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Unité

La notion d'unité (philosophie) est une des plus importantes de l'esprit humain. Aristote la considérait comme inséparable de la notion d'être, et c'était un axiome reçu dans l'Ecole que l'être et l'unité sont équivalents l'un à l'autre : Ens et Unum unter se convertuntur. On en trouve une preuve dans ce passage d'une lettre de Leibniz à Arnauld : 
« Je tiens pour un axiome, dit Leibniz, cette proposition identique qui n'est diversifiée que par l'accent, savoir que ce qui n'est pas véritablement un être n'est pas non plus véritablement un être. On a toujours cru que l'un et l'être sont des choses réciproques. »
Si l'on se place à ce point de vue objectif de la métaphysique ancienne, l'unité peut être considérée comme propriété inhérente à l'être même. Cependant, comme l'expérience nous montré partout une multiplicité de parties et de relations qui semble aller à l'infini, l'esprit ne peut s'empêcher de se poser ce problème : 
«  Comment l'unité peut-elle se concilier avec la multiplicité dans la réalité des choses?-» 
Et ce problème est justement celui que la philosophie ancienne semble s'être surtout proposé de résoudre. On sait comment, parmi les premières écoles de philosophie grecques, les unes, comme celles des Ioniens, plaçaient le principe de l'Être dans l'unité d'une substance relativement indéterminée, amorphe, eau, air ou feu, dont les actions et les modifications successives produisent et constituent l'infinie multiplicité des êtres et des phénomènes de la nature; les autres, comme celle de Leucippe et de Démocrite, plaçaient au contraire ce principe dans une pluralité d'éléments, en nombre infini, mais dont chacun cependant était conçu comme étant en soi une unité absolue et indivisible, l'atome ; d'autres enfin, comme l'école d'Elée, supprimant entièrement l'un des deux termes, posait l'unité seule, à l'exclusion de toute multiplicité, comme la seule réalité véritable. Mais de cette opposition même des doctrines résultait nettement la distinction des deux aspects ou des deux formes de l'unité, d'une part, l'unité élémentaire, qui est l'unité de l'élément ou de la partie, telle qui est l'objet de l'analyse et que l'esprit conçoit nécessairement au fond de toute multiplicité; celle dont Leibniz disait : 
«  Il faut bien qu'il y ait des substances simples, puisqu'il y a des composés; car le composé n'est rien autre chose qu'un amas ou aggregatum de simples. »
D'autre part, l'unité totale, l'unité du tout ou de l'ensemble, celle qui est l'objet de la synthèse et que l'esprit impose nécessairement comme forme à toute multiplicité, celle que Platon attribuait à ses idées et qu'il définissait l'un dans le multiple, en epi pollois. Le type de la première est évidemment l'unité numérique, et l'on peut donner, ce semble, l'unité organique comme type de la seconde. En tout cas, ce sont deux recherches métaphysiques bien distinctes que celles qui se proposent de découvrir, l'une l'élément indécomposable et ultime dont les choses sont formées, l'autre la cause ou la fin universelle à laquelle elles sont toutes suspendues et qui précisément les unit toutes entre elles par le lien de cette commune dépendance. De ces deux unités, la métaphysique matérialiste a surtout visé la première, la métaphysique idéaliste la seconde ; et la métaphysique panthéiste a cru pouvoir les identifier l'une à l'autre en faisant de Dieu tout à la fois la substance matérielle, la cause efficiente et le but final de l'existence universelle. L'unité joue encore un grand rôle dans la philosophie mathématique des Pythagoriciens. Les Pythagoriciens, qui considéraient le nombre comme le principe substantiel des êtres, et aussi comme la cause de leurs modifications et de leurs états divers, rapportaient, suivant ce que dit positivement Aristote, le nombre lui-même à l'inité, comme à son origine; et dans la liste des principes opposés deux à deux, par lesquels quelques-uns d'entre eux expliquaient l'existence et l'harmonie du monde, on trouve encore l'unité comme le contraire de la pluralité, à côté du fini et de l'infini, de l'impair et du pair, du repos et du mouvement, etc. 

Cependant la philosophie moderne s'est progressivement éloignée du point de vue ontologique où se plaçait à peu près exclusivement la philosophie ancienne; et à mesure que s'accomplissait cette évolution, le problème de l'unité se transformait. Kant nous a appris à considérer l'unité, ainsi que toutes les autres catégories, moins comme des formes de l'être que comme des formes de la pensée; ou du moins si ce sont des formes de l'être, nous savons qu'il ne les revêt que par l'intermédiaire de la pensée. De ce nouveau point de vue, l'unité nous apparaît tout à la fois comme une des catégories particulières de l'entendement, et non la moins importante, puisqu'elle est la base des mathématiques, et comme le principe générateur de toutes les catégories, leur forme commune et nécessaire, la loi suprême de l'entendement. Qu'est-ce en effet que penser, sinon ramener à l'unité de la conscience une diversité de représentations ou d'idées? Et si l'on prétend que les représentations et les idées contiennent elles-mêmes une certaine diversité, qui ne voit que les éléments de cette diversité consistent en d'autres représentations ou d'autres idées plus simples, lesquelles ont dû être aussi ramenées à l'unité de la conscience par cette même opération de la pensée? Il existe donc, selon les propres paroles de Kant, une unité synthétique de l'aperception qui est, en quelque sorte, la clef de voûte de la connaissance humaine tout entière; et les différentes catégories, qualité, quantité, relation, modalité, etc., ne sont que les différents moyens de réaliser cette unité. 

Peut-être même faut-il voir encore des formes de cette unité de la pensée dans les deux cadres de l'espace et du temps où notre sensibilité enserre tous ses objets : en tout cas, par les rapports de coexistence et de succession qu'ils établissent entre eux, l'espace et le temps constituent avec les phénomènes donnés par les sens un système unique et total où chacun d'eux a nécessairement sa place marquée et, par conséquent, ils rendent possible le travail ultérieur de la pensée imprimant aux choses, par les rapports de nombre, de genre et d'espèce, de substance, de causalité, de finalité, etc., une plus profonde et plus intime unité. Le suprême degré de cette élaboration, c'est sans doute, comme l'a montré Kant dans la dernière partie de la Critique de la Raison pure, la conception de ces trois unités absolues ou inconditionnées qui s'appellent le Moi, la Nature et Dieu. Ainsi l'unité apparaît toujours comme la forme que la pensée apporte partout avec elle et qu'elle impose invariablement à tous ses objets. Dès lors, n'est-il pas inévitable qu'elle nous semble une propriété universelle de l'être? Mais peut-être aussi l'être pris en soi échappe-t-il entièrement à cette forme, et par conséquent nous sommes condamnés à ignorer éternellement si le fond des choses, si le noumène, pour employer le mot de Kant, a le moindre rapport avec l'unité.

Emile Boirac a essayé de montrer dans son étude sur l'Idée du phénomène (1894) que cette supposition de l'être en soi est elle-même une conception de la pensée essentiellement contradictoire et impossible. Si l'on admet cette conclusion, il en résulte aussitôt que, le seul être concevable étant justement l'être que la pensée peut concevoir, l'unité, forme nécessaire de la pensée, se trouve être du même coup la forme nécessaire de l'être. Mais on peut tout aussi légitimement renverser l'ordre des termes et affirmer que l'unité n'est la forme nécessaire de la pensée que parce qu'elle est en même temps la forme nécessaire de l'être. En nous du moins, où l'être et la pensée coïncident, puisque, selon la remarque de Descartes, le moi n'existe qu'à la condition de penser et même de se penser, l'unité est la forme commune de la pensée et de l'être. Cette constitution que nous reconnaissons en nous-même nous sert à imaginer celle de toute autre réalité.

« C'est ainsi, dit Leibniz, qu'en pensant à nous, nous pensons à l'être, à la substance, au simple et au composé. [...] Je voudrais bien savoir comment nous pourrions avoir l'idée de l'être, si nous n'étions des êtres nous-mêmes et ne trouvions ainsi l'être en nous. » 
Par là se trouvent réconciliés, à ce qu'il semble, les deux points de vue opposés de la métaphysique ancienne et de la critique moderne dans cette question fondamentale de l'unité. (E. Boirac).
Unité (mathématiques). - Lorsque l'on veut désigner avec précision une quantité de manière à la distinguer de celles qui ne lui sont pas égales, on choisit, comme nous l'avons dit à l'art. Mathématiques, une quantité arbitraire que l'on appelle unité, et l'on indique comment la quantité que l'on veut désigner est formée avec l'unité. On parvient 
ainsi à la notion de nombre

Il peut arriver que plusieurs espèces d'unités soient nécessaires pour désigner la quantité que l'on veut mesurer. Ainsi, par exemple, si l'on considère comme quantités de même espèce toutes les droites, ou plutôt tous les segments de droite de l'espace, l'égalité de deux segments ayant lieu quand ils sont superposables et ont même direction, et la somme de deux segments étant leur résultante, trois unités seront nécessaires pour définir un segment; ces unités seront trois segments arbitraires, parallèles à trois axes rectangulaires; en appelant i, i, k ces trois unités, toute droite pourra être représentée par la notation :

ai + bj + ck,

a, b, c désignant des nombres proprement dits. Ces unités peuvent alors être assujetties à des relations qui constituent la base du calcul des clefs.

Le mot unité a encore été généralisé comme il suit : si l'on considère une équation algébrique à coefficients entiers a1... an, irréductible :

(1) xn+a1xn-1+...+an =0

et si q désigne une racine de cette équation, qui (par définition de l'irréductibilité) ne satisfera à aucune équation de degré moindre, à coefficients entiers, tout polynôme à coefficients entiers de la forme :

b0qn-1+bnqn-2...+bn-1

sera ce que l'on appelle un entier algébrique du domaine défini par l'équation (1). Un entier algébrique q sera divisible par un autre entier y(q) du même domaine, s'il existe un troisième entier l(q) de ce domaine, tel que :

q = l(q).y(q)

Il y a des entiers qui divisent tous les entiers de leur domaine, ces entiers sont ce que l'on appelle des unités ± et  ±1sont des unités du domaine défini par l'équation X²+1 =0. (H. Laurent).

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