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La
perception est un mode et une fonction de l'intelligence;
faculté de connaître appliquée aux phénomènes.
La perception, dans le sens le plus Ă©tendu de ce mot, embrasse la perception
des faits intellectuels et moraux, perception intérieure, conscience
ou sens intime, et la perception des phénomènes
physiques ou perception extérieure, dont nous nous occupons ici exclusivement.
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La perception
selon Leibniz
Dans la philosophie
de Leibniz, le terme de perception désigne "l'état
passager qui enveloppe et représente une multitude dans l'unité
ou dans la substance simple," c.-Ă -d. tout
changement produit dans les monades par leur activité
interne, et en rapport avec le milieu dans lequel elles sont placées.
La perception est le fait de toutes les substances simples, corporelles
ou spirituelles, et diffère en cela de l'aperception,
réservée aux âmes raisonnables, et qui est la
conscience qu'elles ont de leurs perceptions. |
La perception extérieure
est un fait complexe dans lequel les humains sont intéressés d'un
point de vue physique et moral; mais comme nous n'en voulons faire ici
que l'histoire philosophique, nous ne parlerons des phénomènes organiques
que pour fixer exactement la limite oĂą ils s'arrĂŞtent et font place aux
phénomènes intellectuels. La conscience marque cette limite. Tous les
antécédents de la perception que la science est parvenue à connaître
par d'autres moyens, impression faite par les objets sur les appareils
organiques qui correspondent aux différents sens,
transmission de cette impression par les neurones,
sont autant de faits que la conscience ignore, dans lesquels elle n'a rien
Ă voir, qui sont les conditions de la perception, mais qui n'en font pas
partie intégrante, si, par perception, l'on entend le phénomène intellectuel.
Mais, en vertu des mystérieuses lois de l'union du physique et du moral,
une fois que l'impression organique a été portée jusqu'au centre nerveux,
cette impression venant Ă changer de nature, on, pour mieux dire, donnant
lieu Ă une impression d'une autre nature, l'intelligence se trouve avertie
de la présence des objets, et informée d'une
manière plus ou moins complète de leur existence et de leurs propriétés.
En effet, toutes les
qualités des objets, non
seulement ne produisent, ni sur les organes, ni sur l'esprit, des impressions
semblables, mais encore elles ne nous instruisent, ni au mĂŞme titre, ni
au même degré, de leur existence. Tantôt nous sommes simplement affectés
d'une modification interne, et cette disposition subjective, perçue par
la conscience, porte le nom de sensation. TantĂ´t
Ă la sensation se joint la perception proprement dite, par laquelle nous
sommes directement informés de l'existence et de là présence d'un corps
différent de nous-mêmes.
Il y a sensation
et perception tout à la fois, et, par suite, connaissance immédiate de
l'extérieur et du corporel, lorsque nous touchons; car alors, en même
temps que trous éprouvons, au contact du corps, une sensation de résistance
plus ou moins forte, de chaleur ou de froid etc., c'est bien réellement
hors de nous que nous percevons son étendue et sa solidité. La perception
proprement dite fait défaut, lorsque nous sentons une odeur ou que nous
entendons un son; seulement, la nécessité d'assigner une cause à la
modification que nous Ă©prouvons, l'habitude
d'exercer à la fois plusieurs sens et d'en associer les données respectives,
les relations observées entre les impressions et la présence de certains
objets, nous apprennent bien vite à localiser dans les corps en général
et dans certains corps en particulier les causes inconnues de nos sensations,
et à conclure de ces dernières, par une induction
si rapide qu'elle en devient insaisissable, la présence de tel ou tel
corps, alors mĂŞme que nous ne le percevrions pas autrement.
Grâce à cette espèce
d'Ă©ducation mutuelle, les sens peuvent jusqu'Ă un certain point se substituer
les uns aux autres : par le bruit, nous jugeons de la distance, du mouvement,
du volume des corps; par l'odeur et la saveur, de leur nature intime; par
la vue, de leur solidité, de leur température, etc., et cela nous épargne
bien du temps et bien des expériences. On
appelle perceptions acquises, par opposition arts perceptions naturelles
et directes, ces jugements indirects, opérations
complexes, mais rapides et vendues faciles par la pratique. Les perceptions
naturelles de la vue ont pour objet l'Ă©tendue plane, la grandeur apparente,
la figure perspective, la couleur; ses perceptions acquises ont pour objet
leur volume et leur distance, leur grandeur et leur figure réelle, toutes
choses qui, directement, relèvent du sens du toucher.
Les perceptions proprement
dites nous faisant seules connaître le dehors, confondre la perception
avec la sensation, réduire à celle-ci la perception tout entière, et,
à plus forte raison, toutes les opérations de l'intelligence, comme l'a
fait expressément Condillac, c'est rompre,
par un procédé analogue à celui de l'Idéalisme
, toute communication entre le sujet de la connaissance et les objets extérieurs.
Le rĂ´le que les uns font jouer Ă l'idĂ©e, les autres Ie font jouer Ă
la sensation; voilà toute la différence. La sensation est fort différente
de l'idée, de nature et d'origine; mais l'une et l'autre s'interposent
Ă©galement entre l'esprit et les objets, et le sensualisme
de Condillac, poussé à ses conséquences logiques,
nous laisse tout aussi ignorants du monde physique que l'idéalisme cartésien
( Cartésianisme).
On peut analyser
la perception, en décrire les différentes phases, en signaler les éléments
variés; mais on ne l'explique pas, en ce sens qu'on ne montre pas comment
les corps ou les propriétés des corps agissent sur l'esprit, comment
un phénomène physique détermine un phénomène intellectuel. Des systèmes
qui ont pris à tâche d'apporter cette explication, impossible dans l'état
actuel de nos connaissances (en 1900), les uns, fondés sur des considérations
toutes physiques, n'ont pas pénétré jusqu'à la partie intellectuelle
du phénomène; les autres, qui se rattachent à la grande famille de l'idéalisme,
en créant sous le nom d'idées différents intermédiaires entre l'esprit
et les corps, ont déplacé la difficulté sans la résoudre, et, parfois,
l'ont doublée. La perception, comme la conscience, la mémoire et la raison,
est une fonction primitive de l'intelligence, dont nous recueillons le
bénéfice sans en pouvoir connaître les plus intimes ressorts.
"L'esprit
de l'homme, dit FĂ©nelon, porte en lui de quoi
s'Ă©tonner et se surpasser infiniment lui-mĂŞme."
Le nom de perception,
comme celui de la plupart des modes de l'intelligence, s'applique, suivant
les circonstances, tantôt à la faculté de percevoir, tantbt à l'opération
de cette faculté, tantôt enfin au résultat de cette opération.
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En
bibliothèque - Malebranche,
Recherche
de la vérité, I. 1, des Sens; Locke,
Essais
sur l'Entendement I. II; Leibniz,
Nouveaux
Essais sur l'Entendement, I. Il; ; Condillac,
Traité
des Sensations ;
Reid,
Recherches sur l'Entendement humain, et Essais sur les Facultés
de l'Esprit humain, Essai II;
Dugald Stewart,
Éléments de la Philosophie de l'Esprit humain, ch. I, et Essais
philosophiques, I et II. |
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