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On définit communément
l'intelligence (de intelligere, comprendre
par l'attention;
legere
inter, choisir, discerner) comme la capacité de penser,
c.-à -d. de connaître, de comprendre, de se souvenir, etc.; Cette
faculté est le moi pensant et prenant connaissance des objets, et son
véritable objet, c'est la réalité: elle a pour but et pour résultat
la vérité. La réalité se montre sous différentes formes; de là divers
modes de l'intelligence auxquels on donne le nom de facultés intellectuelles,
et qui ne sont que l'intelligence elle-mĂŞme. Ainsi, bien que la
variété de nos idées soit, pour ainsi dire illimitée, l'analyse psychologique,
en étudiant la vie intellectuelle dans son développement le plus complet,
peut réduire à un fort petit nombre les facultés ou les opérations
de l'intelligence. La philosophie, classiquement,
en admet neuf, qui peuvent en outre se ranger sous les quatre chefs suivants
: acquisition, conservation, transformation, et transmission des idées.
1° L'opération par laquelle
l'intelligence saisit les phénomènes constitue
la perception. Elle saisit les phénomènes
du monde extérieur par l'intermédiaire des sens
: c'est la perception externe; mais elle saisit immédiatement ceux de
l'esprit lui-même: c'est la perception interne, appelée encore sens
intime et conscience. De plus,
tandis que la perception externe nous fait simplement connaître les
qualités
des objets, la perception interne atteint la force mĂŞme qui produit les
phénomènes internes, et nous révèle cette force comme une cause
libre et intelligente. En d'autres termes, dans la perception interne,
l'intelligence se manifeste Ă elle-mĂŞme; c'est une force qui a conscience
de sa propre activité. De l'acte de la perception résulte le fait de
la connaissance proprement dite.
2° Mais il est des vérités-nécessaires,
absolues,
que notre intelligence ne peut atteindre par la perception, soit externe,
soit interne, parce qu'elles dépassent toute notion empirique. Ces vérités,
il est vrai, nous apparaissent seulement à l'occasion des phénomènes
connus par la perception; cependant elles ne nous sont point données par
celle-ci, et elles diffèrent par leurs caractères essentiels de toutes
les connaissances acquises par cette voie. L'intelligence humaine, en tant
quelle est capable d'atteindre ou de formuler certains concepts-limites,
tels que le nécessaire, l'absolu, l'infini, reçoit le nom de raison.
On donne quelquefois celui de conception Ă
l'acte par lequel la raison saisit ces notions.
3° Les opérations que nous venons de
nommer peuvent avoir lieu sans aucune intervention de notre volonté;
c'est ainsi que nous voyons sans regarder, que nous entendons sans Ă©couter,
que l'esprit passe successivement par différents états sans que notre
conscience y porte ses regards. Mais, dès que la volonté dirige les actes
de l'intelligence, ceux-ci changent de nom. L'application volontaire de
l'esprit Ă un objet quelconque s'appelle attention. NĂ©anmoins l'attention
est encore nommée observation, quand elle
se tourne vers des objets sensibles, et réflexion,
quand elle s'attache à l'étude des phénomènes intellectuels ou bien
des idées considérées en elles-mêmes. Enfin,
quand elle se porte successivement sur deux ou plusieurs objets, sur deux
ou plusieurs idées, dans le but : de rechercher et de découvrir les rapports
qui existent entre eux, elle constitue la comparaison.
De là résulte encore le savoir à des degrés très variables de précision
et de clarté.
4° Les opérations par lesquelles l'intelligence
conserve les idées ou les connaissances qu'elle a une fois acquises sont
aussi essentielles Ă la vie intellectuelle que les actes par lesquels
notre esprit les a obtenues. En effet, que servirait de chercher à connaître,
à savoir, si chaque idée qu'il acquiert, s'évanouissait sans retour
à l'instant même où son esprit passerait à une autre idée? Bien plus,comment
pourrait-il, s'il en était ainsi, concevoir même la pensée du savoir?
La conservation des connaissances résulte de deux opérations qui ont
une relation intime, quoiqu'elles soient parfaitement distinctes l'une
de l'autre. Ce sont l'association, par laquelle
s'enchaînent tous les faits de la vie intellectuelle, et la mémoire,
opération très complexe qui a pour effet de retenir, de reproduire et
de reconnaître les idées. A ces deux opérations ce rattachent les phénomènes
internes qu'on désigne sous les noms de réminiscence et de souvenir.
5° Nous n'avons pas seulement la faculté
de conserver et de rappeler les idées que nous avons obtenues par les
différents modes d'acquérir dont il a été parlé tout à l'heure. Ces
idées deviennent l'objet d'un travail particulier de l'intelligence par
lequel celle-ci les modifie et les transforme. Ainsi, l'abstraction
détache et sépare par la pensée telle ou telle qualité de l'être
ou de l'objet auquel elle est inhérente dans la nature,
et la généralisation réunit, pour ainsi
dire, en une somme les idées simples dégagées par l'abstraction, de
manière à représenter par une idée unique ce qu'elles ont de commun.
6° En outre, l'intelligence a la faculté
de créer, au moyen d'éléments qu'elle combine, des idées d'objets ou
d'êtres qui n'ont pas d'existence réelle ans la nature. L'intelligence
considérée comme créatrice reçoit le nom d'imagination.
7° Le jugement
est l'opération par laquelle l'intelligence affirme ou nie. C'est la détermination
de l'intelligence sur la vérité ou la fausseté des choses, sur les rapports
de convenance ou de disconvenance des idĂ©es. Le jugement s'applique Ă
tous les faits de la vie physique, intellectuelle et morale : aussi, comme
le dit très bien le prof. Pellissier, juger est pour l'esprit
ce que respirer est pour le corps.
8° Le raisonnement
est une opération analogue au jugement, en ce que, comme ce dernier, il
a pour objet une affirmation; mais il en diffère par ce fait, qu'il n'arrive
à cette affirmation que par la considération de certains rapports et
à l'aide de procédés particuliers. Tantôt il étend à l'avenir une
affirmation vraie pour le passé ou pour le présent, ou érige en lois
certaines observations particulières : c'est l'induction.
Tantôt il part d'un principe posé et accepté comme vrai, et en tire
les conséquences qu'il contient : c'est la déduction.
L'analogie et la démonstration
se rattachent, celle-ci à la déduction, et celle-là à l'induction.
Grâce à la puissance de ces procédés, l'esprit humain peut considérer
l'avenir, et atteindre des vérités que ne pouvait lui donner l'expérience.
9° Enfin, toutes les idées qu'elle a
acquises, modifiées, créées l'intelligence les exprime par le langage,
qui leur donne, pour ainsi dire, un corps et permet de les transmettre,
dans le temps et dans l'espace,
de telle sorte que les connaissances acquises par un individu et par une
gĂ©nĂ©ration deviennent un bien commun Ă
tous et à toutes les générations.
Telles sont les opérations que l'on distingue
communément dans l'intelligence; mais, il importe de ne pas l'oublier
tous ces actes ne sont que des manifestations diverses d'une même activité.
En outre, bien que séparés dans nos classifications, ils concourent presque
toujours dans le travail de l'esprit. Ainsi que le remarque le prof. Am.
Jacques :
" il n'y
a pas une seule de ces facultés qui ne suppose toutes les autres, et l'une
d'elles supprimée, toutes s'arrêteraient. Tout se tient dans l'admirable
Ă©conomie de notre constitution intellectuelle, comme dans un machine bien
construite. Il n'y a rien de trop, et rien n'y manque, et chaque ressort,
en même temps qu'il a sa fin spéciale, est nécessaire à tous les autres
et sert Ă tout."
Anciennement on employait le mot entendement
(intellectus) comme absolument synonyme d'intelligence. Aujourd'hui,
le premier de ces termes tombe en désuétude, et quand on en fait usage,
mĂŞme dans le langage ordinaire, c'est par opposition au second. Alors
l'intelligence désigne particulièrement l'esprit comme agissant, comme
acquérant des connaissances, et l'entendement le désigne plutôt comme
passif, comme recevant et gardant les idées qui sont le fruit du travail
de l'intelligence.
"En philosophie,
dit Lafaye, l'intelligence est aussi plutôt considérée
comme un instrument actif qui produit certains effets qu'on peut Ă©tudier;
l'entendement est plutôt regardé comme un objet ayant des propriétés,
et qu'on peut décomposer dans ses éléments. "
On observe les phénomènes de l'intelligence
on fait l'analyse de l'entendement humain, on cherche à connaître sa
nature, sa constitution. Et ce qui confirme bien la distinction Ă©tablie
entre ces deux mots, c'est que, dans les ouvrages de philosophie, dans
ceux, par exemple, de Locke, de Condillac
et de Malebranche, oĂą l'on traite de notre
faculté de connaître, sous le nom d'entendement, la connaissance est
plutôt présentée comme une modification que comme le résultat de l'action
de notre âme. L'humain y apparaît comme simple auditeur, comme écolier
passif de la nature.
L'intelligence entre
en exercice d'abord d'une manière fatale, on pense et on ne peut pas ne
pas penser; ensuite elle devient une faculté à un titre plus élevé
que la sensibilité, par l'intervention de la volonté, ce qui constitue
l'attention. De là une différence entre voir et regarder; dans le premier
cas l'esprit est passif, dans le second il est actif : en réduisant ces
deux faits su premier, on arrive à une théorie de l'entendement passif,
comme celle de Malebranche, qui a le tort de méconnaître le rôle de
l'activité dans l'intelligence. Celle-ci se distingue :
1° de la
sensibilité, d'abord par son double caractère d'objectivité et d'impersonnalité,
ensuite par son but qui est le vrai et le beau;
2° de la volonté,
en ce qu'elle est fatale, l'esprit ne pouvant se refuser Ă recevoir des
notions relatives Ă la nature des objets de la connaissance.
Mais comme l'intelligence
se confond avec les deux autres facultés dans l'unité du moi, il en résulte
une influence réciproque, et qui a pour l'intelligence une grande importance.
(GE).
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En
bibliothèque - Aristote, Essai
sur l'âme; Locke, Essai sur l'entendement humain; Leibniz,
Nouveaux
essais sur l'entendement; Condillac, Essai sur l'origine des connaissances
humaines ;
Ad. Garnier, Traité des facultés de l'âme; Chauvet,
Des théories
de l'entendement humain dans l'Antiquité, 1855, in-8°. |
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