| La sotie ou sottie était une satire dramatique née du mélange de la farce et de la moralité. Ce nouveau genre fut mis en honneur par les Enfants Sans Souci, joyeuse réunion de jeunes gens dont le chef s'appelait le Prince des Sots. Ils furent autorisés par Charles VI à élever des échafauds, à Paris, sur la place des Halles, pour y représenter leurs soties. La liberté de leurs attaques alla souvent jusqu'à la licence; ils ne respectèrent ni la religion, ni la politique, ni même la vie privée des personnages qu'ils mettaient en scène. II est vrai qu'ils commençaient par se jouer eux-mêmes, et se livraient les premiers à la risée de la multitude. Néanmoins l'extrême hardiesse de leurs satires, le langage irrévérencieux qu'ils se permettaient dans des allusions que tout le monde pouvait comprendre, leur firent de nombreux ennemis parmi les gens de robe, d'église et d'épée. Mais ils furent presque constamment protégés par la royauté. Charles VIII seul, dans un moment de colère, leur enleva les privilèges qu'ils tenaient de Charles VI; Louis XII les leur rendit. Ce prince supporta avec une admirable patience les railleries souvent indécentes des Enfants Sans Souci : une seule fois la colère l'emporta, après une allusion blessante pour la reine Anne de Bretagne; mais il se calma bientôt, et, plus tard, quand il fut en lutte avec Ie pape Jules II, il se servit des Enfants Sans Souci pour faire approuver sa politique par l'opinion populaire. Sous François Ier, la liberté de ces représentations fut d'abord restreinte par l'institution de la censure, puis complètement abolie par l'interdiction des farces et des soties. Les plus célèbres soties sont : le Vieux-Monde, le Nouveau-Monde, et le Prince des sots. Vieux-monde est un vieillard décrépit, qui se plaint toujours. Abus l'engage à prendre du repos, et lui promet de gouverner le monde pendant son sommeil. Le vieillard est à peine endormi, qu'Abus appelle à lui tous les Sots ses amis. On voit alors arriver Sot dissolu, habillé en homme d'église, Sot glorieux en gendarme, Sot corrompu en robe de procureur, Sot trompeur en costume de marchand, Sot ignorant, grand niais qui représente le peuple, et Sotte Folle, qui persuade aux autres de tondre le Vieux-Monde et d'en bâtir un autre. Ils conviennent qu'ils construiront leur édifice sur Confusion : c'est Abus qui dirige les travaux comme architecte. Chaque Sot construit son pilier. Sot Dissolu met au rebut Chasteté, Dévotion, Oraison, Humilité, et compose son pilier d'Ypocrisie, Ribaudise, Apostasie, Lubricité, Symonie, Irrégularité. Sot Glorieux rejette Noblesse et Libéralité, et leur substitue Lâcheté et Avarice. Sot Corrompu repousse Justice, et envoie chercher Corruption. Sot Trompeur bâtit avec Usure, Larcin et Fausse Mesure. Sot Ignorant rejette Innocence, Simplicité, Obéissance, et s'accommode de Murmure, Fureur et Rébellion. L'édifice est construit; les Sots se disputent entre eux pour savoir à qui appartiendra la main de Sotte Folle. Dans la chaleur de la querelle, ils renversent le Monde qu'ils avaient à peine achevé. Abus les chasse; le Vieux-Monde se réveille, déplore l'imprudence des jeunes Sots, et engage les assistants à ne point bâtir comme eux sur Confusion. La sotie du Nouveau-Monde, attribuée à Jean Bouchet, est une protestation contre les empiétements de la papauté. Bénéfice Grant est vacant. Ambitieux vient solliciter auprès du cardinal-légat. Celui-ci promet de séduire Élection et Nomination; mais il faut commencer par Pragmatique, vieille dame qui a la tête dure. Comme elle ne veut pas entendre raison, l'on fait venir Père Saint, qui arrive avec un gros bâton dont il assomme Pragmatique. Élection et Nomination effrayées s'enfuient chez leur aïeule Université. C'est ainsi que les Enfants Sans-Souci mettaient à la portée du peuple les difficultés de la politique avec la cour de Rome. Trois ans après la représentation du Nouveau-Monde, c.-à-d. en 1511, la lutte était engagée avec le pape; il s'agissait de lever les scrupules de ceux qui pouvaient en avoir, et de prouver au roi lui-même, s'il hésitait, qu'il pouvait faire la guerre au pape légitimement et canoniquement. Tel est le but que se propose Pierre Gringore dans le Jeu du prince des Sots, qui fut représenté le mardi gras de l'an 1511. Cette pièce commence par une espèce de prologue où sont passées en revue toutes les affaires du temps. Ensuite paraissent les Sots; d'abord la Noblesse, le seigneur de Nates, le seigneur de Joye, le général d'Enfance, le seigneur du Plat, le seigneur de la Lune; puis le clergé, les abbés de Plate-Bourse, de Frévaulx, de la Courtille; enfin le prince des Sots, bonhomme endurant et pacifique, qui n'est autre que Louis XII lui-même. Les États du royaume de Sottise sont ouverts; tous les Sots parlent à la fois, sur la paix, sur la guerre, sur les Jacobins, sur le pape, sur l'Université. Sotte Commune, qui s'appelait jadis Povreté, profite de la bonté du prince des Sots pour dire aussi son avis : elle n'aime pas ces guerres lointaincs dont il ne lui revient que des charges; car c'est elle qui paye toujours l'écot. Les doléances de Sotte Commune sont interrompues par la brusque arrivée de Mère Sotie sous les habits de l'Église; elle est accompagnée de Sotte Fiance et Sotte Occasion; elle arrive d'Italie, d'où elle apporte une drogue nouvelle qui s'appelle Trahison. Mère Sotte, à force de cajoleries, séduit les abbés; elle leur promet de rouges chapeaux. Mais les nobles repens sent avec indignation toutes ses offres, et demeurent fidèles au roi. Mère Sotte, furieuse, ordonne aux prélat de commencer l'assaut; le Prince hésite encore, mais enfin un Sot lui crie qu'il peut se défendre canoniquement. Bref, le Prince des Sots est forcé par ses sujets à faire la guerre : c'est la conscience du peuple, c'est l'honneur national qui se révolte contre les entreprises de l'Église sur la temporalité. (H. D.). | |