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Avant l'éveil
de la spéculation philosophique et la naissance des théories savamment
élaborées, dans presque tous les pays et tous les temps, on s'est fait
quelque idée plus ou moins grossière de l'âme (animus)
et on a eu un terme pour la désigner. Chez le vivant, elle est presque
partout identifiée avec le souffle, la respiration et considérée par
conséquent comme le principe de la vie. Le sanscrit âtman,
le grec psyché, le latin animus n'ont pas d'autre signification
étymologique. Dans l'Iliade
(en particulier IX, 408) on voit, à la mort, l'âme sortir de « l'enclos
des dents ». Elle a été identifiée par d'autres peuples à la chaleur
vitale et logée dans le coeur ou dans le sang : ce qui est une autre manière
d'en faire un principe de vie. Après la mort ,
la conception est autre. Comme l'ont montré les ethnologues, l'âme du
mort est considérée comme son double, c.-à -d. un second exemplaire de
lui-même adapté à ses nouvelles conditions d'existence. Cette idée
encore très répandue à l'époque contemporaine a aussi existé dans
l'Antiquité classique. On en a des preuves pour l'Égypte. Dans Homère,
l'âme des morts appelée « ombre », « image » (eidôlon), se
repaît du sang des victimes et y puise un regain de vie ( Vampires).
On a parfois dit que cette conception est née des rêves auxquels les
primitifs attribuent toujours une origine surnaturelle et qui semblaient
montrer les défunts sous une forme visible et venant d'un autre monde.
On trouvera une grande abondance de documents sur ce point dans les livres
de Taylor, Herbert Spencer (Sociologie,
t. Ier), et dans l'ouvrage très indigeste
que Bastian a consacré à l'évolution de l'idée de l'âme dans l'ethnographie
(Beiträge zur vergleichenden Psychologie : die Seele und ihre Erscheinungsweisen
in der Ethnographie; Berlin, Dümmler, 1868).
Si nous rappelons à grands traits ces
imaginations, c'est que d'une part, elles ont trouvé leur prolongement
dans les grandes religions, grâce à l'élaboration philosophique qui
a été faite du concept d'âme, mais aussi parce que ces premières conceptions
ont justement servi nécessairement de point de départ aux spéculations
philosophiques elle-mêmes. La réflexion des premiers sages n'a pu s'exercer
d'abord que sur cette matière première qui
leur était fournie par les croyances populaires. On trouve des éléments
de cette élaboration archaïque dans le thème de l'origine et la destinée
de l'âme tel qu'il s'exprime, par exemple, dans la doctrine de la métempsycose-pythagoricienne,
à laquelle se rattache la doctrine de la préexistence des âmes de Platon;
sans doute aussi chez Aristote, avec sa théorie
vague et tout hypothétique qui, de l'âme nutritive,
la seule que possède l'enfant dans le sein de sa mère, fait naître l'âme
sensible et motrice, puis de celle-ci l'âme raisonnable (De generatione
animalium, I, 1); ou encore dans le système dit de la traduction,
qui considère l'âme des enfants comme engendrée (per traducem)
de l'âme des parents, et dans lequel St Augustin
a cru trouver l'explication de la transmission du péché originel.
Le thème de l'âme du monde apparaît
également comme un entre-deux entre la philosophie
et la théologie. Les Anciens désignaient ainsi une force qui, selon eux,
animait et vivifiait tout; elle servait à la matière de principe moteur
et de principe plastique. Parmi les philosophes, les uns, comme Pythagore,
et surtout Platon et les Alexandrins ,
faisaient consister l'âme du monde en une substance intermédiaire entre
le Dieu suprême et l'univers; d'autres, comme
les stoïciens, la substituaient à Dieu lui-même,
et aboutissaient ainsi au panthéisme. Presque tous les docteurs de la
primitive Église, s'accordant sur les trois hypostases
platoniques, semblent reconnaître l'âme dans le Saint-Esprit. Au Moyen
âge, cette doctrine disparaît presque entièrement, pour se montrer de
nouveau à l'époque de la Renaissance, d'abord avec le platonisme, et
ensuite sous le nom d'archée, ou de principium hylarchicum,
dans les doctrines empreintes de mysticisme de Cornélius
Agrippa, de Van Helmont et d'autres. Toutes
les doctrines sur l'âme du monde n'étaient que des tentatives faites
pour expliquer l'ordre et l'harmonie qui règnent dans la création, et
pour montrer qu'ils révèlent une intelligence infinie. Dans l'interface
de la philosophie et de la religion, se situe également la question de
l'âme des animaux :
Âme
des bêtes
Les bêtes
ont-elles une âme? Y a-t-il chez elles un principe différent à la fois
du corps et du principe de la vie organique, et capable, dans une certaine
mesure, des fonctions qu'accomplit l'âme humaine; capable, par exemple,
de sentir et de penser? Toutes les habitudes extérieures de l'animal;
surtout dans les espèces les plus élevées, nous donnent lieu de le croire;
et l'Antiquité philosophique, sans avoir expressément posé cette question,
parait l'avoir implicitement résolue par l'affirmative, soit dans les
écoles de Pythagore ( Pythagorisme)
et de Platon ( Platonisme),
où les idées de métempsycose supposaient nécessairement la croyance
à l'âme des bêtes; soit dans le péripatétisme,
les textes les plus formels d'Aristote établissant
qu'il considérait l'animal, ainsi que l'humain, comme l'entéléchie
formée par l'union d'une âme et d'un corps, comme doué, non pas, il
est vrai, de raison, mais de sensibilité et parfois d'intelligence (ce
qui s'accorde assez aisément avec son opinion sur la multiplicité des
âmes); soit enfin chez les stoïciens, qui regardaient tout être comme
le résultat de l'union d'une partie de la matière avec la grande âme
du monde. Il va sans dire que les systèmes qui, même dans l'humain, ne
jugent pas l'âme essentiellement différente du corps, se trouvent ici
hors de cause.
Au contraire, c'est au soin du spiritualisme,
c'est dans la philosophie de Descartes qu'est
née, ou tout au moins que s'est développée avec éclat, l'opinion qui
refuse absolument aux bêtes l'intelligence et la sensibilité, pour les
réduire à la condition de simples machines, d'automates formés avec
un art divin. Toutefois, avant Descartes, Gomez Pereira,
médecin, avait avancé la même opinion dans le livre intitulé : Antoniana
Margarita, publié en 1554. D'un autre côté, le paradoxe contraire,
à savoir, que non seulement les bêtes sont raisonnables, mais qu'elles
se servent de la raison mieux que l'humain, avait été soutenu par Jérôme
Rorarius dans un ouvrage composé su milieu du XVIe
siècle, mais qui ne fut publié qu'en 1648. Il est plus que vraisemblable,
cependant, que Descartes ne prit qu'en lui-même les motifs de son opinion
relativement à l'âme des bêtes; et, en tout cas, ce fut lui qui la rendit
populaire. Conçue de longue date, communiquée à quelques amis longtemps
avant que Descartes est rien écrit, positivement exprimée dans la cinquième
partie du Discours de la Méthode, soutenue à diverses reprises
dans ses Lettres, cette opinion acquit parmi les partisans de la
philosophie
cartésienne une vogue extraordinaire, en même temps qu'elle souleva,
de la part de ses adversaires. une foule d'objections et de réfutations.
On trouve dans le Dictionnaire historique et critique de Bayle
(art. Pereira et Rorarius) et dans l'Encyclopédie
de Diderot et D'Alembert
(art. Ame des Bêtes) l'historique complet de ce débat, les principaux
arguments invoqués de part et d'autre, et l'indication très étendue
des écrits anciens et modernes qui s'y rapportent. Bornons-nous à dire
que ce qui rendait les cartésiens si favorables à l'hypothèse des animaux
machines, c'est qu'ils y voyaient le moyen d'échapper aux deux difficultés
suivantes :
1° si les
animaux ont une âme de même nature que l'âme humaine, cette âme doit
être immortelle comme celle des humains, ou bien celle des humains doit
périr comme elle;
2° sous un Dieu
juste, il serait contradictoire que les bêtes fussent exposées comme
elles le sont, si on les suppose douées d'une âme, à des souffrances
qu'elles n'ont pas méritées, et dont elles ne devraient pas être dédommagées
dans une autre vie.
Mais, en réalité, leur opposa-t-on, rien
n'est moins prouvé, ni moins susceptible de l'être, que l'espèce de
dilemme auquel les cartésiens semblent avoir été si désireux d'échapper.
Que les bêtes aient une âme, que cette âme soit une substance simple
comme l'âme humaine, cela ne prouve pas qu'elle est nécessairement immortelle,
mais seulement qu'elle ne périt pas de la même manière que le corps,
par la dissolution des parties. La volonté divine, précisait-on, est
la seule cause à laquelle on puisse légitimement rapporter la conservation
de l'existence chez les êtres créés; et il est d'autant plus étonnant
que les cartésiens aient méconnu cette vérité, que c'est au moins une
de leurs tendances de considérer la conservation des êtres comme une
création continue.
La question revenait donc à chercher s'il
y a des raisons suffisantes de croire que Dieu conserve l'être à l'âme
humaine et ne la conserve pas à celle des animaux lorsque le corps subit
la loi de la mort. Or, à la deuxième difficulté, tirée des souffrances
des animaux, on répondait que le principe invoqué n'est fait que
pour les créatures raisonnables, capables de mérite et de démérite;
qu'en réalité les animaux, à ce compte, ne pour les créatures raisonnables,
capables de mérite et de démérite; qu'en réalité les animaux, à ce
compte, ne méritent pas plus le plaisir que la souffrance, et que d'ailleurs
nous ne devons juger, ni de leurs plaisirs, ni de leurs souffrances, par
analogie avec les nôtres. (A19).
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Dans
les musées, etc. - Les artistes du
Moyen âge ont figuré les âmes dans les bas-reliefs et sur les vitraux,
tantôt par des colombes, tantôt par de petites
formes humaines, jeunes, souvent drapées, quelquefois nues, nimbées ou
auréolées, ayant les bras croisés sur la poitrine ou les mains jointes.
En général, l'école byzantine
a représenté les âmes enveloppées de bandelettes, tandis que les artistes
de l'Italie les représentent nues et sans sexe; nues, parce qu'après
la mort terrestre elles n'ont plus d'enveloppe vicieuse; sans sexe, parce
que la différence entre l'homme et la femme ne tient qu'au corps. Quelquefois
Dieu
le père, Jésus,
Abraham
ou les anges les portent dans une sorte de nappe
ou de linceul. Dans les représentations du Jugement
dernier, on voit souvent des âmes disputées entre des anges et des
démons.
Ou bien l'archange St Michel les pèse dans une balance. |
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En
bibliothèque - Sur la représentation
des âmes : Molanus, Historia imaginum sacrarum, in-4°.
Sur l'âme du monde : Platon, le Timée; Schelling, l'Âme du
monde, in-8-, Hambourg, 1809; Ch.-Gottl. Schmidt, l'Univers et l'Âme
du monde d'après les idées des Anciens, in-8°, Leipzig, 1835.;
Sur l'âme des animaux : Bossuet, Traité de la connaissance de Dieu
et de soi-même (5e chapitre : De la différence entre l'homme et
la bête); le P. Pardies, Discours de la connaissance des bêtes;
Bouillier, Essai philosophique sur l'âme des bêtes; le P.
Bougeant, Amusement philosophique sur le langage des bêtes;
G. Leroy, Lettres philosophiques sur l'intelligence et la perfectibilité
des animaux; Buffon, Histoire des animaux, passim; Condillac,
Traité
des animaux, et, dans un genre tout différent, l'Esprit des bêtes,
par Toussenel, livre qui contient à côté d'énormes paradoxes, beaucoup
de détails intéressants.
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