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Les forĂȘts et les bois sacrĂ©s

ForĂȘt et Bois sont des emblĂšmes de la vie primitive, supports de rĂȘveries sur "l'homme sauvage" (c'est-Ă -dire, au sens propre, "l'homme des bois"), les forĂȘts, par leur caractĂšre lugubre et sombre, les arbres, par la majestĂ© de leur port, la durĂ©e de leur existence, suscitaient aussi dans l'esprit de nos ancĂȘtres un profond sentiment de sacralitĂ©. Aussi les voit-on jouer un rĂŽle dans le culte de nombreuses sociĂ©tĂ©s anciennes ou plus rĂ©centes. Les vĂ©gĂ©taux arborescents sont souvent, sinon adorĂ©s comme des divinitĂ©s (dendolĂątrie), regardĂ©s du moins comme leur demeure.

Parfois, ce furent les arbres fruitiers dont la conservation importait si fort au bien-ĂȘtre de la sociĂ©tĂ©, qui furent regardĂ©s comme sacrĂ©s. Dans la PolynĂ©sie, le tabou protĂ©geait l'arbre Ă  pain et garantissait ainsi aux peuplades sauvages leur subsistance qu'elles tirent en grande partie de cet arbre. Mais s'en tenir Ă  une vision utilitariste condamne Ă  ne rien comprendre Ă  la diversitĂ© des mythes et des rituels auxquels sont associĂ©s arbres et forĂȘts. 

La Bible  en maints passages nous parle ainsi du culte que l'on cĂ©lĂ©brait chez les HĂ©breux dans les bocages et sous les arbres verts. L'arbre de vie et l'arbre de la science du bien et du mal, que la GenĂšse place dans le Paradis terrestre, semblent appartenir Ă  des temps oĂč l'on prĂȘtait aux arbres une intelligence, une vertu prophĂ©tique. C'est ce que confirment certaines traditions rabbiniques. 
L'une d'elles dit par exemple que, lorsque le serpent s'approcha de l'arbre, celui-ci cria : « Impie, ne t'approche pas de moi! ». C'est au bocage de MamrĂ© qu'Abraham Ă©leva un autel Ă  Yahveh. C'est lĂ  que ce dieu se rĂ©vĂ©la Ă  lui. Au IVe  siĂšcle de notre Ăšre, on rendait encore dans ce bocage, sous les chĂȘnes qui l'ombrageaient, un culte aux gĂ©nies, aux anges qui s'y Ă©taient rendus visibles.

Avant l'Ă©tablissement de l'Islam, les habitants de Nadjran, au YĂ©men, rendaient un culte Ă  un Ă©norme dattier, autour duquel ils cĂ©lĂ©braient, tous les ans, une fĂȘte solennelle et qu'ils chargeaient de vĂȘtements et d'Ă©toffes prĂ©cieuses.

Le culte des arbres en Iran, sur lequel Chardin et sir William Ouseley nous ont donnĂ© de si curieux dĂ©tails, semble se conserver dans ce pays depuis l'AntiquitĂ© la plus reculĂ©e. Ces arbres vĂ©nĂ©rĂ©s portent le nom de Dirakht i fazel (= les excellents arbres); on les couvre de clous, d'ex-voto, d'amulettes, de guenilles, et les derviches et les fakirs viennent se placer sous leur ombre. Ce sont gĂ©nĂ©ralement des platanes ou des cyprĂšs. Quelques-uns de ces arbres sont d'une extrĂȘme vieillesse. PrĂšs de Nakchouan, Ă  Ardubad, en ArmĂ©nie, est un orme, rapporte Ouseley, qui a plus de mille ans d'existence et qui est l'objet du culte des habitants. Les Persans attribuent Ă  leur vertu divine l'Ă©tonnante longĂ©vitĂ© de ces vĂ©gĂ©taux, sur lesquels la prĂ©sence des hommes saints, qui viennent s'abriter sous leur feuillage, attire, disent-ils, les bĂ©nĂ©dictions du ciel. On brĂ»le Ă  leur pied de l'encens ou des cierges, pour obtenir la guĂ©rison des malades ou l'accomplissement de ses voeux. Ceux qui s'endorment Ă  l'ombre de ces arbres, s'imaginent dans leurs songes goĂ»ter les fĂ©licitĂ©s rĂ©servĂ©es aux aoulia ou bienheureux. 

On connaĂźt le cĂ©lĂšbre cyprĂšs de Passa, l'ancienne Pasagarde, qui est restĂ© longtemps l'objet d'un pĂšlerinage cĂ©lĂšbre de la part des musulmans. Ces arbres reçoivent le nom de Pir, c'est-Ă -dire les anciens et on les regarde comme le sĂ©jour favori des Ăąmes des Ă©lus. Une croyance analogue fait admettre que les forĂȘts de Mazanderan, derniers vestiges de la vĂ©gĂ©tation forestiĂšre de ces contrĂ©es, sont la rĂ©sidence, le lieu de retraite des devs. Ce dernier trait achĂšve de dĂ©montrer que cette croyance est un de ces restes du mazdĂ©isme qui se sont conservĂ©s Ă  travers l'Islam, comme tant d'autres idĂ©es zoroastriennes (Zoroastre). Le Zend-Avesta nous montre que les anciens Perses adoraient les saints ferouers ou esprits de l'eau et des arbres. Ces ferouers se plaçaient au-dessus des arbres et bĂ©nissaient leurs fruits. Ils Ă©taient puissants et immortels. Les Persans appellent encore certains arbres mubarek, c'est-Ă -dire sacrĂ©s; tels sont l'olivier, le dattier, le nakhl, le kharma. Un ConifĂšre porte chez eux le nom de Dib-dar, Div-dar, Div-daru, c'est-Ă -dire l'arbre des devs (div) ou dĂ©mons (et oĂč l'on reconnaĂźt la mĂȘme Ă©tymologie que celle de derevo, arbre en russe, ou celle de drus, chĂȘne en grec duquel dĂ©rive le nom des Dryades, ou encore celles de l'anglais tree, ou des mots français dard, dague, daguet, tariĂšre...). Les Arabes l'appellent schedjeret al djinn, (= l'arbre des djinns), et quelquefois schederet allah (= l'arbre de Dieu), expressions qui remontent toutes Ă©galement Ă  la dendrolĂątrie mazdĂ©enne. Ce fait rappelle ce que dit Cazwini de l'arbre qui se trouve au pied du mont Sabalan,  en Azerbaldjan, et oĂč rĂ©sident les djinns.

En Inde, on retrouve des restes Ă©vidents de dendrolĂątrie qui se sont greffĂ©s sur l'hindouisme et le bouddhisme, et cette derniĂšre religion, en se rĂ©pandant dans toute l'Asie orientale, les a propagĂ©s avec elle. Chaque village de l'Inde a son ficus indica, qui en est comme le sanctuaire et l'asile. Ces arbres atteignent une vieillesse prodigieuse, circonstance qui a beaucoup contribuĂ© Ă  inspirer pour eux de la vĂ©nĂ©ration. C'est surtout sur les bords du Nerboudda qu'ils parviennent Ă  une grande longĂ©vitĂ©. Il n'est pas rare, dit-on, d'en voir qui ont plus de 500 ans. Cet arbre merveilleux, qui paraĂźt ĂȘtre le sukĂš inoikĂš, dont nous ont parlĂ© les compagnons d'Alexandre, forme Ă  lui seul une vĂ©ritable forĂȘt. Son Ă©tendue est telle qu'il en est qui ont pu abriter toute une armĂ©e. Ses rameaux en se repiquant dans la terre, donnent naissance Ă  une foule de rejetons qui ne se sĂ©parent pas de le tige mĂšre.

Le ficus indica prĂ©sente deux espĂšces qui sont Ă©galement entourĂ©es du culte et de la vĂ©nĂ©ration des Hindous. Le ficus indica proprement dit, appelĂ© par ce peuple vata ou njagrĂądha et le ficus religiosa qui porte le nom de açvattha, d'asod ou de pippala. Celui-ci prĂ©sente de nombreux et flexibles rameaux qui se repiquent en terre. Le Vata est le symbole de l'intelligence bĂŽdhi, c'est le hom des anciens Persans, l'arbre de la science du bien et du mal de la GenĂšse. Il atteint dans l'Ăźle de Ceylan, oĂč il est fort abondant, d'Ă©tonnantes dimensions, et est, de la part des Bouddhistes, l'objet d'une dĂ©votion spĂ©ciale. Dans tous les pays de foi bouddhiste on rencontre des arbres de Bouddha, Pout ou Bodhi, qui rĂ©pondent tous Ă  la mĂȘme idĂ©e symbolique. Le Vata est regardĂ© comme de sexe femelle. On le plante prĂšs de l'Açvattha, qui est regardĂ© au contraire comme du sexe mĂąle. Ces mariages d'arbres sont l'objet de cĂ©rĂ©monies religieuses sur lesquels les voyageurs ont donnĂ© des dĂ©tails intĂ©ressants.

Dans la GrĂšce, le culte des arbres, la consĂ©cration des bois et des bocages remontent Ă  l'aurore de la sociĂ©tĂ©. Ils formaient en particulier le trait distinctif de la vieille religion de Dodone. Les chĂȘnes de Dodone consacrĂ©s Ă  leur grand dieu, Zeu ou Iou, furent longtemps regardĂ©s comme douĂ©s de cette mĂȘme vertu prophĂ©tique que l'on attribuait plus anciennement Ă  tous les arbres des forĂȘts sacrĂ©es. En effet les oracles les plus cĂ©lĂšbres, ceux de Claros, de Thymbra, d'Olympie, de Charax en Carie, Ă©taient placĂ©s au voisinage de bois sacrĂ©s.

Les Grecs donnaient le nom d'alsos, et les Latins de lucus Ă  ces forĂȘts sacrĂ©es. Les premiers rĂ©servaient le nom drumos, drumĂŽn, Ă  des forĂȘts plantĂ©es surtout de chĂȘnes et d'ulĂš,, aux forĂȘts profondes, aux forĂȘts vierges. Les Latins appelaient nemus un parc, une pĂ©piniĂšre, et dĂ©signaient l'ulĂš sous le nom de sylva, mot qui en est dĂ©rivĂ©. Par synecdocque le mot ulĂš s'est appliquĂ© dans la suite au bois, Ă  la matiĂšre, sens qu'il prit, surtout Ă  l'Ă©poque alexandrine. Tandis que par un rapprochement inverse d'idĂ©es le mot lucus, bois, est dĂ©rivĂ© de lignum, bois (anglais lig, italien legno, espagnol leña).

Au fond de ces forĂȘts, de ces bocages sacrĂ©s, on s'imaginait que des divinitĂ©s qui veillaient Ă  la conservation des arbres, avaient placĂ© leur sĂ©jour. Pour les Grecs c'Ă©taient les Dryades, les Hamadryades, les NapĂ©es et ArtĂ©mis Agrotera leur reine, la dĂ©esse de la chasse et des lieux champĂȘtres; enfin Pan et les Panisques. Les mĂȘmes divinitĂ©s reçurent chez les peuples italiques les noms de Sylvains, de Faunes. C'est aux premiers de ces dieux, dont les Anciens eux-mĂȘmes ont reconnu l'origine la plus primitive, que les paysans latins adressaient des priĂšres pour la conservation de leurs troupeaux  PalĂšs, qu'invoquait le pĂątre sicilien et auquel il faisait des libations de lait, rĂ©sidait cachĂ© au fond des forĂȘts. Ce culte champĂȘtre se conserva longtemps en Italie, et sur la via ostiensis, un arbre consacrĂ© aux dieux attirait encore la vĂ©nĂ©ration des habitants, quand saint Audacte vint y prĂȘcher la foi chrĂ©tienne.

Lucain dĂ©crit une forĂȘt sacrĂ©e prĂšs de Marseille. L'armĂ©e de CĂ©sar n'osait y toucher : le premier il y porta la hache; et les troupes, rassurĂ©es en voyant que les divinitĂ©s des bois ne l'avaient pas foudroyĂ©, secondĂšrent ses efforts. 
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Des bruits dans les forĂȘts

Dans sa belle description des enchantements de la forĂȘt de Marseille, Lucain parle des arbres qui, sans recevoir dans leur feuillage le moindre souffle de vent, se hĂ©rissaient et frissonnaient d'eux-mĂȘmes. Ce phĂ©nomĂšne qui, il y a prĂ©s de deux mille ans, frappait les Gaulois de terreur, Ă©tait autrefois regardĂ© avec crainte  par des paysans, qui lui attribuaient une origine surnaturelle Vers 1810, encore, les habitants d'un village du Bugey furent trĂšs effrayĂ©s de voir les arbres d'un petit bois se tordre avec des bruits affreux, tandis que d'autres, dans la mĂȘme vallĂ©e, restaient immobiles : le propriĂ©taire essaya vainement de l'expliquer par un tourbillon; les gens sont restĂ©s convaincus qu'une lĂ©gion d'esprits aĂ©riens Ă©tait tombĂ©e comme une trombe sur le bois, et qu'ils avaient attristĂ© le vallon des cris de leurs douleurs. Une femme des Abrets (IsĂšre), tĂ©moin d'un phĂ©nomĂšne semblable, racontait Ă  D. Monnier, en 1843, que deux ans auparavant, Ă©tant allĂ©e voler du bois dans une forĂȘt, tous les arbres autour d'elle s'Ă©taient mis Ă  se plier et Ă  se tordre sans qu'il fit du vent. Elle disait que ce fait Ă©tait dĂ» Ă  des esprits en voyage. En Alsace, le gĂ©ant de la forĂȘt de Kasten faisait s'Ă©lever un ouragan qui secouait les arbres et les buissons.

Le bruit du vent dans les arbres qui produit parfois des harmonies si curieuses et si impressionnantes, surtout s'il s'y mĂȘle le son de quelque instrument lointain, a donnĂ© naissance Ă  des lĂ©gendes. On a autrefois entendu, aprĂšs le crĂ©puscule, les sons d'une lyre dans les bois qui avoisinent Cithers. Il faut se hĂąter de fuir, en se bouchant les oreilles, du cĂŽtĂ© opposĂ© Ă  celui oĂč retentissent les magiques accords; autrement on se sent entraĂźnĂ© Ă  sa suite par une force irrĂ©sistible. Ceux qui n'ont pas pu se soustraire Ă  ce charme puissant ont eu les visions les plus Ă©tranges : la mousse de la forĂȘt se couvrait de fleurs Ă©tincelantes comme des diamants; du sein des arbres, aux branches d'or et d'argent, sortaient des femmes nues d'une grande beautĂ©, et partout dans les airs, on entendait l'invisible lyre. Mais toutes ces merveilles Ă©talon insaisissables. Le prestige ne s'Ă©vanouissait qu'aux premiers rayons du jour : alors des rires moqueurs succĂ©daient aux mĂ©lodieux chants de la nuit, et celui qui s'Ă©tait laissĂ© prendre Ă©tait tout Ă©tonnĂ© de se trouver au milieu d'une mare ou parmi les ronces. Un revenant qui, vers le XVIIIe s., habitait les bois communaux de la Motte, jouait de la flĂ»te et sonnait du cor. On disait aussi qu'au sabbat, il dirigeait l'orchestre infernal. C'est surtout dans la nuit du vendredi au samedi que se faisait entendre ce concert mystĂ©rieux. DĂšs les premiers accords, vers minuit, chacun sortait de chez soi pour l'Ă©couter; mais on se gardait bien d'approcher du terrier. Dans la forĂȘt de Long-BoĂ«l (Seine-Maritime), quand le vent souille mĂ©lodieusement dans la ramĂ©e, on s'imagine ouĂŻr le cor des anciens verdiers dont les Ăąmes la hantent. 

Une belle Dame blanche fait retentir des sons de son olifant les Ă©chos de la forĂȘt de Serre pris de DĂŽle; il en est toutefois qui en font une naine, vieille, ridĂ©e, malicieuse, marchant comme une sorciĂšre courbĂ©e sur son bĂąton de coudrier. 

Des revenants qui, d'ordinaire, sont condamnĂ©s Ă  des pĂ©nitences posthumes, manifestent leur prĂ©sence d'une façon bruyante. On entend chaque nuit dans les bois de Beaucourt les longs gĂ©missements et les cris confus que poussent les chevaliers Ă  la Croix Rouge, qui doivent y revenir jusqu'Ă  la fin du monde. Parfois il s'y mĂȘle un bruit de pas, de branches froissĂ©es, des galops furieux et des hurlements, et, si la lutte est dans son plein, on voit des milliers de fantĂŽmes, vĂȘtus d'une longue robe rouge de sang, poursuivis par des jeunes filles habillĂ©es de robes blanches ; les fantĂŽmes Ă©pouvantĂ©s s'enfuient Ă  travers les taillis, toujours pourchassĂ©s par les spectres des jeunes filles qui autrefois se noyĂšrent de dĂ©sespoir dans l'Hallue, quand les Templiers leur eurent fait violence.

Depuis qu'un meurtre a Ă©tĂ© commis dans les bois de la PerraudiĂšre, au dĂ©but de la RĂ©volution, d'horribles cris semblent en sortir, dit-on, surtout Ă  la veille des grandes fĂȘtes. Lorsque l'on dit la messe Ă  la chapelle du chĂąteau, une fois par semaine, les clameurs cessent. Elles reprennent si on est quelque temps sans l'y cĂ©lĂ©brer. Bien des gens affirment avoir entendu le « Crieux  » Ă  la nuit tombante. A EtrĂ©pigny, la demoiselle de la Garenne cherchait, la nuit, sa pantoufle perdue dans le bois et poussait des cris affreux.

Des lamentations et des bruits de chaĂźnes se font entendre toutes les nuits dans le bois de l'Enfer prĂšs de GuĂ©ret; un esprit manifestait sa prĂ©sence par des cris de Ah! Ah! parfois suivis d'apparitions lugubres, dans un bois prĂšs du village de GrĂ©oliĂšres. L'homme sans tĂȘte qui hante celui de Varengrou tient une bouteille Ă  la bouche, et s'en va en criant : « HĂ©las ! HĂ©las !  » AprĂšs minuit, une Ăąme errante crie dans le bois de Bredoulain : « L'as-tu ? » On l'appelle le huyeux; c'est an sacristain qui, accompagnant un soir son curĂ© qui portait l'hostie, s'Ă©carta pour poursuivre un liĂšvre. Le prĂȘtre lui cria : « L'as-tu ? ». A ce moment le sacristain disparut, avec un grand cri, dans une lueur rouge, et depuis il ne cesse de rĂ©pĂ©ter les paroles du curĂ©. Dans le bois des Grands Noms, des plaintes et des bruits effrayants s'entendent surtout le samedi et la veille des grandes fĂȘtes; on n'en approche pas, mĂȘme en plein jour, quand le taillis est haut. Un paysan s'y Ă©tant aventurĂ©, une voix formidable cria: « OĂč faut-il le mettre? » A quoi une autre voix non moins violente rĂ©pondit : « Mets-le oĂč tu voudras! ». Ceux qui, exploitant les coupes, avaient fait tort aux ouvriers, revenaient dans les forĂȘts du pays de Vaud, et on les entendait pousser ce cri d'effort familier aux bĂ»cherons qui soulĂšvent des billons : « Yo houh!  ».

Le chĂȘne rosĂ© qui s'Ă©levait dans un carrefour de la forĂȘt de LoudĂ©ac (CĂŽtes-du-Nord) passait pour ĂȘtre hantĂ©. Un garcon des environs promit Ă  une servante de lui donner une paire de beaux souliers si elle consentait Ă  aller, Ă  minuit, crier quelque chose sous le chĂȘne. La jeune fille partit, mais on attendit en vain son retour. Le lendemain, on trouva au pied de l'arbre sa coiffe tachĂ©e d'une goutte de sang et ses sabots; depuis on assure que l'on entend parfois, en plein midi, sortir du chĂȘne une voix qui crie : « Rends-moi mes souliers! » On raconte dans le Puy-de-DĂŽme une lĂ©gende analogue de fille hardie qui avait pariĂ© de se rendre Ă  un endroit dangereux de la forĂȘt de l'Arbre; on ne la revit plus : une statuette sur le piĂ©destal d'une croix en pierre, qui reprĂ©sente une femme en priĂšres, perpĂ©tue, dit-on, le souvenir de cette aventure.

Aux environs de Pontarlier, on attribue au « Pleurant des bois » des accents plaintifs que l'on prend tantÎt pour les appels d'une créature humaine qui se meurt dans un précipice, tantÎt pour ceux d'un esprit infortuné qui promÚne sa mélancolie dans les plus profondes solitudes.

L'hutzeran dont le nom patois vient de hutsi, hucher, appeler à grands cris, est un grand gaillard tout habillé de vert, qui se cache dans les bois. D'une voix tantÎt sonore, tantÎt voilée, il ébranle les échos, il éveille les fées endormies dans les profondeurs du couvert. Il couche sur la mousse, ou vit perché sur les plus hauts sapins. Lorsqu'une branche sÚche tombe, c'est lui qui l'a touchée; lorsque les feuilles brunes tourbillonnent en rondes fantastiques, c'est lui. Lorsque la neige s'écroule de branche en branche et tombe en farine, c'est encore lui. Si vous passez dans les grands bois silencieux, soyez prudents; chantez, sifflez, huchez, mais ne le faites pas plus de deux fois, sinon à votre troisiÚme cri d'appel, il accourrait sur sur vous et vous ferait un mauvais parti. Les montagnes d'Aigle et d'Oron ont trÚs bien gardé sa mémoire; à Panex, on raconte encore que ce génie susceptible et rageur allait parfois jusqu'à vous appréhender au corps, vous arracher sans façon une jambe ou un bras, qu'on avait cependant la consolation de retrouver le lendemain à la porte de sa demeure. Dans la colline boisée de Beauregard, on n'osait prendre la nuit, un ancien chemin appelé la Comme-du-Vau, à cause des apparitions qu'on y voyait; on entendait sous les taillis des voix terribles crier aux passants : « Comme-du-Vau, y seu! » D'autres répétaient : « Si tu n'avais ni pain, ni sau, dans lai Comme-du-Vau tu resteraus ». Le pain et le sel étaient regardés comme des préservatifs contre les mauvais esprits. Une sorte de farfadet, tout de rouge habillé, dansait la nuit dans les bois de Warnecourt en criant : Ah! oh! et en modulant ces cris sur les notes la fa ré; on l'avait surnommé le bauieux du bois de Prix. (P. Sébillot).

Le culte des forĂȘts, des arbres et des bocages se rencontre Ă©galement chez toutes les populations germaniques. « Lucos ac nemora consecrant », dit Tacite en parlant des Germains. « Deorumque nominibus appellant secretum illud, quod sola reverentia vident. ». Le mĂȘme auteur a parlĂ© de la forĂȘt des Semnons et du castum nemus, consacrĂ© Ă  Hertha. Les chĂȘnes de la forĂȘt Hercynie, de mĂȘme que ceux des forĂȘts druidiques, recevaient, Ă  cause du respect qu'inspiraient leurs troncs sĂ©culaires, les voeux, les offrandes et les sacrifices des peuplades qui les visitaient. En Germanie comme en Gaule, cette religion rĂ©sista longtemps aux efforts de l'apostolat chrĂ©tien, et il fallut l'intervention de l'autoritĂ© laĂŻque, les menaces de la loi pour l'extirper dĂ©finitivement. Encore se conserva-t-elle dans les deux pays, sous une forme dĂ©guisĂ©e.

Les Francs, les Alamans, les Lombards, prĂ©sentent le mĂȘme fait religieux que les Germains, les Saxons et les Angles leurs descendants. Les anciens Prussiens et divers peuples slaves avaient aussi un chĂȘne consacrĂ©. Ce chĂȘne se retrouvait Ă  Upsala, et Ă©tait consacrĂ© Ă  Thor, le dieu de la foudre, comme il Ă©tait chez les Grecs l'arbre de Zeus.

Chez les Scandinaves ces forĂȘts sacrĂ©es, consacrĂ©es la plupart Ă  Odin, s'appelaient Lund (pl. Lunder). Enfin ces mĂȘmes forĂȘts, ces mĂȘmes chĂȘnes se retrouvent jusque chez les populations d'origine finnoise qui occupent les confins orientaux de l'Europe. Les TchĂ©rĂ©misses sacrifient dans les forĂȘts Ă  leur dieu Youma, et plantent un chĂȘne au centre du Keremeth, ou lieu sacrĂ©. Ce chĂȘne est pour eux un vrai sanctuaire hypĂšthre. Les Tchouvaches  (rĂ©gion d'Orenbourg) avaient des usages analogues.

Non seulement les populations celtes, germaines et scandinaves consacraient les forĂȘts Ă  leurs dieux, elles admettaient encore l'existence de divinitĂ©s forestiĂšres qui faisaient leur sĂ©jour dans ces profondeurs tĂ©nĂ©breuses, et veillaient sur les arbres. Sans doute qu'elles avaient apportĂ© ces croyances de l'Asie, oĂč on les voit subsister encore dans la chaĂźne des GhĂątes orientales (notamment chez les Khond de l'Orissa). Les paysans allemands ont conservĂ© le souvenir de ces dieux qu'ils dĂ©signent sous les noms de Wilden Leuten,Waldleuten, Holzleuten, Moosleuten, et qu'ils se reprĂ©sentent sous des formes pygmĂ©ennes.

Ce sont ceux que les annalistes et chroniqueurs latins du Moyen Ăąge dĂ©signent sous le nom de fauni, hommes sylvestres, syllvani, feminae sylvatriae, les identifiant par ces dĂ©signations avec les faunes et sylvains latins, qui offrent en effet avec eux une si frappante ressemblance. Dans la Scandinavie, ces Walgeist reçoivent le nom de Trold ou Troll. Les Elfes aiment aussi; suivant la croyance des peuples du Nord, Ă  rĂ©sider sous les arbres et dans les forĂȘts.

L'imagination populaire prĂȘtait deux formes diffĂ©rentes Ă  ces esprits des bois. Quand elle se les reprĂ©sentait comme la personnification des forces qui animent la terre et prĂ©sident Ă  la vĂ©gĂ©tation, elle voyait en eux de petits ĂȘtres aux formes les plus variĂ©es, des ĂȘtres gracieux et folĂątres qui menaient dans les clairiĂšres ou dans les futaies une vie joyeuse et amusante; tels Ă©taient les Elfes, les Kobolds, les Trolls, les Nymphes, les FĂ©es. Au contraire, si ces esprits s'offraient comme la personnification de cette vie sauvage, que les forĂȘts rĂ©veillent toujours dans l'esprit, ainsi que nous l'avons remarquĂ© plus haut, c'Ă©tait sous la forme d'hommes velus, d'ĂȘtres farouches, noirs et hideux que le peuple se les reprĂ©sentait; tels Ă©taient les Satyres, les Sylvains elles Waldleuten; vrais diables des bois, qui servirent de type aux sauvages du Moyen Ăąge, Ă  Volundr, ce forgeron des bois aux formes de sa tyre, Ă  l'uom foresto de Pulci, Ă  ces sauvages qui ont fini par ne plus avoir d'existence que sur les enseignes, comme celles que longtemps en Suisse, en Allemagne et en France, on a trouvĂ©  pour beaucoup d'auberges qui portaient pour enseigne au Sauvage, sum Wilde man. Celles qui demeuraient fidĂšles aux traditions anciennes reprĂ©sentaient encore au XIXe siĂšcle, le sauvage par une sorte de satyre aux cheveux longs et Ă  la barbe touffue. On sait qu'on a cru longtemps Ă  l'existence d'hommes sauvages habitant dans les bois (Bonnaterre, Notice historique sur le Sauvage de l'Aveyron, Paris, an VIII, p. 4).
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Le souvenir de ces forĂȘts sacrĂ©es, hantĂ©es par des dieux qui furent transformĂ©s en dĂ©mons, aprĂšs l'Ă©tablissement du christianisme, de ces forĂȘts oĂč se. rĂ©unissaient les Druides, les SemnothĂ©es, les Eubages, les prĂȘtres de Thor et de Jupiter rĂ©duits plus tard Ă  la condition de magiciens et de sorciers, a fait naĂźtre l'idĂ©e de ces forĂȘts enchantĂ©es, qui occupent une si grande place dans le merveilleux des Ă©popĂ©es des temps de chevalerie, et qui ont fourni Ă  l'immortel Torquato Tasso l'idĂ©e de cette forĂȘt qu'il dĂ©crit dans ces magnifiques vers :

Sorge non lunge alle cristiane tende
Tra solitarie valli alta foresta
Foltissima di piante antiche, orrende
Che spargon d'ogni intorno, ombra funesta.
Qui nell' ora che' I sol piĂč chiaro splende
E lure incerta; e scolorita e mesta.
... Quando parte il sol qui tosto adombra
Notte, nube, caligine ed orrore
Che rassembra infernal, che gli oechi ingombra
Di cecitĂ . (Canto XIII.)
ForĂȘt sur laquelle Ismeu Ă©tend ses enchantements et ou il Ă©voque les mauvais esprits.
Cittadini d'Averno...
Prendete in guardia queste selva e queste
Piante che numerate a voi consegno.
Come il corpo Ăš dell' alma albergo e veste, 
Cosi d'alcun di voida ciascum legno.
...
Veniano innumerabili, infiniti
Spiriti, parte che'n aria alberge e erra, 
Parte di quei che son dal fondo usciti, 
Caliginoso e tetro della terra.
Il semble que les idées de divination, de magie qui s'attachaient chez les Celtes aux arbres, objet de leur culte, aient donné naissance à cet alphabet magique, à ces runes merveilleuses qui représentaient les différentes lettres par leurs pousses, leurs scions. Ces signes recevaient chacun le nom d'un arbre, de l'arbre sur le bois, duquel on les inscrivait, on les gravait par incision, et puis on agitait ensuite ces fragments taillés, de maniÚre à en tirer des augures. Plus tard cet assemblage de signes fournit à l'alphabet dit runique ses éléments, et cet alphabet en garda le nom d'Ogham craobh, c'est-à-dire l'arbre aux lettres.

Le culte que les Gaulois rendaient aux arbres des forĂȘts et aux chĂȘnes en particulier, a Ă©tĂ© rapportĂ© par les auteurs de l'AntiquitĂ©, et  forme un des traits caractĂ©ristiques du druidisme, dont le nom en est dit-on, dĂ©rivĂ©. Lucain, dans sa Pharsale, a donnĂ© une magnifique. description d'une de ces forĂȘts divines dont le fer respectait les rameaux et dans laquelle les Romains n'osaient qu'en tremblant porter la hache.

Sed fortes tremuere manus, motique verenda 
Majestate loci, si robora sacra ferirent
In sua credebant redituras tnernbra secures.
Nous avons conservĂ© des inscriptions latines qui tĂ©moignent encore du culte rendu aux arbres chez les Gallo-Romains. Les apĂŽtres du christianisme eurent grand peine Ă  dĂ©raciner ces conceptions, et ils n'y parvinrent gĂ©nĂ©ralement qu'en consacrant au culte nouveau ces mĂȘmes arbres qui Ă©taient l'objet de la vĂ©nĂ©ration populaires. On plaça sous le patronage de la Vierge ou des saints; ces enfants des forĂȘts, longtemps adorĂ©e comme des images de la DivinitĂ©. On christianisa les fĂȘtes paĂŻennes qui se rapportaient Ă  ce culte.

Il existait en France, Ă  une Ă©poque encore rĂ©cente, plusieurs arbres qui avaient hĂ©ritĂ© de l'antique vĂ©nĂ©ration qu'avaient longtemps inspirĂ©e leurs devanciers. Non loin d'Angers, Dulaure nous apprend qu'on voyait un chĂȘne nommĂ© Lapalud que les habitants entouraient d'une sorte de culte. Cet arbre, que l'on regardait comme aussi vieux que la ville, Ă©tait tout couvert de clous  jusqu'Ă  la hauteur de 40 pieds environ. Il Ă©tait d'usage, depuis un temps immĂ©morial, que chaque ouvrier charpentier, charron, menuisier, maçon, en passant prĂšs de ce chĂȘne, y fichĂąt un clou.

Chêne d'Allouville.
Le chĂȘne d'Allouville (Seine-Maritime).

Plusieurs de ces arbres vĂ©nĂ©rĂ©s avaient Ă©tĂ© consacrĂ©s Ă  la vierge ou aux saints, et dĂ©corĂ©s de petites statues ou d'images, de croix que plaçaient les pĂšlerins. Nous citerons le cĂ©lĂšbre ChĂȘne de la Vierge, qu'on voit Ă  l'extrĂ©mitĂ© du Ban de Mailly, dans l'ancien duchĂ© de Bar, et dans le tronc duquel on a pratiquĂ© une niche dĂ©corĂ©ee d'une madone. Le trĂšs vieux chĂȘne d'Allouville (prĂšs d'Yvetot) amĂ©nagĂ© en chapelle au XVIIe siĂšcle offre un exemple encore plus spectaculaire que l'on pourrait rapprocher de cette dĂ©marche. De plus, la fĂȘte de la plantation des Mais, si gĂ©nĂ©rale en France, s' rattache elle aussi. 

En Irlande, certains ifs d'une antiquitĂ© extraordinaire qui dĂ©corent encore le porche des Ă©glises, remontent Ă  ces consĂ©crations des arbres sacrĂ©s des Celtes opĂ©rĂ©es par les premiers apĂŽtres du christianisme. Les Celtes paraissent avoir dĂ©signĂ© sous le nom de Nemet ces sanctuaires forestiers dans lesquels, A certaines Ă©poques, ils allaient cueillir le gui sacrĂ©. Ce mot entre en effet en composition dans plusieurs noms de sanctuaires et de temenos gaulois, et l'Ă©pithĂšte de Nimidae, par laquelle Ă©taient dĂ©signĂ©es les forĂȘts oĂč s'accomplissaient encore des rites paĂŻens au temps du concile de Leptines, paraĂźt en ĂȘtre dĂ©rivĂ©e.

La forĂȘt des Ardennes Ă©tait personnifiĂ©e en une dĂ©esse nommĂ©e Arduinna et que les Romains assimilĂšrent Ă  leur Diane. Les habitants du Hainaut et du pays Wallon sont restĂ©s trĂšs longtemps fidĂšles Ă  ce culte, dont la nature prenait elle-mĂȘme le soin de renouveler sans cesse les monuments autour d'eux. Au VIe siĂšcle, GrĂ©goire de Tours nous apprend que le culte de Diane se conservait encore Ă  TrĂšves. Ce fut dans le siĂšcle suivant que saint Hubert et saint BĂ©rĂ©gise dĂ©racinĂšrent, les premiers, les croyances paĂŻennes de ce pays, croyances qui y Ă©taient bien vivaces, comme on peut en juger par ce tableau qu'en trace Hariger, dans la vie de saint Rernacle.

Reperit ibi manifesta satis indicia, quod loca illa idolatriae quondam fuissent mancipata, lapides scilicet Dianae et aliis portentuosis nominibus effigiatos, fontes hominum quidem usibus aptos, sed geutilium er rore pollutos ac per hoc daemonum adhuc infestatione obnoxios.
Une dĂ©esse, du nom de Nemetona, paraĂźt avoir Ă©tĂ© adorĂ©e comme la divinitĂ© tutĂ©laire des forĂȘts du Palatinat qui avaient valu Ă  Nemetum son nom. On invoquait encore comme une divinitĂ© les cimes du mont Vosege ou Vosge, toutes ombragĂ©es de forĂȘts. De l'autre cĂŽtĂ© du Rhin, les massifs qui couvrent les sommets de l'Abnoba Ă©taient placĂ©s sous la garde d'un dieu Odin, et la ForĂȘt Noire dut Ă  cette circonstance son nom d'Odenwald

Au milieu de ces forĂȘts tĂ©nĂ©breuses, des clairiĂšres servaient de lieu d'assemblĂ©e, d'endroit de rĂ©union pour les druides et les eubages. Le Champ de  feu ou Hochfeld dans les Vosges semble avoir eu jadis cette destination. On y voit encore de nombreux monuments druidiques. Un temenos de ce genre se trouvait au milieu de la forĂȘt des Carnutes, et c'est lĂ  que se tenait la rĂ©union gĂ©nĂ©rale des druides gaulois. Ces emplacements rĂ©pondent aux Valplatzen des anciens Scandinaves, lieux choisis spĂ©cialement pour les, assemblĂ©es religieuses et qu'entouraient des blocs de pierre grossiĂšrement taillĂ©s.
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Rencontres fantastiques

Selon de nombreuses lĂ©gendes recueillies un peu partout en France, les forĂȘts sont hantĂ©es par des gens de l'autre monde, diffĂ©rents de ceux qui, condamnĂ©s Ă  des pĂ©nitences posthumes, ont pour caractĂ©ristique de manifester leur prĂ©sence par des sons d'instruments ou par des cris de vĂ©nerie. Des anciens gardes ou des seigneurs qui ont Ă©tĂ© jaloux de leur chasse ou de leurs arbres, reviennent encore la nuit pour les surveiller. Un marquis d'Ormenans, qui de son vivant parcourait journellement sa forĂȘt, continuait sa surveillance aprĂšs sa mort. On le voyait, Ă  minuit, assis sur un tertre Ă©levĂ© d'oĂč il inspectait du cĂŽtĂ© du village : quand les femmes allaient chercher du bois ou emporter les fagots qu'elles avaient faits dans la journĂ©e Ă  l'insu des gardes, il fixait sur elle un oeil terrible et les menaçait du doigt

. Un garde-chasse, assassinĂ© par un braconnier, revient tous les ans, Ă  l'anniversaire du crime, faire sa ronde dans une forĂȘt du Morvan, et cette nuit, aucun braconnier ne s'aventure Ă  la poursuite du gibier. Dans la mĂȘme rĂ©gion, un garde qui, aprĂšs avoir Ă©tĂ© tuĂ©, fut enterrĂ© au pied d'un chĂȘne de la forĂȘt de Charnouveau, appelle ses boeufs dans les nuits sombres, et personne n'ose pĂ©nĂ©trer dans lu quartier oĂč il se fait entendre. Dans le Bas du Mort-Bois, en Franche-ComtĂ©, rĂ©side un capucin qui n'en sort que la nuit et qui rĂŽde autour des maisons. Il a Ă©tĂ© vraisemblablement imaginĂ© pour Ă©carter les pauvres diables qui exerçaient trop frĂ©quemment les droits de bois mort et de mort bois dont cette forĂȘt Ă©tait anciennement grevĂ©e.

Le jour des Morts, aprĂšs le coucher du soleil, une voix crie dans les Grands Taillis de Montigny-aux-Amognes : « Rends-moi mon enfant ! » et le passant voit apparaĂźtre une femme sans tĂȘte qui tend les bras vers lui en rĂ©pĂ©tant ce cri, C'est l'ombre d'une dame qui, faussement accusĂ©e d'infidĂ©litĂ©, fut dĂ©capitĂ©e lĂ  par son mari, qui auparavant avait tuĂ© l'enfant supposĂ© adultĂ©rin.

Celui qui, la nuit, traverserait la forĂȘt de Breyva prĂšs de Belfort, sans avoir une pincĂ©e de sel dans sa poche, serait infailliblement attirĂ© hors de sa route par une puissance surnaturelle, et il rencontrerait le fantĂŽme de le dame de Breyva, une clĂ© rougie Ă  la bouche, qui l'inviterait Ă  la lui retirer avec les lĂšvres.

Un grand seigneur, tout souillĂ© de sang, se montre quelquefois aprĂšs le soleil couchĂ© dans les sentiers de la forĂȘt de Bonlieu; un soir qu'il y passait, il fut tout Ă  coup assailli, pris Ă  la gorge et Ă©tranglĂ© par des chats qui tenaient leur sabbat. On voit, la nuit, un prĂȘtre chercher une hostie dans le bois de Caslou (Ille-et-Vilaine), c'est le fantĂŽme d'un chapelain que son seigneur tua au moment de la consĂ©cration. Au bois des Parcs, commune de Sainte-Laure, on a vu souvent jusqu'Ă  se promener avec son brĂ©viaire, l'ombre d'un prĂȘtre mort aprĂšs d'affreux outrages. (P. SĂ©billot).

Les Celtes aimaient Ă  se faire enterrer dans ces sanctuaires ombragĂ©s par les hautes futaies des forĂȘts; ils prĂ©fĂ©raient ces lieux saints pour y dĂ©poser leur dĂ©pouille mortelle. On a observĂ© dans plusieurs forĂȘts fort anciennes des tumulus et des tombelles gauloises. Dans la forĂȘt de Carnoet (FinistĂšre), on a  mis au jour une sĂ©pulture contenant une chaĂźne d'or, une chaĂźne d'argent, un casse-tĂȘte, un fer de lance, un poignard et divers autres objets de travail gaulois.

Dans la forĂȘt de Duault (prĂšs de Guingamp), oĂč les ducs de Bretagne avaient jadis leur haras, le monument supposĂ© druidique appelĂ© le Calvaire de la Motte paraĂźt avoir Ă©tĂ© un tombeau de quelque haut personnage. Les habitants du pays croient que le dolmen qui le surmonte est la pierre sur laquelle saint GuĂ©nolĂ© vint d'Angleterre en Bretagne.

Dans diverses localitĂ©s des Vosges on a trouvĂ© des cimetiĂšres gaulois au milieu des bois. Sur le plateau jadis couronnĂ© de forĂȘts, que surmontent les ruines du chĂątelet de Bonneval, on a dĂ©couvert, au lieu nommĂ© Goutte des Tombes, un dolmen et de nombreux tumulus gaulois, dont on a retirĂ© des mĂ©dailles et des armes celtiques. PrĂšs de Martigny-lez-Lamarche, des tombelles ont Ă©tĂ© Ă©galement dĂ©couvertes dans deux bois.

La contrĂ©e qui s'Ă©tend entre Kirkby Moor, Heathwaith, Woodland, au nord du Lancashire, et qui Ă©tait jadis couverte de forĂȘts, prĂ©sente les restes d'un vaste cimetiĂšre celte.

En Allemagne, c'est souvent dans la profondeur des forĂȘts, Ă  l'ombre des bocages, sous de hautes futaies que l'on dĂ©couvre ces antiques tombeaux connus sous le nom de Hunengraeber et qui re montent, pour la plupart, au temps des anciens Germains. (d'aprĂšs Alfred Maury).



Erwan Dianteill, Lydia Cabrera, La forĂȘt des dieux, Jean-Michel Place, 2003.

Jean Markale, Guide spirituel de la forĂȘt de BrocĂ©liande, Le Rocher, rĂ©ed. 2002. 

Jacques Brosse, L'aventure des forĂȘts en occident, de la prĂ©histoire Ă  nos jours, Jean-Claude LattĂšs, 2000

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Pierre Gallais, JoĂ«l Thomas, L'arbre et la forĂȘt dans l'EnĂ©ide et l'EnĂ©as, HonorĂ© Champion, 1997

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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