe de Souabe n'eut que des filles : Béatrice (morte en 1212), qui épousa l'empereur Otton IV; Cunégonde (morte en 1248), qui épousa Wenceslas, roi de Bohême; Marie (morte en 1239), qui épousa Henri de Brabant; Béatrice (morte en 1234), qui épousa Ferdinand III, roi de Castille, et fut mère d'Alphonse X de Castille. Magnus, duc de Saxe (mort en 1106), eut deux filles : 1° Eilika (morte en 1142), épousa Otto de Ballensledt; de cette union naquit Albert l'Ours, margrave de Brandebourg (mort en 1170).Henri le Superbe épousa Gertrude, fille de l'empereur Lothaire, et en eut un fils, Henri le Lion, duc de Saxe et de Bavière (mort en 1195); de celui-ci naquirent Henri, comte palatin du Rhin (mort en 1227), époux d'Agnès de Hohenstaufen (morte en 1204); Otton IV, empereur (mort en 1218), et Guillaume, duc de Lunebourg (mort en 1212). Nous retrouvons tous ces personnages dans l'histoire d'Allemagne et d'Italie au XIIe et au XIIIe siècle, et il importe d'autant plus de définir nettement leurs rapports que ceux-ci ont eu une grande influence et particulièrement sur la vie de Frédéric Barberousse. Sculpture de Frédéric Barberousse au Kyffhäuserdenkmal, près de Leipzig. Conformément à sa position de famille, Frédéric Barberousse s'efforça de jouer le rôle de médiateur entre les parents de sa mère et les Hohenstaufen. En 1147, il succéda à son père dans le duché de Souabe. Il accompagna son oncle, l'empereur Conrad III, dans la deuxième croisade, à laquelle s'étaient associes également ses trois oncles, Welf VI et Henri Jasomirgott qui lui disputait le duché de Bavière, et Otto, évêque de Freisingen. Le jeune Frédéric se distingua par sa bravoure et l'énergie avec laquelle il put tenir tête aux Grecs. Il rentra en Allemagne avant son oncle et la trouva en feu; Welf VI s'était allié au roi Roger de Sicile, puis il avait profité de la maladie de Conrad pour envahir la Souabe où il essuya une défaite complète. Frédéric s'était abstenu le plus possible de prendre part à la lutte, et, après avoir rétabli l'ordre troublé par les Welfs, il leur fit accorder une paix favorable, s'opposant aux rigueurs méditées par Conrad. Il se tint à l'écart lors de la guerre renouvelée bientôt par Henri le Lion, maître de la Saxe, qui revendiquait la Bavière. La mort prématurée du fils aîné et héritier désigné de Conrad III, Henri, roi des Romains (1150), valut l'Empire au jeune duc de Souabe. Conrad se sentant mourir, et n'ayant plus qu'un fils mineur (Frédéric de Rothenburg), désigna pour lui succéder son neveu, le seul homme capable de soutenir la gloire de la maison de Hohenstaufen et de rétablir la concorde avec les Welfs. Le 5 mars 1152, une assemblée de princes allemands élut, à Francfort, Frédéric Barberousse; le 9 mars il fut sacré et couronné à Aix-la-Chapelle par l'archevêque de Cologne. Les premières années du règneLorsqu'il monta sur le trône, Frédéric Ier était un homme d'une trentaine d'années, de taille moyenne, au teint frais, cheveux et barbe frisés de nuance blonde tirant sur le roux, ce qui lui valut des Italiens le surnom de Barbarossa, yeux bleus, regard clair et vif, vigoureux et agile, de bonne humeur, presque toujours souriant. Très gracieux et séduisant par son affabilité, il était aussi très brave, rompu aux exercices du corps, un chevalier accompli, ne le cédant à personne dans les jeux comme à la chasse ou à la guerre. Généreux sans prodigalité, il était remarquablement instruit et intelligent. Sa mémoire était excellente; il parlait éloquemment sa langue maternelle, mais malaisément le latin; il goûtait les sciences et les arts et lisait volontiers les chroniques. Il avait un profond sentiment de la justice, y sacrifiant ses préférences personnelles, et une haute idée de la dignité impériale.Ce fut un homme d'Etat de premier ordre et il est resté dans l'histoire le type des empereurs allemands du Moyen âge. Il a voulu relever la puissance du Saint-Empire romain germanique telle qu'elle avait été du temps des Ottons, ou plutôt, ainsi qu'il l'écrivit au pape dès son avènement, son but était de « restaurer dans son ancienne vigueur et excellence la grandeur de l'Empire romain », car il se considérait aussi bien comme l'héritier de Constantin et d'Auguste que de Charlemagne. Il s'appuya sur le droit romain, que les légistes, et spécialement ceux de l'université de Bologne, mirent à son service; ils lui enseignèrent que sa volonté avait force de loi, qu'il pouvait revendiquer, non seulement la souveraineté, mais la propriété du monde. Nous verrons dans quelle mesure il put satisfaire la chimère de la domination universelle; mais, en même temps, il eut le sens de la réalité et, dans son royaume germanique, il s'efforça de devenir véritablement souverain, domptant la grande féodalité et contraignant les seigneurs grands et petits au respect de l'ordre; il fut moins heureux dans son royaume italien, où il ne put triompher de la résistance des villes. Néanmoins il demeura le personnage dominant de son époque, grâce à sa politique tour à tour prudente et énergique. Il commença par s'assurer la pacifique possession de l'Allemagne en s'entendant avec les chefs des grandes maisons rivales. Il gagna complètement son cousin Henri le Lion et établit avec lui une union intime qui fut sa première maxime de gouvernement pendant vingt-cinq années. Il l'appuya contre ses nombreux ennemis et fut en revanche assisté par lui; cette alliance fut achetée par de larges concessions; il laissa son cousin se constituer au Nord de l'Allemagne, dans la Saxe et les pays de la Baltique, conquis sur les Slaves, un véritable Etat; de plus, il lui rendit, en 1153, le duché de Bavière, l'enlevant au margrave d'Autriche, Henri Jasomirgott; quant à Albert l'Ours, le puissant margrave du Nord, ennemi acharné de Henri le Lion, auquel il disputait la Saxe, Frédéric Ier l'apaisa en partageant entre eux l'héritage du comte de Winzenburg et en lui donnant le droit de nomination aux nouveaux évêchés créés en pays vende. A son oncle Welf VI, l'empereur octroya le margraviat de Tuscie, le duché de Spolète, des fiefs dans la Haute-Italie. Frédéric avait transféré le duché de Souabe à son neveu Frédéric, le fils de Conrad III (âgé alors de huit ans), lui abandonnant également les biens et possessions de son père en Franconie, en Souabe, en Alsace, mais il garda sa tutelle. A son propre frère Conrad, il donna un peu plus tard le titre de comte palatin du Rhin. Réconcilié avec les Welfs et ayant consolidé sa famille, il s'entendit aussi avec les Zaehringen, les puissants rivaux des Staufen, en Souabe, à qui Conrad III avait fait une guerre acharnée. Il signa avec Berthold IV un traité aux termes duquel il lui rendait ses fiefs et lui promettait la Bourgogne et la Provence qu'ils enlèveraient à Guillaume, comte de Mâcon et de Vienne, et à Bérenger, marquis de Barcelone; en échange, Berthold s'engageait à l'assister avec 1000 lances en Allemagne, avec 500 en Italie. Ce traité fut plus tard modifié. Le comte Guillaume, intimidé, remit en liberté sa nièce, la belle Béatrice, héritière de la Haute-Bourgogne; Frédéric, qui venait de répudier sa femme Adélaïde de Vohburg, épousa Béatrice (juin 1156) et acquit ainsi un pouvoir effectif dans l'ancien royaume d'Arles. En dédommagement, il donna au Zaehringen l'avouerie des évêchés de Lausanne, Genève, Sion, et les fiefs bourguignons, lui constituant un véritable Etat dans la Suisse actuelle. Il put désormais compter sur sa fidélité et son constant appui. Se trouvant affermi en Allemagne, Frédéric Barberousse entreprit son voyage d'Italie pour y prendre la couronne de fer et la couronne impériale. L'Italie était alors très agitée; les villes formaient des républiques à peu près indépendantes; à Rome même Arnaud de Brescia avait organisé la Commune et expulsé le pape; celui-ci appelait l'empereur, auquel s'adressait de son côté le Sénat romain. Frédéric n'était nullement un serviteur de l'Eglise; il la traitait en sujette; dans le conflit pour l'archevêché de Magdebourg, il avait mis de côté les deux compétiteurs et de sa propre autorité désigné un troisième, sans consulter Eugène II : il laissa bien ses légats déposer l'archevêque de Mayence, mais les expulsa quand ils voulurent s'occuper de Magdebourg. Cependant il avait besoin du pape pour son couronnement et son divorce et il conclut avec lui à Constance un traité contre la Commune romaine et le roi Roger de Sicile. En octobre 1154, il assembla son armée à Augsbourg et descendit en Italie par Trente, imposant une stricte discipline à ses soldats. Selon l'usage, il tint sa diète dans la Haute-Italie, dans la plaine de Roncalia, près de Plaisance, sur le Pô, recevant l'hommage des vassaux de l'Empire, des consuls des villes, confirmant les fiefs et privilèges, tranchant les contestations. A cette diète de Roncalia, il reçut les plaintes de Lodi et de Côme, de Pavie, de Crémone contre Milan, et la rupture éclata presque aussitôt avec la grande cité lombarde qui le bravait. Il rasa Rosate, soumit Chiesi et Asti au comte de Montferrat, et après un siège obstiné détruisit Tortone, l'alliée de Milan. Puis il se fit couronner roi d'Italie à Pavie (15 avril 1155). De là il partit pour Rome. Il trouva à Sutri le nouveau pape, l'Anglais Adrien IV, qui venait d'exiler de Rome Arnaud de Brescia. Frédéric Barberousse le lui fit livrer, prouvant ainsi sa bonne volonté, mais hésita longtemps avant de consentir à tenir l'étrier au pape. Il reçut ensuite l'ambassade des Romains qui lui parlèrent avec l'orgueil des anciens maîtres du monde, réclamant que l'empereur jurât d'observer leurs lois et coutumes et payât un tribut de 5000 livres d'argent. Frédéric répliqua avec une hauteur ironique, le sentiment de sa force et de la faiblesse présente des Romains. Otton de Freisingen lui prête une harangue pompeuse où il expose que l'héritage de la vieille vertu romaine est passé au noble peuple des Francs : que quelqu'un, s'il le peut, arrache la massue de la main d'Hercule! Ces théories contradictoires sur l'Empire sont des témoignages historiques de premier ordre. Frédéric entra avec le pape dans la cité léonine où s'établit une garnison allemande, et le 18 juin 1155 le pape le couronna à Saint-Pierre. Exaspérés, les Romains s'assemblèrent au Capitole et attaquèrent la cité léonine, marchant sur le Vatican; la bataille fut sanglante, Henri le Lion décida le succès en pressant à revers les bourgeois dont un millier périrent. Le supplice d'Arnaud de Brescia scella l'accord entre le pape et l'empereur, mais ils durent renoncer à soumettre Rome : les chaleurs de l'été et les difficultés de ravitaillement décidèrent l'empereur à la retraite. A son retour, il détruisit Spolète. Le pape dont il s'était séparé à Tivoli le conviait à une expédition contre le nouveau roi de Sicile, mais les épidémies avaient décimé son armée. Il la congédia à Ancône et rentra en Allemagne par la marche de Vérone. Mais là il fut assailli en trahison par les Véronais qui essayèrent de noyer l'armée en rompant le pont de bateaux de l'Adige, puis occupèrent les défilés; Otton de Wittelsbach les débusqua et les nobles prisonniers furent pendus. Le pape traita avec le roi de Sicile et avec la Commune de Rome et rentra au palais de Latran (novembre 1156). L'expédition d'Italie n'avait obtenu qu'un demi-succès et faisait prévoir un double conflit de l'empereur avec les villes italiennes et le pape. Dès la première entrevue s'était manifesté l'antagonisme des deux puissances, Empire et papauté, représentées par deux hommes également fiers et jaloux de leurs droits absolus. ll éclata à la diète de Besançon en octobre 1157. Frédéric était alors à l'apogée de sa puissance. Il avait imposé à tous en Allemagne le respect de la paix, mis un terme aux guerres privées. Dans la région rhénane, l'archevêque de Mayence, Arnold, entra en lutte avec les seigneurs des deux rives, dont le brigandage était la principale ressource. A la diète de Worms (décembre 1155), Frédéric les châtia en leur appliquant la vieille peine du droit coutumier, porter un chien pieds nus pendant un mille; humilié, le comte palatin Hermann se retira dans un cloître et sa dignité passa au frère de l'empereur qui fonda Heidelberg au centre de ses domaines du Rhin moyen. Les autres insubordonnés furent rudement pourchassés; l'empereur parcourut les rives du Rhin et du Danube rasant leurs burgs, supprimant les péages, mettant à mort ou privant de leurs fiefs ceux qui résistaient. Il passa ensuite en Bavière, et à la diète de Ratisbonne termina par une transaction la longue querelle de Henri le Lion et de Henri Jasomirgott. Ce dernier obtint l'érection de l'Autriche en duché indépendant avec des privilèges étendus (septembre 1156). Le duc de Saxe fut enfin reconnu en Bavière. Telle était la situation de Frédéric Ier lorsqu'il réunit la diète de Besançon (octobre 1157) où se trouvaient, à côté de la foule des nobles de ses trois royaumes, des envoyés de Sicile, de Venise, d'Espagne, de France, d'Angleterre. Là parut le cardinal Roland Bandinelli, légat pontifical, apportant à l'empereur un salut paternel du pape, fraternel des cardinaux et une lettre d'Adrien IV conçue en ces termes : « Souviens-toi comment l'Eglise romaine t'a fait parvenir au sommet de la grandeur en t'accordant la dignité impériale. Nous ne nous repentons pas d'avoir ainsi accompli tous tes désirs; nous nous réjouirions plutôt si tu avais reçu de nous des bénéfices encore plus précieux. »Le mot beneficium était à double sens et paraissait impliquer que l'empereur était le vassal du pape; les Allemands s'indignèrent, le légat riposta, et Otton de Wittelsbach dégaina pour le tuer. Frédéric le protégea, mais l'invita à partir sur-le-champ pour Rome. Il fit rédiger par son chancelier Reinald une circulaire exposant qu'il tenait son autorité impériale de la grâce de Dieu et de l'élection des princes, et déclarait qu'il traiterait en ennemi du Christ quiconque regarderait l'Empire comme un fief du Saint-siège. Les évêques et le peuple se prononcèrent unanimement pour l'empereur. On n'était plus au temps de Henri IV; le sentiment national était très développé; on parlait d'organiser en Allemagne une Eglise nationale avec un primat; c'eût été l'archevêque de Trêves, vicaire pontifical dans toute l'Allemagne. Reinald le proposa, disant que ce n'était pas à Viterbe, la nouvelle Rome, mais à Trêves, là seconde Rome, qu'il faudrait s'adresser dorénavant. Adrien IV répondit avec violence, menaçant de transférer la couronne à l'empereur byzantin. Mais lorsqu'il apprit que Frédéric arrivait et allait descendre en Italie, il prit peur et lui expédia deux cardinaux, lui expliquant que beneficium devait être pris au sens de bienfait et que, par l'octroi de la couronne impériale, il entendait seulement le fait matériel du couronnement. L'empereur accueillit gracieusement ces excuses (juin 1158). Le conflit n'en avait pas moins commencé. La lutte contre les villes italiennes et le papeFrédéric Barberousse, maître incontesté de l'Allemagne, allait essayer d'acquérir une puissance égale sur l'Italie. Il y rencontrait deux adversaires, le roi de Sicile et la ligue des villes lombardes. Avec le premier, le pape s'était entendu, sacrifiant les barons impérialistes; il allait bientôt prendre la direction de la résistance. Les villes italiennes avaient acquis une indépendance presque complète; elles n'étaient plus que nominalement sujettes de l'Empire et avaient acheté on usurpé la plupart des droits de la souveraineté, absorbant la noblesse du voisinage; si bien que l'Italie septentrionale se partageait entre un certain nombre de républiques sans cesse en guerre les unes contre les autres.La plus puissante était Milan, à la tête d'une ligue où se rangeaient Brescia, Plaisance, Parme et Modène; Pavie, Crémone, Lodi, Côme, le marquis de Montferrat lui tenaient tête. Imbu des leçons de ses légistes, Frédéric Barberousse méconnut les conditions réelles; les yeux fixés sur son idéal romanesque de grandeur impériale et, tout au contraire de Charlemagne dont il prétendait remettre en vigueur les institutions, il revendiqua des droits qui n'étaient plus qu'un souvenir historique, privilèges honorifiques ou de souveraineté, régales, cédés ou vendus depuis longtemps, de gré ou de force, aux municipalités. La crise de la querelle des investitures avait singulièrement favorisé cette évolution. La méconnaissance de la situation réelle allait rendre vains les efforts de l'empereur, et pourtant il avait bien des éléments de succès s'il se fût accommodé aux circonstances et eût simplement tenté d'affermir son autorité et de la rendre effective. Les villes étaient divisées et mortelles ennemies les unes des autres; dans chacune, l'aristocratie, formée des nobles et des capitalistes, formait une classe séparée de la plèbe, du gros du peuple, petits patrons et ouvriers, souvent encore dépendants de l'évêque ou de l'ancien seigneur, mais désireux de conquérir l'égalité. On eût pu s'appuyer soit sur la classe démocratique, soit sur la noblesse en restaurant la hiérarchie. En s'efforçant de replacer les villes sous l'autorité impériale, de les dépouiller de leurs droits, de leurs constitutions libres, de leurs juridictions autonomes, pour rétablir la féodalité complète, l'empereur mettait tout le monde contre lui. De plus en plus, la guerre prit le caractère d'une guerre de principes, lequel ne transparaissait pas nettement à l'origine. Les alliés même de Frédéric, que les jalousies locales rangeaient de son côté, ne souhaitaient pas sa victoire. Nous avons dit déjà que l'empereur, mettant en jeu une nouvelle puissance morale qui émergeait alors, celle du droit romain, voulait reculer en deçà du régime féodal et carolingien, jusqu'à l'absolutisme des césars. Le langage des légistes achevait d'édifier la démocratie et l'aristocratie urbaines d'Italie qui lui opposèrent une résistance insurmontable. Frédéric Barberousse et ses fils, le roi Henri VI et le duc Frédéric VI. C'est en juin 1158 que Frédéric Barberousse assembla son armée pour le second passage des Alpes. Précédé d'Otton de Wittelsbach et de Reinald, il amenait toutes les forces de son Empire : Bourguignons et Lorrains passèrent par le grand Saint-Bernard sous Berthold de Zaehringen; Souabes et Franconiens par le Splugen sous le duc Frédéric; princes et évêques, le roi de Bohême avec ses Tchèques et les Saxons de Henri le Lion accompagnèrent l'empereur par le Tyrol; par le Frioul arrivèrent les chevaliers d'Autriche et de Carinthie avec leurs auxiliaires hongrois; la jonction s'opéra près de Brescia avec les vassaux italiens et les milices de Pavie, Parme et Crémone. L'armée impériale comptait plus de 100,000 fantassins et 15,000 cavaliers dans un ordre parfait. Les Milanais qui avaient battu les gens de Pavie et rasé Lodi refusèrent de se soumettre; pourtant, après un siège de quelques semaines, ils capitulèrent, versant une indemnité, livrant trois cents otages, accordant à l'empereur le droit de confirmation de leurs conseils. Ils vinrent pieds nus et les bourgeois la corde au cou, implorer son pardon. Vainqueur, Frédéric poursuivit l'exécution de son plan. Il convoqua sa diète à Roncalia (novembre 1158) et mit les délégués des quatorze villes lombardes en rapport avec quatre docteurs en droit de l'université de Bologne, Bulgarus, Martinus de Gosi, Jacob Ugolinus, Hugo Alberici. Il s'agissait de régler la constitution politique italienne; à défaut de coutumes on prit pour base le droit romain. La conséquence fut que, en vertu du principe « ce qui plaît au prince a force de loi », rappelé par l'archevêque de Milan, on attribua à l'empereur, à titre de régales, non seulement tous les duchés, marquisats, comtés, mais aussi la désignation des magistrats urbains, consuls, juges, tous les droits réels ou honorifiques, monnayage, péages, impôts, droits de port, de route, de moulin, de pêche, etc.; ils furent ensuite rendus au nom du souverain à ceux-là seulement qui purent produire une charte, des titres en bonne forme. Généralisant l'institution des podestats, Frédéric en imposa à toutes les villes, comme représentants du pouvoir impérial. Il restaura le régime féodal selon la constitution de Lothaire, annulant les restrictions consenties pour le morcellement ou l'annexion des grands fiefs, ventes ou hypothèques comme les autres; il interdit les guerres privées et les confédérations de cités ou de particuliers et nomma des commissaires pour y veiller. Bref, c'était l'abolition totale du régime établi qu'on voulait remplacer par une monarchie féodale, telle que l'Italie n'en avait pas connue. Les vaillantes et puissantes républiques municipales ne pouvaient subir cette révolution sans combattre, bien qu'au premier moment tous, laïques et clercs, nobles et citadins, aient juré de remettre à l'empereur les droits souverains. Gênes l'arrêta d'abord et l'obligea à reconnaître le statu quo. Puis le pape Adrien IV refusa de laisser l'empereur exercer ses droits sur les Etats pontificaux et sur les biens de la comtesse Mathilde qu'il revendiquait. Alors s'engagea entre l'Empire et le Saint-siège une guerre comparable à celle de Henri IV et de Grégoire VII. L'empereur répondit au pape que, si les évêques refusaient de se conformer à leurs devoirs de vassaux de l'Empire, ils eussent à rendre les biens et droits que leur avaient concédés les empereurs; le Christ avait payé le cens pour lui et pour Pierre et prescrit de rendre à César ce qui est à César. Le pape se déclarait souverain dans Rome et les Etats de l'Eglise, n'admettait pas que les évêques italiens prêtassent d'autre serment que celui de fidélité, c.-à-d. qu'il voulait qu'ils fussent regardés comme sujets, mais non comme vassaux; enfin il réclamait à titre d'héritier de la comtesse Mathilde la campagne de Rome à Aquapendente, Spolète, Ferrare, Massa, la Corse et la Sardaigne. Tandis qu'on négociait et qu'intervenaient dans le débat les plénipotentiaires de la Commune de Rome et du Sénat, les hostilités commencèrent. Les Milanais considéraient le traité de septembre 1158 comme subsistant et refusèrent d'accepter un podestat. Les émissaires du pape les soulevèrent et ils expulsèrent les commissaires impériaux; la ville fut mise au ban de l'Empire; Crème, Brescia, Plaisance firent cause commune avec elle. L'empereur commença par le siège de Crème qui l'arrêta sept mois; en janvier 1160, elle succomba; les 20,000 habitants survivants furent chassés sur Milan, la ville incendiée et rasée. Pendant ce siège, éclatant témoignage du dévouement des bourgeois à leurs libertés, était mort Adrien IV. Les cardinaux se divisèrent : la majorité élut le cardinal Roland Bandinelli, l'audacieux légat de la diète de Besançon; la faction impérialiste l'emprisonna au Trastevere et proclama Octavien; mais, délivré par Oddo Frangipane, Roland se fit sacrer à Ninfa sous le nom d'Alexandre III et se retira à Anagni, à portée du roi de Sicile, son protecteur; Octavien, consacré sous le nom de Victor IV (Les Antipapes) à Farfa, s'établit à Segni (septembre 1159). Frédéric convoqua à Pavie un concile dont Alexandre III déclina la compétence et qui reconnut Victor IV et excommunia son rival; celui-ci lança l'interdit contre l'empereur (mars 1160). La France, l'Espagne et l'Angleterre reconnurent Alexandre III au concile de Toulouse (octobre 1460) ; il eut pour lui l'archevêque de Salzbourg et les moines cisterciens; il se réfugia bientôt en France. Pendant ce temps, l'empereur avait tourné ses forces contre Milan; il faillit être écrasé à Carcano (août 1160), mais lorsqu'au printemps arrivèrent d'Allemagne de nouveaux bataillons, les Milanais furent enfermés dans leur ville; ils soutinrent le siège une année; de part et d'autre, comme à celui de Crème on commit des atrocités. La famine fit tomber les armes des mains des fiers citadins. Ils durent se rendre à merci. La vie leur fut accordée après qu'ils eurent imploré leur pardon la corde au cou et la tête couverte de cendres; mais leur ville fut détruite, les maisons incendiées, les remparts démolis, des Milanais dispersés dans quatre villages, et leurs notables et anciens magistrats retenus comme otages (mars-avril 1162). Cette exécution semblait assurer le triomphe de Frédéric Barberousse. La reddition des Milanais à Frédéric Barberousse. Rien n'était fini; il avait empiré sa position par un schisme; son pape n'était reconnu que dans ses Etats et pas partout; il se trouvait affaibli, menacé de guerres civiles comme celles qui avaient brisé Henri IV. Il prévint ce danger par son alliance intime avec les Welfs et surtout avec Henri le Lion; mais ses guerres d'Italie nuisirent beau- Le siège archiépiscopal fut donne à Conrad de Wittelsbach, non à l'élu du chapitre, Rodolphe de Zaehringen, ce qui raviva l'hostilité entre cette maison et celle des Hohenstaufen. A tout prix il fallait conserver l'amitié des Welfs; Henri le Lion se comportait en maître absolu en Bavière et surtout en Saxe, abolissant les péages impériaux, créant dans les pays conquis des fiefs, des évêchés qu'il distribuait à ses fidèles; Frédéric le défendait contre tous ses ennemis. Au Sud, la querelle des Welfs et des Waiblinger semblait se raviver; le jeune Welf VII avait attaqué le comte palatin de Souabe, dévoué serviteur des Hohenstaufen; avec lui marchaient les Zaehringen, les Habsbourg, le margrave de Bade, plu sieurs évêques; de l'autre côté se rangèrent le duc de Souabe, le comte de Wurttemberg, le roi de Bohème; Welf VII fut complètement défait deux ans de suite; mais Frédéric Ier sacrifia ses amis, sa famille et livra le comte palatin de Souabe à Welf VII. Il lui fallait avoir les mains libres pour venir à bout de l'Italie. En Lombardie se préparait une lutte désespérée; les podestats impériaux avaient tyrannisé les villes; on voulait dompter les bourgeois et extirper leurs tendances républicaines; les exactions financières poussèrent à bout les populations. Le chancelier Reinald, archevêque de Cologne, vicaire de l'empereur en Italie, nommait partout des ecclésiastiques allemands. Quand il fut avéré que Frédéric Ier, revenu sans armée en 1163, approuvait ses lieutenants, les Lombards résolurent de tout faire plutôt que de subir cette oppression. Bologne, Vérone, Trévise, Vicence chassèrent les podestats impériaux; Venise s'allia à elles, ainsi que l'empereur grec Manuel. Sur ces entrefaites, Victor IV mourut et Reinald se hâta de faire élire un nouvel antipape par les deux cardinaux du parti impérial, rendant impossible une transaction avec Alexandre III à laquelle inclinait l'empereur. Le nouvel élu (Guido de Crème), Pascal III, irrégulièrement désigné, ne fut plus que l'instrument docile de l'empereur. Alexandre III, de sa résidence de Sens, redoublait d'activité, entretenant une correspondance avec tous les ennemis de l'empereur; les archevêques de Mayence, de Salzbourg, de Magdebourg penchaient en sa faveur. Frédéric rentra en Allemagne (octobre 1164) pour préparer une nouvelle campagne. Il apaisa les différends en cours, s'entendit avec Henri II d'Angleterre, brouillé avec le pape par l'affaire Thomas Becket, et négocia le mariage de Henri le Lion avec Mathilde, fille de Henri II. A la diète de Wurtzbourg, l'empereur jura et fit jurer, malgré la répugnance presque universelle des prélats et des seigneurs, la reconnaissance de Pascal III (1165). Cette fois, le schisme était officiel; vainqueur, Frédéric assurait le triomphe de l'Empire sur la papauté, la revanche de Canossa. Il mit au ban de l'Empire et remplaça les archevêques de Mayence et de Salzbourg; mais ce dernier résista jusqu'à l'incendie de sa capitale (1160) et, durant des années, ces contrées furent troublées par les chevaliers pillards que l'empereur avait déchaînés. A ce moment, Alexandre III rentrait triomphalement à Rome, sur l'invitation du Sénat, tandis que Pascal III s'installait à Viterbe, sous la protection du nouvel archevêque de Mayence, Christian, un géant belliqueux et noceur. Les Grecs prenaient pied à Ancône, et Manuel offrait à Alexandre Ill l'union des deux Eglises s'il voulait unir les deux. Empires en lui conférant la couronne impériale d'Occident. Le pape ne voulait pas aller jusque-là; il se contentait de l'appui des Normands de Sicile et des villes italiennes. Celles-ci chassaient les évêques schismatiques; Milan était rebâti. Alors survint une péripétie extraordinaire et vraiment dramatique. L'armée impériale fut ravagée par une épidémie terrible; en une semaine, le paludisme fit périr 25,000 Allemands, l'archevêque de Cologne, cinq évêques, le duc de Souabe, 2000 chevaliers franconiens et souabes, l'élite des conseillers et des partisans de Frédéric Barberousse. Saisis de terreur, les envahisseurs se crurent sous le glaive de l'ange exterminateur qui, dans la mythologie biblique, avait égorgé les Assyriens devant Jérusalem; ils portaient la peine de la profanation de Saint-Pierre, de l'excommunication. Ils s'enfuirent à Viterbe, puis à Lucques, décimés encore sur la route du retour; le jeune Welf VII succomba. L'empereur ne ramenait à Pavie qu'un fantôme d'armée. Ce prétendu jugement de Dieu frappa tous les contemporains. Les villes lombardes avaient, à l'instigation des moines, préparé une ligue pour la sauvegarde de leurs libertés; à celles de l'Est, Vérone, Vicence, Padoue, Venise, Ferrare, Trévise, s'ajoutèrent Brescia, Bergame, Milan, Plaisance, Mantoue, même Crémone; on força Lodi à accéder à la confédération. Frédéric mit ces villes, sauf les deux dernières, au ban de l'Empire et dévasta le Milanais. Il dut reculer devant l'armée des confédérés; ceux-ci se fortifièrent par l'accession de Parme, Modène et Bologne, élirent une sorte de conseil fédéral, déclarant ne reconnaître que les droits impériaux en vigueur depuis le temps de Henri V jusqu'à l'avènement de Frédéric Ier. Celui-ci, n'ayant pu les diviser, regagna l'Allemagne par la Savoie, presque en fugitif (mars 1168). Il y fut retenu six années, consolidant sa puissance en accroissant celle de sa famille, par héritages, par achats; il acquit ainsi ceux de son oncle Welf VI, resté sans enfants, qui renonçait au monde; il vendit à son neveu ses fiefs italiens, Toscane, Spolète, Sardaigne, Este. Cette acquisition eut le grand inconvénient de brouiller Frédéric avec son cousin Henri le Lion. Mais ils avaient encore besoin l'un de l'autre. Le duc de Saxe laissa donc Frédéric faire élire et couronner roi des Romains son fils Henri, âgé de cinq ans; son second fils avait été fait duc de Souabe; le troisième, Conrad, héritait des biens de Franconie; le quatrième, Otton, de la Bourgogne et du vicariat du royaume d'Arles. Il se réconcilia avec les Zaehringen. Il soutint le duc de Saxe contre ses nombreux ennemis qui engageaient une guerre acharnée de deux ans (1166-1168), sans pouvoir amoindrir le redoutable civilisateur de la Baltique. Vainqueur du Danemark, beau-père du nouveau roi Knud VI, débarrassé d'Albert l'Ours, Henri le Lion put entreprendre un pèlerinage à Jérusalem (1172-1173). De son côté, Frédéric rétablissait, partout son autorité, en Bohème, en Pologne, à Salzbourg comme en Souabe. Sept années s'écoulèrent ainsi. En Italie, Christian de Mayence maintenait la cause impériale. Alexandre III errait en Campanie; Pascal III, mort au Vatican (septembre 1168), avait été remplacé par l'abbé de Struma qui prit le nom de Calixte IV. A Rome, la démocratie combattue par le pape s'appuyait sur l'empereur. Au Nord de l'Italie, n'était le contraire et là la ligue lombarde prévalait tout à fait. Afin de s'affirmer, elle bâtit, entre Pavie et le Montferrat, les derniers remparts de la puissance allemande, une nouvelle ville, que baptisa le pape, Alexandrie; dès la seconde année elle pouvait armer 15,000 bourgeois. L'empereur vint, par le mont Cenis, l'assiéger, après avoir pris Suse et Asti, tandis que Christian de Mayence tenait en respect la Toscane. Après quatre mois il fallut lever le siège (1175). Les Lombards préféraient les négociations à la bataille et laissèrent l'empereur traîner les choses en longueur jusqu'à l'arrivée de renforts. Mais Henri le Lion refusa obstinément son concours; il ne croyait plus avoir besoin de Frédéric et songeait à revenir à la politique traditionnelle des Welfs, l'alliance avec la papauté; il trouvait aussi ces guerres d'Italie inutiles et préférait réserver ses forces pour la lutte contre les Slaves; enfin il se méfiait de son cousin qui, pendant son absence, avait cherché à gagner les villes saxonnes et placé les princes wendes sous sa protection. Une entrevue eut lieu à Chiavenna ou Partenkirken en mars 1176. Malgré les instances de Frédéric, que les chroniqueurs représentent se jetant aux pieds de Henri le Lion, ce dernier persista dans son abstention. Trop faible contre près de 100 000 Lombards, l'armée impériale fut complètement défaite à Legnano (29 mai 1176). Frédéric comprit qu'il fallait renoncer à son rêve. Après ce nouveau « jugement de Dieu », il n'eût pas décidé les Allemands à lut donner une nouvelle grande armée pour continuer la guerre contre le pape. Il s'adressa donc à celui-ci qui souhaitait de rentrer au Vatican et ne voulait pas s'engager à fond dans le sens des villes jadis si dévouées à Arnaud de Brescia. Par le traité d'Anagni (octobre 1176), le pape reconnut les nominations ecclésiastiques faites par Frédéric et ses antipapes; en revanche, il obtint la reconnaissance de sa souveraineté à Rome et les biens de la comtesse Mathilde; il promettait sen entremise pour la conclusion d'une paix générale. Le pape ne voulait abandonner ni les villes lombardes, ni le roi de Sicile. La bataille de Legnano (29 mai 1176), par Amos Cassoli (XIXe s.). Un congrès fut convoqué à Ferrare et bientôt transféré à Venise (mai-août 1177); l'empereur s'établit à Chioggia. Quoique vaincu, il restait le personnage dominant; on ne contestait pas le principe de son autorité, mais seulement l'étendue; la déférence avec laquelle le traitaient les fiers délégués des villes lombardes est significative. Néanmoins il se jeta aux pieds du pape dans l'église Saint-Marc, avant de recevoir le baiser de paix. Par le pacte définitif, il avoua solennellement son erreur, reconnut qu'il était sorti de la voix de la justice; il faisait sa paix avec le pape, le roi de Sicile et les Lombards; mais, avec ceux-ci, on ne signa d'abord qu'une trêve, la paix définitive ne fut conclue que six ans plus tard. La papauté sortait victorieuse de la lutte. Le plus pénible fut pour Frédéric la reconnaissance des prétentions des villes lombardes, qu'il regardait comme des rebelles; c'est pourquoi il ajourna la paix définitive; malgré ses répugnances et les détours, le congrès de Venise constatait l'entrée en ligne des républiques municipales, à côté de l'Eglise et de l'Empire féodal. L'empereur rentra en Bourgogne où il se fit couronner roi d'Arles; le pape à Rome où l'imposa l'archevêque Christian de Mayence (mars 1178); Calixte III réfugié à Viterbe se soumit bientôt (août 1178) et devint archevêque de Bénévent. Un nouvel antipape, Innocent III, suscité par les nobles hostiles au pape, fut bientôt emprisonné (1180). Après la mort d'Alexandre III (1181), ce furent les Allemands qui protégèrent son successeur Lucius III contre les Romains. Vaincu en Italie, Frédéric restait maître de l'Allemagne; mais il allait avoir à lutter contre Henri le Lion. La guerre fut entamée par l'évêque de Halberstadt, ennemi mortel du duc, que Frédéric rétablit sur son siège; l'archevêque de Cologne entra également en ligne. Frédéric n'avait qu'à laisser faire les ennemis de son cousin contre lesquels il l'avait longtemps protégé. Il ne se hâta pas, le convoqua avec ses adversaires à la diète de Worms (janvier 1179). Henri le Lion ne vint pas. Il fut alors accusé de trahison, cité une seconde fois à Magdebourg, une troisième à Goslar, puis mis au ban de l'Empire, condamné à la confiscation de ses fiefs et de ses biens (diète de Wurtzbourg, janvier 1179). Le Lion ne fit pas un pas pour détourner l'orage; il assembla ses vassaux à Lunebourg pour combattre. Alors, d'accord avec une réunion des princes allemands, Frédéric partagea ses possessions entre ses ennemis : le duché de Saxe fut morcelé, la Westphalie (entre Rhin et Weser) fut attribuée avec le titre ducal à l'archevêque de Cologne; l'Est à Bernard d'Anhald, fils d'Albert l'Ours; les fiefs cédés par les archevêchés et évêchés saxons (Magdebourg, Hambourg, Brême, Paderborn, Hildesheim, etc.) au duc leur furent rendus; un autre lambeau alla au landgrave de Thuringe; deux mois après le duché de Bavière fut également enlevé à Henri et démembré comme celui de Saxe; restitution aux évêchés de tous leurs fiefs et avoueries, accroissement des domaines propres de Welf dont les Hohenstaufen devaient hériter, du comté d'Andechs qui devint duché de Meran; la Styrie fut détachée et érigée en duché autonome; ainsi amoindri le duché de Bavière fut donné à Otton de Wittelsbach, le comte palatin de Bavière; cette dignité passa à son frère Frédéric le Barbu. Il fallait exécuter ces décisions. Ni le roi d'Angleterre, ni celui du Danemark ne soutinrent le Lion, qui négocia aussi vainement avec Philippe-Auguste et avec le comte de Flandre. Il ne pouvait compter que sur ses seules forces et déploya une grande énergie; il fit attaquer la Lusace par les Slaves, la Westphalie par ses vassaux, lui-même marchant sur Goslar et saccageant le Harz; il défit à Weissensee Bernard l'Ascanien et les landgaves de Thuringe qu'il fit prisonniers; ses vassaux eurent le même succès en Westphalie; mais il commit l'imprudence de se brouiller avec eux en voulant se faire livrer leurs prisonniers. Le plus puissant, le jeune comte de Holstein, refusa et après une scène violente se retira; il passa à l'empereur; les seigneurs voisins suivirent son exemple; Henri se jeta sur le Holstein; mais Frédéric était venu camper à Goslar, et lorsque approcha le dernier terme accordé aux vassaux du Lion pour leur soumission, la plupart l'abandonnèrent. Sans coup férir, la Bavière fut transférée au Wittelsbach; en Saxe même les plus vieux fidèles faisaient défection; le nouveau duc de Poméranie fit hommage à l'empereur; ne sachant plus à qui se fier, Henri le Lion fait charger de chaînes son meilleur serviteur, le comte de Ratzeburg, et le dépouille de ses fiefs. La campagne de 1181 consomma la ruine du Lion; ses forteresses d'Haldensleben et de Ratzeburg furent prises par l'empereur. Le redoutable duc s'était enfui presque seul au Nord de l'Elbe. Il conseilla lui-même à Lübeck de se rendre. Il se sentait perdu et n'avait plus à compter que sur la miséricorde de son ancien ami. Il vint l'implorer à Lunebourg. Frédéric refusa de le voir, l'ajournant à la diète convoquée à Erfurt (novembre 1181). Il y vint et se jeta aux pieds de son cousin, demandant grâce. Frédéric le releva et l'embrassa en pleurant, mais ne voulait ni ne pouvait lui rendre son ancienne grandeur; il avait juré aux princes de ne pas rétablir le duc dans ses dignités sans leur aveu. Il ne put donc que lui laisser ses biens patrimoniaux, Brunswick et Lunebourg, et on en avait si peur qu'on l'obligea à s'exiler. Il se retira auprès de son beau-père Henri II. L'abaissement des Welfs était un grand événement; ce fut également une chose très grave que le morcellement des vastes duchés de Bavière et de Saxe; cette politique, fort différente de celle pratiquée d'abord par Frédéric, devait avoir des conséquences désastreuses : la royauté se trouvera en présence d'une foule de petits seigneurs dont elle sera impuissante à réprimer les brigandages et les usurpations, au lieu d'agir sur eux par l'intermédiaire de la grande féodalité. L'émiettement du grand Etat formé au Nord affaiblit l'Allemagne vis-à-vis des Danois et des Slaves et reproduisit de ce côté les inconvénients qu'une situation analogue créait sur le Rhin; la même observation s'applique à la Bavière; mais là le morcellement fut moindre et c'est ce qui explique que le centre de gravité de l'Allemagne ait été pour des siècles transporté dans ces régions du Sud-Est, tandis que la vieille Saxe perdait sa prépondérance. Le Brandebourg en héritera, mais seulement dans cinq siècles. En 1184, la grande diète de Mayence attesta la splendeur du chef du Saint-Empire; elle surpassa l'éclat de celle de Besançon en 1157. Il y vint jusqu'à 40,000 ou même 70,000 chevaliers, 70 princes puissants de toutes les parties de l'Europe; une cité de palais de bois sortit de terre à côté de la ville et les grands rivalisèrent d'apparat dans les fêtes qui éblouirent tous les assistants. L'année précédente, le traité de Constance (juin 1183) avait clos le dissentiment avec la ligue lombarde. Alexandrie avait fait sa soumission et de part et d'autre on était de bonne foi. L'empereur concédait aux villes tous les droits souverains et juridictions dont elles étaient en possession; en cas de doute, l'évêque serait pris pour arbitre. Les consuls seraient librement élus par les bourgeois, confirmés par l'empereur ou son délégué. Les magistrats prêtent le serment de vassalité, tous les bourgeois de dix-sept à soixante-dix ans celui de fidélité à l'empereur; celui-ci garde la juridiction d'appel pour les causes dépassant 25 livres et les affaires criminelles. Les villes s'engagent à assister l'empereur dans ses campagnes italiennes et à lui verser les impôts et redevances usuelles. La bourgeoisie entrait de plain-pied dans le monde féodal. Les villes allaient achever de se rendre indépendantes dans les siècles suivants; mais pour le moment elles étaient rattachées solidement à l'Empire; nous avons dit quel respect elles témoignaient à Frédéric Barberousse; celui-ci se comportait avec une absolue loyauté; il vint à plusieurs reprises à Milan, la traitant avec faveur, imposant à ses anciens alliés l'observance fidèle du pacte, concédant des privilèges nouveaux. Il tournait maintenant les yeux vers l'Italie méridionale, préparant un nouvel accroissement aux Hohenstaufen par le mariage de son fils avec Constance, fille de Roger l'héritière du royaume normand de Sicile. Ce mariage fut très mal vu du pape, auquel il retirait l'appui le plus sérieux qu'il eut en Italie. Lucius III, que les Romains avaient chassé, entra en conflit avec l'empereur; son successeur, l'archevêque de Milan, qui prit le nom d'Urbain III, entama ouvertement la lutte lorsqu'eut été célébré le mariage (janvier 1186). Frédéric Barberouse en route pour la Croisade. La mort de BarberousseElle commençait quand arriva la nouvelle de la prise de Jérusalem par Saladin. Lessuccesseurs d'Urbain III ne songèrent plus qu'à une croisade. Frédéric avait laissé rentrer Henri le Lion (1185); Bernard l'Ascanien était impuissant en Saxe, livrée à l'anarchie, et le roi du Danemark empiétait sur les rivages de la Baltique. On regrettait le puissant protecteur de l'Allemagne, et il ne songeait qu'à reconstituer son ancienne puissance, s'alliant à l'archevêque de Cologne brouillé avec l'empereur. Dans ces conjonctures, Frédéric, résolu à partir pour la croisade, invita son cousin soit à l'accompagner, soit à jurer l'acceptation des faits accomplis, soit à s'exiler jusqu'à son retour. Henri le Lion choisit le troisième parti. En mai 1189, Frédéric Barberousse, qui avait alors près de soixante-dix ans, se mit en route pour la Palestine. Son armée était dans un ordre parfait; elle comptait 20,000 chevaliers, près de 100,000 hommes en tout. Il descendit le Danube, fêté sur son passage en Hongrie et en Serbie et imposant une stricte discipline; il eut à combattre les Bulgares, à déjouer la perfidie des Grecs; la prise d'Andrinople (Edirne) mit à la raison Isaac l'Ange qui accorda enfin libre passage et des vivres. En Asie Mineure, le sultan d'Iconium (Konya) se posa en allié, mais attira les Allemands dans les steppes où il essaya de les faire périr; une sanglante bataille eut lieu à Philomelium, une autre devant Iconium qui tomba au pouvoir des croisés. Ils descendirent ensuite en Cilicie. C'est là que, sur les bords du Selef (Göksu), à Séleucie, disparut Barberousse; il se noya soit qu'il ait été entraîné par le courant, soit qu'une congestion l'ait frappé. Cette fin tragique a contribué à embellir la légende de cet empereur. Elle démoralisa l'armée que son fils Frédéric eut grand-peine à conduire plus loin; à Antioche, les épidémies en firent périr une partie; beaucoup se rembarquèrent; quelques-uns allèrent jusqu'à Acre où le duc joignit les autres croisés; il y mourut bientôt, après avoir fondé l'ordre des chevaliers Teutoniques. Le coeur et les entrailles de l'empereur furent ensevelis à Tarse, la chair à Antioche, les os à Tyr. Les légendes que les romantiques modernes ont rapportées à Barberousse s'appliquent plutôt à son petit-fils Frédéric II. Mais, pour l'historien comme pour l'imagination populaire, Frédéric Barberousse demeure le grand empereur allemand. (A.-M. B.). La noyade de Frédéric Barberousse (manuscrit de 1280). |
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