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La nature
Nature, ensemble de l'univers ou des êtres. - On a aussi donné le même nom à l'ensemble des forces et des lois établies pour l'ordre perpétuel et les révolutions successives des choses, par exemple, pour le mouvement de la Terre et des astres, pour le cours des saisons, pour la reproduction des êtres vivants.

Le  mot nature (natura, physis), par son étymologie, exprime la naissance et la production des êtres. Il a reçu de l'usage un grand nombre de significations diverses, et qu'on  a trop souvent confondues ensemble, au grand détriment de la philosophie et des sciences naturelles. Ces significations peuvent se ranger en deux classes, selon qu'elles concernent la nature de tel ou tel être, ou bien la nature en général. 

Des philosophes ont fait de la Nature la puissance créatrice de l'univers; ce n'est alors qu'un synonyme plus ou moins vague de Dieu. D'autres ont appelé Nature une force nécessaire, mais aveugle, qui produit tout ce qui existe : cette doctrine, exposée dans le Système de la Nature du baron d'Holbach, et dans la Philosophie de la Nature de Delisle de Sales, n'est au fond que la négation d'un Dieu créateur et de la Providence, qu'elle remplace par le hasard; ou bien elle attribue aux éléments de la matière une force propre de mouvement, comme le pensait l'école atomistique. Au XIXe siècle, en Allemagne, on a nommé Philosophie de la Nature toute recherche qui a pour but de tout expliquer par un principe unique, d'où l'on déduirait a priori les lois et les phénomènes du monde; on a même imaginé un être prototype qui, en se développant, en se multipliant, obtient successivement, par ses innombrables variétés et espèces, toutes les créations du globe, jusqu'à l'humain lui-même, fleur dernière du grand arbre de la vie, et cet être, c'est la Nature. Évidemment, il y a là un Panthéisme déguisé.

On entend encore par Nature d'un être l'ensemble des propriétés qu'il tient de sa naissance et de son organisation, par opposition à celles qu'il peut devoir, soit à des causes accidentelles, soit à l'art. En ce sens on dira, en médecine par exemple, que la nature vient en aide à la science pour la guérison des maladies, et, en morale, qu'il faut vivre conformément à la nature ou selon la loi de la nature. Cette loi, qui n'est autre chose pour l'homme que la conformité de ses actes à ses besoins et à ses instincts bons ou mauvais, est souvent en contradiction avec les lois de la religion, de la vraie morale, et de la société. 

Dans les Beaux-Arts, le mot Nature désigne tout modèle donné immédiatement par la nature, un être vivant ou un objet, d'après lequel on peut peindre, dessiner ou modeler, au lieu de prendre un dessin, un tableau, une statue. (A19).

Nature de tel ou tel être

1° On nomme nature d'un être concret l'ensemble des propriétés innées de cet être, c'est-à-dire de celles qu'il possède dès le premier instant et pendant toute la durée de son existence propre, soit que cet être naisse, à proprement parler, soit qu'il commence d'être d'une manière quelconque. Ainsi, une pierre a ses propriétés innées, aussi bien qu'une plante, un animal ou une âme. En ce sens, la nature est donc l'essence habituelle et persistante de chaque être contingent.

2° On nomme nature d'un genre ou d'une espèce, l'ensemble des propriétés innées communes a toute une de ces classes d'êtres. Ainsi les natures des genres ou des espèces sont la même chose que les essences génériques ou spécifiques.

3° Enfin, par extension, on nomme natures les essences des êtres dont l'existence n'a pas de commencement, à savoir : l'essence de l'Être éternel et nécessaire et celles de tous ses attributs, et les essences de tous les êtres abstraits. C'est ainsi qu'on dit la nature de Dieu, la nature de la sagesse divine, la nature du droit, du devoir, de la vertu, la nature de telle propriété des corps ou de telle loi physique.

Nature en général

1° On nomme quelquefois nature l'ensemble de toutes les forces dont l'existence est soumise à des lois nécessitantes, par opposition aux forces capables de choix et de libre arbitre. C'est ainsi qu'on oppose la nature à l'art ou à la culture, et qu'on distingue ce qui vient de la nature ou de l'art dans le développement des facultés intellectuelles, dans les êtres inorganiques, dans les individus du règne végétal ou du règne animal, et dans la production des espèces et des variétés appartenant à ces deux règnes.

2° On nomme quelquefois nature l'ensemble des êtres corporels, par opposition aux substantances incorporelles, c'est-à-dire à Dieu et aux âmes. C'est pourquoi toutes les sciences qui ont our objet les corps réels, leurs propriétés, leurs changements et leurs lois, ont reçu le nom de sciences naturelles.

3° On a nommé quelquefois nature le fait permanent de la production, de la destruction et de la variabilité des corps dans l'univers. Quelquefois ce fait a été personnifié et doué métaphoriquement d'intentions, de volontés, de penchants, de qualités morales, et la philosophie a quelquefois été dupe de cette métaphore prise au pied de la lettre. C'est ainsi que le mot nature, qui était l'expression d'un fait à expliquer, a éte considéré abusivement comme l'explication générale de tous les faits particuliers qui se rapportent à ce fait universel.

4° Enfin, on nomme nature la force productrice, destructive ou modifiante qui, soit qu'on la suppose une ou multiple, créée ou incréée, intelligente par elle-même ou oeuvre aveugle d'une intelligence créatrice, est la cause de tous les changements qui ont lieu dans l'universalité des êtres corporels, autrement que par l'intervention immédiate des volontés des humains et des animaux. Les lois de cette force ou de ces forces sont l'objet principal des sciences physiques. Les êtres où ces lois trouvent leur application sont l'objet de l'histoire naturelle. Ces lois et ces êtres sont l'objet des sciences naturelles.

Les trois derniers sens du mot nature sont ceux qui concernent surtout la science générale de la nature ou philosophie de la nature. Ils sont étroitement liés entre eux, puisqu'il est impossible d'étudier des êtres variables sans les considérer dans leurs changements, ni de se rendre compte de ces changements sans en chercher les causes ni de trouver ces causes sans déterminer d'abord les lois de ces changements et sans connaître bien les êtres dans lesquels ils s'opèrent. (DSP, AF).



Adel Selmi, Vincent Hirtzel et al., Gouverner la nature, L'Herne, (Cahiers d'anthropologie sociale), 2007.-

Le déséquilibre qui s'est instauré dans les rapports entre les humains et leur milieu naturel est sans doute une des préoccupations majeures de ces dernières décennies, qui ont vu l'essor d'une politique concertée, d'ampleur internationale, cherchant à minimiser les impacts négatifs des activités humaines sur l'environnement au moyen d'outils régulateurs de tous ordres. La multiplication des aires protégées et des parcs naturels, dans toutes les régions du globe, peut être tenue pour une des réalisations les plus tangibles de cette volonté générale de gouverner la nature en lui accordant le statut d'un bien à protéger. Dans une perspective anthropologique, il apparaît cependant que les effets de ces instruments institutionnels vont bien au-delà de leur intention première. En effet, dans la plupart des cas, les parcs sont implantés dans des régions depuis longtemps habitées par des populations qui ne partagent pas la même conception de la "nature", et qui ne se plient pas aisément aux rapports de forces générés par la création de zones protégées. C'est à l'étude de cette interface que ce volume est consacré, à un gouvernement de la nature où la question centrale devient : qui entend protéger quoi, comment, et à quel titre ? (couv.).

Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.
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Seul l'Occident moderne s'est attaché à classer les êtres selon qu'ils relèvent des lois de la matière ou des aléas des conventions. L'anthropologie n'a pas encore pris la mesure de ce constat : dans la définition même de son objet - la diversité culturelle sur fond d'universalité naturelle -, elle perpétue une opposition dont les peuples qu'elle étudie ont fait l'économie.

Peut-on penser le monde sans distinguer la culture de la nature? Philippe Descola propose ici une approche nouvelle des manières de répartir continuités et discontinuités entre l'homme et son environnement. Son enquête met en évidence quatre façons d'identifier les "existants" et de les regrouper à partir de traits communs qui se répondent d'un continent à l'autre : le totémisme, qui souligne la continuité matérielle et morale entre humains et non-humains; l'analogisme, qui postule entre les éléments du monde un réseau de discontinuités structuré par des relations de correspondances; l'animisme, qui prête aux non-humains l'intériorité des humains, mais les en différencie par le corps; le naturalisme qui nous rattache au contraire aux non-humains par des continuités matérielles et nous en sépare par l'aptitude culturelle.

La cosmologie moderne est devenue une formule parmi d'autres. Car chaque mode d'identification autorise des configurations singulières qui redistribuent les existants dans des collectifs aux frontières bien différentes de celles que les sciences humaines nous ont rendues familières.

C'est à une recomposition radicale de ces sciences et à un réaménagement de leur domaine que ce livre invite, afin d'y inclure bien plus que l'homme, tous ces "corps associés" trop longtemps relégués dans une fonction d'entourage. (couv.).

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Dictionnaire Idées et méthodes
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