| Plutarque, Plutarchus,est un historien et moraliste grec du Ier siècle ap. J.-C. Plutarque avait écrit sa propre biographie; mais elle s'est perdue depuis l'Antiquité, et nous ne possédons sur la vie du plus fécond des biographes grecs que des renseignements épars et peu nombreux. Il naquit à Chéronée, en Béotie, entre les années 46 et 48 de l'ère chrétienne, sous le règne de l'empereur Claude. Il fit ses premières études dans sa ville natale; puis il alla suivre à Athènes les leçons du médecin Onésicrate, du rhéteur Aemilianus, du philosophe Ammonius. Il passa plusieurs années dans la capitale de l'Attique; de là il se rendit peut-être en Egypte; enfin il passa en Italie. II arriva à Rome sous Vespasien et n'en repartit définitivement qu'à la fin du règne de Domitien : il y séjourna vingt ans environ, à peine interrompus par quelques voyages. Pendant ces vingt ans, il s'occupa avec une sollicitude touchante des intérêts de sa cité, dont il fut, pour ainsi dire, le chargé d'affaires, le représentant officieux auprès du gouvernement impérial et des personnages les plus influents de l'époque. Mais ces préoccupations et ces démarches n'absorbèrent pas tout son temps. Plutarque donna des conférences; peut-être même tint-il une école à Rome; il y obtint quelque succès. Il se livra à de nombreuses recherchés dans les bibliothèques et dans les archives; il réunit ainsi les matériaux de ses ouvrages historiques les plus importants. Enfin il sut conquérir de brillantes et solides amitiés le philosophe stoïcien L. Junius Arulenus Rusticus, qui fut mis à mort sur l'ordre de Domitien; C. Sossius Senecio, qui devait être consul sous Trajan; Fundanus, l'un des correspondants de Pline le Jeune, aimaient à lui offrir l'hospitalité et à s'entretenir longuement avec lui. Plutarque quitta Rome peu de temps avant la mort de Domitien. Il retourna à Chéronée. Grâce à la considération dont sa famille jouissait depuis plusieurs générations et à sa propre renommée, il fut nommé archonte par ses concitoyens; il devint peu à peu la gloire et l'oracle de la petite ville; il fut même grand-prêtre d'Apollon pythien, à Delphes. Entouré de sa femme Timoxène, de ses deux frères Timon et Lamprias, et de ses enfants, il vécut jusqu'à un âge très avancé. On ne connaît pas exactement la date de sa mort; la plupart des critiques la placent sous le règne d'Hadrien. Tels sont les renseignements certains qui nous sont parvenus sur la vie de Plutarque. Vers le milieu du Moyen âge, deux compilateurs byzantins, Georges le Syncelle et Suidas, racontèrent, sans fournir aucune preuve à l'appui de leurs assertions, que Plutarque avait reçu de Trajan la dignité consulaire et qu'il avait été investi par le même empereur d'une autorité souveraine sur les magistrats de l'Illyrie. Un peu plus tard, vers la fin du XIIe siècle, un évêque de Chartres, Jean de Sarisbery, affirma que Plutarque avait été le précepteur de Trajan. Dès lors la légende ne cessa d'embellir la vie de l'historien grec; on lui attribua une influence considérable sur l'esprit de Trajan; on affirma qu'il avait joui à Rome d'une popularité sans bornes et qu'il avait été l'un des personnages les plus considérables de l'Empire romain au début du siècle des Antonins. Dans son beau livre sur la Morale de Plutarque, O. Gréard a fait justice de cette tradition et montré qu'elle ne repose sur aucun fondement authentique. Ni Tacite, ni Suétone, ni Pline le Jeune, qui furent contemporains de Plutarque, ne le nomment; Plutarque lui-même, qui pourtant se plaît souvent à parler de lui et à rapporter ses succès, ne fait aucune allusion à ces prétendus honneurs (O. Gréard, la Morale de Plutarque, chap. I, §§ 1 et 2). Plutarque fut l'un des écrivains les plus féconds de l'Antiquité; ses oeuvres, telles que nous les connaissons, ne renferment pas moins de 48 biographies et de 78 traités ou dialogues divers; nous savons d'autre part qu'il avait écrit 130 autres ouvrages, aujourd'hui perdus. Sa fécondité n'eut d'égale que la variété et l'étendue de ses connaissances. Plutarque aborda une foule de sujets très divers : l'histoire, la philosophie, la critique littéraire, la rhétorique, la grammaire, la morale lui étaient familières; il passait de l'une à l'antre avec une aisance légère et charmante. Les ouvrages de Plutarque se répartissent en deux groupes principaux : les Vies parallèles et les Oeuvres morales. Dans les Vies parallèles des hommes illustres , Plutarque a raconté deux par deux les biographies des Grecs et des Romains les plus illustres. Il compare toujours un Grec et un Romain; après avoir parlé de chacun d'eux séparément, il les réunit dans une comparaison, indique les traits de caractère qui leur sont communs, montre en quoi les deux personnages se ressemblent, en quoi ils diffèrent, et souvent porte sur eux un jugement. Voici quelles sont les Vies parallèles de Plutarque, en suivant l'ordre des manuscrits : Thésée et Romulus, Lycurgue et Numa Pompilius, Solon et Valerius Publicola, Thémistocle et Camille, Périclès et Fabius Maximus, Alcibiade et Coriolan, Timoléon et Paul-Emile, Pélopidas et Marcellus, Aristide et Caton le Censeur, Philopaemen et Flamininus, Pyrrhuos et Marius. Lysandre et Sylla, Cimon et Lucullus, Nicias et Crassus, Eumène et Sertorius, Agésilas et Pompée, Alexandre le Grand et César, Phocion et Caton d'Utique, Agis et Cléomène et les Gracques, Démosthène et Cicéron, Démétrius Poliorcète et Marc-Antoine, Dion et Brutus. Il écrivit en outre les biographies isolées d'Artaxerxès Mnémon, d'Aratus, de Galba et d'Othon ; d'autre part, nous savons qu'il composa les vies d'Epaminondas, de Scipion Emilien, de Métellus; mais nous les avons perdues. Il semble que Plutarque n'a pas suivi l'ordre chronologique : la Vie de Démosthène figurait dans le Ve livre de son ouvrage, tandis que celle de Périclès faisait partie du Xe. D'ailleurs, c'était moins de l'histoire proprement dite que de la morale qu'il se préoccupait : c'est pourquoi il aime mieux peindre la physionomie et le caractère de ses héros que leur vie publique ce qu'il veut atteindre en eux, c'est l'âme, ressort de leur activité intérieure, source de leurs pensées. - Quelques maximes de Plutarque • C'est dans l'enfance que l'on jette les fondements d'une bonne vieillesse. • Se taire à propos vaut souvent mieux que de bien parler. • Il n'y a d'homme libre que celui qui obéit à la raison. • L'autorité est la couronne de la vieillesse. • Un ennemi est un précepteur qui ne coûte rien. • Le silence est la parure et la sauvegarde de la jeunesse. • Ceux qui sont avares de la louange prouvent qu'ils sont pauvres en mérite. • Je fais plus de cas de l'abeille qui tire du miel des fleurs, que de la femme qui en fait des bouquets. • Quand mon serviteur bat mes habits, ce n'est pas sur moi qu'il frappe; il en est de même de celui qui me reproche les accidents de la nature ou de la fortune.. | Et de même c'est la morale, le souci de l'enseignement, on pourrait presque dire de la prédication morale, qui apparaît sans cesse dans les opuscules si nombreux et si variés qui ont été réunis sous le nom d'Oeuvres morales. S'il est vrai que beaucoup de ces petits traités sont consacrés à des questions de morale pratique et courante, il ne faut pas oublier qu'un, grand nombre d'entre eux paraissent plutôt se rapporter à l'histoire (des Institutions antiques de Sparte, les Questions romaines, les Questions grecques, la Fortune des Romains, la Gloire militaire et littéraire d'Athènes); à la religion (Isis et Osiris, les Oracles de la Pythie, la Décadence des oracles); à la philosophie (Questions platoniciennes, De la Création de l'âme dans le « Timée » de Platon, les Contradictions du stoïcisme, l'impossibilité pour un disciple d'Epicure de mener une vie agréable); à la politique (Préceptes politiques, la Monarchie, la Démocratie et l'Oligarchie, le Rôle politique des vieillards); à la rhétorique (les Vies des dix orateurs, Comparaison d'Aristophane et de Ménandre, la Malignité d'Hérodote); même à l'histoire naturelle (Questions naturelles, l'Utilité de l'eau et du feu, etc.). Mais on ne doit pas se laisser tromper par les apparences. Le titre commun d'Oeuvres morales, donné à l'ensemble de tous ces ouvrages, est mérité. En effet, la morale est pour Plutarque la fin de la science. C'est elle qu'il voit, qu'il cherche, qu'il étudie et qu'il glorifie partout. « Toute poésie est pernicieuse, à son sens, qui ne se rattache pas directement à la morale. C'est de la morale qu'il déduit ses préceptes oratoires et ses règles de critique historique. Se trouve-t-il en présence d'un phénomène physique qui l'étonne, ou d'une question d'érudition qui l'embarrasse, aux explications que son savoir lui suggère il ne peut se retenir d'ajouter celles que les principes de la morale lui fournissent. S'il attaque les stoïciens et les épicuriens, c'est surtout pour défendre contre leurs doctrines le principe de la Providence et de son action morale sur le monde. La politique, enfin, telle qu'il la définit d'après Platon, n'est que le plus haut et le plus complet exercice sur la morale appliquée à l'amélioration des sociétés » (O. Gréard, la Morale de Plutarque, Introduction). Plutarque est avant tout et surtout un moraliste. La morale qu'il expose n'a rien de transcendant; c'est la morale du bon sens et de l'honnêteté pratique. Plutarque est aussi un Grec. Sans doute, il admire la civilisation romaine et le solide édifice politique élevé par Rome. Pourtant il aime la Grèce d'un amour filial profond, sincère et mélancolique. Il souffre de voir sa patrie asservie; s'il ne peut la glorifier dans son présent, il l'exalte et il l'adore dans son passé. Il sait bien qu'il ne peut lui rendre sa grandeur politique; du moins il voudrait faire refleurir dans les moeurs privées et publiques, dans les croyances religieuses de ses concitoyens, l'esprit de l'antique tradition. Il fut, comme on l'a dit finement, le dernier et le plus aimable des sages de la Grèce. Le style de Plutarque est varié, gracieux, vivant; il manque d'originalité, souvent aussi de pureté et de précision. Du moins il est sincère et ne sent pas la rhétorique. Plutarque a été, dès les débuts de la Renaissance, le plus populaire peut-être des écrivains de l'Antiquité. Rabelais, Montaigne, La Boétie l'ont vivement goûté; Amyot l'a traduit, sans toujours le bien comprendre, le XVIIe et le XVIIIe siècle ne lui ont pas été moins favorables. Saint-Evremond Ie comptait parmi ses auteurs préférés. Montesquieu s'y réfère souvent. Rollin s'inspire de lui sans cesse; et Jean-Jacques Rousseau l'étudie avec passion. La valeur littéraire de Plutarque a été plus justement appréciée à partir du XIXe siècle seulement, et l'auteur des Vies parallèles, sans rien perdre de son prestige aimable, a été remis par une critique plus juste à son vrai rang, qui est le second. (J. Toutain).
| Éditions anciennes - Parmi les éditions complètes de Plutarque, on remarque celles de H. Estienne, grec-latin, Genève,, 1571, 13 vol.-in-8; de Reiske, Leipz., 1774, 12 vol. in-8; de J.-G. de Hutten, Tubingen, 1791-1805, 14 v. in-8 (contenant le grec seul); de MM. Doener et Dübner, grec-latin, dans la collection Didot, 1841-55, 5 v. gr. in-8. Les oeuvres complètes de Plutarque ont été traduites en latin par Cruserius, 1564-73; en franc., par J. Amyot (1559-65), et par Ricard (1783-1803), trad. revue par Pierron, 1843-47. Les Vies ont été trad. par Tallemant, Dacier, Talbot. En bibliothèque - France le Corsu, Plutarque et les femmes dans les Vies parallèles, Les Belles Lettres, 1981; Yvonne Vernière, Symboles et mythes dans la pensée de Plutarque, Les Belles lettres, 1977. En librairie - Plutarque, Vies parallèles, Gallimard, 2002; Isis et Osiris, Guy Trédaniel, 2002; La Vie d'Alexandre, Autrement, 2001; Bavards et curieux, L'Arche, 2001; La Sérénité intérieure, Rivages, 2001; L'intelligence des animaux, Arléa, 1999; Grecs et Romains en parallèle (Les Questions romaines et Les Questions grecques), Livre de Poche, 1999; Comment tirer profit de ses ennemis, Rivages, 1999; Sur les délais de la justice divine, Actes Sud, 1999; Contre l'inertie, Arléa, 1998; Vie d'Alcibiade, Le Livre de Poche, 1996; Caton, Cicéron, Antoine, destins de Crise, Autrement, 1996; La conscience tranquille, Arléa, 1996; Erotikos, Arléa, 1995; Trois traités pour les animaux (prés. Elisabeth de Fontenay), Pol, 1992; Consolation à Apollonios, Klincksieck, 1972; Le Démon de Socrate, Klincksieck, 1970; Vies d'Alexandre et de César, Nouvelles éditions latines; Moyens de distinguer le flatteur, Circé. Les Belles Lettres publie par ailleurs, dans la Série grecque, les Oeuvres de Plutarque en plus de 30 volumes. Jacques Boulogne, Plutarque dans le miroir d'Epicure, Presses universitaires du Septentrion, 2003; du même, Plutarque, un aristocrate grec sous l'occupation romaine, Presses universitaires du Septentrion, 1998; J. Sireinelli, Plutarque, Fayard, 2000; J. Puilloux, D''Archiloque à Plutarque. Littérature et réalité, Maison de l'Orient méditérranéen, 1986; Robert Aulotte, Plutarque en France au 16e siècle, Klincksieck, 1971. | | |
| Plutarque d'Athènes, surnommé le Grand, fils de Nestorius, est un philosophe grec né vers 350, mort vers 433, et qui fut peut-être encore disciple de Priscus. Son fils Hierius et sa fille Asclépigénie enseignèrent avec lui à Athènes. II conserve l'antique croyance et connaît les arts théurgigues par les traditions de sa famille; il demeure en ac cord avec Plotin, puisqu'il distingue, selon Proclus (in Parm., VI, 37), l'Un, l'Intelligence, l'âme, les formes immanentes au corporel et la matière. Il commente, au moins oralement, le Parménide et le Phédon; mais il fait une place considérable à Aristote, dont l'étude est pour lui une préparation nécessaire à l'intelligence du platonisme. Avec lui Proclus lit, en même temps que le Phédon, le Traité de l'Ame, dont il donne un commentaire, que l'on compare à celui d'Alexandre d'Aphrodise et que citent souvent Simplicius et Philopon. Il aurait même blâmé les pratiques ascétiques de Proclus et de Syrianus (Marin. Vita Procl., 12) et développé des recherches psychologiques, où il conciliait Aristote et Platon. La perception sensible, distincte de la raison, lui est unie, parce que la conscience est un acte de la raison; l'imagination, distincte de la raison et de la perception sensible, est le mouvement de l'âme éveillée, sans discontinuité, par la sensation en acte. L'une de ses deux formes touche les sensations, l'autre, les intelligibles. La raison est séparée de l'imagination et de la perception; mais toute connaissance a en elle son fondement et son principe. Toutefois, il n'y a pas, pour les trois facultés, une essence unique, mais la raison a une essence séparable, c.-à-d. incorporelle et indivisible. La raison est entendue en plusieurs sens; elle est possédée kath exin, chez les enfants qui ignorent les choses, mais ont des notions, logoi; elle est en possession et en acte, chez l'homme fait; elle est purement en acte, vient du dehors, et constitue la raison parfaite ou divine. Plutarque d'Athènes croit que, par la raison en acte, Aristote a désigné la raison humaine, qui est une, qui tantôt pense et tantôt ne pense pas. Il se distingue ainsi d'Alexandre, pour qui la raison en acte est la raison divine; de Plotin, pour qui il y a, à côté de la raison humaine, une autre raison n'agissant que par intermittence. Plutarque affirme d'ailleurs l'immortalité de l'âme liée au corps par l'imagination et la sensation, comme de celle qui connaît les choses immatérielles. Il eut pour successeur Syrianus et pour disciple, pendant quelques années, le plus illustre représentant de l'école d'Athènes, Proclus. (F. Picavet). |