| Henri V, le Jeune est un empereur d'Allemagne (1106-1125), né en 1081, mort à Nimègue le 23 mai 1125. Fils de Henri IV et de Berthe, il fut substitué à son frère aîné Conrad pour la succession au Saint-Empire, élu roi en 1098. Il s'insurgea contre son père, dont la mort le laissa maître de l'Empire. L'intrigant perfide et sans foi qui avait consommé la ruine de son père n'avait pas la bienveillance et la générosité que celui-ci conserva dans les pires orages, mais il le surpassait en esprit politique. Il se retrouvait aux prises avec les mêmes difficultés; la querelle des investitures n'était pas terminée. Henri V, qui s'était servi du pape pour s'emparer du pouvoir, ne tarda pas à se brouiller avec lui. Au premier moment, la mort de l'empereur excommunié parut à la faction pontificale assurer son triomphe. Le concile de Guastalla (octobre 1106) décida d'exhumer le cadavre de l'antipape Clément III pour le jeter à la mer et de détacher de la province ecclésiastique de Ravenne, la rivale détestée de Rome, cinq évêchés. L'interdiction de l'investiture laïque fut réitérée. Cependant, lorsque Henri V invita Pascal II à venir présider un concile en Allemagne, le pape n'osa se mettre aux mains de ce redoutable allié; il convoqua le concile en France, à ChâIons. L'empereur avait sans façons pourvu à tous les évêchés et abbayes vacants; il députa à Châlons Welf de Bavière et l'archevêque de Trèves Bruno, qui, se fondant sur un diplôme apocryphe d'Adrien ler, réclamèrent pour leur maître le pouvoir d'établir les évêques « autrefois accordé à Charlemagne »; ils exposaient que seule l'investiture royale pouvait mettre le prince ecclésiastique en possession des droits temporels. Sur le refus du pape, ils s'écrièrent : « Ce n'est pas ici, c'est à Rome que la question sera tranchée par le glaive ». Pascal II fit renouveler par un concile tenu à Troyes la prohibition aux laïques d'investir par la crosse et l'anneau (mai 1107). Henri V commença par s'affermir dans ses Etats; il avait châtié les amis de son père, Henri de Limbourg et les bourgeois de Cologne; il traita avec le comte de Flandre, puis se tourna vers la frontière orientale. Il fit deux campagnes contre les Magyars et les Polonais; mais l'honneur en revint surtout à son allié, le duc de Bohème Svatopluk, dont la mort livra le pays à l'anarchie (1109). Après les fêtes de ses fiançailles avec Mathilde, fille du roi d'Angleterre Henri ler (1110), il se dirigea vers l'Italie, avec une armée de 30,000 hommes et bien « muni d'hommes lettrés prêts à donner des raisons à quiconque en demanderait ». Il établit son camp dans la plaine de Roncalia, près de Plaisance; la noblesse et les villes de la Lombardie; sauf Milan, vinrent apporter leurs hommages auxquels se joignirent ceux de la comtesse Mathilde. Il franchit l'Apennin et d'Arezzo dépêcha ses envoyés à Rome. Le pape posait pour condition préliminaire du couronnement que l'empereur ratifiât, sa décision sur l'investiture. Les ambassadeurs refusèrent, faisant ressortir l'impossibilité pour leur souverain d'abandonner les fiefs, dignités, droits régaliens conférés aux évêques établis qui, dans leur administration, étaient ses fonctionnaires et ses vassaux. Mis au pied du mur, Pascal II répondit que l'ÉgIise était prête à renoncer à tous les biens et privilèges féodaux, duchés, marquisats, comtés, avoueries, monnayages, marchés, octrois et autres droits régaliens; les clercs se contenteraient de la dîme. Cet abandon du pouvoir temporel était une solution radicale qui permettait d'assurer la liberté des élections ecclésiastiques et la suppression de l'investiture par les souverains laïques. A ce prix, Henri V ne s'y opposa pas. Le pacte fut conclu en ces termes à Sutri, sous réserve de l'approbation des princes et évêques. Le 12 février 1111, on procéda, dans l'église Saint-Pierre, à la cérémonie du couronnement impérial. Mais lorsque le pape lut les clauses du traité, il s'éleva des protestations telles qu'on ne put le jurer et le promulguer. Pascal II refusa de couronner l'empereur. Celui-ci s'empara alors de sa personne et de celle des cardinaux. Les Romains essayèrent de les délivrer, niais furent repoussés. Henri V emmena le pape et seize cardinaux, les traînant à sa suite, tandis qu'il dévastait le patrimoine de Saint-Pierre. Les Normands, désemparés par la mort de Roger, la comtesse Mathilde, vieillie et lasse, ne bougèrent pas. Pascal II finit par céder. Il admit que le roi conférerait dans son royaume l'investiture par la crosse et l'anneau aux évêques établis élus librement et sans simonie; l'évêque leur donnerait ensuite la consécration canonique; le candidat, élu par le clergé et le peuple, ne serait consacré qu'après avoir reçu l'investiture royale. Le 13 avril 1111, le pape donna à Henri V la couronne impériale et les insignes du patriciat, mais sans qu'il pût entrer dans la ville. Aussitôt qu'il fut parti, le pape changea d'attitude. Son entourage ne voulait pas accepter l'abandon des théories de Grégoire VII et d'Urbain II. Au synode de Latran (mars 1112), il déclara embrasser leurs décrets, louer ce qu'ils avaient loué, condamner ce qu'ils avaient condamné. L'assemblée annula le privilège arraché à Pascal par la violence de Henri. Le pape laissa faire. D'autres étaient plus zélés : l'archevêque Guy de Vienne lança l'anathème contre Henri V et somma Pascal II de confirmer cette décision. L'empereur grec Alexis Comnène offrit son appui. La lutte recommençait. Les Saxons se soulevèrent, à leur tête le nouveau duc Lothaire; l'archevêque de Mayence, créature de l'empereur, les imite. Henri V l'emprisonne, défait les insurgés à Warnstaedt (1113), célèbre pompeusement son mariage avec Mathilde d'Angleterre (1114); les seigneurs de la Basse-Lorraine, l'archevêque et le peuple de Cologne, le duc et les prélats saxons reprennent les avines, sont vainqueurs à Welfsholze (1115). Le légat pontifical publie partout l'excommunication; les bourgeois de Mayence assiègent l'empereur dans son palais et l'obligent à relaxer l'archevêque Adalbert. Heureusement, la fidélité de Welf et des Hohenstaufen conserve le Sud de l'Allemagne. En Italie, la comtesse Mathilde meurt, léguant ses biens au Saint-siège (1115). Cette donation, faite à Grégoire VII, renouvelée en 1102, ne pouvait en aucun cas s'appliquer qu'aux alleux, non aux fiefs, mais la distinction était malaisée à faire. Si les papes eussent pu prendre possession de l'héritage entier, ils se fussent trouvés maîtres de toute l'Italie centrale, du Pô au Garigliano. Henri V jugea sa présence indispensable dans la péninsule. Il remit l'administration de l'Allemagne aux deux frères Conrad et Frédéric de Hohenstaufen et se rendit à Venise. Pascal, sans l'excommunier, avait une fois encore condamné le privilège extorqué en 1111, lancé l'anathème contre ceux qui le tiendraient pour valable; il demandait qu'on s'en remit aux décisions d'un concile (1116). Une révolte chassa le pape de Rome; l'empereur y fut accueilli avec joie et y fit couronner sa femme (1117); il ne put gagner le haut clergé et, dès son départ, Pascal Il rentra au palais de Latran. Les cardinaux élurent Jean de Gaète, qui prit le nom de Gélase II; la noblesse romaine était acquise à Henri V; Censio Frangipani maltraita et emprisonna le nouveau pape et le conclave, mais le peuple les délivra. Henri V revint alors à Rome (1118), et sur l'avis de ses légistes (dont Irnerius de Bologne), qui déclaraient son concours et assentiment indispensable à l'élection pontificale, choisit pour pape l'archevêque de Braga, l'antipape' Bourdin (Grégoire VIII). Gélase II excommunia l'antipape et l'empereur, au concile de Capoue, puis revint dans un faubourg de Rome; traqué par Frangipani, il s'embarqua pour Pise, passa en France et s'en alla mourir à Cluny. Les cardinaux élurent alors l'archevêque Gui de Vienne, l'acharné adversaire de Henri V, qui prit le nom de Calixte 11 (1119). Il lui était réservé de terminer cette fameuse « querelle des investitures ». Aucun des partis ne pouvait venir à bout de l'autre ; on inclinait à un compromis; c'était l'avis des théologiens français qui déclaraient formellement que l'investiture laïque par la crosse et l'anneau n'était pas contraire à la doctrine de l'ÉgIise; on songeait à un départ entre les attributions temporelles et spirituelles. L'accord ne put s'établir tout de suite. Au concile de Reims, où se trouvèrent 45 archevêques et plus de 200 évêques, Henri V avait refusé de venir; il y fut solennellement excommunié. Mais la lassitude était générale. L'Allemagne avait été désolée par la guerre civile, la vallée du Rhin mise à feu et à sang le vaillant archevêque de Mayence ne put galvaniser les passions; quand les armées furent en présence, au lieu de se battre, elles convinrent de résoudre le différend pacifiquement. Grégoire VIII était tombé aux mains de ses ennemis et mort misérablement; Calixte, rentré à Rome, s'y était consolidé (1124). La diète de Wurzbourg arrêta les termes d'une transaction (septembre 1121). Le pape l'accepta, adressant à l'empereur une lettre de réconciliation. Son légat, Lambert d'Ostie, vint à l'assemblée de Worms où ce concordat fut solennellement promulgué (septembre 1122). Voici les termes de cet acte mémorable : « Moi, Henri, j'abandonne à Dieu, à ses saints apôtres Pierre et Paul, et à la sainte Eglise catholique, toute investiture par la crosse et l'anneau; je concède que, dans toutes les Eglises de mon royaume et de l'Empire, on procédera par élection conforme aux canons, et la consécration sera libre. Quant aux domaines et aux droits régaliens de Saint-Pierre qui ont été enlevés, depuis l'origine de cette querelle, du temps de mon père et du mien, je restitue ceux que je détiens et j'aiderai le pape à se faire restituer les autres. En toute occasion, je serai fidèle allié de l'Eglise romaine. — Moi, Calixte, j'accorde que les élections des évêques et des abbés, qui dépendent du royaume de Germanie, aient lieu en ta présence, sans simonie et sans violence, afin que si quelque dissentiment s'élève, d'après le conseil et l'avis du métropolitain et de ses suffragants, tu accordes ton approbation au candidat le plus digne. Que l'élu reçoive de toi par le sceptre les biens et droits réguliers, sans exaction, sauf ce qui sera reconnu appartenir à l'Eglise romaine, et qu'il remplisse les obligations auxquelles il est tenu envers toi de ce fait. Dans les autres parties de l'Empire, que l'évêque ou l'abbé, après avoir été consacré, reçoive par le sceptre et dans un délai de six nuis les droits régaliens, et qu'il remplisse les obligations qui en résultent. J'accorde une paix sincère à toi et à ceux qui ont été tes partisans dans cette querelle. » Le concile oecuménique de Latran (mars 1123) confirma ce traité. Henri V ne survécut guère à la conclusion du conflit qui avait absorbé sa vie comme celle de son père. Il ne put rétablir tout à fait la paix en Allemagne; le brigandage, si longtemps favorisé par les discordes intestines, continuait. Les seigneurs saxons persévéraient dans leur haine contre les Franconiens. L'empereur ayant voulu attaquer le roi de France, d'accord avec son beau-père Henri Ier d'Angleterre, ne put rassembler d'armée capable de tenir tète à celle de Louis VI. Il avait convoqué à Utrecht une diète générale, afin de réorganiser sa monarchie, lorsqu'il succomba à un cancer. En lui s'éteignit la dynastie salique ou franconienne. (A.-M. B.). | |