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Entre Villon
(dont le Grand Testament est de 1461) et le manifeste de la Pléiade
(1519) s'écoule, pour la poésie française, une période
de transition. Le seul nom resté illustre entre ces deux dates est
celui de Clément Marot. Mais les poètes
ont été nombreux; nous devons, avant d'arriver à Marot,
en nommer quelques-uns, et chercher si l'art des vers, sinon la poésie,
ne leur doit pas certains progrès.
Les grands rhétoriqueurs
On pourrait dire que le premier en date des
rhétoriqueurs avait été Alain
Chartier, «-père de l'éloquence
française ». La rhétorique
est l'art de bien dire; et, au XVe siècle,
on attachait une importance de plus en plus grande à la forme. En
effet, le grave défaut des imitateurs de Guillaume
de Lorris et de Jean de Meung avait été
une « abondance stérile». Il semblait qu'un poète
digne de ce nom, dût aligner de 4000 à 20.000
vers. Ce fut encore jusqu'au milieu du XVe
siècle la grande « qualité » des auteurs des'
Mystères. Une réaction
se produisit ; elle fut exagérée, mais nécessaire;
on ne voulut plus faire que de courts poèmes, surtout dans les genres
à forme fixe.
Les rhétoriqueurs furent particulièrement
les poètes de la cour de Bourgogne,
ceux de la cour de Malines, en Flandre,
groupés autour de Marguerite d'Autriche,
enfin ceux de la cour de France, protégés par Anne
de Bretagne. Il faut noter que quelques-uns de ces poètes furent
en même temps des chroniqueurs, des historiographes, des savants,
et peut-être des hommes d'esprit.
Les règles de leur poésie
sont au fond les mêmes que celles des XIIe,
XIIIe et XIVe
siècles. Mais les genres, lai, virelai,
rondeau, ballade,
servantois, chant
royal, se sont compliqués, on en a multiplié les difficultés
techniques. Molinet publia, en 1493, l'Art et Science de rhétorique,
où l'on trouve les préceptes de ces genres; mais, pour les
connaître mieux, il faut s'adresser au Grand et vray art de pleine
rhétorique, de Pierre Fabri (1521); c'est là véritablement
l'art poétique des prédécesseurs de Marot.
Les règles fixes du genre se compliquaient de, tours de force sur
la rime : celle-ci est dite équivoquée, quand elle
forme calembour (ainsi Marot accouple rimailleurs et rime ailleurs;
Crétin, louange avec loup ange, au soufre irait
avec souffrirait, etc.); la rime en écho répète
deux fois, ou trois fois, le son final, ou le mot entier (Crétin
écrira : Par ces vins vers, Atropos a trop os..., et : Qui
pour chanter a sa corde s'accorde, Mal prend son chant amour telle est
mortelle); dans la rime annexée et fratrisée,
on reprend au commencement d'un vers tout ou partie du mot formant la rime
précédente; dans la rime batelée, on répète
la rime à la césure du vers suivant ; dans la rime renforcée
on fait rimer les césures entre elles, ce qui permet de lire une
pièce écrite en alexandrins de ce genre, de trois façons:
d'abord en prenant de suite les douze syllabes de chaque vers, puis en
lisant une première colonne en vers de six pieds, et une seconde
colonne analogue. Ajoutons que certaines pièces sont écrites
de telle sorte que, lues de haut en bas, elles présentent un sens
positif, de bas en haut un sens négatif. Quelquefois, les vers peuvent
se lire à rebours. Bref, il n'est pas de fantaisie dont on ne trouve
quelque exemple chez les poètes de ce temps.
Georges
Chastelain.
On doit à Georges Chastelain (1403-1475)
Les Epitaphes d'Hector et d'Achille avec le Jugement d'Alexandre
le Grand, et les Douze dames de rhétorique, écrits
en vers. Ce sont des chefs-d'oeuvre de mauvais goût allégorique,
pédantesque et obscur. Mais Chastelain ne chercha dans la poésie
qu'une distraction; ses vrais titres sont ailleurs, dans sa Chronique
des ducs de Bourgogne.
Jean
Molinet.
Chanoine de Valenciennes,
historiographe de la maison de Bourgogne, bibliothécaire de Marguerite
d'Autriche, Jean Molinet (mort en 1507) a écrit une Chronique
qui continue celle de Chastelain. Il eut une grande réputation comme
poète; mais ses poésies ne furent publiées qu'en 1531.
Certains de ses vers devait être regardés à Malines
comme d'aimables jeux d'esprit, ceux-ci par exemple :
Molinet
n'est sans bruit ni sans nom, non.
Il a son son, et,
comme tu vois, voix;
Son doux plaid plaît
mieux que ne fait ton ton...
Jean
Meschinot.
On a vu dans Jean Meschinot (1420-1490)
le type du poète rhétoriqueur. Il a vécu, celui-là,
à la cour de Bretagne, et fut attaché
à la personne des ducs et à celle de la duchesse Anne, avant
son mariage avec Charles VIII. Il a composé
un poème, les Lunettes des Princes, qui eut une trentaine
d'éditions en cinquante ans. C'est une allégorie pénible,
mais parfois amusante. Dame Raison remet au poète des lunettes,
au moyen desquelles il lira dans le livre de Conscience. De ces lunettes,
l'un des verres est Prudence, l'autre Justice; ces verres sont enchâssés
dans un os, Force, fixé par un clou, Tempérance. Les rimes
sont équivoquées. On a de lui également une Oraison
qui se petit dire par huit ou par seize vers, tant en rétrogradant
que autrement, tellement qu'elle se peut lire en trente deux manières
différenles, et à chacune y aura sens et rime.
Guillaume
Crétin.
Avec Guillaume Crétin (mort en
1525), L'art des grands rhétoriqueurs envahit la cour de France.
Crétin fut chantre de la Sainte-Chapelle
de Paris et historiographe du roi François
Ier. Il écrivit douze
livres de Chroniques, en vers. Mais il fut surtout célèbre
par ses poésies (chants royaux, épigrammes,
ballades, etc.). Marot semble avoir admiré «-le
bon Crétin au vers équivoqué »; mais Etienne
Pasquier nous apprend que Rabelais a voulu
le représenter « sous le nom de Raminagrobis, vieux poète
français-» (Tiers Livre,
21).
Jean
Le Maire de Belges.
Il faut mettre à part, et au-dessus,
parmi tous ces rhétoriqueurs (qui furent, sans doute, gens de mérite,
mais un peu trop amateurs de turlupinades), Jean
Le Maire de Belges, véritable prédécesseur de
Clément Marot et de la Pléiade. Jean Le Maire est né
à Bavay, dans le Hainaut, en 1473.
Neveu et filleul de Molinet, il en reçut ses premières leçons
de poésie. Successivement clerc de finances au service du roi
de France, secrétaire du duc Louis de Luxembourg, il devient
en 1503 bibliothécaire de Marguerite d'Autriche; il fut enfin attaché
à la personne d'Anne de Bretagne, et mourut probablement vers 1525.
Parmi les oeuvres poétiques de Jean
Le Maire, il faut citer la Plainte du Désiré (Dame
Nature avec Peinture et Rhétorique viennent pleurer sur le cercueil
de Louis de Luxembourg); il se montre dans cet ouvrage, ainsi que dans
le Temple d'honneur et de vertus, disciple attardé du Roman
de la Rose.
Dans la Couronne margaritique, on trouve encore force allégories
: Mort, Vertu, Infortune, Prudence. Plus intéressantes sont les
Epîtres de l'Amant vert : l'amant vert est un perroquet qui vient
de mourir, et qui, des enfers, envoie des vers
à Marguerite, sa maîtresse désolée; la dame
lui réplique, en deux épîtres passionnées On
y trouve quelques descriptions ingénieuses, et une galanterie courtoise
ou précieuse, parfois piquante.
Comme poète, Le Maire vaut surtout
par la facture. Son vers, un peu dur, a de la fermeté; l'épithète
y est juste et bien placée; il a le sentiment du rythme. Par ses
qualités, et aussi par ses défauts (abus d'érudition,
diminutifs, mots composés, etc.), il annonce vraiment la Pléiade.
Mais son ouvrage le plus considérable
est écrit en prose. Il porte le titre assez singulier d'Illustrations
de la Gaule et Singularités de Troie, et parut en 1512-1513.
Le Maire s'y montre le continuateur de Benoît
de Sainte-Maure (Roman de Troie, XIIe
siècle), et le prédécesseur de Ronsard
(la Franciade). On sait que le Moyen
âge attribuait, à Francus, fils d'Hector, la fondation
du royaume de France. Le Maire reprend cette légende d'aussi loin
que possible. Dans son premier livre, il raconte le déluge,
l'histoire de Noé, de Cham, d'Osiris, de Dardanus et de Pâris;
dans le second livre, la guerre de Troie; dans
le troisième, les migrations des Troyens et leur établissement
en Gaule. On aurait tort de croire, d'après
ces rapides indications, à une indigeste et absurde compilation.
Les Illustrations contiennent de jolis passages descriptifs, des
morceaux romanesques comme l'histoire de Pâris et d'OEnone, qui ont
du charme et de la tendresse, et aussi quelques idées générales
sur les origines des peuples européens, qui ne sont pas sans intérêt.
L'imitation de l'Antiquité y est souvent ingénieuse et directe;
l'auteur connaît Homère et sait en
tirer des images. Bref, on s'explique le succès des Illustrations
de Gaule, à l'époque où le goût de l'Antiquité
se ranimait en se transformant au souffle de la toute prochaine Renaissance.
(Ch. M. de Granges).
Clément Marot
et ses contemporains
Clément Marot.
Le plus grand nom de la poésie
dans la première moitié du XVIe
siècle est celui de Clément Marot;
Marot est né en 1496 à Cahors. dans le Quercy, d'où
sa mère était originaire. Son père, le poète
Jean Desmaretz, ou Marot, était Normand. Il fit partie de la Basoche
et des Enfants sans-souci, puis entra,
en 1518, au service de Marguerite de Valois, soeur de François
Ier, la
future reine de Navarre. Il fut fait prisonnier
à Pavie. Revenu à Paris. il succéda
à son père comme valet de chambre du roi, publia, en 1532,
son premier recueil, l'Adolescence clémentine, et entreprit
alors la traduction en vers des Psaumes;
il encourut de ce fait l'hostilité des théologiens de la
Sorbonne, pour qui traduire les textes saints
en langue vulgaire et sans leur contrôle était faire acte
d'hérésie. Il se retira auprès de la reine de Navarre,
à Nérac, puis en Italie chez
Renée de France, fille de Louis XII et
duchesse de Ferrare. Il étudia les
poètes latins, dont il s'inspira
désormais, et apprit les règles de deux petits poèmes
italiens : le huitain et le sonnet, qu'il introduisit en France. Mal vu
par le duc, il chercha un refuge à Venise.
Autorisé à revenir en France, il dut abjurer à Lyon
ses supposées erreurs théologiques, continua sa traduction
du Psautier (1541); mais celle-ci fut aussitôt adoptée
par les Calvinistes et il dut fuir de nouveau.
Ayant gagné la Suisse et d'abord encouragé par Calvin,
son libre esprit ne put s'accorder avec la sévérité
genevoise et il se réfugia à Turin,
où il mourut en 1544.
L'oeuvre
de Marot.
Le charme de Marot se définirait
assez exactement par le mot de « gentillesse
» pris avec tout le sens qu'il avait alors; il ne désignait
pas, comme aujourd'hui, la grâce enfantine et mignarde, mais celle
qui comporte le désir de plaire, une bonne humeur qui résiste
courageusement aux mécomptes et aux misères, l'art de tout
dire sans offenser, le goût délicat, le tour ingénieux
et aimable qui fait tout passer, même ce qui est triste ou pénible,
qualités que Marot, comme Charles
d'Orléans et La Fontaine, possédait
et savaient exprimer; la fréquentation des cours les plus élégantes
de France et d'Italie les portèrent chez lui à leur perfection.
On en trouve des exemples accomplis dans ses épîtres.
Parfois il est d'une concision énergique à la façon
de Martial, dans ses épigrammes (Sur
le supplice du lieutenant Maillard), d'une émotion discrète
et d'autant plus charmante dans ses élégies.
Parmi les principales oeuvres de Marot;
il faut d'abord citer quelque poèmes, un peu plus étendus
que ses pièces ordinaires :
• Le Temple de Cupido est
un allégorie où reparaissent tous les personnages du Roman
de la Rose; oeuvre de jeunesse et de transition. souvent très
spirituelle dans le détail.
• L'Enfer, composé en 1526,
à l'hôtellerie de l'Aigle, à Chartres, ne fut publié
qu'en 1542, par Etienne Dolet, qui y a mis une préface. L'Enfer,
c'est le Châtelet; Marot fait une comparaison suivie entre l'enfer
des païens et la prison. A la porte, il rencontre Cerberus; puis Minos
(Jean de la Bane, prévôt de Paris); il aperçoit une
masse de serpents (les procès, dont il énumère les
différentes formes; il comparait devant Rhadamantus (Jean Morin,
lieutenant civil, auquel il prête un discours artificieux et hypocrite
qui devait être dans le caractère du personnage. Marot nous
dit comment il plaida devant Jean Morin; ce plaidoyer mérite d'être
lu en entier, pour les détails très curieux qu'il contient
sur la biographie et sur les idées de Marot. Le Griffon (greffier)
prend des notes. Rhadamantus se lève, le fait reconduire dans la
salle commune où il retrouve ses compagnons d'infortune.
Quant aux petites pièces de Marot,
elles peuvent se classer ainsi :
• 65 épîtres (Au
roi pour succéder à l'état de son père; - pour
le délivrer de prison; - pour avoir été dérobé;
A Lyon Jamet; A Guillaume Preudhomme, etc.);
--
Marot à
son ami Lyon Jamet (1526)
Marot,
arrêté en 1526, on ne sait pour quelle raison (peut-être
comme suspect d'hérésie ?), fut enfermé au Châtelet.
De sa prison il écrivit à Lyon Jamet, seigneur de Chambrun.
En jouant sur le nom de Lyon, et en se comparant au rat, à cause
de la modestie de sa situation, Marot reprend une fable très
ancienne que non seulement il rajeunit par des détails exquis, mais
qu'il fixe. La Fontaine, après lui, y a échoué. -
Lyon Jamet obtint que Marot fût réclamé par l'évêque
de Chartres; le poète put ainsi quitter le Châtelet, et quelques
mois après il obtenait sa grâce.
« ... Je te
veulx dire une belle fable
C'est a sçavoir
du Lyon et du Rat.
Cestuy [1] Lyon,
plus fort qu'un vieil verrat [2],
Veit une foys que
le Rat ne sçavoit [3]
Sortir d'un lieu,
pour autant qu'[4] il avoit
Mengé le
lard [5], et la chair toute crue
Mais ce Lyon (qui
jamais ne fut grue) [6]
Trouva moyen et
maniere et matiere,
D'ongles et dens,
de rompre la ratiere,
Dont maistre Rat
eschappe vistement;
Puis meit à
terre un genouil gentement,
Et en ostant son
bonnet de la teste,
A mercié
mille foys la grand beste,
Jurant le dieu des
souris et des ratz
Qu'il luy rendroit.
Maintenant tu verras
Le bon du compte
[7]. Il advint d'aventure [8]
Que le Lyon pour
chercher sa pasture
Saillit dehors sa
caverne et son siege [9],
Dont (par malheur)
se trouva pris au piege
Et fut lié
contre un ferme posteau.
Adonc le Rat, sans
serpe ne cousteau,
Y arriva joyeux
et esbaudy,
Et du Lyon (pour
vray) ne s'est gaudy [10]
Mais despita [11]
chatz, chates et chatons,
Et prisa [12] fort
ratz, rates et ratons,
Dont [13] il avoit
trouvé temps favorable
Pour secourir le
Lyon secourable;
Auquel a dict :
- « Tais toy, Lyon lié [14]
Par moy seras maintenant
deslié
Tu le vaulx bien,
car le cueur joly as;
Bien y parut quand
tu me deslyas.
Secouru m'as fort
lyonneusement,
Or secouru seras
rateusement. »
Lors le Lyon ses
deux grans yeulx vestit [15]
Et vers le Rat les
tourna un petit,
En luy disant :
- « O povre verminiere,
Tu n'as sur toy
instrument ne maniere,
Tu n'as cousteau,
serpe, ne serpillon,
Qui sceust coupper
corde ne cordillon [16],
Pour me jecter de
ceste etroicte voye!
Va te cacher, que
le Chat ne te voye!
- Sire Lyon (dit
le filz de Souris),
De ton propos certes
je me soubris [17];
J'ay des cousteaux
assez, ne te soucie,
De bel os blanc
plus tranchans qu'une sye:
Leur gaine c'est
ma gencive et ma bouche;
Bien coupperont
la corde qui te touche
De si trespres [18],
car j'y mettray bon ordre. »
Lors sire Rat va
commencer à mordre
Ce gros lien. Vray
est qu'il y songea [19]
Assez longtemps,
mais il le vous rongea
Souvent, et tant,
qu'à la parfin tout rompt,
Et, le Lyon de s'en
aller fut prompt,
Disant en soy :
« Nul plaisir en effect
Ne se perd point
[20], quelque part où soit faict. »
Voyla le compte
en termes rithmassez,
Il est bien long,
mais il est vieil assez,
Tesmoing Esope et
plus d'un million [21].
Or vien me veoir
pour faire le Lyon,
Et je mettray peine,
sens et estude
D'estre le Rat,
exempt d'ingratitude :
J'entends, si Dieu
te donne autant d'affaire
Qu'au grand Lyon
: ce qu'il ne veuille faire [22]. »
(Clément
Marot, extrait des Épîtres, 1, 6).
Notes
: 1 Cestuy (ecce isti haic?) = ce. 2. Verrat = pourceau mâle.
- 3 Scavoit : orthographe fautive de ce mot au XVIe siècle. On le
faisait venir de scire, qui en latin veut dire savoir; il vient
en réalité de sapere. - 4. Pour autant qu'il, parce
qu'il. - 5 Mengé le lard. On rapproche de cette expression le refrain
de la IXe ballade : Prenez-le, il a mengé le lard, et l'on
en conclut que Marot a été arrêté pour avoir
mangé du lard en carême. Cette opinion est discutée.
- 6. Grue = sot. 7. Compter et conter ont la même étymologie
(computare); au XVIe siecle, on mêlait les deux orthographes.
- 8. Advint d'aventure, allitération. - 9. Siege = séjour.
- 10. Gaudy = moqué. - 11. Despita (despicere) = prononça
une formule de mépris contre... - 12. Prisa = loua. - 13. Dont (de
unde) de ce que. - 14. Nous avons ici une suite d'allitérations
et de rimes équivoquées. Marot emploie spirituellement avec
grâce un des procédés familiers aux grands rhétoriqueurs,
dont il est le disciple émancipé. Nous trouvons ici : secourir,
secourable; Lyon lié; joly as, deslias; voir plus loin
d'autres exemples. - 15. Vestit. Le lion rabat ses paupières sur
ses veux, il les vêt; telle est la leçon aujourd'hui
adoptée, au lieu de vertit ( = tourna) qui fait double emploi
avec le verbe du vers suivant. - 16. Remarquer, ici encore, les allitérations
amusantes. - 17. Souris et soubris (= sourire) forment rimes équivoquées.
- 18. Si trespres. Si (sic) renforce le sens du préfixe très.
- 19. Songea, il s'y appliqua. - 20. Ne se perd point. Point aujourd'hui,
serait explétif. 21. Un million, une quantité d'autres
fabulistes. - 22. Ce que je souhaite qu'il ne fasse pas.
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• 27 élégies, ou épîtres
galantes, dont la plupart sont adressées à des inconnues,
très difficiles à identifier; quelques-unes sont des pièces
de circonstance, sur la mort de certains personnages (élégie
XXII, Du riche infortuné Jacques de Beaune, seigneur de Semblançay,
1527. C'est Semblançay qui parle, après sa mort, du haut
du gibet de Montfaucon; il y a là une imitation intéressante
de la fameuse Ballade des pendus, de Villon);
• 15 ballades; les mieux tournées
sont : la 3e, De frère Lubin
et la 5e, A Madame d'Alençon
[Marguerite de Valois] pour estre couché en son estat;
les ballades composées sur des événements historiques
sont les plus faibles; une des plus célèbres, et des plus
obscures, est la 14e dont le refrain :
Prenez-le, il a mangé le lard, se rapporte peut-être
à une dénonciation qui causa son premier emprisonnement ;
• 80 rondeaux, dont quelques-uns sont spirituels,
le 2e, sur les règles mêmes
du rondeau (le rondeau de Voiture,
Ma foi, c'est fait de moi...); le 8e,
A un poète ignorant (Qu'on mesne aux champs ce coquardeau...);
le 23e, A ses amys (Il n'en est
rien...); le 38e, adressé probablement
à Marguerite d'Alençon (Un mardy gras...); le 62e
(Au bon vieux temps un train d'amour régnait);
• 54 étrennes, sortes de madrigaux
adressés à des dames ou à des demoiselles de la cour,
et d'une singulière monotonie ;
• 294 épigrammes, genre dans lequel
excelle Marot. On connaît l'épigramme XLe,
sur la mort de Semblançay ; la LXXXIXeà
la reine de Navarre, sur ses créanciers; la LXVIIIe,
deOuy et Nenny, etc.;
• 42 chansons ;
• 17 épitaphes, ironiques
et plaisantes ;
• 35 cimetières ou épitaphes
sérieuses
• 5 complaintes, ou élégies
funèbres, dont la 3e, intitulée
Déploration sur la mort de Florimond Robertet, contient un
discours de la Mort « à tous humains», qui est le plus
bel effort de Marot vers la grande poésie.
Enfin, si l'on y ajoute 22 chants divers,
50 psaumes et 11 oraisons pieuses, la traduction d'une églogue de
Virgile, de 2 livres des Métamorphoses
d'Ovide, et 5 préfaces en prose (pour le
Roman de la Rose, 1527, et pour Villon, 1532), on aura l'oeuvre
complète de Marot.
Originalité
de Marot.
On a, avec Marot, poète au talent
aisé, apte à tourner galamment une étrenne, à
cadencer spirituellement une ballade, à aiguiser une épigramme.
Il est, dans cette société à la fois polie et libertine,
un amuseur plein de tact et de goût (sauf exceptions); il saisit
au vol l'actualité mondaine et politique; il a aimé plaire
aux grands et surtout, aux dames. Laissez-le vivre heureux dans cette cour;
il restera toute sa vie « le poète courtisan »; il sera
un précurseur de Voiture ou du chevalier
de Boufflers.
Mais il est deux fois emprisonné;
mais il est deux fois exilé; mais il lui faut solliciter sa
grâce, implorer le roi, Renée
de France, le dauphin; il lui faut se disculper de terribles accusations,
pour éviter le bûcher ou la potence; et ces catastrophes qui
brisent, semble-t-il, sa vie de poète, l'obligent à sortir
des conventions aimables et des allégories à la mode. Il
gémit peut-être de perdre son temps et son talent à
conter ses misères et à mendier des grâces et de l'argent;
et pourtant cette nécessité le force à puiser aux
vraies sources de la poésie, la douleur, les regrets du pays, le
remords; elle le pousse aussi à hausser le ton, à quitter
le badinage, à écrire les descriptions vengeresses de l'Enfer,
à plaider éloquemment contre les sorboniqueurs. Et ne voilà-t-il
pas, toutes proportions gardées, une admirable preuve de ce que
dira plus tard Musset- :
Les chants désespérés sont les chants les plus
beaux... Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur...
Mais jusque dans ses plaintes et dans ses
réquisitoires, Marot reste Marot. Son inspiration est courte. Il
ne sait ni voir, ni sentir, ni peindre. Ce sont des impressions vives et
rapides. Il est né homme de cour; il sait qu'on doit être
discret avec les grands. Il soupire plus qu'il ne pleure; il garde le sourire
au coin des lèvres, tandis qu'une larme perle à ses yeux.
Bref, il est le gentil Marot; il n'est ni Villon, ni Musset.
Le meilleur jugement porté sur Marot
est donc celui de Boileau, - non pas dans la courte histoire de la poésie
française de Villon à Malherbe (Art
poétique,
I v. 119) - mais au vers 96, Boileau vient de parler du burlesque en termes
sévères; est-ce à dire qu'il interdit de plaisanter?
Il répond à cette objection : Imitez de Marot l'élégant
badinage. Marot badine. Il ne traite sérieusement et à
fond aucun sujet, même les plus graves, les plus personnels. Il a
toujours de l'esprit; et jamais il n'en a plus que lorsqu'il cherche à
voiler la tristesse du sentiment sous la grâce de la forme. Marot
est, pour Boileau, un « honnête homme », un poète
de société et de salon, qui pourrait lire ses vers dans une
ruelle, qui a de la mesure, et qui possède l'art délicat
de suggérer ce qui ne doit pas être dit.
La
renommée de Marot.
De là, le grand, et persistant
succès de Marot au XVIIe siècle.
Ce n'est pas seulement Boileau qui l'admire.
La Fontaine, en est amoureux. Bussy-Rabutin,
Fénelon, le P. Bouhours, La
Bruyère, poètes et critiques, c'est à qui le louera.
Au XVIIIe siècle, Voltaire et Rousseau
sont d'accord pour le goûter. Il doit ce succès non moins
à son style et à sa langue qu'à son esprit. Que dit
La Bruyère?
«
Marot, par son tour et par son style, semble avoir écrit depuis
Ronsard; il n'y a guère entre lui et nous que la différence
de quelques mots ».
En effet, dans cette première partie
du XVIe siècle, la langue n'est
pas encore entrée dans la crise salutaire mais violente qu'elle
va subir avec Ronsard et ses imitateurs. Elle est française de vocabulaire
et de syntaxe. Elle est claire et vive; elle suffit à l'expression
délicate de tous les sentiments moyens.
C'est l'ensemble de ces qualités,
- badinage, élégance, contraste piquant entre le fond et
la forme, désir de plaire non sans quelque affectation, clarté
du tour et justesse de la rime, - qui a constitué le style marotique,
imité par La Fontaine et par Voltaire.
Marot a donc créé un style assez artificiel, si l'on veut;
c'est moins un style qu'une manière; mais le privilège est
assez rare, et n'appartient guère, avec lui, qu'à Pétrarque
et à Marivaux.
Les contemporains
de Marot.
Parmi les nombreux poètes qui furent
célèbres pendant la première moitié du XVIe
siècle, nous distinguerons d'abord :
Marguerite
de Valois
Marguerite
de Valois (ou de Navarre, ou d'Alençon), soeur de François
ler, qui est restée célèbre
par ses contes dont nous parlons plus loin. Comme poète, Marguerite
a laissé surtout des oeuvres inspirées par le mysticisme
religieux : Le Miroir de l'âme pécheresse, le Triomphe
de l'Agneau, l'Oraison de l'âme fidèle. Des pièces
profanes, épîtres, chansons, fantaisies mythologiques, complètent
le recueil publié en 1547 sous ce titre : les Marguerites de
la Marguerite des Princesses. Mais un grand nombre de poésies
de la reine de Navarre étaient encore inédites; elles témoignent
de la profondeur et de la délicatesse de ses sentiments. On a longtemps
prétendu que Marguerite devait à Marot et à Bonaventure
des Périers la plupart des vers qui nous sont parvenus sous
son nom? En tout cas, elle ne doit qu'à elle-même la sincérité
de son inspiration mystique et la haute valeur morale de ses poésies.
Mellin
de Saint-Gelais.
Mellin de Saint-Gelais
(1491-1558) était fils d'Octavien de Saint-Gelais, qui lui-même
avait agréablement rimé. Mellin fut le vrai disciple de Marot;
et, plus que Marot lui-même, il fut poète de cour : on croit
que Joachim du Bellay l'avait tout particulièrement en vue quand
il écrivit sa belle satire du Poète courtisan. Mellin avait
une grande facilité et rimait, presque à l'impromptu, des
huitains et des dizains sur les sujets les plus futiles et les plus imprévus.
On lui doit peut-être d'avoir rapporté d'Italie le sonnet.
En tout cas, il est le premier de de italianisants, et la Pléiade,
qui l'a méprisé et combattu, n'a fait que le suivre dans
l'imitation de Pétrarque et des et des poètes
italiens.
Collerye,
Brodeau.
Nommons ici Roger de Collerye (1470-1536
?), qui a créé le type de Roger Bontemps, ou encore Victor
Brodeau (mort en 1510), dont Voiture invoque
le nom pour trouver une rime dans son rondeau à Isabeau.
L'École
lyonnaise et les poètes apparentés.
Tous les poètes que nous venons
de nommer, y compris Marot, s'étaient fait de la poésie une
conception fort étroite. Seule, Marguerite avait chanté ses
aspirations religieuses et ses tourments. L'amour humain, ils l'ont réduit
à la galanterie, au caprice, à la coquetterie.
Antoine
Héroët.
Ce n'est pas encore la passion, mais c'est
l'amour intellectuel, le platonisme, qui anime
la Parfaite Amye d'Antoine Héroët, évêque
de Digne (mort en 1568). Ce petit poème
en trois livres, publié en 1542, est une théorie ingénieuse,
subtile, parfois obscure, de l'amour idéal : c'est la parfaite amye
qui parle elle-même et qui explique ses sentiments.
«
Ce livre est intéressant, dit Emile Faguet,
parce qu'il marque le commencement d'une mode littéraire et même
mondaine, qui se continuera à travers toute la Pléiade et
qui aboutira aux Précieuses,
aux fausses Précieuses, aux Précieuses ridicules et à
Armande et à Bélise; aussi parce qu'il marque un effort souvent
heureux du vers pour porter la pensée, même la plus abstraite
et la plus subtile. »
Héroët, sans faire partie officiellement
de l'école lyonnaise, s'y rattache par ses doctrines et par le style
un peu obscur de sa poésie. Cette école eut pour centre une
académie, l'Angélique, siégeant sur la colline de
Fourvières. Les principaux membres de cette académie furent
Maurice Scève, Claude de Taillemont, et plusieurs femmes, dont la
plus célèbre est Louise Labé, la « belle cordière
». La ville de Lyon était à cette époque une
véritable capitale, florissante par son commerce, et amie des arts;
elle n'était pas sans analogie avec les villes italiennes de la
Renaissance; par ses poètes, ses peintres, ses imprimeurs, elle
rivalisait avec Paris. Elle subissait très vivement l'influence
de l'Italie; et tous ceux qui passaient les Alpes, dans un sens ou dans
l'autre, s'arrêtaient à Lyon. Les
poètes et les artistes y étaient reçus avec grands
honneurs: tel Marot, à son retour d'exil.
Maurice
Scève.
Maurice Scève
(1510-1552) appartenait à une riche famille de bourgeoisie lyonnaise;
mais originaire d'Italie. Il étudia à Avignon,
et y découvrit le tombeau de Laure de Noves, la Laure de Pétrarque.
Aussi Pétrarque fut-il son module préféré;
et son principal ouvrage, Délie, objet de la plus haute vertu,
est une imitation fervente des canzoni.
Faguet loue sa préciosité mélancolique et son symbolisme
volontairement obscur. L'école
symboliste de la fin du XIXe siècle
s'est réclamée de Maurice Scève, comme les premiers
romantiques de Ronsard; et Délie a
été tympanisée par force gens qui ne l'avaient ni
comprise, ni peut-être lue.
Louise
Labé.
Louise Labé
(1526-1546) fut moins symbolique qu'élégiaque. Elle était
très savante, et présida à Lyon une manière
de salon littéraire. Dans ses sonnets, elle chante ses propres sentiments,
avec passion et avec mélancolie. Il y a chez elle beaucoup moins
d'artifice et de recherche que dans Héroët et dans Maurice
Scève, mais aussi moins de finesse et de distinction.
Ainsi la poésie, avant le manifeste
de la Pléiade (1549), avait déjà de nobles représentants.
Ni Héroët, ni Scève, ni Louise Labé, ne sont
des rimeurs de cour et d'actualité. Ils se font une haute idée
de leur métier; ils ne visent qu'aux suffrages des gens de goût,
de science et de subtile intelligence. Il est bon de le constater avant
d'aborder l'histoire de la Pléiade. Celle-ci, d'ailleurs, qui dédaigne
Marot et Mellin de Saint-Gelais, estime les poètes de l'école
lyonnaise; Ronsard et ses amis ont senti en eux des précurseurs
et des émules.
L'Art poétique
de Thomas Sibilet.
Si les grands rhétoriqueurs ont
eu leurs arts poétiques, l'école de Marot eut le sien, publié
par Thomas Sibilet en 1548, l'année même qui précède
la Défense et Illustration de la langue française.
Cet Art poétique met déjà le sonnet et l'ode
au-dessus des petits genres que Du Bellay traitera
d'épiceries; il pousse les poètes à l'imitation de
l'Antiquité; il impose aux versificateurs la règle de la
césure et l'alternance des rimes masculines et féminines;
enfin, il traite de vieille mode les rimes batelées, équivoquées,
etc. Bref, il annonce déjà la toute prochaine réforme.
Ronsard et la Pléiade
On a désigné sons le nom de
Pléiade, dans l'histoire de diverses littératures,
des groupes de sept poètes formant une sorte de constellation littéraire.
Le premier auquel on ait appliqué cette désignation est celui
qui florissait à Alexandrie sous
Ptolémée Philadelphe et comprenait
Lycophron de Chalcis,
Alexandre l'Etolien, Philisan de Corcyre,
Homère de Byzance,
Sosithée d'Alexandrie (Troade), Sosiphanes
de Syracuse et Aeantides ou Dionysiades
de Tarse, On l'a attribué aussi aux savants dont Charlemagne
encourageait les efforts : Alcuin, Angilbert,
Riculfe, etc., parfois même aux sept troubadours qui fondèrent
à Toulouse en 1324 la Sobregaya
companhia del gay saber (Jeux
floraux). Mais le groupe le plus célèbre qui ait porté
ce nom, et le seul peut-être qui ce le soit appliqué à
lui-même (après avoir pris d'abord dans la période
de combat celui de brigade), est celui qui, vers le milieu du XVIe
siècle, se forma autour de Ronsard.
Tandis que Marot
se croyait au faite de la puissance, cette troupe de jeunes poètes
accomplissaient une réforme littéraire. Jusque-là
l'étude de l'Antiquité
avait été négligée; on se contentait de suivre
les traditions du moyen âge; des poètes comprirent qu'il y
avait une autre voie à suivre. On vit une troupe d'écrivains
sortir de l'école de Jean Dorat et marcher
à la conquête de la poésie.
Dorat, professeur de Baïf, eut aussi pour élèves
Ronsard, Lancelot, Du Bellay,
Muret. C'est Joachim Du Bellay qui se mit à
la tête de cette révolution littéraire, et qui, entre
1549 et 1550, écrivit l'Illustration de la langue française.
Il voulait faire faire un pas à la langue
française qui, du reste, depuis François
Ier, avait
bien progressé. Du Bellay passe le Rubicon
et déclare la guerre a l'école de Marot.
Ronsard, Ponthus de Thiard, Remy
Belleau, Etienne Jodelle, Baïf font la guerre aux modernes et
plaident pour les anciens, auxquels ils gagnent Maurice
Sève et Théodore de Bèze.
Outre Ronsard,
la Pléiade se composait de Du Bellay, Jean
Dorat, Rémy Belleau, Etienne Jodelle,
Baïf et Pontus de Thyard,
et l'on y ajoute aussi Amadis Jamyn. Laissant de côté les
poètes les moins importants de la pléiade, il convient de
retenir surtout les noms de Bellay, de Ronsard et de Jodelle, qui s'était
donné une mission spéciale.
Joachim
Du Bellay.
Joachim Du Bellay
(1524.1560) a su mériter le surnom d'Ovide
français, mais son plus grand titre de gloire est d'avoir écrit
l'oeuvre qui donna le signal de la lutte contre l'ancienne école.
Après avoir sonné la charge, il se retira du champ de bataille,
et, lorsque la querelle s'envenima, il tenta de la pacifier. Le manifeste
de la nouvelle école avait paru cinq ans après la mort de
Marot et deux ans après l'Art poétique
de Sébilet; ceux qui s'y enrôlèrent furent appelés
la brigade, et une fois victorieux ils se mirent de leurs propres mains
au ciel et s'appelèrent la pléiade.
-
A la France
« France, mere
des arts, des armes et des loix,
Tu m'as nourry longtemps
du laict de ta mamelle
Ores [ = maintenant],
comme un aigneau qui sa nourrisse appelle,
Je remplis de ton
nom les antres et les bois.
Si tu m'as pour
enfant advoüé quelquefois,
Que ne me respons
tu maintenant,
Ô cruelle?
France, France, respons a ma triste querelle [ = plainte (querela)] :
Mais nul, sinon
Echo, ne respond a ma voix.
Entre les loups
cruels j'erre parmy la plaine,
Je sens venir l'hyver,
de qui la froide haleine
D'une tremblante
horreur fait herisser ma peau.
Las! tes autres
aigneaux n'ont faute de pasture;
Ils ne craignent
le loup, le vent ny la froidure;
Si [= toutefois]
ne suis-je pourtant le pire du troppeau. »
(J.
Du Bellay, extrait des Regrets).
|
Du Bellay avait l'esprit juste et clair
et comprit ce qu'il avait à faire. Lui, du moins, n'a pas encouru
le reproche que fait Boileau à Ronsard
d'avoir en français parlé
grec et latin.
C'est un critique judicieux et exact qui s'emportera contre Baïf,
lorsque celui-ci s'élèvera jusqu'à l'emphase, et il
lui reprochera de pindariser. Les sonnets, l'Olive, les Regrets
et les Antiquités de Rome, ont un charme qui consiste dans
un vif sentiment de la réalité. Il mourut jeune, ayant acquis
une certaine réputation, mais sa renommée se perd dans celle
de Ronsard.
Pierre
de Ronsard.
Pierre de Ronsard
(1524-1585) fut le véritable créateur de la pléiade.
Cette pléiade, bien qu'elle comptât des poètes médiocres,
fut couverte d'applaudissements unanimes, et Ronsard fut célèbre
jusqu'à l'étranger. Elisabeth
d'Angleterre lui adressa des éloges, et le Tasse,
lorsqu'en 1571 il vint à Paris, voulut
être présenté à Ronsard et lui lire son Godefroy.
Plein de l'étude de l'Antiquité qu'il voulait introduire
en France,
Ronsard a écrit des odes, des sonnets, des églogues,
des idylles gothiques et un poème héroïque,
la Franciade;
mais, si beaucoup de ces oeuvres sont lourdes, bizarres, pleines d'emphase,
du moins au XVIe siècle reste-t-il
maître dans l'élégie.
Ronsard ne se contente pas de cultiver les genres : il règle tout,
mais en brouillant tout; il se livra à un véritable pillage
de l'Antiquité. Ne trouvant pas la langue suffisamment noble ni
riche, il emprunta les mots eux-mêmes à l'Antiquité
grecque et latine, et, prenant même les patois pour des dialectes,
il conseilla de leur faire des emprunts. Ses tentatives d'enrichissement
aboutirent à un amalgame de langues savantes et de patois provinciaux,
bariolé d'italien, de mots grecs
et latins, de mots savants et de mots de
boutique, vrai pêle-mêle qui a donné à Ronsard
une sorte d'immortalité ridicule. Mais si dans l'âge suivant,
comme le dit Boileau, on devait voir tomber de ses grands mots le faste
pédantesque, il n'en a pas moins mérité, par un certain
côté, les honneurs que lui prodigua son siècle et jusqu'à
la statue de marbre qu'on lui éleva. Jusque-là on s'était
contenté de traduire les anciens, il sentit qu'on pouvait les imiter,
et l'on doit également lui savoir gré d'avoir le premier
visé à la noblesse et à l'éclat du langage.
--
Contre les
bûcherons de la forêt de Gastine (1560)
Ronsard
habitait souvent en son abbaye de Croix-Val, dans le Vendômois, préès
de la forêt de Gastine ou Gâtine. Cette belle élégie
lui a été inspirée directement par son amour de la
nature. Mais il n'a pu se défendre de mêler à ses descriptions
et à ses sentiments des souvenirs mythologiques tout à fait
discordants.
« ... Escoute,
bucheron, (arreste un peu le bras);
Ce ne sont pas des
bois que tu jettes à bas,
Ne vois-tu pas le
sang, lequel degoute à force,
Des Nymphes qui
vivoient dessous la dure escorce [1]?
Sacrilege meurdrier
[2], si on pend un voleur
Pour piller un butin
de bien peu de valeur,
Combien de feux,
de fers, de morts, et de destresses
Merites-tu, meschant,
pour tuer nos Deesses?
Forest, haute maison
des oyseaux bocagers [3]!
Plus le cerf solitaire
et les chevreuls legers
Ne paistront sous
ton ombre, et ta verte criniere
Plus du soleil d'esté
ne rompra la lumiere.
Plus l'amoureux pasteur
sur un tronq adossé,
Enflant son flageolet
à quatre trous persé,
Son mastin à
ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur
de sa belle Janette
Tout deviendra muet,
Echo sera sans vois [5]
Tu deviendras campagne,
et en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain
lentement se remue [6],
Tu sentiras le soc,
le coutre [7] et la charrue :
Tu perdras ton silence,
et haletans d'effroy
Ny Satyres ny Pans
[8] ne viendront plus chez toy.
Adieu, vieille forest,
le jouet de Zephyre,
Où premier
[9] j'accorday les langues [10] de ma lyre,
Où premier
j'entendi les fleches resonner
D'Apollon, qui nie
vint tout le coeur estonner [11]
Où premier
admirant la belle Calliope [12],
Je devins amoureux
de sa neuvaine trope [13],
Quand sa main sur
le front cent roses me jeta,
Et de son propre
laict Euterpe [14] m'allaita.
Adieu, vieille forest,
adieu testes sacrees,
De tableaux et de
fleurs autrefois honorees [15],
Maintenant le desdain
des passans alterez,
Qui, bruslez en
Esté des rayons etherez,
Sans plus trouver
le frais de tes douces verdures,
Accusent vos meurdriers,
et leur disent injures.
Adieu chesnes, couronne
aux vaillans citoyens [16],
Arbres de Jupiter,
germes Dodoneens,
Qui premiers aux
humains donnastes à repaistre [17],
Peuples vrayment
ingrats, qui n'ont sceu recognoistre
Les biens receus
de vous, peuples vrayment, grossiers,
De massacrer ainsi
leurs peres nourriciers.
Que l'homme est malheureux
qui au monde se fie
O Dieux, que veritable
est la philosophie,
Qui dit que toute
chose à la fin perira,
Et qu'en changeant
de forme une autre vestira
De Tempé
la vallee un jour sera montagne,
Et la cyme d'Athos
une large campagne.
Neptune quelquefois
[18] de blé sera couvert
La matiere demeure
et la forme se perd [19]. »
(Ronsard,
Élégies, XXIII).
Notes
: 1. Nymphes, divinités des eaux, des
bois, etc. Celles qui vivent dans les arbres s'appellent
plus particulièrement Dryades (du mot
grec drus = chêne). - 2. Meurdrier = meurtrier, ne doit former,
dans le vers, que deux syllabes. - 3. Bocagers, qui vivent dans les bocages.
- 4. Criniere = cheveux, s'employait alors fréquemment pour feuillage.
- 5. Echo. Allusion à l'histoire de la nymphe Echo,
racontée par Ovide dans ses Métamorphoses,
III, 358. - 6. Il est question, dans ce beau vers descriptif, soit des
ondulations du feuillage sous le vent, soit des déplacements de
l'ombre sur le sol. - 7. Coutre (culter), le couteau placé
en avant du soc, dans la charrue. - 8. Satyres,
Pans, dieux champêtres de la mythologie
latine. - 9. Premier, pour la première fois. - 10. Langues,
peut-être les chevillesqui fixent les cordes (?). - 11. Estonner,
sens très fort, comme au XVIIe siècle. 12. Calliope,
Muse de la poésie épique. - 13. Trope, troupe (latin troppus,
turba?). La neuvaine trope est la troupe des neuf Muses.
14. Euterpe, Muse de la musique. - 15. Tableaux.
Chez les Anciens, les personnes qui avaient échappé à
un danger, par exemple à un naufrage, faisaient représenter
la scène sur un tableau, et suspendaient ce tableau à un
arbre sacré, on dans un temple (cf. Horace,
Ep. II, 3, 10-21). - 16. Couronne aux... Vous dont on faisait des
couronnes pour... 7. Dodoneens, de Dodone.
Il y avait à Dodone, sur la colline du Tinarus, en Epire, un célèbre
sanctuaire de Zeus, entouré d'une forêt
de chênes dont les bruissements étaient interprétés
comme des oracles. Ronsard fait ensuite allusion
à la tradition qui veut que les premiers hommes se soient nourris
de glands, avant que Cérès (Déméter)
leur eût donné le blé (cf. Virgile,
Géorgiques, I, 148). - 18. Neptune
(Poséidon), pour la mer, dont Neptune est le dieu. - 19. Ce dernier
vers est une belle formule scientifique et poétique à la
fois, inspirée sans doute à Ronsard par Lucrèce.
|
Etienne
Jodelle.
Etienne Jodelle (1532-1575), entre tous
les poètes de la pléiade, se proposa de restaurer la tragédie
en France. Les mystères, qui, au
Moyen âge,
avaient tenu lieu de théâtre,
s'étaient transformés en pièces allégoriques
ou moralités : celles-ci bientôt
ne pouvant plus tirer les larmes des yeux des spectateurs, on les remplaça
par la farce, qui fut heureusement exploitée
par les Enfants-sans-Souci. Du mélange de la farce et de la moralité
naquit la sotie, où l'allégorie
règne encore souveraine et sous le manteau de laquelle les divers
ordres de l'Etat donnaient lieu à d'audacieuses bouffonneries.
François Ier,
établit la censure théâtrale et proscrivit les farces
et les soties. Mais une autorité plus puissante allait leur donner
le coup de grâce : le goût du public les abandonna pour les
tragédies et les comédies qui prétendaient imiter
le théâtre antique. Avant Jodelle, quelques poètes
guindés et médiocres avaient fait représenter des
tragédies. On cite d'Harcourt et
de Beauvoix; Lazare de Baïf avait fait représenter
une Electre et une Hécube, qui dénotent du
moins une grande connaissance du grec;
enfin Ronsard avait mis en vers le Plutus d'Aristophane.
Jodelle choisit d'abord Cléopâtre, qui fut, dans l'hôtel
de Reims, représentée devant Henri
II et la cour en 4552. Didon suivit Cléopâtre.
Ce ne sont pourtant pas là des chefs-d'oeuvre, et ces tragédies
sont dépourvues à la fois d'originalité et de vie.
Les théories
de la Pléiade.
Cette jeune école, animée
des plus nobles désirs, proscrit le rondeau,
le triolet et introduit les grands genres,
l'ode, la tragédie, l'épopée.
La langue gagna beaucoup à ce généreux effort; elle
s'enrichit de mots, de tours nouveaux et de formes poétiques. Les
plus essentielles des théories qui fondaient ces choix sont
exposées dans la Defense et Illustration de la langue françoise
de Du Bellay (1548). Ce livre, manifeste et programme, est un ardent plaidoyer
en faveur de la langue française.
L'auteur démontre que cette langue n'a on elle-même rien qui
la rende inférieure aux langues anciennes; que sa seule infériorité
est d'avoir été maniée par des écrivains médiocres
et qu'il suffirait, pour qu'elle égalât le latin et le grec,
que de grands esprits la prissent pour véhicule de belles pensées
et de nobles sentiments. Ces idées si pleines de bon sens avaient
déjà été exprimées un siècle
auparavant à propos d'une autre langue moderne par les érudits
italiens, notamment par Léon-Battista
Alberti, mais elles étaient toutes nouvelles en France.
Le tort de la Pléiade a été
de croire que cet enrichissement de la poésie française ne
pouvait se faire que par le pillage de l'Antiquité;
elle s'est trop défiée de l'inspiration spontanée
et a trop borné le rôle du poète à celui d'un
traducteur ou du moins d'un adaptateur; elle a tourné le dos au
peuple et est devenue une école de mandarins aristocrates et érudits.
Son ambition a été surtout d'introduire en France les grands
genres classiques : Ronsard, se faisant la part
du lion, choisit l'épopée; Jodelle
eut la poésie dramatique, lourde tâche à laquelle il
était tout à fait inférieur; Belleau,
la poésie pastorale et descriptive; tous se partagèrent la
poésie lyrique, dont Ronsard avait déjà confisqué
une bonne partie. Ils avaient d'abord conçu celle-ci, Ronsard notamment,
à la façon de Pindare; ils marchèrent
ensuite, mieux avisés et plus heureux, sur les traces d'Anacréon
et d'Horace, sans jamais cesser de puiser à
la poésie italienne; mais
cet emprunt à une poésie moderne
ne les rapprochait guère de leur temps, car ce qu'ils y prenaient
c'est précisément ce qu'elle avait de plus raffiné
et même de plus factice, puisqu'ils imitaient de préférence
Pétrarque ou les Pétrarquistes,
qui, en deux siècles d'imitation, avaient noyé tout ce qu'il
y avait d'original on de profond dans la poésie du maître.
On a donc eu quelques raisons de juger sévèrement les théories
poétiques de la Pléiade.
En ce qui concerne la langue, on a été
plus sévère encore, mais avec moins de justice et sans sa
préoccuper toujours de bien comprendre des théories que l'on
condamnait sur la foi de Boileau. On a jeté
à la tête de Ronsard quelques vers ridicules et les pédantesques
créations de Du Bartas dont il ne pouvait
mais, et on n'a pas tenu assez de compte des conseils très sensés
que Du Bellay et lui donnent à leurs amis;
ces conseils peuvent se résumer ainsi : on doit enrichir la langue,
non en y faisant entrer de force des mots grecs et latins, mais en formant,
à l'image de ces deux langues, des dérivés et composés
(c'est ce que Ronsard appelle, d'un mot heureux, le provignement),
en faisant revivre des mots tombés de l'usage, en introduisant dans
la langue littéraire des termes techniques ou empruntés aux
dialectes. On peut reprocher à la Pléiade d'avoir en, en
fait de langue, le souci de l'enrichissement plus que celui de la pureté;
mais les moyens de l'obtenir étaient certainement les meilleurs.
Si Ronsard et ses amis eussent eu un esprit plus créateur, ils se
fussent spontanément, et en dépit même de leurs théories,
dégagés de l'imitation antique; avec un peu plus de goût,
ils eussent parlé une langue plus sobre et plus une, et notre grande
période littéraire eût pu apparaître un siècle
plus tôt. (A. Jeanroy).
Les poètes d'après
la Pléiade
Des innombrables poètes de l'école
ronsardienne, nous ne mentionnerons que les principaux. On peut les diviser
en deux groupes : le premier comprend ceux qui suivent les traditions de
leurs devanciers non seulement quant à la forme extérieure,
mais encore pour le fond même; et le second, ceux qui portent dans
la Renaissance poétique l'esprit de la Réforme religieuse.
Ici, Desportes, Bertaut et Vauquelin; là, du Bartas et d'Aubigné.
Ph. Desportes
Philippe Desportes
(1546-1606) fut le favori des princes et des grands et chanta souvent leurs
amours. Ses vrais maîtres sont, par delà Ronsard, les Italiens
Bembo, Molza, Tansillo, Sannazar;
et il renchérit sur ce que de tels modèles avaient de plus
précieux et de plus maniéré. Amours de Diane, Amours
d'Hippolyte, Amours de Cléonice, Amours diverses, c'est presque
toujours la même poésie artificielle, le même bagage
de figures à la fois recherchées et banales. Mais une voluptueuse
mollesse, une grâce insinuante, donnent beaucoup de charme à
ses vers, quand elles se concilient avec quelque naturel. Il a aussi trouvé
d'heureux motifs dans la vie champêtre : les Bergeries respirent
un sincère sentiment de la nature, à laquelle ce poète
de cour allait parfois demander un asile.
Venu en un temps où les premières
ardeurs et les premières ambitions des réformateurs poétiques
étaient déjà bien tombées, il devait, pour
cette raison même, échapper à l'obscurité, à
la contrainte, au pédantisme. Mais ce n'est pas, comme le dit Boileau,
la chute de Ronsard qui le rendit « plus retenu ». Ronsard
était à l'apogée de sa gloire lorsque Desportes composait
ses Amours et ses Bergeries. La retenue de Desportes s'explique
par la nature même de son talent, moins vigoureux et moins hardi.
Guez de Balzac a signalé chez lui «
les premières lignes d'un art malherbien ». Devons-nous donc
le considérer comme une sorte d'intermédiaire entre Ronsard
et Malherbe? Les notes mises par Malherbe lui-même aux oeuvres de
Desportes suffisent pour montrer quel mépris il en faisait. Ce poète
affété et mignard ne marque pas l'avènement d'une
école nouvelle, mais la décadence de celle qui reconnaissait
encore son chef dans Ronsard.
--
La vie champêtre
(1573)
« O bien-heureux
qui peut passer sa vie [1],
Entre les siens,
franc de haine et d'envie,
Parmy les champs,
les forests et les bois,
Loin du tumulte
et du bruit populaire,
Et qui ne vend sa
liberté pour plaire
Aux passions des
princes et des rois!
Il n'a soucy d'une
chose incertaine;
Il ne se paist d'une
espérance vaine;
Nulle faveur ne
le va decevant ;
De cent fureurs
il n'a l'ame embrasée,
Et ne maudit sa
jeunesse abusée,
Quand il ne trouve
à la fin que du vant.
Il ne fremist, quand
la mer courroucée
Enfle ses flots,
contrairement poussée
Des vens esmeus
[2], soufflans horriblement;
Et quand, la nuict,
à son aise il sommeille,
Une trompette en
sursaut ne l'éveille,
Pour l'envoyer du
lict au monument [3].
L'ambition son courage
n'attise;
D'un fard trompeur
son ame il ne déguise;
Il ne se plaist
à violer sa foy;
Des grands seigneurs
l'oreille il n'importune
Mais, en vivant
content de sa fortune,
Il est sa cour,
sa faveur et son roy.
Je vous rends grace,
ô deïtez sacrées
Des monts, des eaux,
des forests et des prées [4],
Qui me privez de
pensers soucieux,
Et qui rendez ma
volonté contente,
Chassant bien loin
ma miserable attente
Et les desirs des
coeurs ambitieux.
Si je ne loge en
ces maisons dorées,
Au front superbe,
aux voûtes peinturées
D'azur, d'esmail,
et de mille couleurs,
Mon oeil se paist
[5] des thresors de la plaine.
Riche d'oeillets,
de lis, de marjolaine,
Et du beau teint
des printanieres fleurs [6].
Ainsi vivant, rien
n'est qui ne m'agrée :
J'oy [7] des oiseaux
la musique sacrée,
Quand au matin ils
benissent les cieux,
Et le doux son des
bruyantes fontaines
Qui vont coulant
de ces roches hautaines [8]
Pour arrouser nos
prez délicieux.
Douces brebis, mes
fidelles compagnes,
Hayes, buissons,
forest, prez et montagnes,
Soyez témoins
de mon contentement!
Et vous, Ô
dieux! faites, je vous supplie,
Que cependant que
durera ma vie,
Je ne connoisse
un autre changement. »
-
(Philippe
Desportes, Bergeries, première pièce).
-
Notes
: 1. On reconnaît, dès ce début, le lieu commun sur
la vie champêtre, traité par un si grand nombre de poètes
à la même époque.. - 2. Poussée des, poussée
par; on note souvent l'emploi de de, des, là où nous mettons
aujourd'hui une autre préposition. - 3. Monument, dans le sens de
tombeau. - 4. Prées. Le latin pratum a donné pré;
mais le pluriel neutre prata, pris pour un nom féminin en
a (cf. folia), a donné prée. - 5. Se paist, se repaît.
- 6. Teint, ne se dit plus que du visage. - 7. J'oy (audio), j'entends.
8. Hautaines, a le double sens d'élevé et de fier. |
Bertaut.
Jean Bertaut
a écrit quelques pièces gracieuses. Il manque complètement
de verve, d'éclat, de force; c'est un poète « trop
sage », comme le lui reprochait Ronsard. Malherbe,
qui ne l'estimait qu' « un peu », trouvait ses vers «
nichil au dos », autrement dit sans consistance. Bertaut est l'ancêtre
des Godeau et des Sarrasin, de tous ces beaux
esprits qui feront fleurir jusqu'au milieu du XVIIe
siècle leurs grâces fades et maniérées.
Vauquelin de La
Fresnaye.
Vauquelin de La
Fresnaye (1536-1608) débuta, tout jeune, par des Foresteries
et des Idyllies. Il publia ensuite des Satires, qui sont
le premier recueil de ce genre en France. La plupart du temps, il se contente
d'y donner d'indulgentes leçons. Son modèle est Horace,
que, bien souvent, il imite ou traduit. Et il a, comme Horace, l'humeur
facile et douce, un bon sens aimable, un malicieux enjouement. Mais il
écrit d'un style très lâche et très diffus.
Dès 1574, Vauquelin conçut la première idée
de son Art poétique, qui resta longtemps sur le métier
et ne parut qu'en 1605. Dans cet ouvrage, il paraphrase l'Épître
aux Pisons (les Epîtres
d'Horace), en y ajoutant à mesure tous les conseils et tous les
exemples que l'état de la poésie contemporaine ou son histoire
antérieure pouvaient lui suggérer.
Fidèle disciple de la Pléiade,
Vauquelin ne se croit pourtant pas obligé d'applaudir à toutes
ses innovations, et, parmi les héritiers de Ronsard, il préfère
ceux qui ont tempéré la réforme littéraire.
Il se sépare même de ses maîtres sur quelques points.
D'abord il montre, dans le cours de le histoire poétique de la France,
des traditions continues, que la Renaissance modifia sans les rompre. Mais
surtout, il veut exclure du Parnasse français les divinités
olympiques et préconise des sujets chrétiens. Son poème,
très mal composé et très mal écrit, n'en est
pas moins intéressant au point de vue historique.
Les poètes Huguenots
Vers la fin du XVIe
siècle, alors que Desportes et tant d'autres faisaient consister
toute la poésie en chansons érotiques, le calvinisme eut
ses poètes propres. Si du Bartas et d'Aubigné relèvent
littérairement de Ronsard, le fond même de leurs oeuvres est
tout protestant.
Du Bartas.
Guillaume Du Bartas
(1544-1590 ou 1591) a écrit Judith, dont il emprunta le sujet
à l'histoire juive; la Première Semaine, où
il célèbre l'oeuvre des sept jours; la Seconde Semaine,
inachevée, qui devait mettre en vers la Bible
entière. Pour lui, la poésie est une école de science,
de bonnes moeurs et de piété; il a comme Muse « Uranie
», qui lui inspira des accents doctes et graves. Du Bartas ne sut
ni se borner ni se régler. Il ne distingua ni la simplicité
de la bassesse ni le sublime de l'emphase. Le sens de la mesure lui fit
défaut en tout. Il appliqua indiscrètement les procédés
à l'aide desquels ses devanciers avaient enrichi et ennobli la langue
poétique. Lui-même en inventa de saugrenus, auxquels son nom
reste malheureusement attaché. Il n'eut pas conscience du ridicule,
et le ridicule de ses « hypotyposes », de ses « redoublements
» à la grecque (par exemple pépétiller
pour pétiller, floflotter pour flotter, babattre pour
battre), de certains composés baroques, qu'il emploie sans retenue,
suffit pour le décrier. Cependant, malgré ses trivialités,
sa boursouflure, son pédantisme, les bizarreries de sa langue et
de son style, nous admirons encore chez lui l'ampleur de la forme, la vigueur
du souffle, l'éclat de l'imagination. Plus qu'aucun de ses contemporains,
il avait le sentiment de la grandeur. C'est le goût, non le génie,
qui lui a manqué.
Agrippa d'Aubigné.
Théodore
Agrippa d'Aubigné naquit à Saint-Maury, près de
Pons, en Saintonge, l'an 1550. Passant
avec lui par Amboise au lendemain de l'exécution
des conjurés, son père, devant leurs têtes fichées
sur des poteaux, lui fit promettre de venger « ces chefs pleins d'honneur
». Après la troisième guerre civile, il suivit à
la cour Henri de Navarre; là, il « s'affola » quelque
temps de plaisirs, mais conserva toujours, jusqu'en ses plus fougueux excès,
un fond de moralité vigoureuse et d'incorruptible puritanisme. C'est
en compagnie de d'Aubigné et sur ses instances que le futur Henri
IV se sauva de Paris : dès lors commence pour lui et pour son
maître une existence d'aventures et de périls. Il est le plus
dévoué des amis, mais le plus grondeur. Il ne peut pardonner
au prince ses ménagements et ses concessions, et, quand Henri IV
abjure, il le quitte. Pendant la régence, il s'associe à
tous les mouvements de ses coreligionnaires. Condamné à mort
par contumace, il va chercher un asile dans la capitale du Calvinisme,
Genève, où ses incartades lui
créent encore bien des difficultés. Il meurt en 1630.
Quoique d'Aubigné ait publié
ses ouvrages au XVII siècle,
il n'en doit pas moins être considéré comme un poète
du XVIe. Tout, en lui, nous montre l'homme
de la Renaissance, de la Réforme
et des Guerres de Religion. Son poème
des Tragiques
ne parut entièrement qu'en 1616; mais il l'avait commencé
dès 1577, et quelques parties en furent publiées dès
1594. Contemporain de Malherbe et mort deux ans après lui, il n'a
rien de commun avec ce modérateur, ce correcteur de la Pléiade.
Son rude génie s'abandonna aux élans d'une inspiration forcenée,
que ne refrène aucune règle.
Dans ses poésies de jeunesse, d'Agrippa
d'Aubigné nous apparaît pourtant comme un bel esprit à
la mode de l'époque. Tout en faisant profession de ne pas être
« coulant de style » et d'être plutôt « fort
de choses », il ne s'interdit pas les recherches et les afféteries
du jargon contemporain. Nature très diverse et très complexe,
nous trouvons chez lui, dans le prosateur surtout, une veine de gaieté,
de gaillardise drue et vivace ( son
Baron de Faeneste; quant à la Confession du sieur de Sancy,
c'est plutôt l'oeuvre d'un féroce ironiste); et l'on pourrait
citer, du poète, celle ou telle pièce qui nous révélerait
un d'Aubigné rêveur et tendre. Mais la seule de ses oeuvres
poétiques qui compte, ce sont les Tragiques, et ce poème
est écrit d'un bout à l'autre sur le ton de l'indignation.
Les Tragiques se divisent en sept
livres. Dans le premier (Misères), d'Aubigné fait
le tableau de toutes les calamités qui désolent le royaume.
Dans le second (Princes), il flétrit les vices et les crimes
des derniers Valois. Dans le troisième
(Chambre dorée), il flagelle une justice corrompue. Les quatrième,
cinquième et sixième s'intitulent Feux, Fers,
Vengeances; on y voit les supplices des Huguenots
brûlés ou égorgés, et la justice de Dieu les
vengeant déjà sur cette terre. Le septième (Jugement)
nous montre enfin les bourreaux condamnés par le tribunal céleste
à des tourments éternels.
Ce poème, quelque titre qu'il porte,
est une satire lyrique. Conçu et ébauché dans le délire
de la fièvre, il fut poursuivi et achevé dans un état
d'exaltation frémissante. La «-haine
partisanne » l'anime tout entier. Tandis que Du Bartas s'élevait
avec sérénité au-dessus des ardeurs sectaires, d'Aubigné,
en ses vers « échauffés », prodigue les outrages
et lance les anathèmes. C'est cette passion qui le rend éloquent.
On peut regretter qu'il manque d'art et de goût. S'il fut, dans sa
vie politique et militante, quelque chose comme un aventurier, peut-être
mérite-t-il le même nom dans sa carrière poétique;
mais ce fut un aventurier de génie.
Défauts et qualités sont
si étroitement unis chez lui qu'il n'y a pas moyen d'en faire le
départ. Souhaiter un d'Agrippa d'Aubigné impartial, correct,
discipliné, serait un contresens. Tout ce qu'on trouve en ses Tragiques
de négligences, d'obscurités et de rudesses, tout ce qu'ils
ont de tendu ou de languissant, de plat ou de rocailleux, d'amphigourique
et de pédantesque, n'empêche pas que nous y sentions un grand
poète, que nous admirions chez leur auteur sa fécondité
d'invectives, le sombre éclat de son imagination,
le relief saisissant de ses peintures, son originalité débridée
et fruste, mais d'un si vigoureux accent. (A19).
--
L'hiver de
la vie, d'Agrippa d'Aubigné (1630)
« Mes volages
humeurs, plus sterilles que belles,
S'en vont; et je
leur dis : « Vous sentez, irondelles,
S'esloigner la chaleur
et le froid arriver.
Allez nicher ailleurs,
pour ne tascher [1], impures,
Ma couche de babil
et ma table d'ordures;
Laissez dormir en
paix la nuict de mon hyver. »
D'un seul poinct
le soleil n'esloigne [2] l'hemisphere;
Il jette moins d'ardeur,
mais autant de lumiere.
Je change sans regrets,
lorsque je me repens
Des frivoles amours
et de leur artifice,
J'ayme l'hyver qui
vient purger mon coeur de vice,
Comme de peste l'air,
la terri de serpens.
Mon chef [3] blanchit
dessous les neiges entassees.
Le soleil, qui reluit,
les eschaulfe, glacees,
Mais ne les peut
dissoudre au plus court de ces mois.
Fondez, neiges;
venez dessus mon coeur descendre,
Qu'encores il ne
puisse allumer de ma cendre
Du brazier, comme
il fit des flammes autrefois.
Voicy moins de plaisirs,
mais voicy moins de peines.
Le rossignol se
taist, se taisent les sereines [4]
Nous ne voyons cueillir
ni les fruits ni les fleurs
L'esperance n'est
plus bien souvent tromperesse;
L'hyver jouit de
tout. Bienheureuse vieillesse,
La saison de l'usage,
et non plus des labeurs!
Mais la mort n'est
pas loin; cette mort est suivie
D'un vivre sans
mourir, fin d'une fausse vie
Vie de nostre vie,
et mort de nostre mort.
Qui hait la seureté,
pour aimer le naufrage
Qui a jamais este
si friant de voyage,
Que la longueur
en soit plus douce que le port [5]? »
-
(A.
d'Aubigné, Petites oeuvres mêlées).
Notes
: 1. Tascher, lacher, de lache, et non de lâche; confusion
orthographique. - 2. N'esloigne, ne s'éloigne de. - 3. Chef (caput),
tête.
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4. Sereines, sirènes. - 5. On admire, après la farouche énergie
des Tragiques, l'harmonie calme de ces derniers vers.
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