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On peut dire que
le XVIe siècle, par l'affranchissement
des idées, en brisant le moule étroit qui enserra les intelligences
au XVe, fut comme le précurseur,
comme l'avant-garde du XVIIIe siècle.
Les deux grands facteurs de cet affranchissement
de la pensée furent la Renaissance,
dont la découverte de l'imprimerie
grandit la portée, et la Réforme,
qui décupla l'importance de la Renaissance. Au XIVe
et au XVe siècle, nous assistons
à l'ébranlement et à la division de l'Europe, à
la ruine de l'unité du Moyen
âge
: l'Eglise, en perdant l'empire universel, laisse
chaque peuple reprendre sa vie indépendante et personnelle. Une
société nouvelle se fonde, dont il ne reste plus à
affranchir que les esprits : ce sera précisément l'oeuvre
du XVIe siècle. Les époques
de transition, comme le XVe siècle,
sont généralement peu littéraires, et la littérature
qui avait eu un si grand développement en France
au XIIIe siècle et delà avait
rayonné sur toute l'Europe, se ressentant de la situation politique
de la France, était restée malingre et chétive. Au
contraire, l'impulsion que va donner aux esprits l'étude de l'Antiquité
en élargissant l'horizon, l'impulsion de la Réforme en affirmant
le droit de l'intelligence humaine au libre
examen vont créer une littérature vivace et forte, à
laquelle il ne manquera, pour être vraiment grande, que la forme
parfaite qu'atteindra le XVIIe siècle.
La Renaissance. Ses
causes en France
Il convient de définir ce mot Renaissance
: ce fut un mouvement littéraire considérable produit en
Occident par la découverte, l'exégèse et l'imitation
des chefs-d'oeuvre des deux Antiquités, grecque
et latine. « Le mot, admirablement choisi,
rappelle par une heureuse métaphore le soudain renouvellement produit
dans les sciences, les arts, la philosophie, les lettres, par le retour
à la lumière de monuments longtemps oubliés, la vive
et féconde passion qu'inspira leur beauté, et le rajeunissement
qu'y puisa l'esprit humain. » Il y avait déjà eu au
IXe et au XIIe
siècle deux renaissances, au sens historique du mot; mais, dit un
critique, celles-ci, qui n'avaient eu pour éducatrice que la seule
littérature latine, n'avaient eu que des résultats incomplets
et sans rapport avec la floraison touffue des intelligences au XVIe
siècle : les esprits alourdis de scolastique n'avaient pu non plus
être mis en mouvement par le mince filet de science et de philosophie
grecques qui par les Arabes avait coulé jusqu'en Occident.
Influence de l'Italie.
Ce fut en Italie que se fusionnèrent
harmonieusement les traditions du goût et du savoir antiques avec
les éléments de la civilisation chrétienne cette fusion
ne se fit en France que par l'influence de l'Italie.
Gebhardt a très heureusement expliqué comment la Renaissance
avait échappé à la France :
«
Au siècle même de Dante et de Pétrarque, la France
perdit à la fois les deux causes sérieuses de toute vie morale
: l'indépendance de la pensée et la vie politique. Les âmes,
découragées et attristées par les misères de
la patrie, alanguies par l'éducation scolastique, laissèrent
s'affaiblir les qualités généreuses du génie
national. La civilisation en France fut frappée en pleine adolescence
au moment où elle s'apprêtait à donner ses plus beaux
fruits. »
L'Italie, au contraire, grâce à
son indépendance philosophique et religieuse, offrait un terrain
plus favorable à l'éclosion de ce mouvement littéraire.
Dante, en créant une langue, avait façonné
l'instrument qui lui était nécessaire pour s'exprimer; le
Florentin Giotto dans l'ordre artistique avait
affranchi l'art italien de l'imitation, et le dérobant à
la convention l'avait remis à l'école de la nature. Enfin
Pétrarque, qui avait si largement bu
aux sources latines, marquait déjà
l'aurore de cette Renaissance qu'allaient précipiter les événements
politiques. L'empire de Constantinople
s'était écroulé en 1453, et cette chute de Constantinople
valut à l'Italie, outre un nombre considérable de manuscrits,
la présence d'un groupe de Grecs
d'élite qui firent de celle-ci et de Florence
en particulier leur nouvelle patrie. La culture hellénique, qui
en résulta pour les Italiens, s'alliant à la culture latine,
devait engendrer cette Renaissance des lettres.
Ce fut la contribution de la culture grecque,
accueillie par Cosme de Médicis, qui établit
une nouvelle académie platonicienne
à Florence, où l'on célébra la fête de
Platon, qui depuis douze siècles n'existait
plus dans Athènes. Ce culte de Platon
rayonna dans l'Italie entière : bientôt la curiosité
fut sans bornes; on rechercha avec passion les manuscrits, et les bibliothèques
se fondèrent ; celle du couvent de San Marco coûta à
Cosme de Médicis une fortune. Nicolas V
(Thomas Parentucelli) fondait la bibliothèque Vaticane et tous les
plus petits princes voulurent avoir la leur. Quel concours l'imprimerie,
par la découverte des caractères mobiles que fit Gutenberg
en 1450, ne devait-elle pas apporter à cet extraordinaire mouvement
des esprits? Alde Manuce l'Ancien donnait à Venise
l'édition princeps des oeuvres d'Aristote,
dont le cardinal Bembo ne dédaignait pas
de corrifer les épreuves.
L'Italie était dans la pleine floraison
littéraire causée par ces études nouvelles, quand
éclatèrent sous Charles VIII
et Louis XII les Guerres
d'Italie. Il s'ensuivit pour la France un contact fécond, et
l'enthousiaste curiosité, qui animait l'Italie, passa les Alpes.
Ce fut comme une révélation de l'art, et cette révélation
porta ses premiers fruits dès le règne de Louis XII, où
l'on vit le cardinal Georges d'Amboise donner le signal d'une des plus
belles périodes de l'architecture.
Sans l'imprimerie, le mouvement créé eût été
moins rapide ; la Réforme vint lui prêter encore un concours
puissant.
La Réforme.
Celle-ci fut l'oeuvre du Nord, qui de
tout temps avait avec impatience subi le joug antipathique du Midi. Jamais
les Romains n'avaient pu dompter la Germanie
qui avait fini par envahir et détruire l'empire
de Rome : au Moyen âge la lutte sous des noms différents
s'était continuée pour éclater bientôt en une
scission complète. Ce que n'avait pu faire Arnaud
de Brescia en Italie, Wyclif en Angleterre,
Jean Huss en Allemagne déjà, Luther
l'accomplit et brisa à jamais l'unité catholique, affranchissant
les esprits du joug despotique de l'Eglise. Ce fut là un des plus
grands faits des Temps modernes, et, pour l'importance, on ne peut guère
comparer à la Réforme que la Révolution
française. Ce n'est pas ici le lieu d'exposer les conséquences
politiques durables qui découlèrent de ce fait inouï.
Au point de vue littéraire, les
conséquences n'en furent pas moins étendues; en agitant les
redoutables problèmes de la conscience religieuse, la Réforme
jetait les bases du libre examen, qui succéda à la foi. Les
querelles théologiques du XVe siècle
devinrent philosophiques, et la nécessité de s'adresser à
tous détermina l'emploi de la langue commune en théologie
comme en philosophie. Et de même
qu'en Allemagne Luther donnait une traduction de la Bible,
qui reste le premier monument de la langue
littéraire allemande, ainsi en France la langue
française succéda au latin
dans l'exposition et la discussion des idées religieuses : en effet,
Calvin, le 1er
août 1535, dédiait à François ler,
son Institution de la religion chrétienne.
A la cour, on adopta les idées nouvelles
tandis que la Sorbonne fulminait contre
elles. Le roi, qui plus tard devait persécuter les Calvinistes,
ne vit d'abord dans la Réforme que l'occasion de railler sorbonnistes
et moines. Marguerite, soeur du roi,
et Louise de Savoie, sa mère, se montrèrent quelque temps
favorables à ces idées, et dès lors paraître
les accepter fut de bon ton. Comme expression populaire de la Renaissance,
la Réforme trouva également faveur auprès des lettrés
dont le centre d'ailleurs était la cour : les uns acceptaient plus
ou moins les dogmes luthériens ou
calvinistes, comme Berquin, Roussel, les deux Cop, Robert
Estienne et Marot; d'autres, tout en restant
catholiques, se montraient tolérants, tels Budé,
Du Bellay; d'autres, enfin, qui sans doute allaient
au delà, ne s'en embarrassèrent pas comme, Etienne
Dolet et Rabelais.
Causes locales.
Les Guerres d'Italie avaient mis la France
en contact avec la Renaissance sur le sol même où elle s'était
développée; la découverte de l'imprimerie avait permis
la dissémination des oeuvres anciennes, et la Réforme, en
affranchissant les esprits et en leur donnant le libre examen, avait prêté
un puissant secours à l'avide curiosité engendrée
par l'influence des auteurs helléniques.
D'autres causes dont la plus importante
fut certainement la vie de cour sous les Valois
et l'accueil que fit François Ier
aux artistes et aux lettrés hâtèrent la Renaissance
en France. « Le roi aimait à s'entourer d'hommes savants,
de poètes et d'artistes; il en remplissait sa cour et ses conseils.
Il consultait Lascaris et Budé, écrivait
à Erasme, s'égayait avec Marot et
comblait d'honneurs les trois frères Du Bellay. » Pour donner
aux artistes français l'expérience qui leur manquait, il
fallait des modèles et des maîtres que François Ier
ne craignit pas d'emprunter à l'Italie. On connaît cette brillante
réunion d'architectes, de sculpteurs et de peintres, dénommée
parfois Ecole de Fontainebleau, parce que tous concoururent à l'embellissement
du château dont François Ier
et Henri Il firent leur séjour favori.
Fichet, recteur de la Sorbonne, avait dès
1469, introduit l'imprimerie à Paris
et, dès 1500, près de 750 ouvrages avaient déjà
été publiés : pénétrés de la
dignité de leur mission, les imprimeurs marchèrent de pair
avec les plus grands savants du siècle, et les Estienne, succédant
aux Badius Ascensius, aux Gourmont, aux Colines, aux Dolet, portaient à
la perfection l'art de la typographie. Nous rappellerons plus loin la place
tenue dans l'histoire de la philologie par ces hommes éminents.
L'enseignement lui-même se sécularisa
le roi, laissant à la Sorbonne ses stériles enseignements,
créait, en 1531, le Collège royal ou des Trois Langues, où
s'enseignèrent l'hébreu,
le grec, le latin, la médecine,
les mathématiques et la philosophie
(Collège
de France). Ce fut là un important facteur, qui joua un rôle
prépondérant. La génération, déjà
habituée aux idées anciennes, fit moins pour le développement
de la Renaissance que la jeunesse, dont l'enthousiasme fut rapidement favorisé
par cet enseignement nouveau.
Caractères
généraux de la Renaissance en France.
La Renaissance produisit, en France,
un retour au paganisme par la directe imitation
des Anciens. Sans doute le Moyen âge connaissait en grande partie
du moins les textes anciens; mais, préoccupé avant tout d'un
idéal religieux ou d'un art local, il manquait essentiellement de
liberté et de critique dans sa façon de comprendre ou d'imiter
les Grecs et les Latins. Il cherchait dans Virgile
un prophète du christianisme et habillait en chevaliers les héros
d'Homère. Les esprits, affranchis et élargis
par le contact de l'Humanisme italien, commencèrent
à chercher dans les anciens une beauté propre, indépendante
de tout parti pris, à les admirer en eux-mêmes et à
les imiter.
Une fois en possession de la langue, grâce
aux enseignements de maîtres comme Grégoire Tifernas et Hermonyme
de Sparte, les érudits exercèrent leur critique, et Erasme,
puis Budé, qui mérita le nom de restaurateur des études
grecques en France, donnèrent à l'hellénisme un éclat
que la docte Allemagne n'a jamais éclipsé. Avec les immenses
travaux de critique, de grammaire et de lexicographie qui voient alors
la lumière, « en face des modèles antiques, à
l'aide de Platon et aussi par suite d'une émulation féconde
entre les écrivains et les artistes, l'idée de perfection,
inconnue au Moyen âge, pénétra dans les esprits. On
chercha dans Horace et dans Aristote les règles
qui permettraient de réaliser cette perfection ou au moins de la
goûter pleinement. »
De là naquit l'Humanisme français
si bien défini par Émile Faguet
:
«
L'Humanisme français a fondé le classicisme français
comme l'humanisme latin du IIe siècle av. J.-C. a fondé la
littérature classique latine. Dans les deux cas, la marche est la
même : admiration, imitation, émulation; et quand on en est
à l'émulation, c'est partie gagnée ou en train de
l'être; c'est le grand effort pour mettre toutes ses puissances à
la poursuite et à la conquête d'un idéal qu'on désespère
toujours d'atteindre et qu'on maudit en l'adorant, qu'on maudit d'être
adorable; c'est la grande fièvre artistique, c'est un des états
douloureux les plus exquis et les plus nobles et les plus féconds
que l'humanité puisse connaître. »
De là encore procède l'individualisme;
chaque écrivain eut sa valeur toute personnelle; il n'y eut pas
de disciples; chacun eut son génie qui, pour se faire entendre,
adopta sa méthode et sa langue. Chacun, grâce à la
Réforme, qui ne laissa à la tradition religieuse qu'un respect
tout formel, fut doté d'une indépendance morale et religieuse
et conserva cet esprit de libre examen qui, refoulé un instant au
XVIIe siècle, se continuera du moins
en s'élargissant au XVIIIe.
Telle fut brièvement résumée,
et dans la mesure où elle touche à l'histoire littéraire,
la double révolution intellectuelle qui devait engendrer au XVIe
siècle un nombre d'écrivains considérable, théologiens
et écrivains politiques, moralistes et conteurs, historiens, traducteurs
et érudits, enfin toute une pléiade de poètes. Nous
allons les passer rapidement en revue et, afin de faciliter cette tâche,
nous établirons deux divisions que nous subdiviserons ensuite :
poésie et prose.
On peut dire que la galanterie fut la note
dominante de la poésie au XVIe siècle.
Mais, pour bien saisir l'influence de la Renaissance, il convient de dire
ce qu'elle était lorsque se produisit cette grande manifestation
littéraire. A la poésie sérieuse de la féodalité,
aux chansons de geste et aux merveilleuses
fictions d'Arthur (Le
cycle de la Table ronde), avaient succédé les allégories
ingénieuses, mais froides, du Roman de la Rose
(La
Littérature courtoise). En dépit des efforts et des mérites
des trouvères et des chansonniers, la
poésie, ne pouvant atteindre à la pensée sérieuse
dont la société cléricale semblait se réserver
le monopole exclusif, resta un jeu brillant et comme le complément
nécessaire des fêtes, passes d'armes
ou festins. N'étant plus inspirée par l'enthousiasme guerrier
et exclue du domaine de la pensée pour ne rester que dans celui
de la foi, la poésie laïque ne devait
chercher qu'à tresser des paroles, à saisir et à dépeindre
ingénieusement des sentiments à fleur de peau et à
inventer des allégories. Au XVe
siècle, Villon lui fit faire un pas, et,
« mêlant aux saillies de sa joyeuse humeur des traits nombreux
d'une sensibilité rêveuse et quelquefois éloquente,
il fut le premier qui saisit et dégagea la poésie que récèle
la plus vulgaire et la plus misérable des conditions ». En
enlevant à l'Église le domaine de la pensée et en
la sécularisant, la Renaissance va permettre à la poésie
d'atteindre à l'élévation morale qui lui manque.
Au XVIe
siècle, la poésie peut se diviser,
pour la commodité de l'exposé, en trois époques distinctes
: la première période, où l'on sent le besoin d'une
réforme littéraire, est marquée par Marot, qui fait
suite au Moyen âge, hérite de Villon et de son esprit. Cette
période dure jusqu'au milieu du règne de Henri II. Puis,
pendant la seconde période, une école nouvelle se forme,
qui va tenter l'accomplissement de la réforme littéraire
: c'est l'école de Ronsard. Cette période
va presque jusqu'à Henri IV. Enfin, nous entrons dans la troisième
période : Malherbe est venu et la réforme
est accomplie; nous sommes sur le seuil même du XVIIe
siècle.
Première
période.
C'est avec le nom de Clément Marot
que s'ouvre au XVIe siècle la poésie
française.
Marot.
Clément Marot
(1495-1544) fut surtout un poète aimable, qui, comme véritable
poète de transition, résume en lui toutes les qualités
de la vieille poésie française. « On retrouve en lui
la couleur de Villon, la gentillesse de Froissart,
la délicatesse de Charles d'Orléans,
le bon sens d'Alain Chartier et la verve mordante
de Jean de Meung : tout cela est rapproché,
concentré dans une originalité piquante et réuni par
un don précieux, qui forme comme le fond de cette broderie brillante,
l'esprit ». Mais Marot n'a pas élargi le cercle tracé
par ceux dont il est l'héritier direct; en effleurant tous les genres,
églogue, épître,
élégie, ballade,
chanson, cantique,
épigramme, il a eu leur même
but, l'amusement sans la moindre idée d'enseignement : du moins
a-t-il des sentiments plus nobles et plus grands. Au contraire de ce qu'a
dit Boileau, Marot n'a pas montré pour
rimer des chemins tout nouveaux; il n'a pas fait de révolution littéraire;
il n'a fait que vulgariser et étendre le mélange des rimes
avec l'emploi plus particulier du vers de dix syllabes. Poli par l'usage
de la cour, il est aussi plus délicat que Villon; il sut donner
un tour heureux de galanterie à l'expression de l'amour.
Mais il n'a fait que donner une expression définitive à la
poésie familière, ingénieuse et sensée du Moyen
âge.
-
Portrait
gravé de Clément Marot.
Marot eut des disciples, dont les principaux
furent Mellin de Saint-Gelais, Théodore
de Bèze, Victor Brodeau, Charles Fontaine
et Marguerite de Valois. Saint-Gelais
mérite une mention plus spéciale; il avait reçu une
éducation soignée; il avait étudié la littérature
ancienne et italienne. C'est lui qui a inauguré le sonnet.
Il est plus correct, mais moins naïf que Marot; il eut moins de naturel
et rechercha les contrastes et les antithèses.
Deuxième
période.
Mais l'amusement ne pouvait rester l'éternel
objet de la littérature française et, tandis que Marot se
croyait au faite de la puissance, une troupe de jeunes poètes accomplissaient
une réforme littéraire. Jusque-là l'étude de
l'Antiquité avait été négligée; on se
contentait de suivre les traditions du Moyen âge : des poètes
comprirent qu'il y avait une autre voie à suivre. On vit une troupe
d'écrivains sortir de l'école de Jean
Dorat et marcher à la conquête de la poésie. Dorat,
professeur de Baïf, eut aussi pour élèves
Ronsard, Lancelot, Du Bellay, Muret. C'est Joachim
du Bellay qui se mit à la tête de cette révolution
littéraire, et qui, entre 1549 et 1550, écrivit l'Illustration
de la langue française. Il voulait faire faire un pas à
la langue française qui, du reste, depuis François Ier,
avait bien progressé. Du Bellay passe le Rubicon et déclare
la guerre a l'école de Marot. Ronsard, Ponthus
de Thard, Remy Belleau, Etienne Jodelle,
Baïf font la guerre aux Modernes et plaident pour les Anciens, auxquels
ils gagnent Maurice Scève et Théodore
de Bèze. Cette jeune école, animée des plus nobles
désirs, proscrit le rondeau, le triolet et introduit les grands
genres, l'ode, la tragédie,
l'épopée. La langue gagna beaucoup
à ce généreux effort; elle s'enrichit de mots, de
tours nouveaux et de formes poétiques.
Du
Bellay.
Joachim du Bellay
(1524-1560) a su mériter le surnom d'Ovide français,
mais son plus grand litre de gloire est d'avoir écrit l'oeuvre qui
donna le signal de la lutte contre l'ancienne école. Après
avoir sonné la charge, il se retira du champ de bataille, et, lorsque
la querelle s'envenima, il tenta de la pacifier. Le manifeste de la nouvelle
école avait paru cinq ans après la mort de Marot et deux
ans après l'Art poétique de Sébilet; ceux qui
s'y enrôlèrent furent appelés la brigade, et
une fois victorieux ils se mirent de leurs propres mains au ciel et s'appelèrent
la pléiade. Du Bellay avait l'esprit juste et clair et comprit
ce qu'il avait à faire. Lui, du moins, n'a pas encouru le reproche
que fait Boileau à Ronsard d'avoir en français parlé
grec et latin. C'est un critique judicieux et exact qui s'emportera contre
Baïf, lorsque celui-ci s'élèvera jusqu'à l'emphase,
et il lui reprochera de pindariser. Les sonnets, l'Olive, les Regrets
et les Antiquités de Rome, ont un charme qui consiste dans
un vif sentiment de la réalité. Il mourut jeune, ayant acquis
une certaine réputation, mais sa renommée se perd dans celle
de Ronsard.
Ronsard.
Pierre de Ronsard
(1524-1585) fut le véritable créateur de la pléiade,
où, à côté de Dorat, son maître, vinrent
se ranger Baïf, Bellay, Remy Belleau, Etienne Jodelle, Pontus de Tyard.
Cette pléiade, bien qu'elle comptât des poètes médiocres,
fut couverte d'applaudissements unanimes, et Ronsard fut célèbre
jusqu'à l'étranger. Elisabeth
d'Angleterre lui adressa des éloges, et le Tasse,
lorsqu'en 1571 il vint à Paris, voulut être présenté
à Ronsard et lui lire son Godefroy. Plein de l'étude
de l'Antiquité qu'il voulait introduire en France, Ronsard a écrit
des odes, des sonnets, des églogues, des idylles
gothiques et un poème héroïque, la Franciade;
mais, si beaucoup de ces oeuvres sont lourdes, bizarres, pleines d'emphase,
du moins au XVIe siècle reste-t-il
maître dans l'élégie.
Ronsard ne se contente pas de cultiver
les genres : il règle tout, mais en brouillant tout; il se livra
à un véritable pillage de l'Antiquité. Ne trouvant
pas la langue suffisamment noble ni riche, il emprunta les mots eux-mêmes
à l'Antiquité grecque et latine, et, prenant même les
patois pour des dialectes, il conseilla de leur faire des emprunts. Ses
tentatives d'enrichissement aboutirent à un amalgame de langues
savantes et de patois provinciaux, bariolé d'italien, de mots grecs
et latins, de mots savants et de mots de boutique, vrai pêle-mêle
qui a donné à Ronsard une sorte d'immortalité étonnante.
Mais si dans l'âge suivant, comme le dit Boileau, on devait voir
tomber de ses grands mots le faste pédantesque, il n'en a pas moins
mérité, par un certain côté, les honneurs que
lui prodigua son siècle et jusqu'à la statue de marbre qu'on
lui éleva. Jusque-là on s'était contenté de
traduire les anciens, il sentit qu'on pouvait les imiter, et l'on doit
également lui savoir gré d'avoir le premier visé à
la noblesse et à l'éclat du langage.
Laissant de côté les poètes
les moins importants de la pléiade, tels que Baïf, Remy Belleau,
Amadis Jamyn, il convient de retenir le nom de Jodelle, qui s'était
donné une mission spéciale.
Jodelle.
Etienne Jodelle
(1532-1575), entre tous les poètes de la pléiade, se proposa
de restaurer la tragédie en France. Les mystères,
qui, au Moyen âge,
avaient tenu lieu de théâtre, s'étaient transformés
en pièces allégoriques ou moralités:
celles-ci bientôt ne pouvant plus tirer les larmes des yeux des spectateurs,
on les remplaça par la farce, qui fut
heureusement exploitée par les Enfants-sans-Souci.
Du mélange de la farce et de la moralité naquit la sotie,
où l'allégorie règne encore souveraine et sous le
manteau de laquelle les divers ordres de l'Etat donnaient lieu à
d'audacieuses bouffonneries. François Ier,
établit la censure théâtrale et proscrivit les farces
et les soties. Mais une autorité plus puissante allait leur donner
le coup de grâce : le goût du public les abandonna pour les
tragédies et les comédies qui prétendaient imiter
le théâtre antique. Avant Jodelle, quelques poètes
guindés et médiocres avaient fait représenter des
tragédies. On cite d'Harcourt et de Beauvoix; Lazare de Baïf
avait fait représenter une Electre et une Hécube,
qui dénotent du moins une grande connaissance du grec; enfin Ronsard
avait mis en vers le Plutus d'Aristophane.
Jodelle choisit d'abord Cléopâtre, qui fut, dans l'hôtel
de Reims, représentée devant Henri II et la cour en 1552.
Didon suivit Cléopâtre. Ce ne sont pourtant
pas là des chefs-d'oeuvre, et ces tragédies sont dépourvues
à la fois d'originalité et de vie.
Du
Bartas.
La pléiade avait ramené
la poésie à la mythologie païenne. A côté
de cette école se forma par réaction une nouvelle association
qui ramenait la littérature à la poésie chrétienne.
A la tête se trouvait Guillaume de Saluces, seigneur du Bartas, connu
par des sujets bibliques, notamment Judith, poème écrit
en six livres.
Guillaume Du Bartas
(1544-1590), outre ce poème que nous venons de citer, écrivit
la Semaine, dans laquelle il raconte la création selon la
Bible et qui renferme des tirades éloquentes. Ce poète
se distingue surtout par son mauvais goût; homme de moeurs simples,
il devenait ampoulé dès qu'il prenait la plume, et il a malheureusement
emprunté à Ronsard la manie des mots composés.
D'autres
poètes...
Les Tragiques
d'Agrippa d'Aubigné méritent également
une mention spéciale. Et il convient encore de citer comme appartenant
à cette deuxième période Vauquelin
de La Fresnaye, Desportes et Bertaut.
Ceux-ci évitent l'obscurité et une érudition exagérée;
mais, s'ils évitent les défauts de la pléiade, il
faut reconnaître que leurs qualités sont moindres. Desportes
vise au joli et tombe dans la mignardise, tandis que Bertaut, pour son
style noble et correct, est le direct précurseur de Malherbe.
--
Les roses,
d'A. de Baïf (1573)
On
reconnaîtra dans ce poème d'A. de Baïf le thème
de la célèbre petite pièce de Ronsard : « Mignonne,
allons voir si la rose... » Peut-être la comparaison ne serait-elle
pas désavantageuse pour Baïf? Les douze premiers vers ont une
grâce mélancolique vraiment pénétrante.
.
« O nature,
nous nous pleignons
Que des fleurs la
grace est si breve
Et qu'aussi tost
que les voyons
Un malheur les dons
nous enlève.
Autant qu'un jour
est long, autant
L'âge des
Roses a duree;
Quand leur jeunesse
s'est montree
Leur vieillesse
accourt à l'instant.
Celle que l'étoille
du jour
A ce matin a veu
naissante,
Elle-mesme au soir
de retour
A veu la mesme vieillissante
[1].
Un seul bien ces
fleurettes ont,
Combien qu'en peu
de temps périssent,
Par succés
[2] elles refleurissent
Et leur saison plus
longue font.
Fille, vien la Rose
cueillir
Tandis que sa fleur
est nouvelle :
Souvien-toy qu'il
te faut vieillir
Et que tu fletriras
comme elle [3]. »
(OEuvres
en Rime de J.-A ..de Baïf 1573. Livre des poèmes).
Notes
: 1. Il faut remarquer l'harmonie fine et précise de ces vers,
et l'agencement des rimes, alternées dans les couplets impairs,
opposées dans les couplets pairs. Baïf était excellent
musicien, et une mélodie naturelle se dégage de cette romance.
- 2. Par succés (per successus). Elles se succèdent
l'une à l'autre et se remplacent. - 3. Cf. Ronsard : « Comme
à cette fleur la vieillesse Fera ternir votre beauté. »
|
Troisième
période.
Il n'était que trop évident
que la réforme de Ronsard et de la pléiade n'était
pas définitive. A une grande torpeur succédait un effort
violent qui, sans l'atteindre, avait dépassé le but. Il lui
fallait, dit un critique, un modérateur ; elle en eut deux : Régnier
et Malherbe. Ni l'un ni l'autre n'eurent pleine
conscience de leur oeuvre; Mathurin Régnier crut défendre
Ronsard : en réalité il défendit et reproduisit Marot;
par inspiration vraie, par nonchaloir, par insouciance, par abandon à
la bonne loi naturelle, il revint dans ses Satires au simple, au vrai,
et rentra sans le savoir dans la vieille école gauloise qu'il enrichit
toutefois d'heureuses imitations. Malherbe crut ruiner l'école de
la pléiade et ses innovations gréco-latines; il en assura
le succès en les réglant. Tout en biffant Ronsard, il n'accomplit
pas moins ce que Ronsard avait tant souhaité; il donna à
l'idiome vulgaire toute la noblesse des langues antiques et, ce faisant,
rendit possible Corneille, Boileau et Racine.
On le voit, les poètes en tous genres
abondèrent au XVIe siècle
: doit-on s'en étonner, quand on songe qu'ils furent favorisés
par les divers souverains qui se succédèrent durant cette
période. Ce n'est pas là le moindre titre de gloire de Louis
XII, de François Ier, de Charles
IX, de Henri III et de Henri
IV. Ces rois furent non seulement amis des muses; ils étaient
eux-mêmes des lettrés, et suivant les expressions de Pasquier
parlant de la pléiade, « vous eussiez dit que ce temps-là
estoit du tout consacré aux Muses ».
-
Les effets
de la poésie, selon Montaigne
« Nous avons
bien plus de poëtes que de juges et interpretes de poësie; il
est plus aysé de la faire que de la cognoistre. A certaine mesure
basse, on la peult juger par les preceptes et par art; mais la bonne, la
supreme, la divine, est au dessus des regles et de la raison. Quiconque
en discerne la beauté d'une veue ferme et rassise, il ne la veoid
pas, non plus que la splendeur d'un esclair : elle ne practique [ = elle
ne met pas en oeuvre] poinct nostre jugement; elle le ravit et ravage.
La fureur qui espoinçonne celuy qui la sçait penetrer, fiert
[ = frappe] encores un tiers, à la luy ouyr traicter et reciter;
comme l'aimant non seulement attire une aiguille, mais infond [ = verse;
latinisme (infundit)] encores en icelle sa faculté d'en attirer
d'aultres : et il [ = cela] se veoid plus clairement aux theatres, que
[ = où] l'inspiration sacree des Muses, ayant premierement agité
le poëte à la cholere, au dueil, à la hayne, et hors
de soy, où elles veulent, frappe encores par le poëte l'acteur,
et par l'acteur consecutivement tout un peuple; c'est l'enufileure de nos
aiguilles [ = aiguilles aimantées] suspendues l'une de l'aultre
[images empruntées à l'Ion de Platon]. »
(Montaigne,
extrait des Essais, I)
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Pendant le Moyen âge, la prose fut dans
l'enfance : son développement avait été moins rapide
que celui de la poésie. Il lui avait manqué d'abord les idées
générales. Tous les chroniqueurs (il faut toutefois en excepter
Commines) avaient peint des faits physiques
sans remonter aux causes ou aux idées.
Or, les idées générales peuvent seules assurer la
durée aux oeuvres, car seules elles sont de nature à intéresser
les lecteurs de tous les siècles et de tous les pays : comme le
dit Pascal, elles ne sont pas bornées à
une époque, mais grandissent avec les siècles. Toutefois,
si ces idées manquaient au Moyen
âge, elles n'étaient qu'assoupies et s'allaient réveiller
avec la Renaissance.
Mais de multiples influences s'exercent
sur elles, et, comme le dit Henri Estienne dans
la préface de la Précellence du langage français,
« il se fit un grand remuement de mesnage dans notre langue »;
si les efforts louables et un peu confus des grammairiens pour la réglementer
n'avaient pas encore abouti, les règles du moins furent ébauchées.
Ce qui contribua surtout à rehausser la prose française,
c'est qu'elle fut écrite par quelques auteurs dont le personnalité
prévaudra contre tous les ferments de corruption. D'ailleurs, pour
donner issue au torrent d'idées et de sentiments formés par
la Renaissance, l'heureuse complaisance de la langue devenait une nécessité;
si la prose de cette époque renferme des provincialismes, des incorrections,
un arrangement de mots trop libre et des obscurités même qui
nous choquent, n'est-elle pas aussi une source de tours vifs et séduisants
et ne peut-on pas déjà escompter ses prochaines perfections?
L'abondance du vocabulaire et la liberté
de la syntaxe faisaient de la langue un outil facile à manier; aussi
les écrivains au XVIe siècle
sont-ils légion. Pour donner une idée de cette prodigieuse
fécondité, il nous faudra diviser cette foule de prosateurs
et les grouper, d'après leur genre, sous quatre titres : 1°
théologiens et écrivains politiques; 2° moralistes et
conteurs; 3° historiens; 4° traducteurs et érudits.
Théologiens
et écrivains politiques.
L'étude passionnée de l'antiquité
grecque n'avaient pas tardé à porter ses fruits. Ce fut le
droit qui servit de transition entre l'érudition pure et la philosophie:
la pratique du droit romain n'avait d'ailleurs pas péri au Moyen
âge, lorsque l'histoire et la littérature vinrent avec la
Renaissance se mettre à son service et lui prêter un nouvel
éclat. A Ange Politien, favori des Médicis,
qui le premier appliqua aux textes des jurisconsultes les secours de la
philologie classique, à André Alciat,
appelé à Bourges par François Ier,
succéda un glorieux héritier, le grand Cujas,
qui restitua à chaque partie de la législation le caractère
de l'époque et des circonstances qui l'avaient fait naître.
Dumoulin donna au droit français la même impulsion et prépara
les travaux de Pothier. Bientôt après la magistrature et le
barreau parvenait à sa plus haute gloire avec les Pasquier, les
Talon, les Séguier, les Harlay, les de Thou.
Ces études, naturellement, devaient
aboutir à la recherche des fondements de la société
et engendrer des écrivains politiques tels que La
Boétie. Mais la politique s'étant mêlée
à la religion par suite des luttes qu'amena la Réforme, avant
d'étudier ceux-ci, peut-être convient-il d'examiner l'influence
que, par l'intermédiaire de Calvin, la Réforme devait avoir
en France.
Calvin.
Jean Calvin (1509-1564)
en 1532, à Paris, abjura solennellement la foi catholique, et par
ses prédications et ses écrits, qui, avant qu'il ne rentrât
en maître à Genève d'où
il avait été chassé une première fois, lui
avaient valu d'errer de Paris à Bâle,
puis à Strasbourg, il créa
le Protestantisme ou Calvinisme en France.
Nous n'avons pas à rechercher son rôle politique : son influence
sur la langue fut considérable. Son Institution chrétienne,
d'abord écrite en latin et qu'il traduisit lui-même en français,
offre trois grandes nouveautés : la méthode, la matière
et la langue. La matière est philosophique, niais à la portée
du vulgaire. C'est, dans une exposition savante et simple à la fois
de la religion réformée, un trésor d'idées
nouvelles et générales. La méthode est nouvelle :
il procède avec ordre et par divisions précises. Enfin la
langue était nouvelle, car, dans les sujets de cette nature, la
langue latine était seule employée. Mais si son style est
dur, s'il lui manque la sensibilité, il est du moins serré,
pressant, abondant.
La
réaction catholique.
En face des progrès de la Réforme,
il restait au catholicisme à défendre la continuité
de la tradition religieuse, et c'est alors que don
Iñigo Lopez de Recalde y Loyola, quittant les armes, prit l'habit
d'ermite au Montserrat et fonda une société à tout
jamais célèbre, la Compagnie de Jésus
(1533). Parmi les théologiens, il convient de ne pas oublier le
nom de François de Sales (1567-1622).
Les
écrivains politiques.
Les travaux sur la science du droit et
le droit au libre examen dont la Réforme
avait doté l'homme devaient donner naissance à un esprit
nouveau dont les tendances audacieuses se manifestèrent dans quelques
pages courtes et énergiques dues à un jeune homme, La
Boétie (1530-1563), que les regrets de Montaigne
devaient non moins contribuer à rendre célèbre. C'est
en 1548, l'année même de l'insurrection de Bordeaux
et des terribles représailles du farouche Montmorency
après la prise de la ville, que La Boétie écrivait
contre la royauté une brûlante philippique Discours sur
la servitude volontaire ou le Contre un.
Ç'avait été une inspiration, un élan émotionnel.
Il fallait à la philosophie politique une expression plus calme
et plus scientifique que lui donna Jean Bodin (1530-1596)
dans son principal ouvrage, son livre sur la République :
mais la philosophie sociale n'est encore qu'une science naissante, et cette
noble tentative de Bodin pour soumettre les faits à la conception
absolue de leurs lois est entachée d'inexpérience.
Les luttes religieuses politiques, dans
lesquelles le fanatisme religieux devaient
jouer un rôle considérable et qui se terminèrent par
l'avènement de Henri IV au trône
de France, eurent aussi une grande influence sur la littérature.
C'est à ces luttes qu'est dù la naissance du pamphlet,
qui fut comme l'improvisation de la presse et de la Satire Ménippée
(1594): ces luttes encore inspirèrent les prédicateurs de
la Ligue, Jean Boucher, curé de Saint-Benoît, Launay, Prévôt,
Rose, évêque de Senlis, Pelletier, Guincestre, etc. Ils furent
l'âme de la Ligue; le sermon était à la fois le club
et le journal, et, du haut de la chaire, ils communiquaient au peuple l'enthousiasme
de la résistance. En dépit des résultats obtenus,
il ne faut pas cependant se faire une trop haute idée de leur éloquence,
où l'esprit, l'érudition, l'invective, la religion et une
certaine verve triviale formaient un tout incohérent, qui savait
entraîner, mais « n'avait même pas le pressentiment de
ce goût sobre et sévère, dont les écrivains
de Louis XIV allaient trouver le secret.
La
satire Ménippée.
La meilleure inspiration produite par
ces luttes fut certes la Satire Ménippée
(1594), à laquelle contribua la fleur des érudits, Pierre
Le Roy, Gilles Durand, Nicholas Rapin, P. Pithou,
Passerat, et qui eut le mérite de l'à-propos.
Guise venait de tomber sous le poignard des satellites du roi et Henri
III sous le couteau de Jacques Clément; l'Espagne,
la faction lorraine voulaient imposer un roi à la France, tandis
que Henri IV revendiquait ses droits. La Satire Ménippée,
qui acheva de ruiner Ia Ligue, est un tableau
de moeurs, un modèle d'ironie dans lequel on trouve de vifs accents
au service d'une cause nationale.
-
Jean
Passerat.
Moralistes et
conteurs.
Notre classification des auteurs de cette
période correspond à peu près à l'importance
des matières, mais elle est nécessairement superficielle
« pour une époque dont le caractère principal est justement
pour tous les esprits l'universalité des aptitudes ou au moins l'ambition
de toutes les connaissances ». Ainsi Rabelais, que nous allons ranger
parmi les moralistes et les conteurs, par les multiples côtés
de son génie, ne pourraitil pas revendiquer tous les titres énumérés
ci-dessus?
Rabelais.
François
Rabelais (1483-1553) fut non seulement le premier helléniste
de son temps et entretint une correspondance avec Budé,
mais professa à Lyon les aphorismes d'Hippocrate
et les Notions de Gallien. Avant d'être
nommé à la cure de Meudon, il avait été médecin
et c'est à cette époque qu'il avait publié les deux
premiers livres de Gargantua et de Pantagruel.
Rabelais a puisé dans l'Antiquité avec ardeur : son savoir
était prodigieux, son érudition immense. Mais son livre est
bien plutôt le fruit de son humeur que l'oeuvre fortement conçue
de son jugement. Sans entrer dans les détails, il nous revient de
dire ici l'influence qu'il eut sur la langue : or Rabelais a surtout enrichi
celle-ci, qu'il a maniée avec souplesse et variété.
Dans son ouvrage, débauche d'esprit jointe à une ivresse
d'imagination, au milieu de sa gaieté et de sa bouffonnerie, il
a plus que tout autre contribué à émanciper les idées
générales par ses grandes vues sur l'éducation, la
paix, la guerre, les devoirs des princes, etc.
Les
autres conteurs.
Si Rabelais échappe par l'ampleur
même de son génie, qui a touché tous les genres, à
une classification, du moins devons-nous, sous le titre de conteurs, ranger
Marguerite de Navarre et Despériers.
L'Heptaméron
de la reine de Navarre, où se fait à chaque pas sentir l'influence
des nouvellistes italiens, ont de l'intrigue et de l'action, mais elles
n'ont plus le poétique éclat des récits de Boccace,
et le vif sentiment de l'art qui les anime est ici remplacé par
le bon sens et l'esprit bourgeois des grands seigneurs de France. Despériers,
dans les Nouvelles Récréations et joyeux devis, montre
un esprit tout rabelaisien;il est simple, hardi et souvent licencieux ;
traits d'esprit et joyeuses répliques y abondent.
Ces conteurs d'ailleurs furent nombreux
et aux côtés de la reine de Navarre, Marguerite de Valois,
et de Despériers, il convient de citer en une sèche énumération
Nicolas de Troyes, Guillaume Bouchet, Beroalde de Verville, Herberay des
Essarts, traducteur d'Amadis des Gaules.
Montaigne.
Les moralistes sont représentés
par Montaigne et Charron, qui fut son disciple
et le plus souvent son copiste. Toutefois, même lorsqu'il le transcrit,
Charron ne ressemble pas à son maître : il est grave, compassé
et méthodique, il n'a ni l'originalité du génie de
Montaigne, ni la vivacité de son expression.
Michel de Montaigne
(1533-1592), s'il faut mesurer la gloire des écrivains au nombre
de ceux qui profitent de leurs écrits, est le premier auteur dans
l'ordre des temps. Celui dont Duperron appelait l'oeuvre le bréviaire
des honnêtes gens fut cependant peu connu de son temps et très
attaqué au XVIIe siècle;
le XVIIIe l'admira pour ses idées
et le XIXe pour son style. Ses Essais
sont une profonde et sérieuse étude de l'humain : en se peignant
lui-même, il a trouvé des idées si générales,
des peintures si vraies et si vives qu'il semble l'homme de tous les temps.
Sa devise est : Que sais-je? mot prudent qui résume toute
sa doctrine. Il a ainsi défini lui-même son style :
«
Le parler que j'ayme, c'est un parler simple et naïf, tel sur le papier
qu'à la bouche; un parler succulent et nerveux, court et serré,
non tant délicat et peigné que véhément et
brusque... »
Il ose tout exprimer et traite la langue comme
sa propriété personnelle. Son grand titre de gloire est d'avoir
mis en oeuvre, sous une forme immortelle, l'indépendance de la pensée
que Ramus avait proclamée en principe.
Historiens.
Parmi ceux-ci en dehors de Du Haillan,
historiographe de France, de l'infatigable et diffus François de
Bellefort, de Lancelot de La Popelinière, du chroniqueur Palma Cayet,
de Claude de Seyssel, des Gaquin et des Nicole Gilles, imitateurs et compilateurs
crédules, nous retiendrons les noms de D'Aubigné et du président
de Thou.
D'Aubigné.
La vie d'Agrippa
d'Aubigné (1550-1630), passée dans les camps, fut un
roman de chevalerie. Mais d'Aubigné fut non seulement un soldat,
il fut encore poète, négociateur, historien, romancier, théologien
et sectaire. En prose, nous avons de lui la Confession de Sancy,
qu'il a composée pour flétrir ceux qui se convertissent par
politique. Dans son Histoire universelle,
il a joint le talent du peintre à celui du narrateur; enfin, par
ses Mémoires, il a mérité le nom de Saint-Simon
du XVIe siècle.
De
Thou.
Jacques de Thou
(1553-1617) fut l'historien du XVIe siècle.
Président, il confondit la justice des tribunaux et la justice de
l'histoire et porta dans celle-ci l'impartialité de ses autres fonctions.
Malheureusement, de Thou n'eut pas pour exprimer les faits de son époque
l'instrument qu'il eût fallu, et l'usage de la langue latine a nui
à la popularité de son oeuvre. C'est d'autant plus regrettable
que « ce vaste récit, qui embrasse dans son étendue
immense les annales du monde policé, pendant toute la seconde moitié
du XVIe siècle, reproduit le mouvement,
l'agitation, la diversité mais aussi le désordre de son sujet
».
Les mémoires qui, au XVIe
siècle, tiennent, pour ainsi dire, lieu d'histoire, furent en nombre
considérable depuis la mort de François
Ier à
la soumission de Paris (1547-1594); il nous reste vingt-six ouvrages de
ce genre écrits par des contemporains qui furent mêlés
aux événements qu'ils racontent. Outre le Loyal Serviteur,
dont la modestie nous a dérobé le nom, outre Fleurange, retenons
du moins Blaise de Monluc et, parmi les compilateurs, Brantôme.
Monluc.
Blaise de Monluc
(1503-1577), dont les commentaires ont grandi la gloire tout en consolant
sa vieillesse, fut surtout un homme de guerre qui, dans son livre, est
pratique avant tout. On voit briller chez lui la verve gasconne : ses récits
sont pleins de bon sens et de bonne humeur; il est brusque, mais pittoresque
et plein de spirituelles boutades; son style est énergique et entraînant.
Brantôme.
Pierre de Brantôme
(1527-1614) a écrit les Souvenirs de son temps, qui sont
pleins de piquant et d'anecdotes souvent scandaleuses. Il a de la naïveté,
de la variété, mais une vanité sans pareille et se
croit le premier homme de son temps. Son meilleur ouvrage est la Vie
des hommes illustres et des grands capitaines de France : il s'inspire
d'Amyot et sait unir la force et la délicatesse; on trouve chez
lui des traits d'histoire curieux à noter.
Traducteurs et
érudits.
Parmi les érudits, la première
place est aux traducteurs, qui ont étiré et ployé
la langue sur le patron de leurs modèles. Mais cet honneur, ils
le doivent surtout à ce fait qu'ils comptent Amyot parmi eux.
Amyot.
Jacques Amyot
(1513-1593), après s'être fait, afin de pouvoir faire ses
études, le domestique de ses condisciples, était devenu,
après un séjour en Italie, précepteur des enfants
de Henri Il, puis grand aumônier de France. Il dédia à
Henri Il sa traduction de Plutarque, qui fut un des événements
du XVIe siècle. Il avait auparavant
traduit Théagène et Chariclée, pastorale
de Longus. Par sa traduction de Plutarque,
Amyot se proposa deux choses : poursuivre l'oeuvre de Ronsard et enrichir
la langue. Il y a réussi : il a donné au style plus de souplesse
et, en donnant à Plutarque sa propre physionomie, il a fait d'un
rhéteur un auteur naïf et agréable. Il a mérité
cet éloge de Montaigne :
«
Je donne la palme à J. Amyot sur tous les écrivains de son
temps, pour la naïveté et la pureté du langage. »
Les
autres traducteurs.
Les autres traducteurs, sans atteindre
à la gloire du bonhomme Amyot, ont cependant, par leur travail,
mérité la reconnaissance de leurs contemporains : Estienne
de La Boétie, Guillaume du Vair, Dolet, Lefèvre d'Etaples,
Pierre Saliat ont le droit de ne pas voir leur nom oublié et la
gloire d'avoir contribué au mouvement littéraire de leur
temps.
A la tête des érudits et bien
au-dessus se placent Estienne Pasquier et Henri Estienne
Pasquier.
Estienne Pasquier
(1329-1615), esprit ingénieux, fin et spirituel dans ses Recherches,
fut un jurisconsulte éminent, un avocat célèbre et
brillant. Son érudition eut des lacunes; elle a cependant fait faire
de grands progrès à la science. Nous avons dit déjà
comment l'étude du droit sans l'impulsion de la Renaissance
avait pu servir de transition entre l'érudition pure et la philosophie.
Estienne.
Henri Estienne (1532-1598) appartient
à cette illustre famille des Estienne
qui, par ses éditions savantes et aussi admirables par la correction
que l'impression, a laissé un nom dans l'imprimerie. Il a passé
sa vie à copier les vieux manuscrits, à rétablir et
à discuter les textes. Son principal ouvrage est le Thesaurus
poeticus linguae graecae. Ses discussions sont pleines de vie et d'intérêt.
On a encore de lui : Apologie d'Aristote et la Précellence
du langage français, que nous avons eu déjà l'occasion
de signaler.
Les
hommes de l'art.
D'autres noms doivent
encore être cités ici : le faïencier Bernard
Palissy, le voyageur et déjà ethnographe Jean
de Léry, le voyageur et naturaliste Pierre
Belon, le chirurgien Ambroise Paré, l'agronome
Olivier de Serres. (George Elwall). |
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