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L'empereur Frédéric II

Frédéric II est un roi de Sicile (1197), et une empereur  d'Allemagne (1211-1250), né à lesi, dans la marche d'Ancône, le 26 décembre 1194, mort à Fiorentino (Apulie) le 13 décembre 1250. Petit-fils de Frédéric Barberousse, fils de l'empereur Henri VI et de Constance de Naples, il naquit après neuf années de mariage, ce qui fit raconter qu'il était un enfant supposé. Il fut d'abord nommé Constantin, mais baptisé sous celui de Frédéric. Son père le fit élire (avant même qu'il fût baptisé) roi des Romains par la diète de Francfort (décembre 1196); la mort subite de Henri VI le laissa sans défense, et cet accident, qui détermina la ruine de l'Empire et des Hohenstaufen, valut au jeune Frédéric une destinée extraordinaire. Lui qui semblait devoir compléter la transformation de l'Empire en monarchie héréditaire le vit s'effondrer. A travers ces redoutables crises, le dernier des grands Hohenstaufen a déployé une si belle intelligence que, dans ce demi-siècle, c'est sa biographie qui concentre l'intérêt. On ne trouverait pas, dans l'histoire, de vie plus mouvementée, ni de personnage plus curieux et plus séduisant. Par l'intelligence, il domine de beaucoup ses prédécesseurs, par le caractère, il ne les approche pas. 
« Avec lui apparaît dans l'histoire du Moyen âge comme une famille nouvelle d'esprits. Les historiens qui se sont occupés de ce jeune prince ont voulu traduire cette impression quand ils l'ont appelé tantôt le premier en date des souverains modernes, tantôt le précurseur des tyrans italiens du XVe et du XVIe siècle. Aucun de ces termes ne suffit cependant pour préciser cette étrange et complexe physionomie. 

Jusqu'alors, la plupart des grands hommes politiques du moyen âge, Charlemagne, Otton Ier, Grégoire VII, Frédéric Barberousse, sont des personnages tout d'une pièce; il est relativement facile de pénétrer dans leur psychologie, d'analyser leurs pensées, leur caractère. Entiers dans leurs idées, ils le sont aussi dans leur conduite; ils s'entendent mal aux nuances et aux tempéraments; marchant droit devant eux, d'une allure franche et ferme, ils montent à l'assaut des obstacles. Frédéric II a une personnalité ondoyante, et dans son caractère se mêlent des traits en apparence contradictoires. Sceptique et astucieux, il apporte dans l'art de gouverner des habitudes politiques qui le distinguent de ses prédécesseurs. Il est plus fin et plus souple qu'eux, mais il n'a pas l'énergie continue et opiniâtre de son père, ni de son grand-père. Si, aux heures de crise, le caractère des Hohenstaufen se reconnaît en lui, s'il retrouve leur arrogante vaillance et leur impitoyable cruauté, par d'autres côtés il semble appartenir à une autre famille et à une autre époque. Courtois, aimable, séduisant, il a déjà la physionomie d'un prince de la Renaissance. D'autre part, qu'on l'étudie en Allemagne ou en Italie, non seulement sa politique, mais ses principes de gouvernement changent à ce point qu'ici il laisse la féodalité maîtresse, tandis que là, il organise le pouvoir royal sous les formes les plus absolues qu'on eût encore vues. Aussi faut-il renoncer à introduire dans son portrait une unité qui n'existe pas dans sa conduite; du récit même des faits se dégagera mieux cette figure aux aspects multiples et changeants. 

Pour le bien comprendre, c'est dans le Sud de l'Italie qu'il faut examiner son oeuvre. Fils de la Sicilienne Constance, il y a été élevé et plus tard il a toujours aimé y vivre. Par ses goûts et la culture de son esprit, il rappelle d'ailleurs ces rois normands dont il était l'héritier, et qui, placés aux points de pénétration du monde arabe, du monde grec et du monde latin, s'étaient efforcés d'en combiner les éléments et de maintenir ainsi une civilisation mixte, pleine d'éclat et de vie. » (Histoire générale, t. II). 

Nous raconterons d'abord ses débuts, puis son rôle comme roi de Sicile, avant de dire comment il gouverna l'Allemagne et engagea pour la domination en Italie une lutte suprême contre les villes et la papauté.

Au moment où son père mourut, son oncle Philippe de Souabe venait chercher le jeune Frédéric pour le faire couronner solennellement en Allemagne. La mort de Henri VI, déchaînant les haines accumulées en Italie par ses violences, obligea Philippe à repasser sur-le-champ les Alpes, tandis que Constance, pour conserver la couronne à son fils, exilait de son royaume tous les Allemands. Les princes de l'Allemagne, jugeant peu valable un serment prêté à un enfant non encore baptisé, élurent empereur Philippe de Souabe, auquel les ennemis des Hohenstaufen opposèrent Otton IV, le frère de Henri le Lion et chef des Welfs. Innocent III venait d'être élu pape. La reine Constance sentit qu'il n'y avait rien à faire en Allemagne. Elle se borna à faire couronner son fils à Palerme, roi de Sicile (mai 1198), évacuant Foligno et renonçant à disputer l'Italie centrale au pape qui en expulsait les feudataires allemands. Elle se jeta même complètement dans les bras d'Innocent III, lui abandonnant les droits concédés par les papes sur l'Eglise aux rois de Sicile et s'engageant à un tribut annuel. A ces conditions, le souverain pontife reconnut Frédéric comme roi de l'Italie méridionale et de la Sicile. Elle mourut la même année (27 novembre 1198), laissant la tutelle de son fils au pape, son suzerain, et le confiant à l'archevêque de Palerme et à l'évêque de Troja. En vertu du testament de Henri VI, le vaillant Markward d'Anweiler, grand sénéchal, revendiqua la tutelle; abandonnant au pape son duché de Ravenne, il débarqua en Sicile. La guerre civile était déchaînée entre les Allemands et les Normands; le désarroi fut bientôt complet, chaque parti se subdivisant en factions; Gautier de Brienne, envoyé par le pape, prévalut d'abord en Apulie, mais Markward était maître de la Sicile quand il mourut (1202). La mort du comte de Brienne tué à Sarno par Diepold détruisit l'armée pontificale (1205). Capparone, maître de la personne de l'enfant royal, eut alors à combattre l'Allemand Diepold avec qui le pape avait traité. L'Italie méridionale fut livrée pendant dix années à l'anarchie; ni maître, ni loi; Allemands, Italiens, auxiliaires sarrasins ou français, Génois, Pisans s'y combattaient. Au milieu de ces loups grandissait « l'agneau » royal; impuissant à pacifier son royaume, le pape lui fit du moins donner une excellente éducation.

Quand la mort de Philippe de Souabe laissa Otton IV maître de l'Empire, Innocent III songea que son protégé, désormais le représentant des Hohenstaufen, pouvait lui servir à tenir en bride son ancien allié, l'empereur guelfe (1208). En effet, celui-ci devint en Italie le représentant de la politique impérialiste la plus extrême; non seulement il revendiquait ses prérogatives, mais les biens de la comtesse Mathilde et même le royaume de Sicile. Il l'envahit, le conquit jusqu'au détroit de Messine et allait passer
dans l'île, quand il fut rappelé au Nord des Alpes (1211).

Innocent III l'avait excommunié (novembre 1210). Frédéric ayant atteint quatorze ans (août 1209) avait été déclaré majeur et marié par le pape avec une fille du roi d'Aragon, Constance, veuve du roi de Hongrie. En Allemagne, les partisans des Hohenstaufen abandonnèrent sur-le-champ Otton IV; les archevêques de Magdebourg et de Mayence, le roi de Bohême se rallièrent au roi de Sicile devenu le candidat du pape; la Lombardie se divisa. Otton revint en Allemagne; mais son rival qu'avait élu une diète tenue à Nuremberg (octobre 1211) l'y suivit. Frédéric avait reçu l'appel des princes allemands, au moment où il semblait menacé de perdre son royaume héréditaire. Il passa par Rome où il gagna le coeur d'Innocent III et dissipa la crainte qu'inspirait à celui-ci la réunion des trois couronnes d'Allemagne, de Lombardie et de Sicile sur une seule tête, lui renouvela le serment de fidélité et le tribut, affectant de s'en remettre à sa direction; en même temps, il donnait le comté de Sora au père du pape. Les Génois le conduisirent chez eux, d'où il passa chez les alliés du pape, le margrave d'Este et les Véronais, puis, par Coire, arriva à Constance au moment où son adversaire allait y entrer, Repoussé, Otton IV se  vit abandonné. La beauté, l'élégance du jeune Frédéric firent grande impression; son affabilité, sa générosité lui gagnèrent les coeurs; sans compter, il distribuait terres et droits de l'Empire. Toute l'Allemagne du Sud l'accueillit avec enthousiasme; il conclut à Vauconleurs une alliance avec le roi de France Philippe-Auguste; une diète réunie à Francfort confirma son élection; il fut couronné à Mayence (décembre 1212). Six mois après, il réitérait à Innocent IV ses concessions sur l'étendue dés Etats de l'Eglise, l'abandon des biens de la comtesse Mathilde, la vassalité de la Sicile, promettait la liberté des élections ecclésias tiques, la reconnaissance du droit d'appel à Rome, etc. La bataille de Bouvines acheva la ruine d'Otton IV (1214); en 1215, les villes rhénanes sont acquises à Frédéric (couronné de nouveau à Aix-la-Chapelle) et son rival confiné à Brunswick; il mourut trois ans après (mai 1248). Les Welfs reconnurent alors Frédéric II (juin 1219). L'extinctien de la famille des Zaehringen mit à sa disposition des fiefs considérables. A peine fut-il maître de l'Empire que les difficultés surgirent.

Il avait dû son facile succès à la protection du pape; aussi l'avait-il comblé de promesses; par une lettre datée de Strasbourg (1er juillet 1216) il s'était engagé à émanciper son fils Henri et à lui donner la Sicile sous la suzeraineté de Saint-Pierre. C'était pour la papauté un intérêt capital, car elle ne pouvait se laisser envelopper de toutes parts par l'empereur. En outre, Frédéric II avait juré, en 1245, de se croiser pour la délivrance de la Terre sainte. Il était décidé à ajourner l'exécution de cette seconde promesse et à violer la première. Elevé en Sicile, il tenait par-dessus tout à la conserver; à ce désir, il sacrifiait tout, et, malgré son génie, il ne réussit qu'à désorganiser son Empire et à perdre sa dynastie. L'union durable de l'Allemagne féodale et de ce royaume demi-arabe était un paradoxe irréalisable et qu'un politique avisé n'eût pas poussé à bout. On n'était plus aux jours de Henri VI. Vingt années d'anarchie avaient presque effacé l'autorité impériale, et sa restauration eût suffi à absorber toute l'énergie de Frédéric II. Il fit tout le contraire, travailla de ses propres mains à dépecer son autorité impériale pour se procurer l'assistance ou la neutralité des princes dans l'entreprise qui le mit aux prises avec la papauté et l'obligea à soutenir une lutte désespérée, d'où les deux pouvoirs sortirent usés. Ce qui favorisa ses plans et l'y engagea si avant fut la mort d'Innocent III, à la place duquel fut élu le précepteur de Frédéric II, Honorius III, vieillard débonnaire qui se laissa berner par son élève. Il obtint des délais répétés pour sa croisade; il nomma son fils duc de Souabe, puis, par d'énormes concessions aux princes ecclésiastiques, obtint d'eux qu'ils l'élussent roi des Romains (avril 1220). Il déclara au pape que la chose s'était faite à son insu, et, lui remettant les biens de la comtesse Mathilde, obtint d'être
sauré et couronné à Saint-Pierre de Rome (novembre 1220) et de garder la Sicile. Il prodiguait les concessions, octroyant à l'Eglise de vastes privilèges aux dépens des libertés municipales, ce qui était d'un fin politique puisqu'il tentait de brouiller le Saint-siège avec les villes; il subordonnait l'Etat à l'Eglise. 

« Nul ne doit exiger des redevances d'uneéglise ou d'un ecclésiastique; nul ne doit citer un ecclésiastique devant un tribunal laïque, ni au civil, ni au criminel. » 
Il mettait sans réserve le bras séculier au service de l'Eglise contre les hérétiques. Comment refuser quelque chose à un prince si dévoué au Saint-siège? Mais l'Eglise accepte toutes les concessions comme chose due et ne se contente d'aucune.

La mésintelligence commença par la question de la croisade; le jour même de son couronnement impérial, Frédéric avait pris la croix; mais il ne partit pas; les croisés réunis à Damiette l'attendirent vainement six mois et, quand ils eurent essuyé un désastre irréparable, on l'attribua à l'empereur. Honorius III le menaça d'excommunication; nouvelles promesses et nouvelles concessions de Frédéric Il : l'immunité d'impôt fut donnée aux clercs; les biens ecclésiastiques furent placés sous la protection de l'État; on décida que l'excommunication entraînerait la mise au ban de l'Empire. A l'assemblée de Ferentino (mars 1223), en présence du pape, du roi et du patriarche de Jérusalem, des trois grands maîtres des ordres religieux, l'empereur fait serment de partir en juin 1225; étant veuf, il se fiance à Yolande, la fille de Jean de Brienne, héritière du royaume de Jérusalem. Il emploie ces deux années à rétablir l'ordre dans son royaume d'Apulie et de Sicile. Il fait de grands préparatifs, mais, le terme arrivé, prend texte de la tiédeur générale pour se faire accorder un nouveau délai de deux années, déclarant qu'il serait excommunié de plein droit s'il manquait à sa parole. Il célèbre son mariage avec Yolande et prend le titre de roi de Jérusalem; il espérait profiter de cette acquisition pour détourner vers la Sicile le commerce du Levant qui enrichissait les républiques maritimes. Depuis 1225, il avait pour conseiller le fameux Pierre de Vigne, qui fut l'âme de sa politique. Déjà perçait son dessein de constituer en Italie une monarchie absolue. Il l'établissait dans le Sud; il cherchait à remettre la main sur le centre en ressaisissant l'héritage de Mathilde. Les villes du Nord s'inquiétèrent et reconstituèrent pour vingt-cinq ans la ligue lombarde (mars 1226), refusant le passage à Henri, le fils de l'empereur, et rompant les relations avec ce dernier. Il les mit au ban de l'Empire, dénonça le traité de Constance (de 1183); l'évêque d'Hildesheim, plénipotentiaire du pape pour la croisade, les mit en interdit, mais le pape le leva. Il mourut alors et fut remplacé par le fougueux Grégoire IX. Celui-ci somma Frédéric Il de s'embarquer pour la Palestine. Il partit avec 4000 hommes, mais revint au bout de trois jours sous prétexte de maladie. Le pape entra en fureur et l'excommunia (29 septembre 1227), conformément à la déclaration de 1225. L'empereur envoya au roi d'Angleterre et fit lire au Capitole un manifeste où il protestait contre la tyrannie pontificale; il ordonna aux prélats de ne tenir aucun compte de l'interdit lancé contre tous les lieux où il séjournerait; il révoqua la cession de la marche d'Ancône et des biens de Mathilde; ses partisans chassèrent de Rome le pape (avril 1228). En même temps, il armait rapidement et se préparait à faire la croisade. Le pape se trouva dans cette situation délicate d'interdire aux croisés le départ sous un chef excommunié. Retardé par la mort de sa femme, Frédéric partit en juin 1228.

La croisade réussit à souhait. Frédéric se fit reconnaître à Chypre et réunit à Saint-Jean-d'Acre une armée solide. Il s'entendit aisément avec le sultan du Caire, Malek-al-Kamil, tolérant et éclairé comme lui; celui-ci lui avait, dès 1227, fait offrir la restitution de Jérusalem et des lieux saints; le pacte fut confirmé sous la forme d'une trêve de dix ans (février 1229). Mais la haine du pape avait ameuté contre l'empereur Templiers et Johannites, le patriarche de Jérusalem; ils conspirèrent la mort de Frédéric Il, que son allié le sultan prévint des trahisons concertées contre lui. Apprenant que le pape envahissait son royaume, Frédéric II se hâta de traiter; il laissait aux musulmans la mosquée d'Omar, obtint, outre Jérusalem, Bethléem et Nazareth, la côte de Jaffa à Sidon, ce qu'en cinquante ans de combats les chrétiens n'avaient pu reconquérir. Ses adversaires n'en furent que plus furieux; le patriarche mit Jérusalem et le saint-sépulcre en interdit, et l'empereur catholique dut y prendre de ses mains la couronne sur l'autel. La politique d'entente avec les princes musulmans a été amèrement reprochée à Frédéric II comme un signe d'athéisme; mais, outre qu'elle était commandée par les intérêts commerciaux et pratiquée par les républiques italiennes (L'histoire du commerce), elle était extrêmement sage. La zizanie semée par Grégoire IX, l'hostilité des Templiers et des Vénitiens (rivaux commerciaux) causa la perte définitive des chrétientés de Palestine. Vainement, en 1234, le pape ordonna aux Templiers de respecter le pacte de 1229. Alliés aux Vénitiens, ils chassèrent les impériaux, violèrent le traité avec le sultan d'Egypte. Celui-ci lança contre eux les Turcs Kharizmiens qui enlevèrent Jérusalem (1244). Jamais depuis les chrétiens ne l'ont recouvrée.

Il suffit du retour de Frédéric II pour disperser l'armée pontificale entrée dans son royaume. Grégoire IX refusa d'abord toute réconciliation, fit prêcher par les moines mendiants l'insurrection dans tout l'Empire, demandant des secours dans toute l'Europe. Partout son intolérance fut blâmée et, se sentant trop faible, il conclut la paix. Le traité de San Germano (juillet 1230) confirma les précédentes concessions de Frédéric II qui redevint le « fils très aimé » du souverain pontife. Dans les années qui suivirent cette première crise, Frédéric II développa ses grandes qualités d'organisateur. Le moment est venu d'étudier sa politique.

La souplesse de cette politique est remarquable. Dans l'Italie méridionale, Frédéric II organisa une monarchie administrative centralisée en détruisant l'autorité féodale; dans l'Italie du Nord, il tenta enrayer les progrès des villes et de relever une féodalité sur laquelle s'appuierait l'empereur-roi; en Allemagne, il octroya de tels privilèges aux princes ecclésiastiques et laïques qu'il leur concéda presque la souveraineté territoriale et chercha à organiser un système représentatif. Imbu de ses idées de domination universelle, il voulait élever la monarchie au-dessus de l'aristocratie féodale, et celle-ci au-dessus de la démocratie urbaine, sa grande ennemie, comptant sur sa politique et sur son armée pour prévaloir. Il lui fut impossible, quelques sacrifices qu'il ait consentis, de s'assurer l'appui de l'Église et de la papauté. Celle-ci prit la direction de ses ennemis et les fit triompher; en Sicile, la centralisation ne fit que préparer la domination étrangère; en Lombardie, les républiques municipales vainquirent, et ce ne fut que par une voie détournée que plus tard elles tombèrent au pouvoir de princes favorisés par Frédéric Il; en Allemagne, l'aristocratie féodale, formant des principautés territoriales, décomposa le pays et l'autorité royale s'effaça.

Dans son royaume d'Apulie et de Sicile, Frédéric II fut vraiment le précurseur des rois modernes, des organisateurs de monarchies nationales du XVe siècle. Il commença par y rétablir l'ordre; de 1221 à 1225, il dompta les barons insoumis, révisa soigneusement les droits et privilèges octroyés ou usurpés, brisant sans faiblesse toutes les résistances, construisant des forteresses garnies de soldats sûrs, et rasant les châteaux des rebelles. Il s'empara des nids des pillards sarrasins, et transplanta ceux-ci en Apulie, créant à Lucérie une colonie musulmane pratiquant librement son culte, qui lui fournit jusqu'à 20,000 guerriers dévoués, au grand scandale du pape. Il nomma grand juge Pierre de Vigne qui fut à la fois son secrétaire, son diplomate. Les insurrections fomentées par le pape (1228-1230), celles des villes de Sicile (1232), furent rigoureusement comprimées. En 1231, le roi promulgua les fameuses constitutions de Melfi, établissant la monarchie absolue.

« La féodalité est attaquée à la fois dans ses biens et dans ses privilèges. Ses terres qui ont été distraites du domaine royal y feront retour; les châteaux, les forts construits par les seigneurs depuis la mort de Guillaume II seront détruits. Soumis aux fonctionnaires royaux, les nobles ne pourront recourir au duel que dans des cas spécifiés; la mort frappera quiconque suscitera une guerre publique; le noble coupable d'homicide sera décapité, ses biens confisqués. Seules les personnes au service du roi peuvent porter les armes. Enfin, les seigneurs n'ont plus même le droit de marier leurs enfants sans l'assentiment royal. S'ils conservent dans leurs domaines la juridiction civile, ils n'ont plus de juridiction criminelle. »
Le droit des filles d'hériter des fiefs prépare la dissolution du système féodal. Aux assemblées générales du parlement du royaume sont convoqués, à côté des nobles, les délégués des villes et des campagnes. L'Eglise était soumise à l'autorité publique; les dons et ventes de terre aux églises sont interdites; les clercs furent exclus des fonctions publiques, privés de toute juridiction sur les laïques; enfin, on les replaça sous la juridiction royale et presque dans le droit commun pour les impôts. Les villes furent dépouillées de leur autonomie; des fonctionnaires royaux remplacèrent les consuls élus, mais furent assistés de conseils de notables électifs. En haut, l'administration fut savamment organisée. Le roi concentra le pouvoir législatif; une cour suprême de quatre membres, présidée par le grand justicier, siégea à Capoue, tranchant directement les causes de haute trahison et de lèse-majesté, les appels criminels et civils des petits tribunaux qu'elle surveillait. Une haute cour financière fut créée à côté. L'administration financière et civile, confiée à des camériers, fut séparée de l'administration criminelle et de la police, confiées à des justiciers. Ceux-ci furent pris en dehors de la province on ils exerçaient; la justice fut gratuite. Au-dessous étaient des baillis, agents locaux. On choisit les fonctionnaires avec grand soin, sans pouvoir toutefois empêcher des abus facilités par une certaine confusion des pouvoirs.

Frédéric Il s'efforça de développer la fortune matérielle de ses sujets; l'agriculture fut protégée, de vastes espaces défrichés, plantés de vignes; le servage aboli sur les domaines royaux où l'on créa des exploitations modèles, des plantations d'indigo, de dattiers, de coton, de canne à sucre, etc.; des colons attirés et favorisés. Les douanes intérieures furent abolies, les autres adoucies, des traités de commerce conclus avec les villes italiennes, les sultans d'Egypte, de Tunis; dans le monde musulman, les sujets de Frédéric II bénéficiaient de son prestige. Une marine fut créée, qui comptait, en 1239, 85 navires. L'armée fut formée de milices et de mercenaires allemands ou sarrasins; le royaume était divisé en cercles militaires. Le système financier, emprunté aux rois normands, était remarquable; un impôt foncier annuel (collecte) remplaça les redevances féodales et fut levé sur les clercs comme sur les laïques; une accise frappait les ventes d'objets de consommation; les revenus des domaines étaient aussi fort appréciables, ainsi que ceux des monopoles (du sel, du fer, du cuivre, de la soie grège) et des droits de port et d'exportation (sur le bétail spécialement).

Une grande partie de ces ressources alimentaient le luxe de la cour, si bien qu'en temps de guerre il fallait emprunter aux banquiers de Rome, de Pise, de Sienne, de Parme, de Crémone, à 3% par mois, ce qui grevait lourdement le trésor. Bien que le poids des impôts ait semblé lourd aux sujets de Frédéric II, le bienfait de la paix et d'un gouvernement régulier fit supporter ces défauts et ceux d'un despotisme impitoyable pour les rébellions. Il fut longtemps cité comme un modèle. L'éclat de la cour de Frédéric II surpassa tout ce qu'on avait vu en Occident depuis Charlemagne.  Il appelle des savants arabes d'Espagne, d'Afrique, aussi bien que le grand mathématicien Léonard de Pise et le philosophe Michel Scot. A Palerme se rencontraient les savants arabes, grecs, italiens, français, que le roi pouvait tous haranguer dans leur langue.

 Il n'était d'ailleurs étranger à aucune des connaissances de son temps. Il aimait et cultivait même les lettres; on a de lui quelques poésies en langue italienne, des Lettres en latin, et un traité De arte venandi cum avibus. Il groupait les troubadours autour de lui. Il connaissait les mathématiques, l'astronomie, les sciences naturelles; il  formait des ménageries, pratiquait la médecine . Il développe les études à Padoue, à Bologne, établit une université à Naples  afin de généraliser l'instruction, jette les fondements de celle de Vienne. Il protège l'école de médecine de Salerne et exige des médecins et chirurgiens le diplôme de cette école. 

« Nous pensons, dit-il, qu'il nous est profitable de donnera nos sujets le moyen de s'instruire; la science les rendra plus capables de se gouverner eux-mêmes et de gouverner l'État. » 
Il apporta de l'Orient des manuscrits précieux, fit traduire en latin les oeuvres d'Aristote, Averroès,  l'Almageste de Ptolémée et les principaux traités de Galien, favorisa l'agriculture, l'industrie et le commerce, et réforma la législation. 

Il a les moeurs des Orientaux, un harem. Très dégagé des préjugés de son temps, il fut accusé d'irréligion, de nier l'immortalité de l'âme. Grégoire IX, dans une circulaire à tous les évêques, affirme :

« Nous sommes prêt à prouver que ce roi de pestilence affirme ouvertement que le monde a été trompé par trois imposteurs : Jésus-Christ, Moïse et Mahomet, que deux d'entre eux sont morts pleins de gloire, tandis que Jésus a été suspendu à une croix. De plus, il a osé prétendre que ceux-là sont des sots qui se figurent qu'un Dieu, créateur de l'univers, a pu naître d'une vierge déclarant enfin que l'homme ne doit absolument croire que ce qui peut être démontré par la force des choses et par la raison naturelle. »
Il se peut que Frédéric II ait professé ce scepticisme railleur, mais il semble surtout que, dans ses idées sur la monarchie, où il prenait pour modèle les souverains orientaux, ait figuré celle de devenir chef religieux comme politique. Il se pose en réformateur de l'Eglise :
« Assistez-nous contre ces superbes prélats, afin que nous affermissions l'Eglise notre mère en lui donnant des guides plus dignes de la diriger, et que nous puissions, comme c'est notre devoir, la réformer pour son bien et à la gloire de Dieu. »
Il veut la ramener à la simplicité primitive et s'appuie sur les disciples de Joachim de Flore, qui avait, en Calabre, prêché l'Evangile éternel et annoncé l'avènement de l'Esprit saint, succédant au Fils, comme celui-ci au Père. Il écrit à l'empereur grec :
« Heureuse l'Asie, heureuses les puissances de l'Orient qui n'ont à re- . douter ni les armes de leurs sujets, ni les intrigues de leurs pontifes. » 
Ses dévoués écrivent : 
« Dieu a pour coopérateur et pour vicaire établi sur la terre l'empereur de Rome, souverain de nom et de fait, dont l'esprit divin est entre les mains de Dieu, qui le tourne où il veut. » 
Pierre de Vigne devient l'apôtre d'une religion nouvelle : 
« Pierre sur la pierre duquel est fondée l'Eglise impériale, Pierre en qui repose l'âme d'Auguste, quand il fait la Cène avec ses disciples. »
On prédit la déchéance de la papauté et de Rome. On n'en vint là que dans l'exaltation de la lutte Suprême contre le Saint-siège, mais pour qui sait combien les hommes du Moyen âge étaient captifs de la foi catholique, ces velléités du roi de Sicile témoignent d'une indépendance d'esprit unique. On comprend le fanatisme avec lequel il fut poursuivi. Ce qui est plus curieux, c'est que, moitié pour gagner l'Eglise et éviter le reproche d'hérésie, moitié par autoritarisme, il écrit avec férocité contré les hérétiques, renouvelant à plusieurs reprises les édits. La persécution fut aussi dure en Italie et en Allemagne que dans le Languedoc : l'édit de Ravenne (1232) est particulièrement sévère; il livre l'Allemagne aux inquisiteurs dominicains; peine de mort pour les hérétiques, prison perpétuelle pour ceux qui se repentiront. Leurs en fants, ceux de ceux qui les auront défendus ou leur auront donné asile seront privés de bénéfices temporels et exclus des offices publics jusqu'à la deuxième génération, à moins qu'ils n'aient dénoncé leurs parents. On partage les biens des victimes entre l'évêque et le roi. Aucune procédure légale n'est observée; pendant dix-neuf ans le franciscain Conrad de Marbourg (assassiné en 1233) prêcha et brûla à travers toute l'Allemagne. Le peuple des Stedinges, aux bouches du Weser, refusait de payer la dîme; il fut condamné comme hérétique (1219); une croisade fut prêchée; 40,000 hommes envahirent le pays et les Stedinges qui ne purent s'enfuir en Frise furent exterminés (1234). Les sénateurs et préfets urbains durent à leur entrée en fonctions jurer d'exécuter les décisions de l'Inquisition. En Italie comme en Allemagne les hérétiques sont brûlés. Bien des fois cette terrible accusation servit à se débarrasser de bourgeois indociles. Le roi libre penseur fut donc le défenseur le plus authentique de l'orthodoxie. Rien ne montre mieux les difficultés de sa situation et la complexité de sa psychologie.

Sa première préoccupation fut de s'assurer dans son royaume de Sicile une base solide, avec une armée permanente et un trésor bien garni, mais il n'oublia pas l'Empire rêvant d'étendre son pouvoir absolu de la Baltique à la Méditerranée. Il comptait pour cela sur l'alliance du pape, indispensable pour abaisser les républiques lombardes. Celles-ci lui résistèrent ouvertement, empêchant la tenue de ses congrès de tout l'Empire, convoqués à Crémone (1226), à Ravenne (1231). Elles ne voulaient nullement en revenir à l'état de choses de 1183 et restituer les droits impériaux usurpés depuis. La guerre éclata en 1232; mais Frédéric II ne trouva pas en Allemagne l'appui sur lequel il comptait. Il dut se contenter d'opposer aux villes le terrible Ezzelino da Romano (1231) et accepter l'arbitrage du pape (1233). Celui-ci fut bientôt menacé à son tour par l'esprit républicain, comme l'empereur sur le Pô et les évêques sur le Rhin, lui fit observer Frédéric II; chassé de Rome (1234) et menacé de voir le patrimoine de Saint-Pierre s'organiser en Etat libre sur le modèle du Milanais, Grégoire IX invoqua l'aide de Frédéric II qui dompta les Romains et ramena le pape (1235). L'alliance semblait consolidée entre les deux chefs de la chrétienté. L'empereur en profita pour rétablir son autorité en Allemagne.

Il l'avait quittée aussitôt après son triomphe définitif, et fort négligée. Nous avons déjà signalé les vastes concessions accordées à la féodalité ecclésiastique pour obtenir l'élection de son fils Henri : extension des juridictions, droit de péage, de monnayage, mise au ban de l'Empire, liée à l'excommunication. A la féodalité laïque furent faites des concessions non moins graves; les droits des princes vis-à-vis des chevaliers et des seigneurs furent étendus ou plutôt les extensions usurpées furent consacrées, de sorte que la féodalité inférieure fut soustraite à l'action du pouvoir central, chaque prince devenant entièrement maître sur son territoire; l'autorité royale s'évanouit. Les constitutions de Worms (1231) qu'il approuva sont plus précises encore : 

« Chaque prince jouira sans trouble, selon la coutume du pays, des libertés, juridictions, comtés, centenies, qui lui appartiennent on propre, ou lui ont été inféodées. Les comtes de centenies les tiendront du seigneur de la terre. » 
Cette expression de seigneur de la terre ou du territoire est caractéristique; la haute féodalité acquiert la souveraineté territoriale (V. Saint-Empire et Allemagne). Frédéric II fut poussé dans cette voie pour réagir contre son fils Henri qui cherchait à s'appuyer sur les villes afin de mater les princes.

En quittant l'Allemagne, Frédéric II avait confié la tutelle de son fils et l'administration à l'archevêque Engelbert de Cologne, aux évêques Otton de Wurtzbourg et Conrad de Spire. Le premier resta bientôt seul et gouverna bien, mais il fut assassiné en 1225 par son neveu, victime de la haine des nobles dont il refrénait les brigandages. Le grand événement de ces années fut la défaite du roi Waldemar du Danemark qui avait hérité dans la Nordalbingie et sur la Baltique de la prépondérance de Henri le Lion, et dont les défaites de Moelln et de Bornhoevede (1227) brisèrent la puissance; l'année suivante l'Ordre teutonique s'établissait sur la Baltique qui décidément allait devenir une mer allemande.

La mort d'Engelbert livra le jeune Henri à l'influence des princes; il fut incapable de maintenir l'ordre, et les guerres privées désolèrent les Pays-Bas, l'Alsace, la Saxe. Henri se promenait avec ses maîtresses, ses compagnons de chasses et ses minnessaenger sans souci des intérêts généraux. Impatient de la surveillance de son père, il voulait gouverner en son nom, à sa fantaisie. Son père s'appuyait sur les évêques; il prit contre eux le parti des villes, qui partout s'efforçaient de s'affranchir, autorisa Mayence, Francfort, Bingen, Spire, Worms, Gelnhausen, Friedberg à former une ligne, bientôt dissoute, il est vrai. Trop faible pour contenir l'aristocrate, il la vit rédiger le fameux statut de Worms; nous avons cité le second. Le premier était dirigé contre les villes :

« Les citoyens dénommés Pfahlburger (c.-à-d. ceux qui jouissaient des droits et libertés d'une ville sans y habiter) sont privés de leurs droits. Les hommes des princes, des nobles, des églises, les ministériels ne seront plus reçus dans les villes royales. Les domaines et fiefs que des villes ont occupé seront restitués aux princes, aux nobles, à leurs gens (ministériels), aux églises. Les villes n'exerceront plus de juridiction dé- passant leur enceinte. Le roi n'élèvera plus aucun nouveau château, ni aucune ville au préjudice des princes. Il ne fera plus frapper sur le territoire d'un prince une monnaie nouvelle qui ferait tort à celle du prince. Tout évêque et prince d'Empire peut et doit, soit dans l'intérêt de l'Empire, soit dans le sien, fortifier la cité par des fossés, murs, et tous autres moyens. » 
Un troisième statut également important prépare le régime représentatif, remède contre l'anarchie féodale, en décidant que les princes d'un territoire ne pourront y faire des lois ni des règlements sans l'assentiment des nobles et des notables du pays. Les décisions de la diète de Worms furent soumises à l'empereur qui convoqua un grand congrès à Ravenne; les princes allemands y vinrent, mais son fils prétexta de l'hostilité des Lombards pour s'abstenir (1232). Frédéric II sanctionna les statuts de Worms et lança contre les villes un édit qui abolissait toutes leurs libertés, annulant et cassant toutes les communes, conseils, magistrats élus, les confraternités et associations d'artisans, rendant exclusivement aux évêques et à leurs officiers l'administration des villes. L'indépendance municipale lui apparaissait le grand ennemi; mais le radicalisme de l'édit, certainement inapplicable, à fait douter de la sincérité de l'empereur; il voulait surtout diviser pour régner.

Il obligea son fils à le venir trouver à Aquilée et l'admonesta sévèrement. Il n'obéit pas davantage et reprit son plan de détacher l'Allemagne de l'Italie, malgré la menace d'excommunication du pape. Il y fut encouragé par une grande partie des amis les plus dévoués de la maison de Hohenstaufen irrités de voir l'Allemagne délaissée par Frédéric II. Il s'allia à la ligue lombarde (décembre 1234), négocia avec le roi de France. En 1235, la guerre civile fut déchet-née. Au manifeste de son fils, le père répliqua; les villes et la plupart des mécontents restèrent neutres. L'empereur vint avec son fils Conrad, son dévoué Hermann de Salza, grand maître de l'Ordre teutonique, et de grosses sommes d'argent. Tout le monde accourut à sa rencontre, Henri, délaissé, vint se jeter à ses pieds à la diète de Worms; une tentative de fuite acheva sa perte. Il fut interné à Heidelberg, puis en Italie on il mourut le 12 février 1242. Sa couronne fut transférée à Conrad. Frédéric Il célébra solennellement à Worms son mariage avec Isabelle, soeur du roi d'Angleterre Henri III; 4 rois, 11 ducs, 30 comtes ou margraves assistaient à cette fête qui rappela la grande diète de Mayence de 1184. Une diète convoquée à Mayence réunit 75 princes et 12,000 chevaliers. Réconcilié avec les Welfs, il reçut la soumission d'Otton de Lunebourg à qui il constitua un duché de Brunswick. L'éclat de ces assemblées et de ces fêtes témoignait de la puissance de Frédéric II. Il était alors à l'apogée.

Il semble avoir voulu commencer la réorganisation de l'Allemagne. Sans toucher aux droits des princes, il prohibe les guerres privées, les obstacles mis à la circulation, limite les constructions de châteaux. Il règle l'institution de la haute cour royale présidée par un justicier qui dut siéger tous les jours; la jurisprudence impériale s'ajouterait comme source du droit aux coutumes régionales. Les libertés municipales furent de nouveau limitées, moins toutefois que par l'édit de Ravenne. D'ailleurs, Frédéric II faisait sentir le maître. donna un effet rétroactif à l'édit interdisant aux princes ecclésiastiques d'aliéner les droits qu'ils tenaient de l'Empire : nombre de châteaux furent rasés; les brigands seigneuriaux châtiés avec une inflexible sévérité. La paix est rétablie et la civilisation allemande brille d'un vif éclat. 

Alors est rédigé le Sachsenspiegel; la littérature se développe sous l'influence française; poèmes et poésies populaires fleurissent : l'architecture française, plus tard appelée gothique, est introduite. Enfin, il ne faut pas oublier que le règne de Frédéric II fut, autant que celui de son aïeul, le moment de la grande expansion vers l'Est : le Brandebourg s'étend jusqu'à l'Oder, les chevaliers Teutoniques conquièrent la Prusse, annexent les Porte-glaive; les Scandinaves ont été refoulés des rivages méridionaux de la Baltique. Dans tous ces faits le grand conseiller du roi, Hermann de Salza, joue un rôle actif. Après avoir réglé les affaires d'Allemagne, en s'appuyant de préférence sur la féodalité ecclésiastique qu'il pensait avoir sous sa main puisqu'elle n'était pas héréditaire. Frédéric II eût pu y devenir un empereur sur le modèle de son aïeul Frédéric Barberousse, mais il fut appelé en Italie. Avant de partir il fit élire et couronner roi son fils Conrad, selon la tradition suivie, pour essayer d'établir l'hérédité (1237).

Il réunit alors son armée à Augsbourg, dans la plaine du Lech, selon l'usage des empereurs allemands, et descendit en Lombardie. Ezzelino et ses lieutenants lui avaient préparé la voie en soumettant la marche de Vérone. Azzo d'Este s'était prononcé pour lui, Salinguerra lui donnait Ferrare. Il somma les villes lombardes de dissoudre leur ligue, et avec son armée, où les Sarrasins côtoyaient les gibelins de la Haute-Italie et les chevaliers allemands, il détruisit celle des villes à Cortenuova (novembre 1237). Le carroccio fut pris avec 500 chevaliers et 3000 bourgeois milanais. Les petites villes ouvrirent leurs portes et reçurent des podestats. Gênes et Florence députèrent à l'empereur; seules Milan, Brescia, Bologne, Plaisance, Alexandrie résistaient encore, mais elles proposaient de dissoudre la ligue si Frédéric II voulait leur garantir la libre élection de leurs magistrats. Ses exigences excessives les déterminèrent à des efforts désespérés. La seconde campagne rassura les guelfes. Brescia défia tous les efforts de l'empereur et, quand il eut levé le siège, ses adversaires relevèrent la tête. Le pape Grégoire IX entra en scène.

Le Saint-siège ne pouvait laisser se constituer un royaume d'Italie homogène; quels qu'aient été les prétextes, l'objet de la lutte décisive qui s'engagea alors fut la domination de l'Italie. Grégoire IX ne pouvait laisser écraser les Lombards. En 1236, il le déclarait à l'empereur. Il lui rappelait la donation de Constantin qui avait donné au souverain pontife toutes les provinces occidentales de l'Empire; les papes ont conféré à des princes la dignité impériale et la puissance du glaive, mais sans diminuer en rien la substance de leur juridiction; le fier vieillard spécifie : 

« Tu es donc soumis au contrôle du pape. » 
Frédéric II renonce aux ménagements; le concilant Hermann de Salza se meurt. L'empereur fait épouser à son bâtard Enzio, Adelasia, l'héritière des seigneurs sardes de Torre et Gallura et lui fait prendre le titre de roi de Sardaigne; or le pape se regardait comme suzerain de la Corse et de la Sardaigne, à titre d'héritier de la comtesse Mathilde; Pisans et Génois l'admettaient, lui pavant tribut pour les principautés insulaires. Le 20 mars 1239, Grégoire IX lance l'excommunication contre Frédéric II. L'empereur proteste par un manifeste auquel le pape réplique en langage apocalyptique. Le premier faisait valoir que sa cause était celle de tous les rois et en appelait à un concile général. Le second porte contre lui les pires accusations; il les fait répandre par les moines, les franciscains qui dans leur tiers ordre enrôlent la démocratie urbaine et la soulèvent contre l'impie. Sous ces phrases, ce qui est en jeu ce sont moins les prétentions de l'Empire et de l'Eglise que la prépotence en Italie. Innocent III a constitué avec l'aide de Frédéric Il un Etat pontifical qui fournit au Saint-siège une base territoriale; c'est à titre de prince italien que le pape s'acharne contre l'empereur roi de Sicile. Il veut pour lui la domination de l'Italie, comme suzerain effectif du Sud, maître du centre, protecteur et arbitre des municipalités du Nord. Pour fonder sa domination universelle, il faut que la papauté soit maîtresse de la péninsule, à l'abri d'un coup de main, de toute pression des seigneurs temporels. Elle redoute beaucoup plus l'indifférentisme religieux du protecteur des musulmans que le mysticisme qui entraîne vers l'hérésie les citadins des communes toscanes et lombardes. Le droit était incontestablement du côté de l'empereur, mais en se portant champion de la féodalité et de la monarchie contre les communes qui voulaient s'administrer elles-mêmes, il commit une erreur tragique qui assura la victoire de son antagoniste. Celui-ci, se posant en protecteur des libertés urbaines et de la bourgeoisie, mit de son côté les forces nationales.

Il s'agissait d'une guerre à mort. Grégoire IX essaya de soulever l'Allemagne; le duc d'Autriche, Frédéric, le Belliqueux, se mit en campagne; le roi de Bohème, Otton, duc de Bavière et comte palatin du Rhin se laissèrent gagner par le légat pontifical. L'archevêque de Mayence, administrateur de l'Allemagne, et presque tous les évêques restèrent fidèles à l'empereur; ses adversaires rentrèrent bientôt dans le devoir. Dans l'Italie septentrionale, Azzo d'Este abandonna la cause impériale dont Ezzelino da Romano devint le rempart. La lutte prit un caractère de violence atroce dans toute la péninsule. D'un côté, Milan, Bologne, Azzo d'Este, Albéric de Romano, Ravenne, les villes toscanes et ombriennes; de l'autre, Ezzelino, le Montferrat, Mantoue, Parme, Modène, Crémone, Ferrare, Pise. Le principal lieutenant de Frédéric fut son fils Enzio. Lui-même déploya une grande habileté; par la terreur, il comprima toute velléité d'insurrection. Apulie et Sicile expulsent les moines franciscains et dominicains. En 1240, il soumit l'Italie centrale; la perte de Ferrare fut compensée par la prise de Faenza. Le pape a convoqué un concile à Rome pour condamner solennellement son ennemi; les prélats se réunissent à Gênes et s'embarquent; ils sont attaqués près de I'île de la Meloria par la flotte italienne et pisane d'Enzio qui capture 22 de leurs 27 navires (3 mai 1241); 2000 hommes sont noyés, le reste pris, 3 légats pontificaux, une centaine de prélats, cardinaux, archevêques, évêques, abbés, envoyés des villes lombardes, 4000 citoyens de Gênes. Ils sont internés à Melfi. Le pape ne plie pas, mais la fièvre l'emporte (août 1241).

Frédéric II semblait vainqueur. Pendant dix-neuf mois la papauté reste vacante, après la mort du conciliant Célestin IV qu'on n'avait pas eu le temps de consacrer. Les guelfes, à leur tête le sénateur Matheus Rubens et les Orsini, tinrent bon dans Rome; les Colonna gibelins en furent chassés. Frédéric ravageait la campagne, mais ne put achever ses ennemis. Il fallut l'intervention de saint Louis qui avait déjà fait relâcher les prélats français, pour mettre fin à la vacance du Saint-siège. Les cardinaux réunis à Anagni élurent le cardinal Sinibaldi Fieschi, ami de l'empereur (juin 1243). Mais un pape ne pouvait être gibelin. Les négociations entamées à Anagni avec le nouveau élu qui prit le nom d'Innocent IV, n'aboutirent pas, bien que Frédéric offrît de tenir en fief de la papauté les territoires qu'il venait de reprendre. Viterbe passa aux guelfes, et l'empereur l'assiégea vainement. Cet échec rendit courage à Innocent IV. Mais il s'arrangea pour donner le rôle d'agresseur à Frédéric II. Les plénipotentiaires de celui-ci, le comte Raymond de Toulouse, Pierre de Vigne et Thaddée de Suessa jetèrent les bases d'un traité : l'empereur restituerait à l'Eglise et à ses adhérents ses conquêtes, relâcherait et indemniserait les prélats, reconnaîtrait la toutepuissance du pape, délierait de leur vassalité les nobles de Romagne et de la marche de Vérone. A la surprise générale, Frédéric accepta. Mais Innocent IV n'avait voulu que gagner du temps; il refusa de lever l'excommunication si on ne comprenait dans l'accord tous les alliés, c.-à.-d. les Lombards en abandonnant toutes les prétentions impériales. Tout fut donc rompu. Innocent IV s'enfuit à Gênes après avoir créé dix nouveaux cardinaux dont il se jugeait sûr. Il se donnait l'air d'un martyr fuyant le tyran qui voulait lui faire violence. Il se rendit à Lyon, aux frontières de la France, renouvela l'excommunication contre l'empereur et Enzio (avril 1245) et y convoqua un concile général qui statuerait à l'abri de la pression de Frédéric II. Il y vint 140 évêques dont seulement 5 Allemands; Thaddée de Suessa plaida le cause de son maître, offrit comme garants les rois de France et d'Angleterre. Le pape refusa, ne consentit qu'un délai insignifiant pour la comparution. Frédéric était venu à Turin. Il y apprit que le pape avait prononcé sa déposition pour parjure, hérésie et sortilège, invitant les princes allemands à élire un nouvel empereur et reprenant le royaume de Sicile comme fief de Saint-Pierre. L'empereur se fit apporter ses couronnes, en mit une sur sa tête et d'une voix menaçante :

« J'ai encore mes couronnes et ni pape ni concile ne me les enlèveront sans combat. »
La lutte s'engage à fond; Frédéric s'adresse aux rois, le pape expédie un contre-manifeste. Saint Louis fait de vains efforts pour amener le pape à une transaction. Tandis qu'il prépare sa croisade, Innocent IV en prêche une contre l'empereur. Celui-ci prend l'offensive; la moitié des villes italiennes sont pour lui; il bat les Milanais; Ezzelino terrorise la vallée de l'Adige et le Frioul. Partout les émissaires du pape fomentent la trahison; achetant quiconque est à vendre; ils sont écrasés en Ombrie; les prisonniers sont mutilés, jetés dans des cachots d'où ils ne sortirent plus vivants. En Allemagne, les princes auxquels l'empereur a tant donné lui sont peu fidèles; même son chancelier, l'évêque de Ratisbonne, fait défection; les trois archevêques rhénans, une foule de seigneurs élisent à Wurtzbourg le landgrave de Thuringe, Henri Raspo (22 mai 1246). Trahi par les comtes de Wurttemberg sur le champ de bataille, Conrad est vaincu près de Francfort. Le roi de Bohème veut profiter de la mort du duc d'Autriche, le dernier des Babenberg, pour s'étendre sur le Danube avec l'aide du pape. 

Abandonné par les princes ecclésiastiques, Conrad et son père se retournent du côté des villes, jadis combattues. Ils leur accordent de grands privilèges et presque toutes tiennent pour les Hohenstaufen. C'est ainsi que par un bizarre revirement Frédéric II devient le promoteur des libertés communales en Allemagne. On a pu écrire que le progrès des communes avait été le résultat le plus important de son gouvernement au Nord des Alpes. A Ratisbonne, les habitants, mis en interdit, se passent du clergé, enterrent eux-mêmes leurs morts au son des trompettes. Toute l'Allemagne est en feu; le grand interrègne a commencé. Henri Raspo échoue devant Ulm et va mourir à la Wartburg. Mais, en Italie, Frédéric a le dessous, Parme est prise par les pontificaux (juin 1247). Il veut l'assiéger, bâtit à côté une ville nouvelle, Vittoria. Tout l'effort de la lutte se concentre devant Parme; Vittoria est brûlée, Thaddée de Suessa tué, la couronne impériale, le sceau, le trésor tombent aux pouvoirs des assiégés (18 février 1248). Ce désastre eut un immense retentissement. La guerre continue de ville à ville, de principauté à principauté. Nul n'est assez fort pour lui donner une direction. Un nouvel anticésar a été élu par les prélats rhénans, le jeune Guillaume de Hollande (septembre 1247), couronné à Aix-la-Chapelle en octobre 1248, On se bat d'un bout à l'autre de l'Allemagne.

En 1249, Frédéric II a décidément le dessous; menacé par des empoisonneurs et des assassins, il devient soupçonneux, croit voir partout des traîtres, accuse Pierre de Vigne et le fait supplicier (mars 1249). Deux mois après, son fils chéri, le bel Enzio, est pris à Fossalta par les Bolonais; ni menaces ni promesses ne purent obtenir sa liberté; Modène est perdue. En 1250, les impériaux ont un retour de fortune; Ezzelino est maître de presque toute la Vénétie; la Romagne est acquise; Milanais, Parmesans, Génois, sont défaits. L'Italie méridionale, restée fidèle à son roi, lui fournit une forte armée, à la tête de laquelle il marchait sur Rome quand la dysenterie l'arrêta; il y succomba dans les bras de son fils Manfred, vêtu de la robe d'un moine de Cîteaux, après que l'archevêque de Palerme lui eut donné l'absolution. Il avait eu le temps de rédiger son testament; il laissait l'Allemagne et l'Italie à Conrad, le fils de Yolande (ou Isabelle), à son défaut à Henri, puis à Manfred qu'il avait légitimé en épousant sa mère Bianca à son lit de mort. Henri devait être roi d'Arles et de Jérusalem; Manfred, prince de Tarente, et son petit-fils Frédéric; le fils du premier Henri, recevoir les duchés d'Autriche et de Styrie, héritage de sa mère. A chacun seraient comptées 10,000 onces d'or; 100,000 seraient dépensées pour le salut de l'âme de Frédéric II et la défense de la Terre sainte. Les prisonniers devaient être relaxés, sauf les traîtres; les impôts réduits en Sicile à ce qu'ils étaient au temps de Guillaume II, l'Eglise rétablie dans ses droits et honneurs, mais à la condition de reconnaître ceux de l'Empire. Lui-même devait être enseveli dans la cathédrale de Palerme auprès de son père et de sa mère. Ainsi fut fait.

Le dernier des grands empereurs d'Allemagne, Frédéric II, laissa dans la mémoire des hommes un impérissable souvenir. On ne put croire qu'il fût définitivement disparu. Les franciscains disaient qu'il était l'antéchrist et reviendrait combattre l'Eglise. Des dominicains joachimites, au contraire, prêchèrent en Souabe qu'Innocent IV était l'antéchrist, que Frédéric serait le réformateur de l'Eglise. Quand il fut mort, ils prédirent sa résurrection. En 1259, un faux Frédéric se manifesta dans la Pouille; Manfred le fit périr. En 1283, un autre parut à Cologne; Rodolphe de Habsbourg le fit brûler (1285), mais il s'en montra un autre à Lübeck, toujours accueilli avec la même faveur par le peuple. En 1348 encore beaucoup attendent son imminente apparition à la tête d'une formidable armée. Le dernier faux Frédéric fut, en 1546, un tailleur de Langensalzen. Le fantôme impérial hantait l'imagination populaire. A partir du XVIe siècle, on confond dans la légende Frédéric II avec Frédéric Barberousse. On racontait qu'il était au delà des mers ou dans une grotte, sous les ruines d'un château, au centre d'une épaisse forêt, assis devant une table dont sa barbe a fait sept fois le tour. Il se réveillera pour chasser les corbeaux qui croassent autour de la montagne, ces nobles pillards contre lesquels l'Empire avait été la sauvegarde, et ramener l'âge d'or en Allemagne. (GE).

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